A l’occasion de la publication du rapport Sauvé, nous voudrions vous inviter à porter un regard de foi sur les nombreux scandales qui ont porté atteinte à l’innocence des plus petits et des plus fragiles au sein même de l’Église.
Tout en reconnaissant le caractère hautement criminel de ces actes odieux qui détruisent des vies entières ; tout en reconnaissant la nécessité pour toutes les victimes d’être reconnues comme telles et de bénéficier d’un triple accompagnement spirituel, psychologique et juridique ; enfin tout en reconnaissant que le coupable doit être dénoncé, le secret de la confession restant sauf, et soumis à une véritable peine prononcée au civil par les autorités judiciaires, ne manquons pas de nous rappeler que ces scandales commis par des prêtres ou personnes consacrées sont des actes particulièrement sacrilèges qui offensent terriblement Notre Seigneur Jésus-Christ et demandent réparation.
« L’homme boit l’iniquité comme l’eau »[1] et aujourd’hui plus que jamais ! Tant et si bien que le péché foisonne partout et même dans l’Église, où il semble n’y avoir plus rien de sain « de la plante des pieds au sommet de la tête »[2], à cause notamment de ses ministres qui « l’empestent de leurs péchés »[3]. Devrions-nous pour autant céder à la fatalité du désespoir ou d’un pessimisme paralysant ? Certainement pas ! Les paroles inspirées de saint Paul ne doivent rien perdre de leur pertinence, surtout en temps de grande désolation : « Où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé »[4] ; et encore : « toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu »[5] et enfin : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien »[6], car « Dieu est assez puissant et assez bon pour faire sortir le bien du mal lui-même »[7].
Si donc certains empestent l’Église de leurs iniquités, d’autres atténueront « la puanteur de ces péchés et de ces ténèbres avec le parfum et la lumière de leurs vertus »[8]. Mais pour tenir le monde en équilibre et plus spécialement l’Église, ce contrepoids ne rend pas compte de tout le bien que Dieu veut tirer du mal. Il ne permet pas le péché seulement pour faire davantage ressortir l’éclat de la vertu par simple effet de contraste. Dieu entend nous provoquer plus qu’à la simple vertu. Il nous invite non seulement à opposer le bien au mal mais à renverser le péché lui-même, à le détruire pour permettre à la grâce de triompher là où il a abondé.
Toujours dans son livre des Dialogues, sainte Catherine de Sienne rapporte la parole de Notre Seigneur en ces termes : « Je trouve même le moyen de leur faire miséricorde (parlant des prêtres pécheurs), en les amenant à changer de vie. J’emploie mes serviteurs, ceux qui se sont gardés de la lèpre et conservés sains, à me prier pour eux. Parfois, donc, à ces préservés je découvre ces péchés abominables, pour enflammer leur zèle à désirer le salut des pécheurs, à m’invoquer avec une plus grande compassion, avec une plus vive douleur des fautes du prochain et de l’offense qui m’est faite, et à me prier pour eux »[9]. Autrement dit, Dieu invitait la sainte à « porter » les péchés, en l’occurrence ceux de ses ministres qui étaient tombés dans d’abominables péchés.
Des auteurs spirituels n’ont pas manqué d’observer que si Dieu permet la progression de l’iniquité, il ne manque jamais de susciter parmi les âmes consacrées ou simples fidèles des vocations réparatrices, c’est-à-dire enflammer dans leurs cœurs le zèle à désirer et concourir à la conversion des pécheurs. Serait-ce une mission plus propre à nos temps d’apostasie et de corruption généralisée ? Il n’y a pas de doute que l’appel à la réparation se fait de plus en plus entendre, ne serait-ce qu’à travers les manifestations du Sacré-Cœur et de Notre-Dame, en particulier à Fatima. Mais il ne s’agit pas pour autant d’une nouveauté. C’est le mystère même de la Rédemption qui réclame notre contribution au salut des pécheurs. Tout en coopérant à son propre salut, chaque chrétien doit aussi se préoccuper de tous ceux « qui ne croient pas, qui n’adorent pas, qui n’espèrent pas et qui n’aiment » pas le Bon Dieu.
Ce qui fonde notre capacité à aller au secours des pécheurs, c’est notre appartenance à l’Église, c’est-à-dire au Corps mystique de Notre Seigneur Jésus-Christ. Ne formant qu’un seul corps avec Jésus-Christ et dans la mesure où nous lui sommes unis par la grâce et la charité, nos prières, nos actes de culte divin, nos adorations, nos actes de vertu, nos actions, nos souffrances, nos pénitences, nos efforts, nos « fidélités quotidiennes », « tout le bien à accomplir et tout le mal à supporter » peuvent avoir valeur de Rédemption pour le salut des âmes, si seulement nous nous joignons d’intention au sacrifice de la croix. C’est une pratique qui s’inscrit dans la droite ligne de l’enseignement de saint Paul : « Ce qui manque aux souffrances du Christ en ma propre chair, je l’achève pour son Corps, qui est l’Église »[10].
Face à tous les scandales qui continuent à lacérer le Corps mystique de Jésus-Christ, encourageons-nous à nous tenir plus que jamais, à la suite de saint Jean et en compagnie de Notre-Dame, au pied de la croix. Et ne craignons pas de nous incorporer au sacrifice de Jésus-Christ, pour nous offrir avec Lui en réparation pour tous les outrages, sacrilèges et indifférences qui se commettent de plus en plus ainsi que pour la conversion des pécheurs. Voilà qui nous fera recevoir « l’Agneau de Dieu » dans des dispositions plus généreuses et nous permettra de partager avec Lui le poids toujours plus lourd du péché. Et notre époque, si laide par bien des côtés, pourrait apparaître magnifiquement belle grâce à cette pratique profondément chrétienne de la Réparation.
Source : Spes Unica n° 39