Face aux nombreuses ambiguïtés qui se produisent dans l’Église aujourd’hui, certains fidèles tentent de se rassurer à l’idée que les paroles du Saint Père, si douteuses soient-elles, ne sont pas pour autant franchement hérétiques. C’est ainsi qu’à propos de la vidéo scandaleuse, que le Pape François a publiée au mois de janvier en faveur du dialogue interconfessionnel, certains, quoique désarçonnés, se sont efforcés de relativiser les propos du pape, au motif « qu’il n’a pas dit que les autres religions sont bonnes ».
Mais peut-on vraiment se satisfaire du seul fait que le Pape n’a pas nettement professé d’hérésie, comme peut-on également se satisfaire du seul fait que, dans la nouvelle messe, célébrée par un prêtre à la fois pieux et conservateur, il y a la présence réelle et qu’à aucun moment, il ne nie la réalité du sacrifice ?
Dans sa pratique multiséculaire, l’Église ne s’est jamais contentée de dénoncer seulement les propositions hérétiques, qui contredisent les vérités de foi : Elle a pris aussi le soin de signaler et de condamner certaines opinions, certes pas proprement hérétiques, mais s’éloignant plus ou moins de l’expression adéquate de la foi. Autrement dit, en-dehors des hérésies, déjà dénoncées comme telles par l’Église, il y a des enseignements douteux, de faux raisonnements, des expressions inappropriées, équivoques qui, infirmant les dogmes catholiques, favorisent de près ou de loin l’hérésie. Toutes ces ambiguïtés sont, d’une certaine manière, plus dangereuses que les hérésies elles-mêmes, car étant souvent plus subtiles, et réussissant parfois à se farder « d’une fausse apparence de vérité » (Cardinal Pie), elles lèvent moins facilement la salutaire suspicion et réussissent alors à entortiller l’esprit insuffisamment instruit ou peu averti. Le plus souvent, avant d’être professées explicitement, elles se distillent dans la pratique et plus précisément dans une pastorale qui, se détachant de la saine doctrine, conditionne les esprits pour plus facilement les abuser. Combien de chrétiens admettent aujourd’hui des affirmations ou comportements aux saveurs hérétiques, sans voir qu’ils ternissent progressivement la foi !
Cette vidéo nous fait ainsi entendre de la bouche du pape, à propos des non-chrétiens et des non-catholiques : « Nous avons une certitude : nous sommes tous des enfants de Dieu. » Voilà qui est bel est bien une proposition ambiguë, susceptible de semer ou d’entretenir la confusion dans les esprits. Certes, au sens très approximatif, c’est-à-dire en tant que simples « créatures », nous sommes, il est vrai « tous enfants de Dieu » ; mais dans son acception la plus précise qui soit, cette expression « enfants de Dieu » ne peut s’entendre que de ceux qui sont tout ensemble « disciples de Jésus-Christ et membres de l’Église » (catéchisme de saint Pie X). C’est pourquoi nous ne pouvons, en toute rigueur, surtout quand on est assis sur la Chaire de Vérité, la plus élevée qui soit dans l’Église, dire indistinctement aux chrétiens catholique ou pas, aux juifs, aux infidèles et aux païens : « nous sommes tous des enfants de Dieu. »
On pourrait cependant nous rétorquer : mais après tout, son message vidéo n’a pas valeur d’encyclique ou d’enseignement « ex cathedra » ! Certes, le Pape n’entend pas engager toute son autorité et à fortiori son infaillibilité. Mais en face de l’apostasie généralisée et toujours croissante, le Souverain Pontife n’est-il pas davantage tenu de déclarer la foi, plus hautement, plus fermement et le plus clairement possible ? Quoiqu’il en soit, cette vidéo ébranle davantage la foi par « la force des images » qui, selon Monseigneur Tissier de Mallerais, sont « scandaleuses au sens fort », en tant qu’elles « induisent à l’erreur, à l’hérésie » ; qu’elles laissent « au spectateur la croyance en une réconciliation possible de ces religions. » Il s’agit « d’une profession en images, par le Pape, de l’indifférentisme religieux », qui est une hérésie condamnée déjà par le Pape Grégoire XVI en 1832, selon quoi « on pourrait par n’importe quelle profession de foi obtenir le salut éternel. » N’est-ce pas ce que le Pape François laisse entendre par ces termes : « beaucoup pensent de manières différentes, ressentent les choses différemment, cherchent et rencontrent Dieu de diverses manières » ?
« Nous avons un pape –continue Monseigneur Tissier de Mallerais– qui laisse se propager la religion au goût de chacun. Il appelle cela la « recherche » de la vérité, mais la Vérité est Une et c’est Notre Seigneur Jésus-Christ, qui seul a dit : « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie » ( Jean XIV, 6). Seul le Verbe incarné, l’unique Sauveur des hommes, est la Vérité. La bonne volonté des ignorants et des errants ne les sauvent pas. La bonne volonté ne sauve personne. La Vérité seule sauve. »
Dans son Apologie pour l’Église de toujours, le Père Calmel, dès 1971, dénonçait avec justesse et clairvoyance le « traitement de liquéfaction universelle » auquel les autorités en place soumettait la vie de l’Église : « Égarés par la grande chimère de vouloir découvrir les moyens infaillibles et faciles de réaliser une bonne fois l’unité religieuse du genre humain, des prélats, des prélats occupant les charges les plus importantes, travaillent à inventer une Église sans frontières dans laquelle tous les hommes, préalablement dispensés de renoncer au monde et à Satan, ne tarderaient pas à se retrouver, libres et fraternels. »
En célébrant la Fête de la Résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ, nous nous souviendrons qu’Il a vaincu la mort, le monde, le démon et le péché : « la détresse de l’Église – dit encore le Père Calmel – serait-elle cent fois plus déchirante, cent fois plus cruelle, c’est le Seigneur qui en est à jamais le Maître et le Roi. C’est à Lui que toute puissance a été donnée, c’est devant Lui que fléchit tout genou au ciel, sur la terre et dans les enfers, y compris dans cette sorte d’enfer, pour le moment indolore, qu’est la secte moderniste. Elle ne peut étendre sa nocivité au-delà des étroites frontières que le Seigneur lui assigne et le Seigneur ne lui concède un certain pouvoir d’obscurcir, de fausser et de scandaliser de mille façons, que pour le bien des élus et pour augmenter la splendeur de grâce de son Église. Nous n’avons donc pas à craindre, mais à persévérer avec confiance dans l’Église de toujours. »
Abbé Laurent Ramé, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Spes Unica du printemps 2016