Un Livre Blanc perfectible

Bilan en demi-​teinte d’un livre rem­pli de bonnes intentions.

Un écrit récent, inti­tu­lé Livre blanc de la tra­di­tion, se pro­pose de don­ner des infor­ma­tions géné­rales, pour « com­prendre, dans ses grandes lignes, la ques­tion dite “tra­di­tio­na­liste” dans l’Église ».

L’auteur est le fon­da­teur d’Academia Christiana, « Institut de forma­tion et labo­ra­toire d’i­dées créé en 2013 », « qui s’at­tache à défendre le Vrai, le Bien et le Beau en pui­sant aux sources de la phi­lo­so­phie aristotélico-​thomiste et de la Tradition de l’Église. ». Cela n’est lié ni à la FSSPX ni à un ins­ti­tut « Ecclesia Dei ».

L’intention est claire : « Nous ne cher­chons ni la polé­mique, ni la con­troverse. Nous vou­lons sim­ple­ment faire con­naître un héri­tage catho­lique, afin qu’au-​delà des que­relles, les catho­liques de demain puissent œuvrer dans la paix, et la cha­ri­té, au ser­vice de la véri­té – à l’u­ni­té de l’Église et au règne du Christ. »

Ce livre blanc prône clai­re­ment un ras­sem­ble­ment des forces catho­liques. « Pourquoi, dans une Église occi­den­tale affai­blie, pro­lon­ger les divi­sions internes ? Le temps est ve­nu de faire la paix dans la véri­té et la cha­ri­té. La paix litur­gique, la paix ec­clésiale. Il ne s’a­git pas de gom­mer les dif­fé­rences, mais de recon­naître la fécon­di­té de ce qui porte du fruit. Comme l’é­cri­vait récem­ment Notre-​Dame de Chrétienté, il faut ces­ser de consi­dé­rer les fidèles du rite an­cien comme des sus­pects perma­nents. Le Kairos est à la réconciliation. »

Les auteurs semblent sou­hai­ter au fond que le tra­di­tio­na­lisme soit ac­cepté dans l’Église, y com­pris, pour­quoi pas, dans sa branche « non re­connue par Rome » (la FSSPX et com­mu­nau­tés alliées). Mais pour cela, il fau­drait que les ana­lyses pro­posées soient per­ti­nentes, afin d’être prises aux sérieux par Rome et par la Fraternité.

Or, ce n’est vrai­ment pas le cas. La prin­ci­pale dif­fi­cul­té, avec ce Livre blanc est double : une pré­sen­ta­tion très erro­née du Concile Vatican II et de ses suites ; une pré­sen­ta­tion er­ronée de la Fraternité Saint-​Pie X. On voit mal com­ment com­prendre dans ses grandes lignes la ques­tion tra­di­tio­na­liste en lisant cet écrit, et nous ne pou­vons que trem­bler pour « une jeu­nesse tou­jours plus nom­breuse qui marche vers Chartres, par­ti­cipe aux ses­sions d’Academia Christiana, et qui aime tout à la fois la messe en latin, le cha­pe­let, les ca­thédrales, le dra­peau fran­çais, et les clo­chers de ses vil­lages. Une jeu­nesse qui cherche ses racines… et qui découvre Dieu. C’est pour elle que nous avons vou­lu publier ce Livre blanc. » Parcourons quelques points du Livre blanc.

Le concile

Même si la crise actuelle ne se li­mite pas à ce concile, comme le dit ce Livre blanc, cela fut quand même une révo­lu­tion com­pa­rable à celle de 1789. Or, on nous dit, dans une page stu­pé­fiante (page 11) que la confor­mi­té doc­tri­nale fon­da­men­tale des textes du Concile est attes­tée par le fait que Mgr Lefebvre et Mgr de Castro-​Mayer ont si­gné tous les textes ! N’est-​ce pas hon­teux de trom­per les lec­teurs à ce point, quand on sait tout ce qu’a pu dire et écrire Mgr Lefebvre au sujet du Concile ? Retenons sim­plement ici la fameuse Déclaration de Mgr Le­febvre du 21 novembre 1974 (voir Le Pélican N° 125, septembre-​octobre 2024), qui éclaire très bien la trom­pe­rie exer­cée dans cette page 11 du Livre blanc. Toute la jeu­nesse géné­reuse qui marche vers Chartres à la Pente­côte pour­ra le consta­ter faci­le­ment en lisant les écrits de Mgr Lefebvre.

Tout au plus, le Livre blanc émet ce juge­ment sur le Concile : « Ces textes, sou­vent d’une grande ri­chesse théo­lo­gique, contiennent ce­pendant des for­mu­la­tions ambi­guës qui ont pu don­ner lieu à des inter­pré­ta­tions divergentes » !!

Fondation de la Fraternité

Quelques années plus tard, Mgr Le­febvre fonde sa Fraternité, avec toutes les auto­ri­sa­tions vou­lues et, avec, rapi­de­ment, un décret de louange venant de Rome. La présen­tation du Livre blanc, page 15, est faus­sée, en disant : « Dans les décen­nies qui suivent le concile Vatican II, une par­tie des fidèles catho­liques en vient à consi­dé­rer que la résis­tance aux réformes enga­gées devient la seule voie pos­sible pour res­ter fidèle à la Tradition reçue. Cette réac­tion ne naît pas d’un esprit de contes­ta­tion, mais d’un pro­fond désar­roi face à l’é­vo­lu­tion de l’ins­ti­tu­tion ecclé­siale, tant sur le plan doc­tri­nal que pasto­ral ». Ce rac­cour­ci est inexact. Mgr Le­febvre, en excellent homme d’Église, n’a pas com­men­cé la Fraternité dans un esprit de résis­tance, mais de sou­mission. En ne met­tant pas en œuvre les réformes du Concile, certes, mais en allant de l’a­vant en fai­sant ce qu’il avait tou­jours fait dans sa vie. Ce n’est pas lui qui a com­men­cé par ré­sister, c’est Rome qui l’a condam­né en 1975 et mis dans une situa­tion de résis­tance (il a main­te­nu son action, en dépit de sa condam­na­tion et de la sup­pres­sion de la Fraternité). Alors, oui, les fidèles de la Tradition se sont retrou­vés impli­qués aus­si dans cette « résistance ».

La liberté religieuse

Celle-​ci est décrite page 27 comme la « recon­nais­sance du droit civil à la li­berté reli­gieuse, per­çue comme une rup­ture par cer­tains traditio­nalistes. » Il manque vrai­ment dans ce Livre blanc une ana­lyse résu­mée pour mon­trer l’ex­trême gra­vi­té de cette décla­ra­tion du Concile sur la liber­té reli­gieuse. Mgr Lefebvre a plus tard écrit ses « doutes », puis le livre fon­damental : Ils l’ont découron­né. On sait que ce com­bat capi­tal de Mgr Lefebvre l’a conduit jus­qu’au sacres de 1988, notam­ment quand il a lu la réponse de Rome à ses « Doutes » sur la liber­té reli­gieuse. La jeu­nesse doit ab­solument se for­mer sur cette ques­tion. Ce n’est pas « cer­tains tra­di­tio­na­listes » qui ont « per­çu » la déclara­tion sur la liber­té reli­gieuse comme une rup­ture, ce sont 70 Pères conci­liaires qui se sont oppo­sés jus­qu’au bout à ce texte ignoble, mal­gré les pres­sions du Pape Paul VI.

La messe de Paul VI

Le Livre blanc cite le fameux Bref exa­men cri­tique des car­di­naux Ottaviani et Bacci, mais ne prend pas posi­tion, ni n’in­dique les posi­tions diverses. Or, diverses elles le sont, et même oppo­sées. La posi­tion de la Fraternité est non seule­ment de pro­mou­voir l’an­cienne messe, mais de refu­ser absolu­ment la nou­velle, comme dan­ge­reuse pour la foi en favo­ri­sant l’hé­ré­sie. L’auteur aurait dû dire cela. Le Bref exa­men cri­tique le disait : « les fidèles sont dans la tra­gique néces­si­té de choi­sir », et c’est cer­tai­ne­ment une des divi­sions nettes entre la Fraterni­té Saint-​Pie‑X et tous ceux qui disent qu’ils aiment l’an­cienne messe.

La réunion interreligieuse d’Assise en 1986

Là aus­si, le Livre blanc est beau­coup trop léger. Il écrit : « Choc dans les mi­lieux tra­di­tio­na­listes, qui y voient une confu­sion théo­lo­gique ». Assise, une « confu­sion théo­lo­gique » ! Non, c’est bien plus grave que cela. Et ce qui compte, ce n’est pas la réac­tion « des milieux tra­di­tio­na­listes » mais celle de Mgr Lefebvre, qui a à cette époque une auto­ri­té morale capi­tale. La bio­graphie de Mgr Lefebvre rap­pelle sa posi­tion fon­da­men­tale, écrite à 8 Car­dinaux le 27 août 1986 : « C’est le pre­mier article du Credo et le pre­mier com­man­de­ment du Décalogue qui sont bafoués publi­que­ment par celui qui est assis sur le Siège de saint Pierre. Le scan­dale est incal­cu­lable dans les âmes des catho­liques. L’Église en est ébran­lée dans ses fon­dements. » Ce juge­ment de Mgr Le­febvre est-​il une simple opi­nion émise par un homme sans consis­tance ; ou est-​ce vrai­ment le constat par l’un des plus grands hommes d’Église de sont temps d’un ter­rible péché public des plus hautes auto­ri­tés dans l’Église ? Personne ne peut esqui­ver cette question.

Dessin publié à la demande de Mgr Lefebvre au moment d'Assise.
Dessin publié à la demande de Mgr Lefebvre au moment de la réunion d’Assise en 1986.

Les sacres épiscopaux de 1988

L’auteur du Livre blanc dit ceci (page 63) : « La crise de 1988 — mar­quée par les sacres sans man­dat pon­ti­fi­cal de Mgr Lefebvre — fut une bles­sure réelle pour l’u­ni­té de l’Église. Mais elle a aus­si révé­lé un besoin d’enraci­nement qui ne s’est jamais tari. Beau­coup ont fait le choix de res­ter dans la com­mu­nion visible, au prix de sa­crifices. Ce choix de fidé­li­té mérite aujourd’­hui d’être reconnu ».

L’auteur, qui vou­lait ne pas polémi­quer, prend là une posi­tion catégo­rique, sans nuances. « Blessure ré­elle », grâce à laquelle la Fraternité a gar­dé son rôle essen­tiel dans l’Église, et qui per­met même à tous ceux qui ont fait le choix de la « com­mu­nion visible » d’exis­ter. Même des laïcs très enga­gés à une époque contre les sacres, comme Jean Madiran, ont su ensuite s’ex­pri­mer avec davan­tage de sagesse que notre auteur, et mon­trer l’im­portance his­to­rique des sacres.

Quant aux « sacri­fices » sup­portés par cer­tains pour res­ter dans la com­mu­nion visible, il y aurait beau­coup à dire. Ne sa­crifient-​ils pas, par exemple, leur devoir de pro­fes­ser la véri­té com­plète auprès des fidèles qui leur font confiance ; leur devoir de com­battre l’er­reur ; leur devoir de pro­té­ger leur trou­peau contre les assauts de l’es­prit libé­ral contem­po­rain ? Et pour­quoi ne pas par­ler aus­si des sacri­fices gigan­tesques assu­més par Mgr Lefebvre pour défendre la foi, le sacer­doce ca­tholique, la sainte Messe de toujours ?

La défense de la liturgie tradition­nelle en 2025

Le Livre blanc admet que Mgr Le­febvre et Mgr de Castro-​Mayer étaient seuls à défendre la messe tra­ditionnelle il y a 50 ans. Aujourd’hui, lit-​on, ils ne le sont plus, il y a le car­di­nal Sarah, Mgr Schneider et autres … Ce que l’au­teur oublie à nou­veau de dire, c’est que ces nou­veaux « défen­seurs » n’at­taquent pas la nou­velle messe comme inac­cep­table. Donc, en réa­li­té, ce ne sont pas de vrais défen­seurs fiables de la messe tra­di­tion­nelle. Mgr Lefebvre et Mgr de Castro-​Mayer sont tou­jours seuls !

Ce Livre blanc, réa­li­sé sans doute avec bonne volon­té, est très défi­cient. Notre époque trou­blée dans sa foi de­mande des hommes sérieu­se­ment ins­truits, doc­tri­na­le­ment for­més. Ce n’est pas le cas chez l’au­teur de ce Livre blanc. Que tous et cha­cun se mettent ou remettent au tra­vail pour com­prendre la pro­fon­deur de la crise, le bien­fon­dé des posi­tion sages de Mgr Lefebvre, et pour per­sé­vé­rer à tenir debout dans la foi au pro­fit de toute l’Église, rôle si essen­tiel de la Fraternité et de ceux qui la suivent.