Alors que certains s’acharnent à rechercher une continuité entre Vatican II et le magistère antérieur sur des points où cela semble mission impossible (la liberté religieuse, l’œcuménisme, la collégialité, la liturgie), d’autres préfèrent ouvrir les yeux. C’est ce qu’il ressort de la lecture du livre d’entretiens que donne Mgr Schneider, Christus Vincit, Christ’s Triumph Over The Darkness of the Age (non disponible en français).
S’éloignant d’une séduisante mais irréelle herméneutique de la continuité, il souligne la rupture catastrophique qu’a constitué le concile.
L’analyse est imparfaite car l’auteur cherche encore de bons éléments dans le dernier concile : il trouve l’appel à la sanctification des fidèles, comme si l’Église ne s’en était jamais préoccupée. Ou encore, après avoir éreinté le nouveau rite, il en reste à appeler de ses vœux une réforme de la réforme liturgique : en fait, le retour graduel à la liturgie traditionnelle, comme si finalement l’affaire n’était pas si grave. Parfois, l’auteur veut trop en faire (ch. 15 : voulant montrer que la messe est un sacrifice, notion trop oubliée, il affirme : « La Sainte Messe n’est pas la perpétuation de la dernière Cène ». En fait, si, cf. Concile de Trente DS 1740. Ce qui n’enlève rien au sacrifice : le concile souligne que le rite de la Cène était déjà un sacrifice).
Reste que lire sous la plume d’un évêque une telle analyse qui se rapproche de celle de la Fraternité Saint Pie X est encourageant. Citations (traduction La Porte Latine).
La remise en cause d’Assise (chapitre 6).
« La rencontre interreligieuse tenue à Assise par le pape Jean-Paul II a grandement contribué à faire grandir et à répandre l’indifférentisme religieux et l’idée selon laquelle, même à l’intérieur de l’Église, toutes les religions sont égales. Ces rencontres interreligieuses à Assise ont atteint leur conséquence logique dans le document interreligieux d’Abu Dhabi du 4 février 2019 et signé par le pape François, qui dit que ‘le pluralisme et la diversité des religions, de couleurs, de sexe, de race et de langues sont voulues par Dieu dans sa sagesse’ ».
« Depuis le concile, l’un des grands dangers qui a surgi dans l’Église est venu du dialogue interreligieux. Mené comme il l’a été, spécialement aux rencontres d’Assise par les papes Jean-Paul II et Benoît XVI, un tel dialogue – à regarder les résultats – a relativisé la place unique du Christ et de son Église pour le salut des âmes. C’est une relativisation de la vérité de l’Écriture selon laquelle le Christ est l’unique Sauveur, tous ceux qui ne sont pas chrétiens doivent accepter le Christ comme leur Dieu et Sauveur, l’adorer pour être sauvés. On a relativisé l’obligation et l’indispensable mission qu’a l’Église de proclamer clairement cette vérité aux non-chrétiens. En suivant cette voie, les clercs d’aujourd’hui, à mon avis, commettent un grave péché d’omission en négligeant d’annoncer le Christ à tous les non-chrétiens, comme le firent les apôtres. Les rencontres interreligieuses comme celles tenues à Assise ont lancé au monde entier le message : la religion catholique est au même niveau que les autres religions, membre parmi d’autres d’une sorte de « parlement des religions ». En 1893, à Chicago, pour la première fois dans l’histoire de la Chrétienté, une rencontre interreligieuse a réuni les représentants des religions du monde : on l’a appelée « le parlement mondial des religions ». A la clôture de cette rencontre, le pape Léon XIII a refusé que les catholiques participent à de telles rencontre et a interdit pour le futur des activités semblables ».
Chapitre 12, sur le même sujet. « La politique constante de l’Église après le Concile avec l’œcuménisme et le dialogue interreligieux a contribué au relativisme doctrinal en ce qui concerne l’unique Sauveur, Jésus-Christ et Son Église ».
Sur la liberté religieuse (chapitre 6)
« Avant le concile Vatican II, l’Église avait toujours enseigné la tolérance des autres religions, à un certain degré. Cependant, avec la Déclaration conciliaire sur la liberté religieuse Dignitatis Humanæ, il y a eu, à mon sens, un changement considérable par rapport au magistère antérieur et universel de l’Église, qui a toujours dit que l’erreur n’a pas le même droit à être propagée que la vérité. L’erreur, par nature, n’a aucun droit, de même que nous n’avons par nature aucun droit à pécher. Dieu ne nous a pas donné la liberté pour faire le mal soit moral (c’est le péché), soit intellectuel (c’est l’erreur) ».
A propos de quelques écrits du pape François (Evangelium Gaudium § 254) (chapitre 6)
« Notre Seigneur Jésus-Christ et les Saints Apôtres auraient eu en horreur l’affirmation selon laquelle Dieu a œuvré dans les religions païennes pour ‘produire des signes, des rites, des expressions sacrées qui à leur tour rapprochent d’autres personnes d’une expérience communautaire de cheminement vers Dieu’, comme le pape François l’a affirmé dans les passages mentionnés ». « Une telle affirmation est une rupture avec l’enseignement constant de l’Église et des apôtres eux-mêmes ; ces ‘rites’ ne peuvent être des canaux de l’Esprit Saint car ils sont intrinsèquement contre la volonté de Dieu. Toutes les religions non-catholiques et leurs signes religieux sont de soi contraires à la volonté de Dieu. Donc ils ne peuvent être des canaux de l’Esprit-Saint. Aucune diversité de religion, aucune diversité de rites religieux non-chrétiens ne sont positivement voulus par Dieu ».
Vatican II (chapitre 8)
« Un examen honnête montre que certaines expressions des textes du Concile sont en rupture avec la constante tradition du Magistère antérieur ».
L’inversion des fins du mariage (chapitre 12)
Question : que répondez-vous à ceux qui disent que l’enseignement de l’Église sur les deux fins du mariage a été changé à Vatican II, qu’ils ont été mis au même niveau ?
Réponse de Mgr A. Schneider : « La constitution pastorale Gaudium et Spes n’a pas directement changé cela, mais a évité de parler de la distinction entre la fin primaire et la fin secondaire du mariage. En évitant certaines expressions, le Concile a laissé demeurer une certaine ambiguïté en ce qui concerne la première fin du mariage. Ce qui a eu comme conséquence des interprétations et des applications erronées. Il est vrai, Gaudium et Spes nous donne aussi l’enseignement traditionnel suivant concernant la nature du mariage : « C’est par sa nature même que l’institution du mariage et l’amour conjugal sont ordonnés à la procréation et à l’éducation des enfants qui, tel un sommet, en constituent le couronnement » (n. 48). Le magistère de l’Église a constamment enseigné que la fin primaire procréatrice est objectivement la première fin ou fin primaire. Même si elle est inséparable de la seconde, le soutien mutuel, l’union des époux.
Hélas, le code actuel de Droit Canon mentionne d’abord la fin secondaire du mariage, et ensuite seulement la fin primaire, ouvrant ainsi la porte à une nouvelle interprétation et pratique. Si le soutien mutuel, l’union des époux, deviennent la fin primaire, alors les couples pourront dire : « si c’est le premier but, nous pouvons donc utiliser la contraception », car la procréation vient après l’union des époux. Voilà comment peuvent raisonner les époux, parce que le concile et le Code de Droit Canon ont mentionné la procréation en second, sans dire que c’est la fin secondaire, mais en la plaçant en second. Je déplore cette inversion, et il va falloir que le magistère intervienne de nouveau pour remettre dans l’ordre les fins du mariage ».
Hommage à Mgr Lefebvre (chapitre 8)
« C’est en particulier Mgr Lefebvre – même s’il ne fut pas le seul – qui a commencé, avec une franchise digne des plus grands Pères de l’Église, à protester contre la destruction de la foi catholique et de la Sainte Messe en cours dans l’Église et encouragée, ou du moins tolérée, par les plus hautes autorités du Saint-Siège ». « Nous assistons désormais au sommet du désastre spirituel dans la vie de l’Église, que Mgr Lefebvre avait dénoncé il y a déjà quarante ans ».
Quelques éléments biographiques : l’auteur est issu d’une famille d’allemands de la Russie, persécutés par les soviétiques (son grand-père fut exécuté par les communistes), qui a immigré en Allemagne dans les années 1970. Ordonné prêtre pour les chanoines réguliers de la Sainte-Croix, docteur en patrologie, il a été consacré évêque en 2006.
Source : Mgr Schneider, Christus Vincit, Christ’s Triumph Over The Darkness of the Age, Angelico Press (non disponible en français)