Le 21 juillet 2017, Mgr Athanasius Schneider[1], évêque auxiliaire de l’archidiocèse d’Astana au Kazakhstan, donnait un entretien exclusif à Rorate Coeli sur le thème de « l’interprétation du Concile Vatican II en relation avec la crise actuelle dans l’Eglise ». Pour lui, il existe une connection évidente entre le Concile Vatican II et la crise actuelle de l’Eglise.
Il critique l’absolutisation et l’infaillibilisation de ce concile pastoral dont certains textes soulèvent des doutes ou peuvent être améliorés parce qu’ils sont « ambigus » ou « ont causé des interprétations erronées ». En cas de doute, le magistère précédent doit prévaloir.
On voit bien que Mgr Schneider essaye, encore une fois, de concilier l’inconciliable en nous resservant la lecture des erreurs conciliaires sous le regard de « l’herméneutique de la continuité » [2] et ceci même si pour lui la seule « herméneutique » appropriée – à savoir, le principe directeur d’interprétation – est de faire référence à des « déclarations doctrinales Traditionnelles et constantes du Magistère au cours de la période des siècles » qui « constituent un critère de vérification en ce qui concerne l’exactitude des déclarations magistérielles ultérieures ».
C’est ce qu’on appelle vouloir résoudre – en toute bonne foi ? – la quadrature du cercle puisque Mgr Schneider reconnait lui-même que « l’herméneutique de la continuité » ne fonctionne tout simplement pas avec certaines des déclarations du Concile – telles que celles relatives aux nouveautés de la « collégialité, de la liberté religieuse, du dialogue œcuménique et interreligieux, et de l’attitude envers le monde ».
La confusion est partout et même, semble-t-il, chez ceux qui essaient timidement de dénoncer les fruits empoisonnés du Concile Vatican II…
Pour nous, restons-en à ce que déclarait l’abbé Henry Wuilloud dans Le Rocher n° 70 d’avril-mai 2011 : « pour sauver le concile, il faudra donc trouver autre chose [NDLR de LPL : que l’herméneutique de continuité], et pourquoi pas les formules dogmatiques classiques de la Tradition éternelle et constante de l’Eglise ! »
Entretien de Mgr Athanasius Schneider, Evêque auxiliaire de l’archidiocèse de Sainte-Marie d’Astana au Kazakhstan – 21 juillet 2017
La situation de crise sans précédent où se trouve actuellement l’Eglise est comparable à la crise générale au IVe siècle, lorsque l’arianisme, ayant contaminé l’immense majorité de l’épiscopat, occupait une position dominante dans la vie de l’Eglise. Nous devons chercher à aborder cette situation avec réalisme, d’une part, et de l’autre, avec un esprit surnaturel – avec un profond amour de l’Eglise, notre mère, qui souffre la Passion du Christ en raison de cette confusion doctrinale, liturgique et pastorale formidable et généralisée.
Nous devons renouveler cette foi par laquelle nous croyons que l’Eglise est entre les mains très sûres du Christ, sachant qu’Il intervient toujours pour renouveler l’Eglise au moment où le navire de l’Eglise semble devoir couler, comme c’est évidemment le cas de nos jours.
En ce qui concerne l’attitude à l’égard du concile Vatican II, nous devons éviter deux extrêmes : le rejet complet (tel celui des sédévacantistes et d’une partie de la Fraternité Saint-Pie X, ou l’« infaillibilisation » de tout ce qui a été exprimé par le concile.
Vatican II était une assemblée légitime présidée par les papes et nous devons garder envers ce concile une attitude respectueuse. Néanmoins, cela ne signifie pas qu’il nous soit interdit d’exprimer des doutes bien fondés ou des suggestions respectueuses d’amélioration en ce qui concerne certains points spécifiques, en nous basant toujours sur l’ensemble de la Tradition et du Magistère constant de l’Eglise.
Les affirmations traditionnelles et constantes du Magistère recouvrant une période de plusieurs siècles, ont préséance et constituent un critère de vérification par rapport à l’exactitude de déclarations magistérielles postérieures. Les nouvelles affirmations du Magistère doivent, en principe, être plus exactes et plus claires, et en aucun cas ambiguës et en contradiction apparente avec des affirmations magistérielles antérieures.
Les affirmations de Vatican II qui sont ambiguës doivent être lues et interprétées à la lumière des affirmations de la Tradition dans son ensemble et du Magistère constant de l’Eglise.
En cas de doute, les affirmations du Magistère constant (les conciles antérieurs et les documents des papes, dont le contenu est manifestement l’expression d’une tradition certaine et réitérée au cours des siècles dans le même sens) prévalent sur les affirmations objectivement ambiguës ou nouvelles de Vatican II, difficiles à accorder avec des affirmations spécifiques du Magistère antérieur constant (par exemple, le devoir de l’Etat de vénérer publiquement le Christ, Roi de toutes sociétés humaines, le sens véritable de la collégialité épiscopale par rapport à la primauté de Pierre et au gouvernement universel de l’église, la nocivité de toutes les religions non catholiques et le dangerosité qu’elles représentent pour le salut éternel des âmes).
Vatican II doit être considéré et reçu tel qu’il est, et tel qu’il était réellement : un concile avant tout pastoral. Ce concile n’avait pas pour intention de proposer des doctrines nouvelles ni de les proposer sous une forme définitive. Dans une grande partie de ses affirmations, le concile a confirmé la doctrine traditionnelle et constante de l’Eglise.
Parmi les nouvelles affirmations de Vatican II (par exemple, la collégialité, la liberté religieuse, le dialogue œcuménique et inter-religieux, l’attitude à l’égard du monde) certaines n’ont pas un caractère définitif, et comme elles se trouvent être en apparence ou en réalité en contradiction avec les affirmations traditionnelles et constantes du Magistère, elles doivent être complétées par des explications plus exactes et des suppléments plus précis, à caractère doctrinal. L’application aveugle du principe de l’« herméneutique de la continuité » n’est pas d’un réel secours puisqu’à travers celle-ci on fabrique des interprétations forcées qui ne sont pas convaincantes et qui n’aident pas à atteindre une compréhension plus claire des vérités immuables de la foi catholique et de leur application concrète.
Il y a eu des cas dans l’histoire où les affirmations non définitives de certains conciles œcuménique ont été par la suite – grâce à un débat théologique serein – précisées ou corrigées de manière tacite (par exemple, les affirmations du concile de Florence à propos de la matière du sacrement de l’ordre, à savoir que la matière serait constituée par la porrection des instruments, alors que la tradition plus sûre et constante affirmait que l’imposition des mains de l’évêque était suffisante, une vérité qui serait en fin de compte confirmée par Pie XII en 1947). Si après le concile de Florence les théologiens avaient aveuglément appliqué le principe de l’herméneutique de la continuité à cette affirmation concrète du concile de Florence (une affirmation objectivement erronée), en défendant la thèse selon laquelle la remise des instruments constituait la matière du sacrement de l’ordre était en accord avec le magistère constant, on ne serait probablement pas parvenu au consensus général des théologiens par rapport à la vérité qui affirme que seule l’imposition des mains de l’évêque constitue la matière réelle du sacrement de l’ordre.
Il est nécessaire de créer au sein de l’Eglise un climat serein de discussions doctrinales par rapport à celles des affirmations de Vatican II qui sont ambiguës ou qui ont été à l’origine d’interprétations erronées. Une telle discussion doctrinale n’a rien de scandaleux : au contraire, elle va contribuer à faire expliciter de manière plus sûre et complète le dépôt immuable de la foi de l’Eglise.
Il ne faut pas mettre à ce point l’accent sur un concile donné, qu’on en vienne à l’absolutiser et à le placer de fait sur le même pied que la parole de Dieu orale (la Tradition sacrée) ou écrite (l’Ecriture Sainte). Vatican II lui-même a très justement affirmé (cf. Dei Verbum, 10) que le Magistère (le pape, les conciles, le magistère ordinaire et universel) ne se situe pas au-dessus de la parole de Dieu mais en-dessous, lui étant subordonné : il est seulement son serviteur (serviteur de la Parole orale de Dieu, c’est-à-dire la Tradition sacrée, et de la Parole écrite de Dieu, c’est-à-dire l’Ecriture Sainte).
D’un point de vue objectif, les affirmations du Magistère (les papes et les conciles) qui ont un caractère définitif ont plus de valeur et de poids que les affirmations à caractère pastoral, dont la qualité est naturellement changeante et provisoire, sujette aux circonstances historiques ou apportant une réponse à des situations pastorales d’une période donnée, comme c’est le cas pour la plupart des affirmations de Vatican II.
L’apport original et précieux de Vatican II réside dans l’appel universel à la sainteté qui s’adresse à tous les membres de l’Eglise (chapitre 5 de Lumen Gentium), dans la doctrine relative au rôle central de Notre Dame dans la vie de l’Eglise (chapitre 8 de Lumen Gentium), dans l’importance du rôle des fidèles laïcs par rapport à la sauvegarde, la défense et la promotion de la foi catholique, et dans leur devoir d’évangéliser et de sanctifier les réalités temporelles conformément au sens pérenne de l’Eglise (chapitre 4 de Lumen Gentium), dans la primauté de l’adoration de Dieu dans la vie de l’Eglise et la célébration de la liturgie (Sacrosanctum Concilium n° 2 ; 5–10). Le reste peut être considéré jusqu’à un certain point comme secondaire, temporaire et sera, à l’avenir, probablement jugé oubliable, comme cela fut le cas pour certaines affirmations non définitives, pastorales et disciplinaires de divers conciles œcuméniques par le passé.
Les sujets suivants : Notre Dame, la sanctification par les laïcs de leur vie personnelle en même temps que la sanctification du monde selon le sens pérenne de l’Eglise, ainsi que la primauté de l’adoration de Dieu, sont les aspects les plus urgents qui doivent être vécus en notre temps. En cela Vatican II a un rôle prophétique qui, malheureusement, n’a pas encore été réalisé de manière satisfaisante.
Au lieu de vivre ces quatre aspects, une part considérable de la Nomenklatura théologique et administrative au sein de la vie de l’Eglise a promu au cours de ces cinquante dernières années, et continue de promouvoir des thèmes doctrinaux, pastoraux et liturgiques ambigus, altérant ainsi l’intention originelle du Concile ou en utilisant abusivement ses affirmations doctrinales moins claires, voire ambiguës, en vue de créer une autre Eglise – une Eglise de type relativiste ou protestant. Nous vivons de nos jours l’aboutissement de ce développement.
Le problème de la crise actuelle de l’Eglise consiste en partie dans le fait que certaines affirmations de Vatican II qui sont objectivement ambiguës, ou ses rares affirmations qui peuvent difficilement s’accorder avec la tradition magistérielle constante de l’Eglise ont été « infaillibilisées ». C’est par ce moyen qu’on a bloqué le sain débat assorti d’une nécessaire correction implicite ou tacite.
En même temps, on a encouragé la fabrication d’affirmations théologiques contrastant avec la tradition pérenne (par exemple, en ce qui concerne la nouvelle théorie d’un double sujet suprême ordinaire du gouvernement de l’Eglise, c’est-à-dire le pape seul et le collège épiscopal tout entier ensemble avec le Pape ; la doctrine de la neutralité de l’Etat par rapport au culte public qu’il doit rendre au vrai Dieu, qui est Jésus-Christ et qui est aussi Roi de chaque société humaine et politique ; la relativisation de la vérité selon laquelle l’Eglise catholique est l’unique chemin du salut, voulu et ordonné par Dieu).
Nous devons nous libérer des chaînes qui ont « absolutisé » et entièrement « infaillibilisé » Vatican II. Nous devons réclamer un climat de débat serein et respectueux, à partir de l’amour sincère pour l’Eglise et pour la foi immuable de l’Eglise.
Nous pouvons voir un signe positif dans le fait que le 2 août 2012, le pape Benoît XVI a écrit une préface au volume relatif à Vatican II dans l’édition de ses Opera Omnia. Dans cette préface, Benoît XVI exprime ses réserves par rapport à certains contenus spécifiques dans les documents Gaudium et spes et Nostra ætate. La teneur des paroles de Benoît XVI laisse voir que des défauts concrets au sein de certaines sections de ces documents ne sont pas susceptibles d’amélioration par « l’herméneutique de la continuité ».
Une Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, canoniquement et pleinement intégrée dans la vie de l’Eglise, pourrait également apporter une précieuse contribution à ce débat – tout comme le souhaitait Mgr Marcel Lefebvre. La présence canonique plénière de la FSSPX dans la vie de l’Eglise en notre temps[3] contribuerait également à créer le climat général d’un débat constructif, de telle sorte que ce qui a été cru toujours, partout et par tous les catholiques au cours de 2 000 ans puisse être cru de manière plus claire et plus sûre également aussi de nos jours, réalisant ainsi la véritable intention pastorale des Pères du concile Vatican II.
L’intention pastorale authentique vise le salut éternel des âmes – un salut qui ne sera réalisé que par la proclamation de la volonté tout entière de Dieu (cf. Actes 20 : 27). L’ambiguïté dans la doctrine de la foi et dans son application concrète (dans la liturgie et dans la vie pastorale) constituerait une menace pour le salut éternel des âmes et serait par conséquent anti-pastoral, puisque la proclamation de la clarté et de l’intégrité de la foi catholique et de son application concrète fidèle constituent la volonté explicite de Dieu.
Seule l’obéissance parfaite à la volonté de Dieu – qui nous a révélée par le Christ, Verbe incarné, et par les Apôtres, la foi véritable, la foi interprétée et pratiquée de manière constante et dans le même sens par le Magistère de l’Eglise – amènera avec elle le salut des âmes.
+ Athanasius Schneider, Evêque auxiliaire de l’archidiocèse de Sainte-Marie d’Astana au Kazakhstan
Sources : Rorate Caeli – Traduction de Jeanne Smits
- Mgr Schneider est né dans une famille originaire d’Alsace dont les ancêtres, vivant à Odessa, ont été déportés par Staline dans les montagnes de l’Oural. Ses parents ont ensuite vécu au Kisghistan, où il est né, puis ont pu ensuite émigrer en Allemagne de l’Ouest. Il est entré dans l’ordre des chanoines réguliers de la Sainte- Croix, en Autriche, puis a été ordonné prêtre par Mgr Manoel Pestana, évêque brésilien, défenseur de la foi catholique traditionnelle. Docteur en théologie, professeur de séminaire au Kazakhstan, il y a été nommé évêque auxiliaire, en 2006, par Benoît XVI.[↩]
- Deux herméneutiques qui sont entrées en conflit – « La question suivante apparaît : pourquoi l’accueil du Concile, dans de grandes parties de l’Eglise, s’est-il jusqu’à présent déroulé de manière aussi difficile ? Eh bien, tout dépend de la juste interprétation du Concile ou – comme nous le dirions aujourd’hui – de sa juste herméneutique, de la juste clef de lecture et d’application. Les problèmes de la réception sont nés du fait que deux herméneutiques contraires se sont trouvées confrontées et sont entrées en conflit. (…) D’un côté, il existe une interprétation que je voudrais appeler « herméneutique de la discontinuité et de la rupture » ; celle-ci a souvent pu compter sur la sympathie des mass media, et également d’une partie de la théologie moderne. D’autre part, il y a l« “herméneutique de la réforme », du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Eglise, que le Seigneur nous a donné. » Extrait du discours du pape Benoît XVI le 22 décembre 2005[↩]
- Voir : Mgr Schneider favorable à la reconnaissance canonique pour le clergé et les fidèles de la FSSPX – 10 aôut 2015 [↩]