Entretien de l’abbé L. Duverger, supérieur du District d’Afrique, au Remnant


Abbé Loïc Duverger, Supérieur du District d’Afrique

Q. Merci M. l’abbé d’avoir accep­té de nous accor­der cet entre­tien. Je suis cer­tain que vous êtes très occu­pé par votre minis­tère et j’imagine qu’il faut du temps pour répondre à des ques­tions dans une langue qui n’est pas sa langue mater­nelle. Quand l’apostolat de la Fraternité a‑t-​il démar­ré en Afrique ? Qui a com­men­cé ce tra­vail ? Était-​ce Mgr Lefebvre lui-même ?

L’apostolat de la Fraternité a débu­té au début des années 1980, lorsque Mgr Marcel Lefebvre est venu en Afrique du Sud pour encou­ra­ger les fidèles qui résis­taient à la crise de l’Eglise. Mais ce n’est qu’en 1985 que le pre­mier prieu­ré a été ouvert à Roodeport près de Johannesburg en Afrique du Sud, puis en 1986 au Zimbabwe et au Gabon dont nous fêtons les 25 ans cette année.

Mgr Lefebvre sui­vait de près ces fon­da­tions. Mais il eut une atten­tion toute par­ti­cu­lière pour la mis­sion du Gabon sur les lieux où lui-​même débu­ta sa vie mis­sion­naire en 1932. Il y fit un voyage impor­tant en 1985 pour pré­pa­rer la fon­da­tion de la mis­sion. A cette occa­sion, il ren­con­tra le chef de l’état, le pré­sident Omar Bongo, plu­sieurs évêques et per­son­na­li­tés du pays, ses anciens élèves au sémi­naire et dans les mis­sions de Donguila, Kango et Lambaréné. Par ses lettres au Père Patrick Groche, fon­da­teur de la mis­sion Saint Pie X, il pro­digue ses conseils d’ancien mis­sion­naire et montre le soin avec lequel il sui­vait le déve­lop­pe­ment de ce prieu­ré. Il y revien­dra un an avant sa mort tout heu­reux de voir le magni­fique déve­lop­pe­ment de cette belle œuvre.

Q. Combien de prêtres avez-​vous actuel­le­ment dans le dis­trict d’Afrique ? Combien de prieu­rés et de mis­sions ? A com­bien pourriez-​vous esti­mez le nombre de fidèles des­ser­vis par la Fraternité en Afrique ? 

Aujourd’hui 21 prêtres, 4 frères, 5 sœurs, et 2 oblates exercent leur apos­to­lat dans les 8 mai­sons que la Fraternité pos­sède en Afrique.

En Afrique du Sud nous avons 3 mai­sons (2 prieu­rés et la mai­son de dis­trict) qui des­servent 7 cha­pelles. Au Gabon nous pos­sé­dons 1 prieu­ré et une école. Le Kenya est riche d’un prieu­ré et du tout récent novi­ciat de reli­gieuses des­ti­nées aux mis­sions, les sœurs mis­sion­naires de Jésus et de Marie. Le Zimbabwe est le qua­trième pays à pos­sé­der un prieuré.
Mais nos prêtres ne se contentent pas de ces pays, ils rayonnent ailleurs là où des fidèles les appellent pour la vraie messe et les vrais sacre­ments. Par des voyages mis­sion­naires plus ou moins longs et fré­quents ils sou­tiennent des groupes de fidèles au Nigeria, en Ouganda, en Zambie, en Namibie, au Cameroun, en Tanzanie, au Burundi et au Ghana, mais aus­si dans les îles de Madagascar, de La Réunion et Maurice. Au total, la Fraternité est pré­sente dans 15 pays en Afrique, entre ceux où elle est ins­tal­lée et ceux qu’elle visite.

Actuellement le Nigeria et l’Ouganda sont les deux pays régu­liè­re­ment visi­tés qui se déve­loppent le plus. Au Nigeria, un prêtre, ancien­ne­ment reli­gieux augus­ti­nien, le Père Obih, a rejoint la Fraternité depuis quelques années. Il pré­pare l’arrivée de la Fraternité en sillon­nant le pays le plus peu­plé d’Afrique (150 mil­lions d’habitants). En Ouganda, une fidèle qui depuis long­temps appe­lait la Fraternité, a amé­na­gé une cha­pelle chez elle et réunit des catho­liques dési­reux de pré­ser­ver et de for­ti­fier leur Foi par la prière et les bons sacre­ments. Nos confrères du Kenya y viennent tous les mois célé­brer la messe.

Ailleurs ce ne sont que quelques membres d’une même famille qui sous la bonne influence du père, résiste à la révo­lu­tion conci­liaire et la déchris­tia­ni­sa­tion, ou bien, comme en Namibie, des familles éloi­gnées par des cen­taines de kilo­mètres qui se regroupent lorsque le prêtre passe.

Il est admi­rable de voir la puis­sance de la grâce divine qui per­met à ces fidèles de gar­der la Foi, alors que le monde qui les entoure les pousse à s’en éloi­gner, alors que pul­lulent les sectes pro­tes­tantes sou­vent finan­cées par l’étranger. Il ne faut pas oublier la pous­sée de l’Islam de plus en plus pré­sent qui marque sa conquête par la construc­tion de mos­quées. Ainsi le long de la route qui mène de Nairobi à Monbassa au Kenya, les musul­mans finan­cée par les Etats arabes du Golf, bâtissent des mos­quées le long de la route même s’il n’y a pas encore de quoi les rem­plir. A Libreville, au Gabon, lorsque la Fraternité s’installe en 1986 il n’y a qu’une mos­quée, aujourd’hui autour de la mis­sion 3 ou 4 mina­rets font entendre plu­sieurs fois par jour l’ap­pel du muslim.

La foi des fidèles qui appellent la Fraternité est édi­fiante et vrai­ment récon­for­tante. Nous vou­drions pou­voir secou­rir tous ceux qui nous appellent, répondre à toutes les demandes, mais nous ne sommes pas assez nom­breux. Toujours la même consta­ta­tion « La mois­son est abon­dante mais les ouvriers peu nom­breux ». Aujourd’hui nous esti­mons avoir envi­ron 3 500 paroissiens. 

Comme par­tout le maté­ria­lisme fait des ravages. La course au pro­fit maté­riel touche tout le monde, les plus riches comme les plus pauvres. Les gens courent s’installer dans les villes parce qu’ils ont l’illusion d’y trou­ver le bien-​être, mais ils viennent gros­sir d’immenses bidon­villes où ils vivent dans une pro­mis­cui­té néfaste, et y trouve une misère dégra­dante sou­vent pire que la pau­vre­té de la campagne.

Aussi au Kenya, les abbés four­nissent aux enfants de la paroisse un bon repas par semaine, le dimanche après la messe, pour com­plé­ter la pauvre et insuf­fi­sante nour­ri­ture reçue à la mai­son. Et tout ce petit monde mange avec bon appétit !

Souvent la mai­son se réduit à une deux petites pièces pour la famille qui s’agrandit de neveux et de nièces dont les parents sont décé­dés ou inca­pable d’élever leurs enfants parce qu’encore plus pauvres. Le chô­mage est impor­tant, alors pour faire face, on mul­ti­plie les petits bou­lots, qui font gagner quelques sous. Mais ces quelques sous gagnés dif­fi­ci­le­ment sont sou­vent dépen­sés sans dis­cer­ne­ment. Ainsi sur des baraques faites de planches, avec un pauvre toit de tôle qui fuit en cas de pluie, il y aura la para­bole et à l’intérieur la télé­vi­sion qui per­met de rece­voir les télé­vi­sions du monde entier qui influencent, déforment, dés­in­forment et per­ver­tissent. Ils n’ont pas de quoi payer la sco­la­ri­té de leurs enfants mais ont tous un télé­phone portable.

Les mêmes causes pro­duisent les mêmes effets. Le maté­ria­lisme occi­den­tal enva­hit petit à petit les âmes et fait rêver et dési­rer des para­dis arti­fi­ciels vus à la télé­vi­sion. Les âmes deviennent insen­si­ble­ment her­mé­tiques à la grâce. Les méfaits de l’œcuménisme, de la liber­té reli­gieuse et la mul­ti­pli­ca­tion des sectes pro­tes­tantes cha­ris­ma­tiques, rendent la reli­gion facul­ta­tive et la véri­té rela­tive : Notre Seigneur Jésus Christ, le seul par qui nous puis­sions être sau­vés, n’est plus nécessaire.
Bien sûr le mal n’est pas aus­si avan­cé qu’en Occident, mais il vient à grand pas. Le tra­vail apos­to­lique, tou­jours enthou­sias­mant, devient sans doute par cer­tains aspects plus dif­fi­cile et plus ardu qu’autrefois.

Q. Quelles sont les autres ins­ti­tu­tions que la Fraternité dirige en Afrique (orphe­li­nats, écoles, etc.) ?

Pour l’instant nous ne déve­lop­pons que des prieu­rés avec leurs cha­pelles. Il faut déjà beau­coup d’énergie dans des cli­mats dif­fi­ciles, pour faire face aux besoins des fidèles : messe, sacre­ments, caté­chismes, mou­ve­ments de jeunes, visites aux malades, amé­na­ge­ments des mai­sons, tra­vaux de construc­tions, d’entretien, démarches admi­nis­tra­tives tou­jours longues et complexes.

Seul le Gabon et l’Afrique du Sud à Roodeport pos­sèdent une école. Une école pri­maire à Roodeport et au Gabon, une école pri­maire et secon­daire. Les écoles sont indis­pen­sables, elles per­mettent aux voca­tions d’éclore et pré­parent les familles chré­tiennes. Elles sont l’avenir de l’Eglise et de nos cha­pelles. Elles demandent toute notre atten­tion et notre soin mais elles exigent un inves­tis­se­ment consi­dé­rable, nous sou­hai­te­rions en ouvrir une par prieu­ré. Mais il faut alors que Saint Joseph en soit l’économe, sinon nous n’y arri­ve­rons jamais.

Avant d’avoir la joie de les voir se déve­lop­per par­tout, il faut s’occuper des voca­tions qui demandent à entrer dans la Fraternité. Le sacer­doce et tout ce qui touche au sacer­doce reste le but pre­mier de la Fraternité. Un de nos grands pro­jets est l’ouverture d’un pré-​séminaire pour y rece­voir les can­di­dats au sacer­doce ou à la vie reli­gieuse. Cette mai­son per­met­tra aux jeunes gens sélec­tion­nés par nos prêtres, d’étudier leur voca­tion, de rece­voir une for­ma­tion doc­tri­nale, d’apprendre les rudi­ments du latin pour suivre plus faci­le­ment leurs études au sémi­naire. C’est la pre­mière étape néces­saire avant l’ouverture d’un sémi­naire de la Fraternité en Afrique.

Nous sommes per­sua­dés que, face aux besoins immenses de l’apostolat pour sou­mettre l’Afrique à Notre Seigneur Jésus-​Christ, il faut des prêtres afri­cains, des frères afri­cains et des reli­gieuses afri­caines. Aujourd’hui, cet objec­tif ne peut être atteint sans l’aide des vieilles chré­tien­tés. Les besoins des fidèles sont si impor­tants et les voca­tions sont si peu nom­breuses que chaque pays vou­drait gar­der les siennes…

Monseigneur Lefebvre a tra­vaillé durant toutes ses années de pré­sence en Afrique à la for­ma­tion de ce cler­gé afri­cain, il a ordon­né des prêtres, des évêques, sus­ci­té des congré­ga­tions reli­gieuses afri­caines [1].

Q. Je crois savoir que l’une des règles impor­tantes que la Fraternité a éta­blies est que les prêtres ne vivent pas seuls. Pour la san­té morale des prêtres, la Fraternité exige que les prêtres vivent en com­mu­nau­tés d’au moins trois. Pourtant, il y a, à l’évidence, un énorme tra­vail à faire en Afrique. Êtes-​vous en mesure de res­pec­ter fidè­le­ment cette règle en Afrique où il a tant à faire et si peu de prêtres ? 

La ten­ta­tion peut exis­ter d’aller faire de l’apostolat en s’affranchissant des règles don­nées par notre fon­da­teur. Il est illu­soire de vou­loir faire du bien en dehors du cadre que donnent les consti­tu­tions : rapi­de­ment la vie spi­ri­tuelle s’attiédirait, le dyna­misme apos­to­lique s’essoufflerait et la sté­ri­li­té s’installerait, même si le démon s’ingéniait à mani­fes­ter le contraire par une réus­site super­fi­cielle. Mgr Lefebvre, pour illus­trer cette ten­ta­tion, don­nait l’image du jar­di­nier qui, à force de tirer sur le tuyau pour arro­ser plus loin, arrache ce der­nier du robi­net : il n’arrose alors plus rien.

Nos confrères le savent bien et font tout ce qui est en leur pou­voir pour res­pec­ter cette règle d’or de l’efficacité apos­to­lique qu’est la vie en com­mu­nau­té. Mais il faut aus­si répondre aux besoins des fidèles, d’où la néces­si­té de faire des mis­sions, jamais trop longues, puis de reve­nir ensuite au prieu­ré y refaire ses forces phy­siques et spi­ri­tuelles. L’idéal serait que les mis­sions puissent se faire à plu­sieurs, pour gar­der, en voyage, la vie com­mune. Pour l’instant, ce n’est pas tou­jours possible.

Q. Quelle est la nature des rela­tions exis­tant entre la Fraternité et les gou­ver­ne­ments des pays dans les­quels vous êtes éta­bli en Afrique ? Sont-​elles ami­cales ou hostiles ?

Partout où nous nous ins­tal­lons nous nous effor­çons d’avoir de bonnes rela­tions avec les auto­ri­tés civiles. D’abord, en res­pec­tant les démarches admi­nis­tra­tives néces­saires pour s’installer et ensuite en fai­sant notre tra­vail de sanc­ti­fi­ca­tion des fidèles. Rapidement les auto­ri­tés civiles, si elles ont pu avoir quelques craintes, s’aperçoivent que notre action est paci­fique et bien­fai­sante. En Afrique, à la dif­fé­rence de l’Europe, la réa­li­té prend sou­vent le pas sur l’idéologie.

Le vrai prêtre, en sou­tane, est res­pec­té. Il ren­contre rare­ment l’hostilité. Souvent la conver­sa­tion s’engage sur des sujets reli­gieux dans les bureaux de l’administration, comme cette veille de Noël, où j’accompagnais un père de l’école de Libreville à la mai­rie, pour deman­der que la police fasse régner l’ordre dans la rue qui accède à l’école. L’adjoint au maire était absent, nous avons dis­cu­té avec les secré­taires et la conver­sa­tion s’est ache­vée lorsque les secré­taires, se sou­ve­nant des noëls de leur enfance, se sont mises à les chan­ter à tue-​tête, ameu­tant petit à petit les autres secré­taires de l’étage. Une autre fois, à la fin d’un rendez-​vous auprès d’un res­pon­sable des ter­rains de la ville en Afrique du Sud, ce der­nier a deman­dé la béné­dic­tion du prêtre et la réci­ta­tion d’une prière. Je l’ai alors béni et nous avons réci­té le Pater Noster dans son bureau.

Dans quelques pays, les dif­fi­cul­tés demeurent pour obte­nir les auto­ri­sa­tions, les visas de longs séjours. Ce sont de longues, très longues démarches auprès des ser­vices, qui ont un savoir-​faire impres­sion­nant pour vous apprendre la patience, la gen­tillesse, l’amabilité, en un mot le « self control », c’est ain­si que l’on dit chez vous : lors­qu’a­près de longues heures d’attente, la per­sonne der­rière son gui­chet vous ren­voie parce qu’il manque un papier, que votre dos­sier est per­du ou que l’heure de fer­me­ture est arri­vée. Ce n’est pas de l’hostilité à notre égard, tout le monde est au même régime. C’est comme ça, c’est l’Afrique : belle école de patience !

Q. Et les évêques dio­cé­sains, les trouvez-​vous aus­si hos­tiles à la Fraternité qu’en Europe (en France par exemple) ?

Avec les dio­cèses les rela­tions dépendent beau­coup de l’évêque. Nos rela­tions ne sont pas très fré­quentes ni très étroites, mais lors de cer­taines occa­sions, nous avons pu obser­ver la bien­veillance de plu­sieurs. Ainsi, l’évêque de Johannesburg a per­mis de faire véné­rer, au Prieuré de Roodepoort, les reliques insignes de sainte Thérèse de L’Enfant Jésus. Ce fut une belle fête, une source de grâce, au début de la retraite sacer­do­tale d’octobre 2010. L’évêque de Nairobi, au Kenya, a don­né son accord écrit pour l’installation de la Fraternité dans le pays, auto­ri­sa­tion indis­pen­sable pour obte­nir du gou­ver­ne­ment l’agrément d’ouverture du prieu­ré. A noter encore, l’accueil tou­jours ami­cal de l’évêque d’Oyem, au Gabon, lorsque nous fai­sons escale chez lui, en allant au Cameroun : il nous invite à sa table et, la der­nière fois, nous avons pris le petit déjeu­ner avec les prêtres du dio­cèse, venus en ses­sion de travail.

Les meilleurs des évêques et des prêtres voient bien que nous fai­sons du tra­vail sérieux, que nous sommes plei­ne­ment catho­liques. Bien sûr, la plu­part ne com­prennent pas notre atti­tude, ne connaissent pas les véri­tables rai­sons de notre résis­tance et de notre com­bat, ils sont sou­vent très modernes et rem­plis des idées fausses répan­dues dans l’Eglise aujourd’hui, mais rare­ment on ren­contre une hos­ti­li­té affichée.

Dans cer­tains pays, il semble que les réformes conci­liaires aient mis du temps à s’imposer, ain­si au Nigeria, la com­mu­nion dans la main n’a été per­mise qu’en 2008.

Les sémi­naires sont, paraît-​il, rem­plis mais quelle for­ma­tion reçoivent ces futurs prêtres ? Une for­ma­tion conci­liaire, avec l’enseignement de toutes les erreurs que nous combattons.

Il est bien à craindre que demain, les mêmes causes pro­duisent les mêmes effets. Comme en Europe, le moder­nisme ensei­gné par des prêtres mal for­més vide­ra les églises en Afrique. Petit à petit, c’est une consta­ta­tion géné­rale, les jeunes géné­ra­tions for­mée à cette doc­trine moder­niste et per­ver­ties par le maté­ria­lisme, perdent le sens de Dieu, désertent les églises et se laissent aller à tous les vices et para­dis arti­fi­ciels que pro­pose la socié­té moderne.

Q. Le tra­vail de la Fraternité en Afrique est-​il d’abord d’apporter aux catho­liques la foi tra­di­tion­nelle et les sacre­ments ou bien s’agit-il de déployer une acti­vi­té mis­sion­naire en faveur des non catholiques ? 

Notre action est mul­tiple. Elle s’adresse tout d’abord aux catho­liques qui nous ont appe­lés et puis natu­rel­le­ment les âmes viennent à nous. Ainsi, au Kenya, par­mi les caté­chu­mènes, l’un est le gar­dien embau­ché par les pères pour gar­der la mis­sion, un autre est arri­vé un jour à l’église et demande main­te­nant le bap­tême, un troi­sième a été ame­né par un ami… Les voies du Seigneur sont mul­tiples. Au Gabon, près de 6 000 bap­têmes ont été admi­nis­trés en 25 ans, du petit enfant qui vient de naître à ce vieillard sur son lit de mort dans sa pauvre mai­son de planches : il avait été ani­miste, puis musul­man, et quelques semaines avant sa mort, il eut la grâce de ren­con­trer une fidèle de la mis­sion, le prêtre après de courtes leçons de caté­chisme lui a don­né le bap­tême et l’a pré­pa­ré à mou­rir chrétiennement.

C’est sans doute une des belles conso­la­tions du mis­sion­naire que de voir com­ment le Bon Dieu attire les âmes de bonne volon­té, les conduit petit à petit sur le che­min du salut et leur per­met de ren­con­trer le prêtre qui va les conduire aux portes de l’Eglise pour les faire deve­nir enfants de Dieu par le Baptême.

Mais c’est aus­si une grande souf­france que de voir cer­tains qui, après avoir tra­ver­sé tant de dif­fi­cul­tés et pas­sé tant d’obstacles pour être régé­né­rés par l’eau du bap­tême sont empor­tés plus tard par les pas­sions et les ten­ta­tions et aban­donnent petit à petit la vie chré­tienne qu’ils avaient com­men­cée avec un si bel enthousiasme.

Q. Selon vous, le com­men­taire impru­dent du Saint Père (dans le récent livre d’entretien) à pro­pos du sida et de de l’usage du pré­ser­va­tif a‑t-​il eu un effet néga­tif sur la situa­tion en Afrique ?

Certainement les pro­pos du pape n’ont pas été sans consé­quences. Mais je ne crois pas qu’ils aient non plus fait un ravage. Lorsque la reli­gion catho­lique dis­pa­raît, la morale elle aus­si dis­pa­raît. Ainsi le divorce et la poly­ga­mie sont per­mis par la loi et donc lar­ge­ment répandus.

Depuis le concile Vatican II, l’Eglise perd son influence béné­fique : l’œcuménisme, la liber­té reli­gieuse ont fait un mal incroyable. Si toutes les reli­gions se valent pour­quoi se conver­tir, pour­quoi chan­ger de reli­gion ? Avec cette perte d’influence, le mariage chré­tien tend à dis­pa­raître, le concu­bi­nage devient mon­naie cou­rante et les nais­sances hors mariage sont légions. La famille est détruite, les enfants ne sont plus édu­qués avec toutes les consé­quences dra­ma­tiques qui en découlent pour la vie de la socié­té et la pros­pé­ri­té des pays.

Aussi les pro­pos du pape ne changent pas grand-​chose à une situa­tion déjà tel­le­ment dégradée.

Cependant, il faut noter que cer­tains gou­ver­ne­ments réagissent d’une façon saine. Ainsi, la por­no­gra­phie est inter­dite au Kenya et en Ouganda. Pour lut­ter contre le sida, « la mala­die » comme on l’appelle ici, véri­table fléau en Afrique, le gou­ver­ne­ment ougan­dais a fait réa­li­ser des cam­pagnes de publi­ci­té prê­chant la fidé­li­té dans le mariage pour évi­ter la pro­pa­ga­tion de la mala­die. Et il est prou­vé que l’Ouganda résiste mieux que les autres pays à « la mala­die », même si les Organisations inter­na­tio­nales ne veulent pas l’avouer.

Q. De quels pays viennent vos prêtres ? D’Europe ? D’Amérique ? Est-​ce un cler­gé natif d’Afrique ?

Les prêtres viennent de France (13), d’Australie (1), du Gabon (1), du Nigeria (1), des Etats Unis (1), du Zimbabwe(1), d’Autriche(1), des Philippines(1), de Belgique (1). C’est vrai­ment international !

Actuellement, la Fraternité compte 2 grands sémi­na­ristes afri­cain (l’un du Zimbabwe, l’autre du Kenya) dont l’un fait sa théo­lo­gie à Winona et l’autre à la Reja en Argentine. Nous avons quelques pré-​séminaristes dont trois sont déjà au sémi­naire de Goulburn en Australie.

D’autres frappent à la porte mais nous devons étu­dier chaque cas pour n’accepter que ceux qui vrai­ment pour­ront pour­suivre leurs études.

Ailleurs, dans d’autres prieu­rés de la Fraternité, il y a 4 prêtres afri­cains gabonais.

Dernièrement un deuxième prêtre du Nigeria, curé de paroisse, a deman­dé à rejoindre la Fraternité. Je dois le ren­con­trer dans quelques semaines. Il a sui­vi, l’an der­nier, une retraite prê­chée par le père Obih, son ami, et le père Vernoy, l’ancien supé­rieur de dis­trict. A cette occa­sion, il a repris défi­ni­ti­ve­ment la célé­bra­tion de la messe de Saint Pie V dans sa paroisse. Cette année, il a sui­vi à nou­veau la retraite et a déci­dé de nous rejoindre. Nous allons l’accueillir dans un prieu­ré pour un temps de pro­ba­tion comme le demande les sta­tuts de la Fraternité. Ce sera pour lui l’occasion de com­plé­ter sa for­ma­tion doc­tri­nale, de mieux connaître l’œuvre de Mgr Lefebvre et les rai­sons de notre combat.

Q. Quels sont les plus grands « chal­lenges » que la Fraternité ren­contre dans son tra­vail en Afrique ?

L’Afrique est un ter­ri­toire immense (3,3 fois la super­fi­cie des Etats Unis), avec un mil­liard d’habitants. Malheureusement, il n’y a que 145 à 150 mil­lions de catho­liques. Un habi­tant sur trois est musul­man. L’islam pro­gresse dans des pays qui, autre­fois, ne le connais­saient pas comme au Gabon (l’Islam est arri­vé dans les années 1960). A cet enne­mi irré­duc­tible du catho­li­cisme s’ajoute la forte pous­sée, sou­vent finan­cées par l’étranger, des sectes évan­gé­liques qui détachent de l’Eglise Catholique nombre de ses fidèles. C’est dire l’immense foule qui gît à l’ombre de la mort…

Le « chal­lenge » est tout tra­cé. Il faut com­battre et se don­ner entiè­re­ment à notre tâche pour conqué­rir ce conti­nent à Notre Seigneur. Il faut que Jésus Christ règne dans les cœurs des Africains, il faut qu’Il règne dans les socié­tés. C’est la condi­tion de la paix et de la pros­pé­ri­té. Pour qui suit l’actualité de cet immense conti­nent, il est effrayant de voir com­bien la guerre et la révo­lu­tion règnent qua­si­ment par­tout, com­bien la cor­rup­tion morale des élites détruit la vie éco­no­mique, com­bien souffrent les plus dému­nis, vic­times de ce désordre. Si les gou­ver­nants étaient sou­mis à Notre Seigneur et res­pec­taient ses com­man­de­ments, ces pays magni­fiques regor­geant de richesses, pour­raient être de véri­tables havres de paix et de bien-être.
On pour­rait déses­pé­rer : vou­loir chan­ger le monde, conver­tir tous ces peuples, n’est-ce pas une illu­sion ridi­cule, un idéa­lisme insen­sé ? Ne vaut-​il pas mieux se conten­ter de nos cha­pelles, de nos prieu­rés, de nos quelques mil­liers de fidèles ?

Une telle atti­tude n’est pas catho­lique. Si les apôtres avaient tenus de tels rai­son­ne­ments, Saint Thomas ne serait pas allé au fin fond des Indes, et aujourd’hui nous ne serions pas baptisés !

Nous avons la grâce de Dieu, elle est toute puis­sante et de pierres elle peut faire des fils d’Israël, alors, à plus forte rai­son d’hommes trom­pés par les fausses religions.

Nous connais­sons nos limites et par nous-​même nous ne pou­vons rien. Mais des prêtres tou­jours plus nom­breux démul­ti­plient le bien qui se fait. C’est pour cela que l’intuition de notre véné­ré fon­da­teur est magni­fique : pour conduire les foules à Jésus-​Christ, il faut des prêtres sanc­ti­fiés par la messe de tou­jours, et tou­jours plus de ces prêtres aux quatre coins du monde.

Avis aux jeunes gens qui nous lisent !

Aussi pour être pré­cis, le « chal­lenge » de la Fraternité Saint Pie X en Afrique est de for­mer des prêtres, de recher­cher les voca­tions, de les faire fruc­ti­fier et de conduire ces jeunes gens au sacer­doce, d’encourager un nombre tou­jours crois­sant de prêtres à nous rejoindre dans cette croi­sade pour le triomphe de Notre Seigneur, de sou­te­nir les quelques rares prêtres qui sont res­tés fidèles à la messe de toujours.

Q. Comment les lec­teurs du Remnant peuvent-​ils vous aider pour sou­te­nir votre apos­to­lat en Afrique ?

Auparavant, je vous remer­cie de l’honneur que vous me faites en me per­met­tant de pré­sen­ter la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X en Afrique dans votre jour­nal et je remer­cie les lec­teurs du Remnant de l’attention qu’ils ont por­té à notre entretien.

Ensuite, je les sais déjà très sol­li­ci­tés par toutes les œuvres qu’ils sou­tiennent et par ce com­bat pour le triomphe de l’Eglise Catholique dans leur pays, alors je leur demande sim­ple­ment la cha­ri­té de ne pas oublier dans leurs prières ces régions du monde plus délais­sées, plus mal­heu­reuses et de prier pour les prêtres qui tra­vaillent à y étendre le règne de Notre Seigneur Jésus-​Christ, seul prin­cipe de paix.

Si, en plus, ils peuvent nous aider maté­riel­le­ment par leurs aumônes et leurs dons, ce sera magnifique.

Notre pro­jet qui nous tient à cœur est la construc­tion d’un pré-​séminaire qui pour­ra aus­si ser­vir de novi­ciat pour les frères. Nous avons le ter­rain de 16 hec­tares à la sor­tie de Libreville en grande par­tie défri­chée, les routes y ont été tra­cées, un puits y a été creu­sé et l’électricité bran­chée, il manque sim­ple­ment les 700 000 $ qui per­met­traient de construire une mai­son de for­ma­tion pour une ving­taine de jeunes gens. Si Saint Joseph pou­vait par la main des bien­fai­teurs nous trou­ver cette somme, ce serait merveilleux… !

Quoiqu’il en soit notre recon­nais­sance est acquise à tous ceux qui pour­ront appor­ter leur petite brique à ce pro­jet, nous prions tous les jours le cha­pe­let à leur inten­tion, le Bon Dieu seul sau­ra leur rendre au centuple.

A tous merci.

Abbé Loïc Duverger – Bredell, Afrique du Sud

Merci à M. l’ab­bé Loïc Duverger, supé­rieur du District d’Afrique, pour son aimable
auto­ri­sa­tion de publier et à M. Brian McCall, du Remnant, pour ce magnifique
entre­tien sur l’a­pos­to­lat de la FSSPX

Notes de bas de page

  1. Mgr Lefebvre fut l’initiateur de la grande ency­clique de Pie XII fidei Donum (21 avril 1957), appe­lant des prêtres des vieilles chré­tien­tés à venir pas­ser quelques années en Afrique pour aider à faire face à un déve­lop­pe­ment magni­fique de ces jeunes chré­tien­tés. Ainsi de 1957 à 1981, près de 950 prêtres fran­çais ont répon­du à l’appel de l’encyclique.[]

FSSPX Assistant du District de France

M. l’ab­bé Loïc Duverger est actuel­le­ment l’Assistant du District de France de la FSSPX. Il a été aupa­ra­vant supé­rieur du District d’Afrique.