Retour sur la lettre de Benoît XVI aux évêques – Présent du 17/​03/​09


Sauf avis contraire, les articles ou confé­rences qui n’é­manent pas des
membres de la FSSPX ne peuvent être consi­dé­rés comme reflé­tant
la posi­tion offi­cielle de la Fraternité Saint-​Pie X

Jacques Tremolet de Villers

Le hasard des lec­tures met sous mes yeux, en même temps, l’ouvrage ancien et célèbre, dont j’ai déjà évo­qué le nom, la semaine der­nière Enquête sur les jeunes Français de notre temps d’Agathon – autre­ment dit Henri Massis – et la si belle lettre de notre Pape aux évêques du monde entier. Quel rap­pro­che­ment ? Le voi­ci : dans les der­nières pages du livre d’Agathon (1913), le conflit reli­gieux entre les jeunes catho­liques d’Action fran­çaise et les catho­liques du Sillon éclate. Ceux d’Action fran­çaise ne disent rien des sillon­nistes, mais ceux du Sillon exhalent leur colère et disent la néces­saire excom­mu­ni­ca­tion per­son­nelle, si j’ose par­ler ain­si, de leurs frères cou­pables de lire et d’écouter Maurras.

On sait qu’à cette époque, le pape Pie X avait dans sa lettre Pascendi, stig­ma­ti­sé les erreurs doc­tri­nales du Sillon, sans cepen­dant infli­ger de sanc­tions per­son­nelles aux diri­geants. En revanche, treize ans plus tard, les évêques fran­çais, se sai­sis­sant de la mise à l’index du quo­ti­dien et de cer­tains livres de Maurras, frap­paient d’excommunication les abon­nés au Journal et les adhé­rents à la Ligue d’Action fran­çaise – jusqu’à ce que Pie XII, le 13 juillet 1939, lève ces excommunications.

L’affaire de la Fraternité Saint-​Pie X n’est pas l’affaire d’Action fran­çaise, même si, de l’une à l’autre, il y a des conti­nui­tés fami­liales et des simi­li­tudes de com­por­te­ment. Mais, dans les deux, il est aisé de dis­cer­ner un phé­no­mène socio­lo­gique abso­lu­ment iden­tique, que Benoit XVI décrit ain­si : « On a l’impression que notre socié­té a besoin d’au moins un groupe auquel on ne peut réser­ver aucune tolé­rance, contre lequel on peut tran­quille­ment se jeter avec haine. Et si quelqu’un ose s’approcher de lui – en l’occurrence le Pape – il perd lui-​même le droit à la tolé­rance et peut aus­si être trai­té avec haine, sans crainte ni retenue ! »

Ce pro­cé­dé du « bouc émis­saire », venu du fond des âges, pro­cé­dé dont René Girard a démon­tré, scien­ti­fi­que­ment, qu’il était la marque irré­cu­sable de la pré­sence de Satan (cf. J’ai vu Satan tom­ber comme l’éclair), a joué et joue encore, par le tru­che­ment des médias non chré­tiens, à l’encontre de ceux qui sont, en ver­tu de la même logique, dési­gnés comme les inté­gristes.

Le Pape est allé, bras ten­dus et sou­rire au cœur, vers ceux que le monde hait tran­quille­ment, parce qu’il les a décré­tés reprou­vés, mau­dits, infré­quen­tables, lépreux… et il a reçu, du monde, le salaire de son intré­pide charité.

Ce spec­tacle est magni­fique. Il est, pour nous, en ce carême qui est aus­si un prin­temps, beau­coup plus qu’une leçon. Ce geste est la source d’une immense espé­rance tem­po­relle. Rien n’est fécond comme la cha­ri­té. Il est nor­mal que les forces de haine hurlent et il est nor­mal que ces hur­le­ments soient, comme le sou­ligne le Saint-​Père, qui allie à l’innocence de la colombe la pru­dence du ser­pent, venus d’abord du monde catho­lique, « des faux frères », ajou­tant, avec une sou­ve­raine iro­nie, que « ses amis juifs , eux, l’avaient conso­lé ». La tem­pête inouïe, « une dis­cus­sion d’une véhé­mence telle qu’on n’en avait plus connu depuis long­temps » est le fruit véné­neux de la colère de Satan. Le démon ne siège pas au som­met des com­plots mon­dains média­tiques. Il n’a pas besoin de s’en occu­per. Les choses se font toutes seules. Comme dans la chan­son de Brel, il se contente de dire « ça va » ! Là où il déploie toute son éner­gie maligne, c’est bien dans l’Eglise. « J’ai été pei­né que, même des catho­liques qui, au fond, auraient pu mieux savoir ce qu’il en était, aient pen­sé devoir m’offenser avec une hos­ti­li­té prête à se mani­fes­ter. » Lisons bien. Chaque mot compte. En effet, ils étaient à l’affût, les loups entrés par effrac­tion dans la ber­ge­rie, et ils se sont pré­ci­pi­tés pour « mordre et dévo­rer », comme dit saint Paul, sans exa­gé­ra­tion rhé­to­rique, dans l’épitre aux Galates. Ce déchaî­ne­ment infer­nal est la véri­fi­ca­tion expé­ri­men­tale de l’origine mariale et divine de la démarche du Saint-​Père. A la façon de Jésus-​Christ, son vicaire passe en gué­ris­sant les lépreux, et les démons, sur le che­min, crient qu’ils l’ont reconnu.

Mais pour­quoi l’espérance tem­po­relle ? Parce que ce geste d’unité est pro­phé­tique et que les fruits sociaux et poli­tiques en décou­le­ront, si nous le vou­lons bien. Notre uni­vers en crise cherche un phare, une lumière qui, à la splen­deur du Vrai, allie­rait la dou­ceur du Bien. Il fal­lait donc que l’Eglise, avec la per­sonne du Saint-​Père, don­nât l’exemple en allant, publi­que­ment, vers les vrais exclus, les vrais mar­gi­naux, le groupe qui n’a droit à aucune tolé­rance. Même l’outrance inad­mis­sible de Mgr Williamson était utile. Car, sans cette faute, de quoi se serait nour­rie la colère ? Et sans cette colère, et la com­pli­ci­té des faux frères, aurions-​nous eu la grâce de cette lettre aux évêques du monde entier ?

Il ne fait pas bon s’attaquer à Benoît XVI. Ce doux est un fort. On peut donc pré­dire qu’« il pos­sé­de­ra la terre ». Loin de lui ins­pi­rer la peur, la tem­pête média­tique lui a don­né l’occasion d’approfondir sa démarche, de mieux mettre en valeur la por­tée de son geste, de pré­ci­ser sa posi­tion à l’égard du Concile, de la Fraternité Saint-​Pie X, de nos amis juifs, des « faux frères », et de don­ner, avec déli­ca­tesse, sou­rire et fer­me­té à René Girard, le phi­lo­sophe du bouc-​émissaire, qui s’était lais­sé aller à signer un texte scan­da­leux contre lui, une douce et sévère leçon. A l’exemple de saint Paul, Benoît XVI agit « tou­jours en ins­trui­sant ». (II Timothée, 4, 2).

Allons-​nous nous conten­ter d’applaudir ? Ou bien, à notre place de laïcs, selon nos talents et nos enga­ge­ments, nous mettre à son école ? Il n’y a pas que la socié­té des âmes qui ait besoin d’unité, d’œcuménisme et de cha­ri­té. Les excom­mu­ni­ca­tions, non cano­niques mais très effi­caces, fonc­tionnent à plein régime dans la socié­té politique.

Et si quelques-​uns, habi­tés du désir de la même douce fer­me­té, se fai­saient les apôtres de la néces­saire ami­tié française ?

Non dans un par­ti sup­plé­men­taire – il y en a déjà trop et per­sonne n’y croit plus – non plus même dans une élec­tion – il faut com­men­cer par déni­grer le plus proche pour prendre ses voix ou l’empêcher de prendre les nôtres – mais, au-​dessus des par­tis, au-​dessus des élec­tions, dans le seul espace poli­tique et moral, natio­nal et social, où cha­cun peut trou­ver sa place ?

Le comprendrons-​nous ? Jean Madiran l’a noté dans son magni­fique édi­to­rial du 14 mars. Le seul rem­part pour l’Eglise contre la per­sé­cu­tion du monde, c’est le Prince chrétien.

En France, à la join­ture du spi­ri­tuel et du tem­po­rel, du natio­nal et de l’universel, du pas­sé et de l’avenir, de la liber­té et de l’autorité, de l’unité et des dif­fé­rences, bref, au cœur d’une socia­bi­li­té enfin trou­vée ou retrou­vée, il n’y a qu’une solu­tion, qui n’est pas un sys­tème, mais une per­sonne, et mieux, une famille, la famille de France.

Tout le reste, élec­tions, par­tis, syn­di­cats, peut, ou non, conti­nuer … c’est sans intérêt.

S’occupe-t-on encore des branches mortes de l’hiver, quand vient le printemps ?

Jacques Tremolet de Villers

Article extrait du n° 6802 du mer­cre­di 18 mars 2009 – Présent