Entretien avec l’abbé de Tanouärn

Réponse amicale à Yves Chiron sur « Vatican II et l’Évangile »

Repris de « La Palombière » – Le Mascaret de mars 2004

ans notre micro­cosme tra­di­tion­nel, une recen­sion d’Yves Chiron est tou­jours un évé­ne­ment. En faire soi-​même l’ob­jet est un hon­neur redou­table, tant le recen­seur cultive l’a­cri­bie, en par­ti­cu­lier lors­qu’il écrit, sans contrainte édi­to­riale, dans son Bulletin per­son­nel, Alétheia. Il m’a­vait annon­cé depuis long­temps qu’il publie­rait quelque chose sur mon livre Vatican II et l’Évangile. C’est chose faite, dans le der­nier numé­ro de ce Bulletin, daté du 8 février.
Je passe sur les com­pli­ments, qu’Yves Chiron ne me ménage pas, je l’en remer­cie… Il a bien enten­du iden­ti­fié ce qui fait le cœur de ma démons­tra­tion : la dis­tinc­tion entre l’ob­jet de la foi (que Vatican II n’a pas enta­mé) et la récep­tion que l’on en attend du fidèle (que Vatican II a com­plè­te­ment bou­le­ver­sée). J’ai appe­lé « reli­gion nou­velle », cette nou­velle récep­tion de la foi, cette nou­velle rela­tion du croyant à l’ob­jet de sa foi. J’ai ten­té d’ex­pli­quer que l’i­den­ti­té de la foi était com­plè­te­ment modi­fiée par une nou­velle « règle de la foi » ensei­gnée à Vatican II, qui se pré­sente comme une sorte de préa­lable phi­lo­so­phique, défi­nis­sant l’es­prit dans lequel on doit croire désormais.
Cette nou­velle règle de la foi n’est pas direc­te­ment sus­cep­tible de la qua­li­fi­ca­tion d’hé­ré­sie, puis­qu’elle est intrin­sè­que­ment phi­lo­so­phique. On peut la pré­sen­ter, selon les tra­vaux du Symposium de Paris, en… trois points.
Quels sont-​ils ? Vatican II enseigne le plus offi­ciel­le­ment du monde la liber­té de conscience, dans le sens res­treint où Grégoire XVI l’a­vait condam­née comme « un délire » : pre­mier point. Vatican II enseigne le ser­vice de l’homme, c’est-​à-​dire l’in­ver­sion de la divine cha­ri­té (l’homme au ser­vice de Dieu), deuxième point. Vatican II enseigne l’u­ni­té spi­ri­tuelle du genre humain, notion que l’on ne trouve sûre­ment pas dans l’Evangile mais plu­tôt dans les Constitutions d’Anderson, et autres docu­ments de la Maçonnerie primitive.
Ces trois élé­ments construisent, dans leur accord réci­proque, ce que l’on peut nom­mer, faute d’une expres­sion plus pré­cise, la « reli­gion de Vatican II ». On pour­rait les appe­ler des “dogmes” au sens res­treint où l’on par­lait autre­fois des dog­ma­ta phi­lo­so­pho­rum ; ce sont les nou­veaux lieux com­muns de la rhé­to­rique reli­gieuse, on les retrouve dans le moindre ser­mon, dans la moindre feuille, les prêtres en fonc­tion doivent faire allé­geance à ces nou­veaux prin­cipes, dont la réfé­rence est obli­ga­toire par­tout, ce sont les carac­té­ris­tiques spé­cu­la­tives de la nou­velle reli­gion. Ils contre­disent fron­ta­le­ment aux exi­gences de la trans­mis­sion de la foi et donc à la reli­gion catho­lique, qui a trans­mis jus­qu’à nous la parole que les apôtres avaient reçue du Christ. Au risque de paraître péremp­toire, je me contente ici d’af­fir­mer ce que j’ai ten­té de prou­ver dans mon livre…
Mais je suis sur­pris de ce qu’en com­prend Yves Chiron, dans sa recension-​vérité. A deux reprises, il affirme que cette « nou­velle reli­gion » « n’est pas le contraire de la reli­gion catho­lique mais une nou­velle façon de conce­voir et de vivre cette reli­gion ». Cela fait perdre toute force à mon diag­nos­tic. Il est bien évident que chaque époque a sa manière de « conce­voir et de vivre le chris­tia­nisme », dans une foi inchan­gée. Autre est la vie chré­tienne au temps des mar­tyrs, autre au temps des bour­geois, autre dans le tota­li­ta­risme soft qui condi­tionne aujourd’­hui notre mental…
J’avais écrit quant à moi : cette nou­velle reli­gion n’est pas le contraire de la foi catho­lique, puis­qu’elle est d’un autre ordre (essen­tiel­le­ment phi­lo­so­phique). Mais elle contre­dit le dyna­misme sur­na­tu­rel de sa trans­mis­sion, parce qu’elle renie l’au­to­ri­té de la Parole de Dieu sur nos consciences d’a­ni­maux pas très rai­son­nables. Et ain­si, disais-​je, « en oubliant métho­di­que­ment l’au­to­ri­té de la parole trans­mise, les Pères conci­liaires ont lais­sé aux géné­ra­tions de chré­tiens à venir une parole sans nerf, sans éner­gie, sans res­sort, une belle image que l’on s’empresse d’ou­blier comme toutes les images. Il ne faut pas s’é­ton­ner si la déchris­tia­ni­sa­tion est et sera tou­jours pro­por­tion­nelle à la dif­fu­sion de ce concile. Avec les meilleures inten­tions du monde, les Pères conci­liaires ont créé le désert, en étei­gnant dans la Parole dont ils avaient la garde ce feu sacré de l’au­to­ri­té qui la pro­fère et qui la garantit ».
Le Concile n’in­duit donc pas seule­ment « une nou­velle manière de conce­voir et de vivre la reli­gion catho­lique » mais une nou­velle reli­gion, qui sans être contraire à l’ob­jet maté­riel de la foi, est contraire au dyna­misme reli­gieux à tra­vers lequel elle se dif­fuse… Bossuet, dans la célèbre orai­son funèbre de Henriette d’Angleterre avait com­pris par avance le drame qui se pré­pa­rait déjà à l’é­poque, drame d’un « chris­tia­nisme de plain-​pied », comme il disait, qui est la néga­tion pra­tique du chris­tia­nisme réel.

Guillaume de Tanouärn †