Vierge (380–410)
Fête le 13 mars.
Version courte
Sainte Euphrasie était de race royale, et son père occupait l’une des charges les plus importantes à la cour de Constantinople. Après la mort de ses saints parents, elle renonça à une brillante alliance, et fit distribuer aux pauvres ses immenses richesses pour ne penser plus qu’à servir Jésus-Christ. C’est un monastère de la Thébaïde qui eut la joie de la recevoir, et elle en devint bientôt, malgré sa jeunesse, l’édification et le modèle.
Dès sa douzième année, elle pratiqua les jeûnes du monastère, et ne mangea qu’une fois le jour ; plus tard, elle demeura jusqu’à deux ou trois jours sans prendre de nourriture ; elle put même parfois jeûner sans manger, une semaine entière. Les occupations les plus viles avaient sa préférence : cette fille de prince balayait le couvent, faisait le lit de ses soeurs, tirait de l’eau pour la cuisine, coupait du bois, et faisait tout cela avec une joie parfaite.
Pour éprouver son obéissance, l’abbesse lui commanda un jour de transporter d’un endroit du jardin à l’autre d’énormes pierres que deux soeurs ensemble pouvaient à peine mouvoir. Elle obéit sur-le-champ, saisit les pierres les unes après les autres et les transporta sans difficulté au lieu indiqué. Le lendemain, elle dut les reporter à leur première place. Pendant trente jours on l’employa au même travail, sans qu’on put remarquer sur son visage aucune marque d’impatience.
Le démon, furieux de voir tant de vertu dans une frêle créature, lui fit une guerre acharnée. Un jour, il la jetait dans le puits où elle tirait de l’eau ; une autre fois il la renversait sur la chaudière d’eau bouillante où elle faisait cuire le maigre repas de ses sœurs ; mais la jeune sainte appelait Jésus à son secours et se riait des vains efforts de Satan. Les attaques les plus terribles furent celles où le malin esprit lui représentait, pendant son sommeil, les vanités et les plaisirs du siècle qu’elle avait quittés ; mais elle en triomphait par un redoublement de mortifications et par le soin de découvrir à son abbesse tous les pièges de son infernal ennemi.
L’existence d’Euphrasie était un miracle perpétuel ; car, malgré ses effrayantes austérités, elle n’était jamais malade, et son teint ne perdit rien de sa beauté ni de sa fraîcheur. Pendant un an, on ne la vit jamais s’asseoir, et elle ne prit qu’un peu de sommeil sur la terre nue. Dieu lui accorda le don de guérir les sourds-muets et de délivrer les possédés.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue (La Bonne Presse)
Sous le règne de l’empereur Théodose le Grand, on remarquait à la cour de Constantinople un sénateur de haute naissance, nommé Antigone, connu de tous par sa bonté et sa libéralité envers les pauvres. Sa femme, Euphrasie, comme lui de sang royal, se distinguait par sa piété, sa douceur et une simplicité bien rare chez les grands. Tous deux se rendirent agréables à Dieu par leurs bonnes œuvres, et, pour prix de leur fidélité, le ciel leur accorda, vers l’an 380, une fille qui reçut, comme sa mère, le prénom d’Euphrasie ou Eupraxie, mot grec qui signifie joie.
Cette enfant devait être le seul fruit de leur mariage, car, quelques jours après sa naissance, les deux époux, cédant aux sollicitations de la grâce, résolurent, d’un commun accord, de vivre dans la chasteté parfaite. Après une année passée de la sorte, Antigone mourut. L’empereur pleura un parent et un ami dévoué, la cour un conseiller fidèle, les pauvres un père véritable. L’Eglise l’a placé au nombre des Saints et le fête au 4 mars.
Premières années de sainte Euphrasie.
L’affection de l’empereur pour Antigone se reporta sur sa veuve, qui fut entourée d’honneurs, et sur sa fille qu’il fiança dès l’âge de cinq ans, selon un usage courant à l’époque, à un jeune sénateur. Tandis que la jeune veuve ne pensait qu’à fixer le sort de son enfant, elle se vit rechercher elle-même par un autre sénateur. Ce dernier fit part de son projet à l’impératrice qui se chargea de le réaliser ; mais la veuve d’Antigone, fidèle à son vœu, refusa énergiquement la main qui lui était offerte, et, pour couper court à tout embarras, elle se retira secrètement en Egypte avec sa fille, dans les domaines de son mari, vers l’an 386. Durant son voyage. elle fit d’abondantes aumônes aux monastères pauvres et aux indigents, demandant en retour des prières pour l’âme de son mari et pour sa fille.
Or, il arriva que, dans une ville de Thébaïde, Euphrasie trouva un monastère de femmes, alors en grand renom. Les religieuses y étaient au nombre de cent trente environ. Leur nourriture se composait d’un peu de pain et de légumes cuits à l’eau ; elles ne faisaient jamais usage de vin, ni d’huile, ni de fruits. Leur jeûne était continuel, elles ne prenaient qu’un repas après le coucher du soleil, quelques-unes même jeûnaient deux et trois jours entiers. L’abbesse, pour vaincre de terribles tentations, était restée une fois quarante jours sans prendre aucune nourriture.
Un tel centre de piété fit les délices de la fervente Euphrasie qui fixa sa demeure à peu de distance de là. Ses visites y étaient fréquentes, elle aimait à s’y entretenir des douceurs de la vie contemplative et s’appliquait surtout à faire profiter sa fille de ses pieux entretiens pour mieux former le cœur de l’enfant à la pratique et à l’amour de la vertu. Elle voulut même assigner des revenus au monastère, mais l’abbesse refusa au nom de ses religieuses qui préféraient la pauvreté à l’abondance.
Vocation.
Un jour, l’abbesse du couvent eut avec la petite Euphrasie, alors âgée de sept ans, une conversation familière qu’elle ne pensait être qu’un pieux badinage. Elle lui demanda qui elle aimait davantage, des religieuses avec qui elle se trouvait ou de l’époux qui lui était destiné.
– Je ne connais point cet époux, répondit naïvement Euphrasie, mais vous, je vous connais et je vous aime toutes.
– Si vous nous aimez, dit la supérieure en riant, demeurez donc avec nous.
– Je le veux bien si ma mère y consent.
La mère qui écoutait en silence donna en souriant son consentement, sans prendre la chose au sérieux ; puis, comme le jour commençait à baisser, elle interrompit l’entretien en disant :
– Retirons-nous, mon enfant, car il est tard.
– Ma mère, je veux rester ici, répondit vivement Euphrasie.
– Cela est impossible, lui dit alors l’abbesse, qui croyait plutôt à un caprice enfantin, personne ne peut rester ici sans se consacrer entièrement au service de Jésus-Christ !
– Où est Jésus-Christ ?
L’abbesse lui mit alors entre les mains l’image du divin Crucifié, et l’enfant, la baisant avec transport, s’écria d’une voix ferme :
– O Jésus, vous êtes mon Seigneur, je ne veux d’autre époux que vous seul, je me consacre à vous pour le reste de ma vie.
L’abbesse, pensant effrayer cette résolution d’enfant par les austérités de la vie religieuse, lui dit :
– Il faudra que vous appreniez tout le Psautier, que vous jeûniez tous les jours, que vous pratiquiez des veilles et beaucoup d’autres mortifications.
– Rien de tout cela ne m’effraye, répliqua l’enfant ; j’espère être fidèle à tout.
Rien ne put ébranler cette volonté affermie en un instant par la grâce de Jésus-Christ. Reconnaissant alors que sa fille obéissait à l’appel de Dieu, la mère la conduisit devant l’image de Jésus crucifié, et, d’une voix entrecoupée de sanglots, elle s’écria :
– Seigneur Jésus, recevez vous-même cette enfant ! Elle ne désire que vous, elle ne cherche que vous, soyez donc son unique récompense. Et toi, ma fille, que Celui qui a créé les montagnes inébranlables sur leur base te confirme dans la crainte de son nom !
Puis, remettant sa fille aux mains de l’abbesse, la pieuse mère se retira en versant des larmes, mais le cœur inondé de la joie que Jésus-Christ se plaît à répandre dans les âmes de ceux qui savent s’imposer de généreux sacrifices. Peu de jours après, la jeune postulante recevait la bure de religieuse.
Vertus religieuses de sainte Euphrasie.
Un coup bien sensible allait l’éprouver : la mort de sa mère qui quitta cette terre en 390 et fut inhumée dans le monastère ; cette sainte veuve est honorée le 4 mars avec saint Antigone son mari, ou encore le 11 janvier. La petite Euphrasie resta orpheline à dix ans. Malgré son jeune âge, elle supporta avec une résignation parfaite cette nouvelle épreuve. Mais, dès que Théodose apprit la mort de l’épouse d’Antigone, il envoya des lettres à Euphrasie, pour la prier de venir à la cour épouser le sénateur, son fiancé. La jeune vierge lui fit cette belle réponse : « Sachant, invincible empereur, que j’ai promis à Jésus-Christ de vivre dans une chasteté perpétuelle, vous ne voudrez pas que je viole ma promesse en épousant un homme mortel dont le corps doit, dans peu d’années, devenir la pâture des vers. Je vous supplie, par les bontés dont vous honoriez mes parents, de disposer des biens qu’ils m’ont laissé, en faveur des pauvres, des orphelins et des églises. »
– Voilà, s’écria l’empereur, un saint rejeton d’une tige vertueuse !
Dès lors, Euphrasie embrassa avec ardeur la vie religieuse. Malgré son âge encore tendre et sa faible complexion, on la voyait toujours la première aux travaux matériels, et elle choisissait de préférence ceux qui paraissaient l’humilier davantage. Pleine de zèle pour l’observance de la règle, elle devint, en peu de temps, un modèle de régularité et un sujet d’édification pour tout le couvent. Le jeûne, qui effraye tant d’âmes dans le monde, semblait n’être rien pour elle ; souvent, elle demeurait deux et trois jours sans manger et sans pour cela cesser de remplir tous ses emplois, ni d’assister au chant de l’office. Elle domptait ainsi son corps, pour dégager davantage l’esprit et lui permettre de s’élever sur les hauteurs de la contemplation.
Ses combats.
Le démon livra à la jeune religieuse de redoutables assauts. Mais la vertu était si grande dans cette âme d’élite et son obéissance si parfaite, que l’esprit malin ne put rien contre elle. Euphrasie révéla tout à l’abbesse, et l’esprit de ténèbres, qui ne redoute rien tant que l’aveu sincère des tentations fait à une personne éclairée, se retira. Néanmoins, pour mieux en triompher à l’avenir, la pieuse enfant ajouta un jour de jeûne aux trois qu’elle pratiquait déjà.
Pour éprouver l’esprit d’obéissance des âmes religieuses, les supérieurs imposent parfois des tâches qui paraissent déraisonnables humainement ; c’est ainsi que l’abbesse commanda un jour à Euphrasie de transporter d’un endroit du jardin à l’autre d’énormes pierres que deux Sœurs ensemble pouvaient à peine mouvoir. Toute autre aurait hésité devant un ordre si étrange, mais Euphrasie obéit sur-le-champ : l’abbesse a parlé, c’est assez ; elle saisit les pierres les unes après les autres et les transporte sans difficulté au lieu indiqué.
Le lendemain, elle dut les reporter à leur première place. Pendant trente jours, on l’employa au même travail sans apercevoir sur son visage une seule marque de mécontentement ou d’impatience.
Elle était unie à Dieu par une oraison continuelle, même au milieu des plus pénibles épreuves. Une nuit, il lui sembla voir venir vers elle le sénateur qu’elle devait épouser, à la tête de nombreux soldats et désireux de l’arracher à sa retraite. Elle poussa un cri, s’éveilla au même instant, et commença aussitôt à faire oraison jusqu’au matin. La jeune vierge usa du remède si puissant et si commun de tout avouer à l’abbesse, qui l’encouragea par des conseils salutaires et lui permit, sur sa demande, de jeûner désormais les sept jours entiers.
La courageuse vierge observa fidèlement ce jeûne rigoureux sans rien omettre de ses emplois journaliers ; son existence était un miracle perpétuel, car, malgré son austérité et ses nombreuses charges, elle n’était jamais malade ; elle ne s’asseyait jamais, pas même pour prendre ses repas, et ne goûtait d’autre repos que les courtes heures quelle passait la nuit, couchée sur la terre.
Néanmoins, le démon ne se lassa point de la tourmenter. 11 vint troubler de nouveau son sommeil en lui représentant les plaisirs du monde sous un jour séduisant. Euphrasie, quittant aussitôt sa couche, sortit du couvent, alla faire son oraison en plein air, malgré le froid de la nuit, et, levant les mains vers le ciel, implora avec larmes le secours divin. Depuis dix jours déjà elle était plongée dans la prière quand les Sœurs, touchées de compassion, demandèrent à l’abbesse de l’en retirer, mais celle-ci défendit de la déranger. Trente jours s’écoulèrent ainsi, et la courageuse vierge poursuivait sa prière sans prendre ni nourriture ni repos. Enfin, le quarante-cinquième jour, épuisée de fatigue, elle tombe sur le sol, privée de connaissance. On la porte au couvent ; à ses membres raidis, on aurait cru porter un cadavre. L’abbesse se présente à elle, et, faisant le signe de la croix, elle lui dit en lui donnant un peu de bouillon chaud :
– Au nom de Jésus-Christ, Euphrasie, prenez cette nourriture.
Euphrasie, reprenant aussitôt connaissance, but ce qu’on lui offrait et ne tarda pas à recouvrer ses forces.
Satan veut lui ôter la vie.
Les interventions diaboliques se traduisant par des mauvais traitements matériels, et laissant des traces visibles, ne sont point rares dans l’hagiographie ; même à notre époque, tels aumôniers de couvents de religieuses pourraient raconter des faits identiques.
Un jour qu’Euphrasie puisait de l’eau pour les besoins de la cuisine, et que, selon sa coutume, elle priait tout en travaillant, l’esprit malin la saisit et la précipita au fond du puits, la tête en bas. Dès quelle se sentit tomber, la servante du Christ s’écria : « O Christ, venez à mon aide » A ce cri, les religieuses accoururent en toute hâte et la retirèrent à grand peine.
Sitôt qu’elle fut hors de danger, Euphrasie fit le signe de la croix : « Vive Jésus-Christ ! s’écria-t-elle toute joyeuse. » Et, sans perdre un instant, elle saisit ses deux vases pleins d’eau et les porta tranquillement à la cuisine.
Une autre fois, le démon la jeta du haut d’une tour très élevée, mais elle ne se fit aucun mal. Dès qu’elle fut à terre, elle courut au-devant des Sœurs qui pensaient ne relever que son cadavre. L’abbesse regarda ce prodige comme la plus grande marque de la protection de Dieu sur la jeune religieuse et ordonna des prières en actions de grâces.
Vaincu tant de fois, Satan essaya une dernière tentative. Euphrasie faisait cuire des légumes pour le repas des Sœurs. L’esprit du mal profita du moment où elle transportait une marmite pleine d’eau bouillante pour la faire tomber et lui renverser ainsi une grande quantité d’eau sur le visage. Les Sœurs ne purent retenir un cri d’effroi et se regardèrent consternées ; mais quelle ne fut pas leur surprise, quand elles virent Euphrasie se relever aussitôt, et, la face radieuse, leur dire : « Pourquoi, mes Sœurs, êtes-vous ainsi troublées ? » Or, l’eau qui restait dans la marmite bouillait encore.
Cet échec vint terminer la longue série de ceux que le prince des ténèbres avait subis dans ses luttes contre Euphrasie.
Miracles de sainte Euphrasie. – Un enfant guéri. – Le démon chassé.
Dieu avait éprouvé sa servante, et il témoigna qu’elle lui était agréable en accomplissant par elle plusieurs prodiges éclatants.
C’était la coutume, dans la contrée, d’amener au monastère tous les enfants malades ou infirmes pour obtenir leur guérison. Les religieuses les portaient à l’oratoire et faisaient pour eux de ferventes prières qui, souvent, leur obtenaient la santé. On apporta un jour un petit enfant, à la fois sourd-muet et paralytique. L’abbesse commanda à Euphrasie d’aller le recevoir des mains de la mère. La sainte religieuse obéit aussitôt ; mais, dès quelle vit dans ses bras une créature si chétive, elle fut touchée de compassion et lui fit le signe de la croix sur le front en disant : « Que Celui qui t’a créé te guérisse. » Tandis qu’elle le portait à l’abbesse, l’enfant poussa des cris, puis se débattit si fort qu’Euphrasie dut le mettre à terre, mais à peine fut-il en liberté qu’il partit en courant rejoindre sa mère. On rapporta le fait à l’abbesse qui connut alors que Dieu glorifiait son humble servante.
Or, il y avait dans le couvent une femme possédée du démon dès son enfance ; les religieuses étaient obligées de la tenir constamment enchaînée. A certains moments, elle grinçait des dents, écumait et poussait des hurlements affreux. La terreur qu’elle inspirait était telle qu’on l’alimentait au moyen d’un bâton au bout duquel était placé un pot contenant sa nourriture. Longtemps on avait prié pour sa délivrance, mais sans résultat. Connaissant la sainteté d’Euphrasie, l’abbesse lui confie le soin de cette malheureuse et la prie un jour de porter à manger à cette femme, si toutefois elle ne la craignait point. « Je ne crains rien, dit la servante de Dieu, puisque vous me le commandez. » Et, prenant aussitôt quelques légumes, elle se présenta devant la possédée qui cria, grinça des dents et s’élançant sur elle voulut briser le vase quelle portait ; mais Euphrasie lui prenant aussitôt les mains dit d’une voix ferme à l’esprit impur : « Vivent Dieu et ses anges ! Si tu te révoltes, je t’étends à terre et je te flagelle durement. » Le démon s’apaisa. « Asseyez-vous, ma sœur, dit alors Euphrasie avec bonté, ne vous tourmentez point et mangez. » Dès ce jour, la possédée fut plus douce et si parfois le démon reprenait son empire, la seule présence d’Euphrasie suffisait à le mettre en fuite.
Voyant quel était son pouvoir sur Satan et avec quelle charité elle s’acquittait de sa pénible fonction, l’abbesse commanda à Euphrasie de chasser définitivement l’esprit infernal.
Euphrasie se retire dans l’oratoire, et, se prosternant devant l’autel, elle implore le secours du ciel pour accomplir la mission qui lui est confiée, puis elle se relève toute réconfortée et, sur un signe de l’abbesse, va droit au démon. Elle fait d’abord un signe de croix sur le front de la malheureuse en disant : « Que Jésus-Christ Notre-Seigneur qui t’a créée te guérisse. »
– Quelle folie et quelle audace, ricana le démon : depuis si longtemps que je suis dans ce lieu, personne n’a pu m’en chasser, et c’est une fille perdue qui veut le faire aujourd’hui !
– Ce n’est pas moi qui te chasse, c’est le Christ, ton Dieu !
– Tu n’as point le pouvoir de me chasser, je ne partirai point.
– Obéis au Christ ! dit avec fermeté Euphrasie en levant une verge sur la tête de la possédée, ou je te flagelle violemment !
– Si je m’en vais, où irai-je ?
– Au feu éternel préparé à ton père Satan et à ceux qui l’écoutent !
Le démon commença à se débattre violemment, les cris recommencèrent et la malheureuse se tordit en écumant. Les Sœurs priaient avec ferveur. Euphrasie, levant les mains au ciel, s’écria : « Seigneur Jésus, n’humiliez point votre servante à cette heure, et terrassez l’ennemi du genre humain ! » Jésus entendit cette prière, et le démon, infligeant les dernières tortures à la malheureuse, la traîne à terre et finalement s’enfuit en faisant un vacarme effrayant. On se rendit aussitôt à l’oratoire pour remercier Dieu d’un si grand bienfait. Quant à Euphrasie, elle augmenta ses austérités et ses mortifications pour se rendre digne de la faveur que Dieu venait de lui accorder.
Mort de sainte Euphrasie.
Quelques années après ces événements, l’abbesse connut par une vision le jour de la mort d’Euphrasie et la gloire qui lui était réservée dans l’éternité. Elle en avertit la sainte religieuse : celle-ci fondit en larmes en apprenant que son jugement était si proche, et supplia l’abbesse de demander à Dieu de lui accorder encore un an de vie pour lui permettre de faire pénitence de ses fautes. Mais le fruit était mûr pour le ciel : elle fut tout à coup saisie d’une fièvre violente.
Les Sœurs entouraient son lit en pleurant : la pauvre femme qui avait été délivrée du démon voulut lui embrasser les mains, et une Sœur, qui avait toujours été sa compagne et son amie, lui demanda à ce moment suprême de ne la point laisser longtemps séparée d’elle ; elle devait la suivre, en effet, trois jours après dans le tombeau. Euphrasie recouvra sa connaissance pour demander pardon aux Sœurs des peines qu’elle avait pu leur causer, se recommanda encore à leurs prières, puis son âme alla recevoir dans le ciel la récompense qu’elle avait méritée. C’était vers l’an 410, sous le pontificat de saint Innocent Ier. Elle avait trente ans. Elle fut inhumée à côté de sa mère et de grands miracles illustrèrent son tombeau. La vénération des Grecs pour elle s’est conservée à travers les siècles avec un soin pieux et les Coptes la fêtent le 8 janvier.
A. E. A.
Sources consultées. – Abbé Godescard, Vies des Pères, martyrs et autres principaux Saints, t. II (Paris, 1833). – Petits Bollandistes. – Les Vies des Saints (Annemasse). – (V. S. B. P., n° 109.)