Entretien avec l’abbé de Cacqueray

A propos d’une soirée exceptionnelle à Paris le 22 mars

Repris de « Pacte » n° 83

“abbé de Cacqueray est supé­rieur de la Fraternité Saint-​Pie X en France depuis un an et demi main­te­nant. Il a mon­tré à plu­sieurs reprises déjà sa volon­té d’al­ler de l’a­vant, en fai­sant en sorte que la Fraternité Saint-​Pie X tienne avec fier­té toute sa place dans l’Eglise… pour que la Tradition y retrouve ses droits. Il orga­nise au nom du dis­trict une soi­rée excep­tion­nelle autour du supé­rieur géné­ral Mgr Bernard Fellay. En ce 22 mars, c’est un prin­temps pour la Tradition catho­lique et pour l’Eglise qui s’an­non­ce­ra dans le grand Théâtre de la Mutualité.

Abbé de Tanouärn : M. l’ab­bé, la Fraternité Saint-​Pie X orga­nise une soi­rée excep­tion­nelle à Paris le 22 mars. Quel est le but de cette réunion, pré­si­dée par Mgr Fellay, notre supé­rieur, dans le grand théâtre de la Mutualité ?

Abbé de Cacqueray : Mgr Fellay a envoyé à tous les car­di­naux un docu­ment impor­tant, inti­tu­lé « De l’o­cu­mé­nisme à l’a­po­sta­sie silen­cieuse ». Je sou­haite que cette prise de posi­tion doc­tri­nale soit réper­cu­tée le plus pos­sible en France. Déjà la « Lettre à nos frères prêtres » a dif­fu­sé ce texte à tous les prêtres dio­cé­sains, qui la reçoivent. J’ai com­men­cé moi-​même une tour­née de confé­rences dans toutes les villes de France. La venue de Mgr Fellay à Paris repré­sente en quelque sorte le point d’orgue des diverses mani­fes­ta­tions qui auront lieu ici et là, en par­ti­cu­lier à Lyon, et dès main­te­nant (29 février) à Perpignan.

Abbé de Tanouärn : Pourquoi ce docu­ment envoyé aux car­di­naux, puis à tous les prêtres fran­çais revêt-​il une impor­tance particulière ?

Abbé de Cacqueray : Je vou­drais sou­li­gner que ce texte repose sur un constat que vient de faire le pape lui-​même. Alors qu’il a reçu les visites ad limi­na des évêques fran­çais et belges, on ne peut pas dire que Jean-​Paul II se soit mon­tré par­ti­cu­liè­re­ment opti­miste… Faisant une sorte de bilan de l’après-​concile, le pape constate une véri­table absence de foi dans les pays de vieille chré­tien­té. Cet aban­don de la foi, cette apos­ta­sie, note le Souverain Pontife, est d’au­tant plus inquié­tante qu’elle touche en prio­ri­té l’Europe, qui est le pôle fort de la chré­tien­té tra­di­tion­nelle ; et il est d’au­tant plus ter­rible qu’il a lieu dans un silence de plus en plus épais, presque oppres­sant. Qui se sou­cie de cette lente dis­pa­ri­tion de l’Eglise sur le conti­nent où elle a tou­jours été forte, au cours de son his­toire ? Mgr Lefebvre avait écrit une lettre aux catho­liques per­plexes. Pour ceux qui demeurent sou­cieux du ber­cail, il fau­drait par­ler aujourd’­hui d’un véri­table désar­roi… alors que le pape évoque lui-​même l’a­po­sta­sie silen­cieuse du plus grand nombre…

Abbé de Tanouärn : Cette expres­sion d’a­po­sta­sie silen­cieuse dans la bouche même du pape n’est-​elle pas un simple « obi­ter dictum » ?

Abbé de Cacqueray : Non pas du tout. Dans « Ecclesia in Europa », son diag­nos­tic se veut extrê­me­ment pré­cis, cir­cons­tan­cié. Il est aus­si sévère que le nôtre : « Je vou­drais men­tion­ner, déclare Sa Sainteté, la perte de la mémoire et de l’hé­ri­tage chré­tien, accom­pa­gnée d’une sorte d’ag­nos­ti­cisme pra­tique et d’in­dif­fé­ren­tisme reli­gieux, qui fait que beau­coup d’Européens donnent l’im­pres­sion de vivre sans ter­reau spi­ri­tuel et comme des héri­tiers qui ont dila­pi­dé le patri­moine qui leur avait été légué par l’his­toire. Cela donne l’im­pres­sion d’une véri­table apos­ta­sie silen­cieuse ». Peut-​on être plus clair ?

Abbé de Tanouärn : Mais le diag­nos­tic de Jean-​Paul II porte uni­que­ment sur l’Europe ?

Abbé de Cacqueray : L’Europe est la terre où les racines chré­tiennes sont les plus loin­taines et les plus pro­fondes. Du point de vue de la chré­tien­té, c’es elle qui donne l’im­pul­sion au monde entier, en par­ti­cu­lier à tra­vers ses mis­sion­naires. Bien sûr, il serait trop long d’a­na­ly­ser la situa­tion conti­nent par conti­nent pour mon­trer que le concile étend par­tout ses ravages. Disons pour résu­mer qu’en Europe, le concile, l’o­cu­mé­nisme et la nou­velle messe engendrent un refroi­dis­se­ment géné­ral de la foi jus­qu’à la géné­ra­li­sa­tion de l’in­croyance. Ailleurs le pro­ces­sus est dif­fé­rent : on trouve au rendez-​vous de l’après-​concile le Pentecôtisme et les sectes. Mais fina­le­ment trop sou­vent le résul­tat est le même : un rela­ti­visme abso­lu, que ce rela­ti­visme se donne ou qu’il ne se donne pas des appa­rences de religiosité…

Abbé de Tanouärn : Quel est le mes­sage de la Fraternité aux catho­liques en désarroi ?

Abbé de Cacqueray : Ce docu­ment théo­lo­gique n’est pas un exer­cice d’é­cole ou un aride essai théo­lo­gique des­ti­né à res­ter lettre morte. Il a été adres­sé aux plus hautes auto­ri­tés de l’Eglise. Il est des­ti­né à faire réflé­chir tous les fidèles, pour qu’ils prennent conscience que, le mal ayant été iden­ti­fié, les remèdes sont à por­tée de la main. A tra­vers ce genre de cri­tique, à la fois sereine, res­pec­tueuse et pré­cise, la Fraternité-​Saint Pie X offre une contri­bu­tion majeure au relè­ve­ment de l’Eglise. Les études doc­tri­nales, entre­prises au cours des deux Symposiums théo­lo­giques de Paris et à tra­vers le Congrès de la revue « Sisi-​nono », au mois de jan­vier der­nier à Rome, portent du fruit. On est long­temps res­té sur la défen­sive, en se conten­tant de parer les coups qui nous étaient por­tés. Je crois que ce docu­ment est le signal d’une autre atti­tude : on entre dans une phase active du com­bat. Et cela est vrai dans le monde entier. Ce n’est pas un hasard si cette étude sur l’a­po­sta­sie silen­cieuse a été tra­duite en cinq langues. La Fraternité a tou­jours eu le sou­ci de l’Eglise uni­ver­selle. Elle se veut sim­ple­ment à son ser­vice et au ser­vice de tous ceux qui veulent la servir.

Abbé de Tanouärn : Dans un autre registre, que pensez-​vous de la publi­ci­té faite autour du film de Mel Gibson sur la Passion du Christ ?

Abbé de Cacqueray : Je ne crois pas que nous nous trou­vions tout à fait dans un autre registre, comme vous dites. Nous sommes dans le registre de l’ex­ten­sion du Royaume de Dieu… Avec ce film, les évêques auront une occa­sion for­mi­dable de lut­ter contre l’a­po­sta­sie silen­cieuse. L’ouvre de Mel Gibson peut tou­cher des mil­lions de per­sonnes. Jamais depuis des années on n’a­vait enten­du par­ler de la Passion du Christ de manière aus­si uni­ver­selle. Et pen­dant ce temps-​là, qui est aus­si le temps favo­rable du Carême, au lieu d’ap­pe­ler à la conver­sion, au lieu d’é­van­gé­li­ser, le car­di­nal Lustiger se laisse aller à par ler d’une « théâ­tra­li­sa­tion de la pas­sion ». C’est encore un signe de l’a­po­sta­sie silen­cieuse, qui, hélas, touche sou­vent en prio­ri­té lesau­to­ri­tés ecclé­sias­tiques elles-mêmes.

Entretien réa­li­sé par l’ab­bé G. de Tanouarn

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.