« Présent » du 17 août 2007


« Présent » du 17 août 2007 – Jean Madiran 

Les prêtres à qui sera ren­due à par­tir du 14 sep­tembre la libre célé­bra­tion de la messe tra­di­tion­nelle seront-​ils obli­gés, en échange, de ne plus refu­ser ni contes­ter la messe de Paul VI ? Depuis trente-​huit ans l’ar­gu­ment se pré­sente comme sans réplique, comme déci­sif, comme contrai­gnant. Il consiste à pré­tendre que cri­ti­quer ou reje­ter la messe de Paul VI comme dan­ge­reuse pour la foi serait récu­ser l’in­dis­cu­table magis­tère de l’Eglise en un tel domaine. Cet argu­ment a fait cette année une réap­pa­ri­tion insistante.

Il faut le (re)dire aujourd’­hui comme avant-​hier, cet argu­ment est en réa­li­té tout à fait incon­sis­tant. Pour mon­trer son incon­sis­tance, rap­pe­lons qu’un pré­cé­dent fameux existe dans l’his­toire de l’Eglise.

Voici. Le concile de Trente avait ordon­né une révi­sion de la Vulgate, pour la rendre plus conforme à la tra­duc­tion éta­blie par saint Jérôme. Le pape Sixte- Quint publia donc en 1590 une ver­sion révi­sée, à laquelle il avait per­son­nel­le­ment tra­vaillé, et qu’il impo­sa comme ver­sion offi­cielle de la Bible. Plusieurs car­di­naux et théo­lo­giens la refu­sèrent comme un dan­ger pour la foi. Robert Bellarmin (qui fut cano­ni­sé) déclare : « Je ne sais si l’Eglise a jamais connu un tel péril. »

A la mort de Sixte-​Quint, qui sur­vint la même année, son édi­tion de la Bible fut reti­rée du com­merce, tous les exem­plaires détruits. L’Eglise entre­prit ce que nous appe­lons aujourd’­hui une « réforme de la réforme ». En 1592 le pape Clément VIII fit paraître une édi­tion cor­ri­gée, que l’on nomme « sixto-​clémentine » ; mais comme Sixte-​Quint avait recon­nu avant de mou­rir qu’il avait pro­mul­gué un tra­vail raté, dan­ge­reux pour la foi, son nom seul figure sur la page de titre, ce qui était la manière la meilleure, et la plus radi­cale, de répa­rer et sup­pri­mer la mau­vaise édition. 

Comme quoi, même en une matière tou­chant direc­te­ment à la foi et aux moeurs, tous les actes d’un sou­ve­rain pon­tife ne sont pas for­cé­ment infaillibles. 

Nul ne sait encore si la contes­ta­tion et le refus, licites et légi­times, de la messe de Paul VI, – qui déjà, n’é­tant plus obli­ga­toire à l’ex­clu­sion de toute autre, est donc deve­nue facul­ta­tive, – abou­ti­ra à une solu­tion ana­logue à la Bible « sixto-​clémentine », c’est-​à-​dire à une messe « pau­lo­bé­né­dic­tine ». Il est évident que le Pape a le pou­voir de pro­mul­guer une messe « nou­velle », à la double condi­tion qu’elle soit expli­ci­te­ment catho­lique en tous points, et qu’elle ne soit pas employée comme un moyen, une occa­sion (une arme par des­ti­na­tion) pour sup­pri­mer les rites traditionnels. 

On peut rêver à ce sujet ; consi­dé­rer que l’obs­cu­ran­tisme spi­ri­tuel du monde moderne se situe à un niveau men­tal, phi­lo­so­phique et reli­gieux fort infé­rieur à celui des citoyens romains dans l’empire du pre­mier et du second siècle ; et se deman­der en consé­quence si l’on n’au­rait pas réel­le­ment besoin qu’à côté de la messe tra­di­tion­nelle existe aus­si, pour cer­tains sau­vages modernes, une messe sim­pli­fiée, peut-​être une mes­se­di­gest pour une Eglise yan­kee, fille plus ou moins éman­ci­pée de l’Eglise latine ? C’est sans doute ce qu’a vou­lu faire Paul VI. Mais il l’a raté. 

D’ailleurs, si l’on réclame un pré­cé­dent plus récent que celui de Sixte-​Quint, il y a celui de l’ar­ticle 7 dans l’Institutio gene­ra­lis de la messe de Paul VI. Il fut aus­si­tôt publi­que­ment contes­té au nom de la foi. Dans cette contes­ta­tion Paul VI vit si peu une récu­sa­tion du magis­tère de l’Eglise qu’il s’empressa de la jus­ti­fier en cor­ri­geant l’article. 

Cela se pas­sait en 1969. C’était, dès le début de la messe nou­velle, une très claire indication.

JEAN MADIRAN

Article extrait du n° 6401 de Présent, du ven­dre­di 17 août 2007