Sainte Euphrasie

Sainte Euphrasie

Vierge (380–410)

Fête le 13 mars.

Version courte

Sainte Euphrasie était de race royale, et son père occu­pait l’une des charges les plus impor­tantes à la cour de Constantinople. Après la mort de ses saints parents, elle renon­ça à une brillante alliance, et fit dis­tri­buer aux pauvres ses immenses richesses pour ne pen­ser plus qu’à ser­vir Jésus-​Christ. C’est un monas­tère de la Thébaïde qui eut la joie de la rece­voir, et elle en devint bien­tôt, mal­gré sa jeu­nesse, l’é­di­fi­ca­tion et le modèle.

Dès sa dou­zième année, elle pra­ti­qua les jeûnes du monas­tère, et ne man­gea qu’une fois le jour ; plus tard, elle demeu­ra jus­qu’à deux ou trois jours sans prendre de nour­ri­ture ; elle put même par­fois jeû­ner sans man­ger, une semaine entière. Les occu­pa­tions les plus viles avaient sa pré­fé­rence : cette fille de prince balayait le couvent, fai­sait le lit de ses soeurs, tirait de l’eau pour la cui­sine, cou­pait du bois, et fai­sait tout cela avec une joie parfaite.

Pour éprou­ver son obéis­sance, l’ab­besse lui com­man­da un jour de trans­por­ter d’un endroit du jar­din à l’autre d’é­normes pierres que deux soeurs ensemble pou­vaient à peine mou­voir. Elle obéit sur-​le-​champ, sai­sit les pierres les unes après les autres et les trans­por­ta sans dif­fi­cul­té au lieu indi­qué. Le len­de­main, elle dut les repor­ter à leur pre­mière place. Pendant trente jours on l’employa au même tra­vail, sans qu’on put remar­quer sur son visage aucune marque d’impatience.

Le démon, furieux de voir tant de ver­tu dans une frêle créa­ture, lui fit une guerre achar­née. Un jour, il la jetait dans le puits où elle tirait de l’eau ; une autre fois il la ren­ver­sait sur la chau­dière d’eau bouillante où elle fai­sait cuire le maigre repas de ses sœurs ; mais la jeune sainte appe­lait Jésus à son secours et se riait des vains efforts de Satan. Les attaques les plus ter­ribles furent celles où le malin esprit lui repré­sen­tait, pen­dant son som­meil, les vani­tés et les plai­sirs du siècle qu’elle avait quit­tés ; mais elle en triom­phait par un redou­ble­ment de mor­ti­fi­ca­tions et par le soin de décou­vrir à son abbesse tous les pièges de son infer­nal ennemi.

L’existence d’Euphrasie était un miracle per­pé­tuel ; car, mal­gré ses effrayantes aus­té­ri­tés, elle n’é­tait jamais malade, et son teint ne per­dit rien de sa beau­té ni de sa fraî­cheur. Pendant un an, on ne la vit jamais s’as­seoir, et elle ne prit qu’un peu de som­meil sur la terre nue. Dieu lui accor­da le don de gué­rir les sourds-​muets et de déli­vrer les possédés.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

Sous le règne de l’empereur Théodose le Grand, on remar­quait à la cour de Constantinople un séna­teur de haute nais­sance, nom­mé Antigone, connu de tous par sa bon­té et sa libé­ra­li­té envers les pauvres. Sa femme, Euphrasie, comme lui de sang royal, se dis­tin­guait par sa pié­té, sa dou­ceur et une sim­pli­ci­té bien rare chez les grands. Tous deux se ren­dirent agréables à Dieu par leurs bonnes œuvres, et, pour prix de leur fidé­li­té, le ciel leur accor­da, vers l’an 380, une fille qui reçut, comme sa mère, le pré­nom d’Euphrasie ou Eupraxie, mot grec qui signi­fie joie.

Cette enfant devait être le seul fruit de leur mariage, car, quelques jours après sa nais­sance, les deux époux, cédant aux sol­li­ci­ta­tions de la grâce, réso­lurent, d’un com­mun accord, de vivre dans la chas­te­té par­faite. Après une année pas­sée de la sorte, Antigone mou­rut. L’empereur pleu­ra un parent et un ami dévoué, la cour un conseiller fidèle, les pauvres un père véri­table. L’Eglise l’a pla­cé au nombre des Saints et le fête au 4 mars.

Premières années de sainte Euphrasie.

L’affection de l’empereur pour Antigone se repor­ta sur sa veuve, qui fut entou­rée d’honneurs, et sur sa fille qu’il fian­ça dès l’âge de cinq ans, selon un usage cou­rant à l’époque, à un jeune séna­teur. Tandis que la jeune veuve ne pen­sait qu’à fixer le sort de son enfant, elle se vit recher­cher elle-​même par un autre séna­teur. Ce der­nier fit part de son pro­jet à l’impératrice qui se char­gea de le réa­li­ser ; mais la veuve d’Antigone, fidèle à son vœu, refu­sa éner­gi­que­ment la main qui lui était offerte, et, pour cou­per court à tout embar­ras, elle se reti­ra secrè­te­ment en Egypte avec sa fille, dans les domaines de son mari, vers l’an 386. Durant son voyage. elle fit d’abondantes aumônes aux monas­tères pauvres et aux indi­gents, deman­dant en retour des prières pour l’âme de son mari et pour sa fille.

Or, il arri­va que, dans une ville de Thébaïde, Euphrasie trou­va un monas­tère de femmes, alors en grand renom. Les reli­gieuses y étaient au nombre de cent trente envi­ron. Leur nour­ri­ture se com­po­sait d’un peu de pain et de légumes cuits à l’eau ; elles ne fai­saient jamais usage de vin, ni d’huile, ni de fruits. Leur jeûne était conti­nuel, elles ne pre­naient qu’un repas après le cou­cher du soleil, quelques-​unes même jeû­naient deux et trois jours entiers. L’abbesse, pour vaincre de ter­ribles ten­ta­tions, était res­tée une fois qua­rante jours sans prendre aucune nourriture.

Un tel centre de pié­té fit les délices de la fer­vente Euphrasie qui fixa sa demeure à peu de dis­tance de là. Ses visites y étaient fré­quentes, elle aimait à s’y entre­te­nir des dou­ceurs de la vie contem­pla­tive et s’appliquait sur­tout à faire pro­fi­ter sa fille de ses pieux entre­tiens pour mieux for­mer le cœur de l’enfant à la pra­tique et à l’amour de la ver­tu. Elle vou­lut même assi­gner des reve­nus au monas­tère, mais l’abbesse refu­sa au nom de ses reli­gieuses qui pré­fé­raient la pau­vre­té à l’abondance.

Vocation.

Un jour, l’abbesse du couvent eut avec la petite Euphrasie, alors âgée de sept ans, une conver­sa­tion fami­lière qu’elle ne pen­sait être qu’un pieux badi­nage. Elle lui deman­da qui elle aimait davan­tage, des reli­gieuses avec qui elle se trou­vait ou de l’époux qui lui était destiné.

– Je ne connais point cet époux, répon­dit naï­ve­ment Euphrasie, mais vous, je vous connais et je vous aime toutes.

– Si vous nous aimez, dit la supé­rieure en riant, demeu­rez donc avec nous.

– Je le veux bien si ma mère y consent.

La mère qui écou­tait en silence don­na en sou­riant son consen­te­ment, sans prendre la chose au sérieux ; puis, comme le jour com­men­çait à bais­ser, elle inter­rom­pit l’entretien en disant :

– Retirons-​nous, mon enfant, car il est tard.

– Ma mère, je veux res­ter ici, répon­dit vive­ment Euphrasie.

– Cela est impos­sible, lui dit alors l’abbesse, qui croyait plu­tôt à un caprice enfan­tin, per­sonne ne peut res­ter ici sans se consa­crer entiè­re­ment au ser­vice de Jésus-Christ !

– Où est Jésus-Christ ?

L’abbesse lui mit alors entre les mains l’image du divin Crucifié, et l’enfant, la bai­sant avec trans­port, s’écria d’une voix ferme :

– O Jésus, vous êtes mon Seigneur, je ne veux d’autre époux que vous seul, je me consacre à vous pour le reste de ma vie.

L’abbesse, pen­sant effrayer cette réso­lu­tion d’enfant par les aus­té­ri­tés de la vie reli­gieuse, lui dit :

– Il fau­dra que vous appre­niez tout le Psautier, que vous jeû­niez tous les jours, que vous pra­ti­quiez des veilles et beau­coup d’autres mortifications.

– Rien de tout cela ne m’effraye, répli­qua l’enfant ; j’espère être fidèle à tout.

Rien ne put ébran­ler cette volon­té affer­mie en un ins­tant par la grâce de Jésus-​Christ. Reconnaissant alors que sa fille obéis­sait à l’appel de Dieu, la mère la condui­sit devant l’image de Jésus cru­ci­fié, et, d’une voix entre­cou­pée de san­glots, elle s’écria :

– Seigneur Jésus, rece­vez vous-​même cette enfant ! Elle ne désire que vous, elle ne cherche que vous, soyez donc son unique récom­pense. Et toi, ma fille, que Celui qui a créé les mon­tagnes inébran­lables sur leur base te confirme dans la crainte de son nom !

Puis, remet­tant sa fille aux mains de l’abbesse, la pieuse mère se reti­ra en ver­sant des larmes, mais le cœur inon­dé de la joie que Jésus-​Christ se plaît à répandre dans les âmes de ceux qui savent s’imposer de géné­reux sacri­fices. Peu de jours après, la jeune pos­tu­lante rece­vait la bure de religieuse.

Vertus religieuses de sainte Euphrasie.

Un coup bien sen­sible allait l’éprouver : la mort de sa mère qui quit­ta cette terre en 390 et fut inhu­mée dans le monas­tère ; cette sainte veuve est hono­rée le 4 mars avec saint Antigone son mari, ou encore le 11 jan­vier. La petite Euphrasie res­ta orphe­line à dix ans. Malgré son jeune âge, elle sup­por­ta avec une rési­gna­tion par­faite cette nou­velle épreuve. Mais, dès que Théodose apprit la mort de l’épouse d’Antigone, il envoya des lettres à Euphrasie, pour la prier de venir à la cour épou­ser le séna­teur, son fian­cé. La jeune vierge lui fit cette belle réponse : « Sachant, invin­cible empe­reur, que j’ai pro­mis à Jésus-​Christ de vivre dans une chas­te­té per­pé­tuelle, vous ne vou­drez pas que je viole ma pro­messe en épou­sant un homme mor­tel dont le corps doit, dans peu d’années, deve­nir la pâture des vers. Je vous sup­plie, par les bon­tés dont vous hono­riez mes parents, de dis­po­ser des biens qu’ils m’ont lais­sé, en faveur des pauvres, des orphe­lins et des églises. »

– Voilà, s’écria l’empereur, un saint reje­ton d’une tige vertueuse !

Dès lors, Euphrasie embras­sa avec ardeur la vie reli­gieuse. Malgré son âge encore tendre et sa faible com­plexion, on la voyait tou­jours la pre­mière aux tra­vaux maté­riels, et elle choi­sis­sait de pré­fé­rence ceux qui parais­saient l’humilier davan­tage. Pleine de zèle pour l’observance de la règle, elle devint, en peu de temps, un modèle de régu­la­ri­té et un sujet d’édification pour tout le couvent. Le jeûne, qui effraye tant d’âmes dans le monde, sem­blait n’être rien pour elle ; sou­vent, elle demeu­rait deux et trois jours sans man­ger et sans pour cela ces­ser de rem­plir tous ses emplois, ni d’assister au chant de l’office. Elle domp­tait ain­si son corps, pour déga­ger davan­tage l’esprit et lui per­mettre de s’élever sur les hau­teurs de la contemplation.

Ses combats.

Le démon livra à la jeune reli­gieuse de redou­tables assauts. Mais la ver­tu était si grande dans cette âme d’élite et son obéis­sance si par­faite, que l’esprit malin ne put rien contre elle. Euphrasie révé­la tout à l’ab­besse, et l’esprit de ténèbres, qui ne redoute rien tant que l’aveu sin­cère des ten­ta­tions fait à une per­sonne éclai­rée, se reti­ra. Néanmoins, pour mieux en triom­pher à l’avenir, la pieuse enfant ajou­ta un jour de jeûne aux trois qu’elle pra­ti­quait déjà.

Pour éprou­ver l’esprit d’obéissance des âmes reli­gieuses, les supé­rieurs imposent par­fois des tâches qui paraissent dérai­son­nables humai­ne­ment ; c’est ain­si que l’abbesse com­man­da un jour à Euphrasie de trans­por­ter d’un endroit du jar­din à l’autre d’énormes pierres que deux Sœurs ensemble pou­vaient à peine mou­voir. Toute autre aurait hési­té devant un ordre si étrange, mais Euphrasie obéit sur-​le-​champ : l’abbesse a par­lé, c’est assez ; elle sai­sit les pierres les unes après les autres et les trans­porte sans dif­fi­cul­té au lieu indiqué.

Le len­de­main, elle dut les repor­ter à leur pre­mière place. Pendant trente jours, on l’employa au même tra­vail sans aper­ce­voir sur son visage une seule marque de mécon­ten­te­ment ou d’impatience.

Elle était unie à Dieu par une orai­son conti­nuelle, même au milieu des plus pénibles épreuves. Une nuit, il lui sem­bla voir venir vers elle le séna­teur qu’elle devait épou­ser, à la tête de nom­breux sol­dats et dési­reux de l’ar­ra­cher à sa retraite. Elle pous­sa un cri, s’é­veilla au même ins­tant, et com­men­ça aus­si­tôt à faire orai­son jusqu’au matin. La jeune vierge usa du remède si puis­sant et si com­mun de tout avouer à l’abbesse, qui l’encouragea par des conseils salu­taires et lui per­mit, sur sa demande, de jeû­ner désor­mais les sept jours entiers.

La cou­ra­geuse vierge obser­va fidè­le­ment ce jeûne rigou­reux sans rien omettre de ses emplois jour­na­liers ; son exis­tence était un miracle per­pé­tuel, car, mal­gré son aus­té­ri­té et ses nom­breuses charges, elle n’était jamais malade ; elle ne s’asseyait jamais, pas même pour prendre ses repas, et ne goû­tait d’autre repos que les courtes heures quelle pas­sait la nuit, cou­chée sur la terre.

Néanmoins, le démon ne se las­sa point de la tour­men­ter. 11 vint trou­bler de nou­veau son som­meil en lui repré­sen­tant les plai­sirs du monde sous un jour sédui­sant. Euphrasie, quit­tant aus­si­tôt sa couche, sor­tit du couvent, alla faire son orai­son en plein air, mal­gré le froid de la nuit, et, levant les mains vers le ciel, implo­ra avec larmes le secours divin. Depuis dix jours déjà elle était plon­gée dans la prière quand les Sœurs, tou­chées de com­pas­sion, deman­dèrent à l’abbesse de l’en reti­rer, mais celle-​ci défen­dit de la déran­ger. Trente jours s’écoulèrent ain­si, et la cou­ra­geuse vierge pour­sui­vait sa prière sans prendre ni nour­ri­ture ni repos. Enfin, le quarante-​cinquième jour, épui­sée de fatigue, elle tombe sur le sol, pri­vée de connais­sance. On la porte au couvent ; à ses membres rai­dis, on aurait cru por­ter un cadavre. L’abbesse se pré­sente à elle, et, fai­sant le signe de la croix, elle lui dit en lui don­nant un peu de bouillon chaud :

– Au nom de Jésus-​Christ, Euphrasie, pre­nez cette nourriture.

Euphrasie, repre­nant aus­si­tôt connais­sance, but ce qu’on lui offrait et ne tar­da pas à recou­vrer ses forces.

Satan veut lui ôter la vie.

Les inter­ven­tions dia­bo­liques se tra­dui­sant par des mau­vais trai­te­ments maté­riels, et lais­sant des traces visibles, ne sont point rares dans l’hagiographie ; même à notre époque, tels aumô­niers de cou­vents de reli­gieuses pour­raient racon­ter des faits identiques.

Un jour qu’Euphrasie pui­sait de l’eau pour les besoins de la cui­sine, et que, selon sa cou­tume, elle priait tout en tra­vaillant, l’esprit malin la sai­sit et la pré­ci­pi­ta au fond du puits, la tête en bas. Dès quelle se sen­tit tom­ber, la ser­vante du Christ s’écria : « O Christ, venez à mon aide » A ce cri, les reli­gieuses accou­rurent en toute hâte et la reti­rèrent à grand peine.

Sitôt qu’elle fut hors de dan­ger, Euphrasie fit le signe de la croix : « Vive Jésus-​Christ ! s’écria-t-elle toute joyeuse. » Et, sans perdre un ins­tant, elle sai­sit ses deux vases pleins d’eau et les por­ta tran­quille­ment à la cuisine.

Une autre fois, le démon la jeta du haut d’une tour très éle­vée, mais elle ne se fit aucun mal. Dès qu’elle fut à terre, elle cou­rut au-​devant des Sœurs qui pen­saient ne rele­ver que son cadavre. L’abbesse regar­da ce pro­dige comme la plus grande marque de la pro­tec­tion de Dieu sur la jeune reli­gieuse et ordon­na des prières en actions de grâces.

Vaincu tant de fois, Satan essaya une der­nière ten­ta­tive. Euphrasie fai­sait cuire des légumes pour le repas des Sœurs. L’esprit du mal pro­fi­ta du moment où elle trans­por­tait une mar­mite pleine d’eau bouillante pour la faire tom­ber et lui ren­ver­ser ain­si une grande quan­ti­té d’eau sur le visage. Les Sœurs ne purent rete­nir un cri d’effroi et se regar­dèrent conster­nées ; mais quelle ne fut pas leur sur­prise, quand elles virent Euphrasie se rele­ver aus­si­tôt, et, la face radieuse, leur dire : « Pourquoi, mes Sœurs, êtes-​vous ain­si trou­blées ? » Or, l’eau qui res­tait dans la mar­mite bouillait encore.

Cet échec vint ter­mi­ner la longue série de ceux que le prince des ténèbres avait subis dans ses luttes contre Euphrasie.

Miracles de sainte Euphrasie. – Un enfant guéri. – Le démon chassé.

Dieu avait éprou­vé sa ser­vante, et il témoi­gna qu’elle lui était agréable en accom­plis­sant par elle plu­sieurs pro­diges éclatants.

C’était la cou­tume, dans la contrée, d’amener au monas­tère tous les enfants malades ou infirmes pour obte­nir leur gué­ri­son. Les reli­gieuses les por­taient à l’oratoire et fai­saient pour eux de fer­ventes prières qui, sou­vent, leur obte­naient la san­té. On appor­ta un jour un petit enfant, à la fois sourd-​muet et para­ly­tique. L’abbesse com­man­da à Euphrasie d’aller le rece­voir des mains de la mère. La sainte reli­gieuse obéit aus­si­tôt ; mais, dès quelle vit dans ses bras une créa­ture si ché­tive, elle fut tou­chée de com­pas­sion et lui fit le signe de la croix sur le front en disant : « Que Celui qui t’a créé te gué­risse. » Tandis qu’elle le por­tait à l’abbesse, l’enfant pous­sa des cris, puis se débat­tit si fort qu’Euphrasie dut le mettre à terre, mais à peine fut-​il en liber­té qu’il par­tit en cou­rant rejoindre sa mère. On rap­por­ta le fait à l’abbesse qui connut alors que Dieu glo­ri­fiait son humble servante.

Or, il y avait dans le couvent une femme pos­sé­dée du démon dès son enfance ; les reli­gieuses étaient obli­gées de la tenir constam­ment enchaî­née. A cer­tains moments, elle grin­çait des dents, écu­mait et pous­sait des hur­le­ments affreux. La ter­reur qu’elle ins­pi­rait était telle qu’on l’alimentait au moyen d’un bâton au bout duquel était pla­cé un pot conte­nant sa nour­ri­ture. Longtemps on avait prié pour sa déli­vrance, mais sans résul­tat. Connaissant la sain­te­té d’Euphrasie, l’abbesse lui confie le soin de cette mal­heu­reuse et la prie un jour de por­ter à man­ger à cette femme, si tou­te­fois elle ne la crai­gnait point. « Je ne crains rien, dit la ser­vante de Dieu, puisque vous me le com­man­dez. » Et, pre­nant aus­si­tôt quelques légumes, elle se pré­sen­ta devant la pos­sé­dée qui cria, grin­ça des dents et s’élançant sur elle vou­lut bri­ser le vase quelle por­tait ; mais Euphrasie lui pre­nant aus­si­tôt les mains dit d’une voix ferme à l’es­prit impur : « Vivent Dieu et ses anges ! Si tu te révoltes, je t’étends à terre et je te fla­gelle dure­ment. » Le démon s’apaisa. « Asseyez-​vous, ma sœur, dit alors Euphrasie avec bon­té, ne vous tour­men­tez point et man­gez. » Dès ce jour, la pos­sé­dée fut plus douce et si par­fois le démon repre­nait son empire, la seule pré­sence d’Euphrasie suf­fi­sait à le mettre en fuite.

Voyant quel était son pou­voir sur Satan et avec quelle cha­ri­té elle s’acquittait de sa pénible fonc­tion, l’abbesse com­man­da à Euphrasie de chas­ser défi­ni­ti­ve­ment l’esprit infernal.

Euphrasie se retire dans l’oratoire, et, se pros­ter­nant devant l’autel, elle implore le secours du ciel pour accom­plir la mis­sion qui lui est confiée, puis elle se relève toute récon­for­tée et, sur un signe de l’abbesse, va droit au démon. Elle fait d’abord un signe de croix sur le front de la mal­heu­reuse en disant : « Que Jésus-​Christ Notre-​Seigneur qui t’a créée te guérisse. »

– Quelle folie et quelle audace, rica­na le démon : depuis si long­temps que je suis dans ce lieu, per­sonne n’a pu m’en chas­ser, et c’est une fille per­due qui veut le faire aujourd’hui !

– Ce n’est pas moi qui te chasse, c’est le Christ, ton Dieu !

– Tu n’as point le pou­voir de me chas­ser, je ne par­ti­rai point.

– Obéis au Christ ! dit avec fer­me­té Euphrasie en levant une verge sur la tête de la pos­sé­dée, ou je te fla­gelle violemment !

– Si je m’en vais, où irai-je ?

– Au feu éter­nel pré­pa­ré à ton père Satan et à ceux qui l’écoutent !

Le démon com­men­ça à se débattre vio­lem­ment, les cris recom­men­cèrent et la mal­heu­reuse se tor­dit en écu­mant. Les Sœurs priaient avec fer­veur. Euphrasie, levant les mains au ciel, s’écria : « Seigneur Jésus, n’humiliez point votre ser­vante à cette heure, et ter­ras­sez l’ennemi du genre humain ! » Jésus enten­dit cette prière, et le démon, infli­geant les der­nières tor­tures à la mal­heu­reuse, la traîne à terre et fina­le­ment s’enfuit en fai­sant un vacarme effrayant. On se ren­dit aus­si­tôt à l’oratoire pour remer­cier Dieu d’un si grand bien­fait. Quant à Euphrasie, elle aug­men­ta ses aus­té­ri­tés et ses mor­ti­fi­ca­tions pour se rendre digne de la faveur que Dieu venait de lui accorder.

Sainte Euphrasie chasse le démon d’une possédée.

Mort de sainte Euphrasie.

Quelques années après ces évé­ne­ments, l’abbesse connut par une vision le jour de la mort d’Euphrasie et la gloire qui lui était réser­vée dans l’éternité. Elle en aver­tit la sainte reli­gieuse : celle-​ci fon­dit en larmes en appre­nant que son juge­ment était si proche, et sup­plia l’abbesse de deman­der à Dieu de lui accor­der encore un an de vie pour lui per­mettre de faire péni­tence de ses fautes. Mais le fruit était mûr pour le ciel : elle fut tout à coup sai­sie d’une fièvre violente.

Les Sœurs entou­raient son lit en pleu­rant : la pauvre femme qui avait été déli­vrée du démon vou­lut lui embras­ser les mains, et une Sœur, qui avait tou­jours été sa com­pagne et son amie, lui deman­da à ce moment suprême de ne la point lais­ser long­temps sépa­rée d’elle ; elle devait la suivre, en effet, trois jours après dans le tom­beau. Euphrasie recou­vra sa connais­sance pour deman­der par­don aux Sœurs des peines qu’elle avait pu leur cau­ser, se recom­man­da encore à leurs prières, puis son âme alla rece­voir dans le ciel la récom­pense qu’elle avait méri­tée. C’était vers l’an 410, sous le pon­ti­fi­cat de saint Innocent Ier. Elle avait trente ans. Elle fut inhu­mée à côté de sa mère et de grands miracles illus­trèrent son tom­beau. La véné­ra­tion des Grecs pour elle s’est conser­vée à tra­vers les siècles avec un soin pieux et les Coptes la fêtent le 8 janvier.

A. E. A.

Sources consul­tées. – Abbé Godescard, Vies des Pères, mar­tyrs et autres prin­ci­paux Saints, t. II (Paris, 1833). – Petits Bollandistes. – Les Vies des Saints (Annemasse). – (V. S. B. P., n° 109.)