Editorial de janvier 2011 – P _​_​_​_​_​_​_​_​_​F ?

Au matin de la nou­velle année litur­gique 2010–2011, l’Eglise s’est réveillée casuiste. Un ouvrage, inti­tu­lé Lumière du monde, l’a comme immer­gée dans les ténèbres des plus pro­fondes per­ver­si­tés : est-​il plus moral, pour le pros­ti­tué gay, d’user du pré­ser­va­tif ou de n’en user pas ? Et qu’en serait-​il s’il s’agissait non plus d’un, mais d’une pros­ti­tuée ? Sidéré que de tels sujets – Il ne devrait même point en être ques­tion par­mi vous, dit saint Paul – puissent être publi­que­ment abor­dés sans pudeur aucune, je ne puis pour ma part que rap­por­ter un épi­sode de l’Evangile, tout aus­si curieux qu’instructif.

Un jour que deux avares se dis­pu­taient un héri­tage, l’un d’eux vou­lut prendre le Christ pour arbitre de leur cupi­di­té. Il s’entendit aus­si­tôt répondre : Qui m’a éta­bli sur vous juge ou fai­seurs de par­tages ? Et le Christ de dénon­cer aus­si­tôt et l’un et l’autre, ou plu­tôt l’avarice qui leur était com­mune : Ayez soin de vous gar­der de toute ava­rice (Lc 12,14). La leçon est claire. La Lumière issue de la Lumière, en son Incarnation rédemp­trice, n’est pas venu par­ta­ger entre ténèbres et ténèbres. Lumière du monde, le Christ entend tout au contraire pour­chas­ser tota­le­ment les ténèbres, afin que cha­cun se com­porte en fils de lumière : Autrefois vous étiez ténèbres, mais à pré­sent vous êtes lumière dans le Seigneur. Marchez comme des enfants de lumière. Le fruit de la lumière consiste en tout ce qui est bon, juste, et vrai (Ep 5,8).

Point donc, dans le mes­sage du Christ, d’une sup­po­sée « morale de gra­dua­li­té » qui consis­te­rait en une sorte d’aménagement du péché cen­sé le dimi­nuer ; qui pren­drait donc par­ti pour un péché sous pré­texte qu’il serait moins péché qu’un autre. Selon une telle morale, on dirait par exemple d’un pros­ti­tué usant du pré­ser­va­tif qu’il serait en voie de « mora­li­sa­tion de son acte », « d’humanisation de sa sexua­li­té », du fait qu’il ne com­mu­ni­que­rait plus à son com­plice un éven­tuel virus. Au regard de la Lumière appor­tée par le Christ, de tels termes font hurler.

Comment par­ler d’une « huma­ni­sa­tion de la sexua­li­té » lorsqu’il s’agit de décrire un acte contre nature ? Comment par­ler de « mora­li­sa­tion » d’un acte qui, pour ne plus trans­mettre d’éventuels germes de mort phy­sique et tem­po­relle, n’en com­mu­nique pas moins la mort spi­ri­tuelle et éter­nelle, et ce d’autant plus infailli­ble­ment qu’il s’agit pré­ci­sé­ment d’un péché criant ven­geance au Ciel ? Comment enfin oublier que le Christ, pré­ci­sé­ment, n’a jamais vou­lu prendre par­ti pour le péché même amé­na­gé, mais qu’il a ren­voyé dos-​à-​dos les deux pécheurs de tout à l’heure en dénon­çant l’avarice qui les unis­sait ? Saint Paul ne fai­sait pas autre chose lorsqu’il nous invi­tait voi­ci un ins­tant à mar­cher en fils de lumière ; il ensei­gnait tout aus­si­tôt com­ment se com­por­ter face aux œuvres de ténèbres : Condamnez-​les (Ep 5,8).

En rai­son même de sa com­plai­sance pour le péché, une telle « morale de gra­dua­li­té » est d’ailleurs des plus cruelles pour le pécheur : elle se résigne à le lais­ser pri­son­nier de ses vices. Oublieuse que la Lumière du monde est capable de dis­si­per tota­le­ment même les plus épaisses ténèbres, elle est fina­le­ment des plus pes­si­mistes. Elle réserve la véri­table ver­tu au seul petit nombre, pour n’attendre de la mul­ti­tude qu’une éthique en demi-​teinte, faite d’un péché plus ou moins « huma­ni­sé ». Elle oublie sim­ple­ment que, selon les paroles de l’Evangile, la nuit de Noël a lais­sé appa­raître une lumière de salut pour tout le peuple (Lc 2,10), accom­plis­se­ment selon saint Matthieu (Mt 4, 16) de la pro­phé­tie d’Isaïe : Le peuple qui était assis dans les ténèbres a vu une grande lumière ; et sur ceux qui étaient assis à l’ombre de la mort, la lumière s’est levée (Is 8,23 ; Mt 4,16).

Abbé Patrick de La Rocque

Extrait de L’Hermine n° 29 de jan­vier 2011

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.