Péché et réparation

Christ crucifié, Diego Velázquez (détail) Crédit : wikimedia commons

A l’oc­ca­sion de la publi­ca­tion du rap­port Sauvé, nous vou­drions vous invi­ter à por­ter un regard de foi sur les nom­breux scan­dales qui ont por­té atteinte à l’in­no­cence des plus petits et des plus fra­giles au sein même de l’Église.

Tout en recon­nais­sant le carac­tère hau­te­ment cri­mi­nel de ces actes odieux qui détruisent des vies entières ; tout en recon­nais­sant la néces­si­té pour toutes les vic­times d’être recon­nues comme telles et de béné­fi­cier d’un triple accom­pa­gne­ment spi­ri­tuel, psy­cho­lo­gique et juri­dique ; enfin tout en recon­nais­sant que le cou­pable doit être dénon­cé, le secret de la confes­sion res­tant sauf, et sou­mis à une véri­table peine pro­non­cée au civil par les auto­ri­tés judi­ciaires, ne man­quons pas de nous rap­pe­ler que ces scan­dales com­mis par des prêtres ou per­sonnes consa­crées sont des actes par­ti­cu­liè­re­ment sacri­lèges qui offensent ter­ri­ble­ment Notre Seigneur Jésus-​Christ et demandent réparation.

« L’homme boit l’iniquité comme l’eau »[1] et aujourd’hui plus que jamais ! Tant et si bien que le péché foi­sonne par­tout et même dans l’Église, où il semble n’y avoir plus rien de sain « de la plante des pieds au som­met de la tête »[2], à cause notam­ment de ses ministres qui « l’empestent de leurs péchés »[3]. Devrions-​nous pour autant céder à la fata­li­té du déses­poir ou d’un pes­si­misme para­ly­sant ? Certainement pas ! Les paroles ins­pi­rées de saint Paul ne doivent rien perdre de leur per­ti­nence, sur­tout en temps de grande déso­la­tion : « Où le péché s’est mul­ti­plié, la grâce a sur­abon­dé »[4] ; et encore : « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu »[5] et enfin : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vain­queur du mal par le bien »[6], car « Dieu est assez puis­sant et assez bon pour faire sor­tir le bien du mal lui-​même »[7].

Si donc cer­tains empestent l’Église de leurs ini­qui­tés, d’autres atté­nue­ront « la puan­teur de ces péchés et de ces ténèbres avec le par­fum et la lumière de leurs ver­tus »[8]. Mais pour tenir le monde en équi­libre et plus spé­cia­le­ment l’Église, ce contre­poids ne rend pas compte de tout le bien que Dieu veut tirer du mal. Il ne per­met pas le péché seule­ment pour faire davan­tage res­sor­tir l’éclat de la ver­tu par simple effet de contraste. Dieu entend nous pro­vo­quer plus qu’à la simple ver­tu. Il nous invite non seule­ment à oppo­ser le bien au mal mais à ren­ver­ser le péché lui-​même, à le détruire pour per­mettre à la grâce de triom­pher là où il a abondé.

Toujours dans son livre des Dialogues, sainte Catherine de Sienne rap­porte la parole de Notre Seigneur en ces termes : « Je trouve même le moyen de leur faire misé­ri­corde (par­lant des prêtres pécheurs), en les ame­nant à chan­ger de vie. J’emploie mes ser­vi­teurs, ceux qui se sont gar­dés de la lèpre et conser­vés sains, à me prier pour eux. Parfois, donc, à ces pré­ser­vés je découvre ces péchés abo­mi­nables, pour enflam­mer leur zèle à dési­rer le salut des pécheurs, à m’in­vo­quer avec une plus grande com­pas­sion, avec une plus vive dou­leur des fautes du pro­chain et de l’of­fense qui m’est faite, et à me prier pour eux »[9]. Autrement dit, Dieu invi­tait la sainte à « por­ter » les péchés, en l’occurrence ceux de ses ministres qui étaient tom­bés dans d’abominables péchés.

Des auteurs spi­ri­tuels n’ont pas man­qué d’observer que si Dieu per­met la pro­gres­sion de l’iniquité, il ne manque jamais de sus­ci­ter par­mi les âmes consa­crées ou simples fidèles des voca­tions répa­ra­trices, c’est-​à-​dire enflam­mer dans leurs cœurs le zèle à dési­rer et concou­rir à la conver­sion des pécheurs. Serait-​ce une mis­sion plus propre à nos temps d’apostasie et de cor­rup­tion géné­ra­li­sée ? Il n’y a pas de doute que l’appel à la répa­ra­tion se fait de plus en plus entendre, ne serait-​ce qu’à tra­vers les mani­fes­ta­tions du Sacré-​Cœur et de Notre-​Dame, en par­ti­cu­lier à Fatima. Mais il ne s’agit pas pour autant d’une nou­veau­té. C’est le mys­tère même de la Rédemption qui réclame notre contri­bu­tion au salut des pécheurs. Tout en coopé­rant à son propre salut, chaque chré­tien doit aus­si se pré­oc­cu­per de tous ceux « qui ne croient pas, qui n’adorent pas, qui n’espèrent pas et qui n’aiment » pas le Bon Dieu.

Ce qui fonde notre capa­ci­té à aller au secours des pécheurs, c’est notre appar­te­nance à l’Église, c’est-​à-​dire au Corps mys­tique de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Ne for­mant qu’un seul corps avec Jésus-​Christ et dans la mesure où nous lui sommes unis par la grâce et la cha­ri­té, nos prières, nos actes de culte divin, nos ado­ra­tions, nos actes de ver­tu, nos actions, nos souf­frances, nos péni­tences, nos efforts, nos « fidé­li­tés quo­ti­diennes », « tout le bien à accom­plir et tout le mal à sup­por­ter » peuvent avoir valeur de Rédemption pour le salut des âmes, si seule­ment nous nous joi­gnons d’intention au sacri­fice de la croix. C’est une pra­tique qui s’inscrit dans la droite ligne de l’enseignement de saint Paul : « Ce qui manque aux souf­frances du Christ en ma propre chair, je l’achève pour son Corps, qui est l’Église »[10].

Face à tous les scan­dales qui conti­nuent à lacé­rer le Corps mys­tique de Jésus-​Christ, encourageons-​nous à nous tenir plus que jamais, à la suite de saint Jean et en com­pa­gnie de Notre-​Dame, au pied de la croix. Et ne crai­gnons pas de nous incor­po­rer au sacri­fice de Jésus-​Christ, pour nous offrir avec Lui en répa­ra­tion pour tous les outrages, sacri­lèges et indif­fé­rences qui se com­mettent de plus en plus ain­si que pour la conver­sion des pécheurs. Voilà qui nous fera rece­voir « l’Agneau de Dieu » dans des dis­po­si­tions plus géné­reuses et nous per­met­tra de par­ta­ger avec Lui le poids tou­jours plus lourd du péché. Et notre époque, si laide par bien des côtés, pour­rait appa­raître magni­fi­que­ment belle grâce à cette pra­tique pro­fon­dé­ment chré­tienne de la Réparation.

Source : Spes Unica n° 39

Notes de bas de page

  1. Job XV, 16[]
  2. Isaïe I, 6[]
  3. Sainte Catherine de Sienne, Dialogues Ch. CXXI[]
  4. Romains V, 20[]
  5. Romains VIII, 28[]
  6. Romains XII, 21[]
  7. Saint Augustin[]
  8. Sainte Catherine de Sienne, Dialogues Ch CXIX[]
  9. Ch. CXXIV[]
  10. Colossiens I, 24[]