Les questions que pose l’interview du pape François, Jean-​Marie Guenois


Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

L’interview accor­dée par le Pape François aux revues jésuites pose beau­coup de ques­tions sur sa concep­tion de la morale catho­lique, de l’au­to­ri­té papale, ou encore son rap­port aux traditionalistes.

François brade-​t-​il la morale catholique ?

« Nous ne pou­vons pas insis­ter seule­ment sur les ques­tions liées à l’a­vor­te­ment, au mariage homo­sexuel et à l’u­ti­li­sa­tion de méthodes contra­cep­tives. Ce n’est pas pos­sible. » Par ces mots, le Pape rompt avec un logi­ciel pas­to­ral de l’Église catho­lique qui a domi­né les quatre der­nières décen­nies. Et c’est la grande nou­veau­té de cet entre­tien. Les ques­tions d’é­thiques sexuelles sem­blaient être deve­nues un pas­sage obli­gé pour entrer dans la com­mu­nau­té catho­lique. Mais la porte était tel­le­ment étroite que ces sujets for­maient « Le » repous­soir par excel­lence éloi­gnant le plus grand nombre.

Le nou­veau pape confie qu’on lui a déjà « repro­ché » de ne pas suf­fi­sam­ment évo­quer « ces choses ». Il pense qu’il « n’est pas néces­saire d’en par­ler en per­ma­nence ». Il affirme même que l’on ne doit pas être « obsé­dé » par ces sujets. Certes, il n’en­tend pas bra­der la morale catho­lique – « nous la connais­sons et je suis fils d’Église » – mais il défi­nit comme jamais depuis son élec­tion, une nou­velle poli­tique pas­to­rale : « L’annonce de l’a­mour sal­vi­fique de Dieu est pre­mier par rap­port à l’o­bli­ga­tion morale et reli­gieuse. Aujourd’hui, il semble que pré­vaut l’ordre inverse. »

L’enjeu ? « Trouver un nou­vel équi­libre » sans quoi « l’é­di­fice moral de l’Église risque lui aus­si de s’é­crou­ler comme un châ­teau de cartes. » Avec des appli­ca­tions pra­tiques immé­diates : il confirme dans l’en­tre­tien trois mains ten­dues, déjà expri­mées ces der­niers mois, vis-​à-​vis des homo­sexuels, des divor­cés rema­riés et des femmes ayant vécu un avortement.

François prend-​il ses distances avec la « droite » ?

« Je n’ai jamais été droite ». On ne peut être plus clair même si la tra­duc­tion offi­cielle fran­çaise effec­tuée par la revue jésuite Études, est ambi­guë voire inexacte. Elle tra­duit « je n’ai jamais été conser­va­teur » alors que l’é­di­tion matrice, ita­lienne, mais aus­si espa­gnole et anglaise uti­lisent toutes le mot « droite ». Un Pape doit être au des­sus des par­tis, poli­tiques en particulier.

Mais il est clair que son mode de vie dépouillé (refus de l’ap­par­te­ment pon­ti­fi­cal, mépris pour les voi­tures de luxe, sim­pli­fi­ca­tion de sa sécu­ri­té), son insis­tance sur la pau­vre­té, son encou­ra­ge­ment à l’ac­cueil des immi­grés (son voyage sur l’île de Lampedusa, sa visite récente à un centre de Rome) son ouver­ture expli­cite à l’is­lam (près d’une dizaine d’in­ter­ven­tions en ce sens depuis six mois), tra­duisent une sen­si­bi­li­té qui, objec­ti­ve­ment, n’est pas de droite. En cela, il heurte beau­coup de fidèles dans l’Église, notam­ment en Occident, même s’il ras­sure beau­coup dans les pays du sud.

Cela dit, dans ce pas­sage de l’in­ter­view cette cita­tion s’a­dresse aus­si à ses confrères jésuites. François veut les impli­quer dans son pon­ti­fi­cat. Des frères qui l’a­vaient d’ailleurs mis à l’é­cart en Amérique Latine lui repro­chant son « ultra-​conservatisme » avant que Jean-​Paul II ne le sorte de l’ombre en le nom­mant évêque. Une erreur de jeu­nesse, raconte François dans l’in­ter­view qui était liée à « ma manière auto­ri­taire et rapide de prendre des déci­sions ». Un point sur lequel il affirme s’être cor­ri­gé depuis.

François affaiblit-​il l’autorité papale ?

« Maintenant j’en­tends quelques per­sonnes me dire « ne consul­tez pas trop, déci­dez ». Au contraire, je crois que la consul­ta­tion est essen­tielle. » Le pape François confirme sa remise en cause d’un sys­tème de gou­ver­ne­ment très cen­tra­li­sé et pyra­mi­dal en vigueur sous le pon­ti­fi­cat de Jean-​Paul II et qui s’est ren­for­cé sous Benoît XVI parce que la curie romaine avait pris le dessus.

François ouvre trois fronts de réforme : la façon même d’exer­cer le pou­voir papal, « je veux pour­suivre la réflexion sur la manière d’exer­cer le pri­mat de Pierre » ; le fonc­tion­ne­ment de la curie romaine, « les dicas­tères romains sont des média­teurs et non des ges­tion­naires » ; la façon de prendre les grandes décisions.

Sur ce der­nier point il va s’ins­pi­rer de l’Église ortho­doxe pour « apprendre davan­tage sur le sens de la col­lé­gia­li­té épis­co­pale et sur la tra­di­tion de la syno­da­li­té. » Il s’a­git, en clair, de retrou­ver dans l’Église catho­lique ce qu’elle a aban­don­né au fil des siècles, une direc­tion « col­lé­giale » et « syno­dale » où les car­di­naux et les évêques ont voix au cha­pitre pour les déci­sions importantes.

Ce qui est une rup­ture avec l’ac­tuelle pra­tique d’un cercle de hauts conseillers qui pré­parent les déci­sions pour le Pape. Ce qui est une appli­ca­tion stricte – mais jamais mise en œuvre – de ce que pré­voyait le Concile Vatican II. Beaucoup dans l’Église s’op­po­se­ront à cette réforme qui, de fac­to, affai­blit l’au­to­ri­té du Pape même si celle-​ci dépend éga­le­ment de sa per­son­na­li­té et de son aura médiatique.

François explique enfin que le bon gou­ver­ne­ment demande du « dis­cer­ne­ment » et qu’il « requiert du temps » car il se méfie des « déci­sions prises de manière impro­vi­sée ». Et il avance cette maxime : « La pre­mière réforme doit être celle de la manière d’être. »

François tourne-​t-​il le dos à la mouvance traditionaliste ?

François ne donne pas d’im­por­tance à la litur­gie, c’est-​à-​dire, la façon de célé­brer la messe. Mais son pon­ti­fi­cat est déjà en fort contraste sur ce point avec celui de Benoît XVI, mar­qué par l’é­chec d’une main ten­due jus­qu’au bout aux Lefebvristes et par une orien­ta­tion doc­tri­nale et litur­gique où la sen­si­bi­li­té tra­di­tio­na­liste catho­lique se sen­tait par­fai­te­ment à l’aise.

Trois pas­sages de l’in­ter­view indiquent un chan­ge­ment de cap radi­cal, expri­mé sans prendre de gants : « Si le chré­tien est léga­liste ou cherche la res­tau­ra­tion, s’il veut que tout soit clair et sûr, alors il ne trou­ve­ra rien. La tra­di­tion et la mémoire du pas­sé doivent nous aider à avoir le cou­rage d’ou­vrir de nou­veaux espaces à Dieu. Celui qui aujourd’­hui ne cherche que des solu­tions dis­ci­pli­naires, qui tend de manière exa­gé­rée à la « sûre­té » doc­tri­nale, qui cherche obs­ti­né­ment à récu­pé­rer le pas­sé per­du, celui-​là a une vision sta­tique et non évo­lu­tive. De cette manière, la foi devient une idéo­lo­gie par­mi d’autres. »

Il ajoute : « Si quel­qu’un dit qu’il a ren­con­tré Dieu avec une totale cer­ti­tude et qu’il n’y a aucune marge d’in­cer­ti­tude, c’est que quelque chose ne va pas. C’est pour moi une clé impor­tante. Si quel­qu’un a la réponse à toutes les ques­tions, c’est la preuve que Dieu n’est pas avec lui, que c’est un faux pro­phète qui uti­lise la reli­gion à son profit. »

Enfin, François ouvre expli­ci­te­ment la porte aux évo­lu­tions doc­tri­nales : « la com­pré­hen­sion de l’homme change avec le temps et sa conscience s’ap­pro­fon­dit aus­si. (…) Les autres sciences et leur évo­lu­tion aident l’Église dans cette crois­sance en com­pré­hen­sion. Il y a des normes et des pré­ceptes secon­daires de l’Église qui ont été effi­caces en leur temps, mais qui, aujourd’­hui, ont per­du leur valeur ou leur signi­fi­ca­tion. Il est erro­né de voir la doc­trine de l’Église comme un mono­lithe qu’il fau­drait défendre sans nuance. »

Source : Le Figaro du 20 sep­tembre 2013