Entretien exclusif avec M. l’abbé Davide Pagliarani – Fécondité de la Croix

M. l’ab­bé Davide Pagliarani, Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X depuis le 11 juillet 2018, a accor­dé un entre­tien exclu­sif à La Porte Latine - le site offi­ciel du District de France de la FSSPX -, dans lequel il rap­pelle la fécon­di­té de la Croix pour les voca­tions et les familles.

Il insiste par­ti­cu­liè­re­ment sur la néces­si­té de gar­der l’authentique esprit du Fondateur, Mgr Marcel Lefebvre, « esprit d’amour pour la foi et pour la véri­té, pour les âmes, pour l’Eglise », face à la récente cano­ni­sa­tion de Paul VI et à la pro­mo­tion de la syno­da­li­té dans l’Eglise.

La Porte Latine Voici main­te­nant cinq mois que vous avez été élu Supérieur Général de la Fraternité Saint Pie X, pour un man­dat de douze ans. Ces cinq mois vous ont cer­tai­ne­ment per­mis de faire un pre­mier tour d’horizon de l’œuvre fon­dée par Mgr Lefebvre, venant com­plé­ter votre expé­rience per­son­nelle déjà riche. En retirez-​vous une pre­mière impres­sion géné­rale, en dégagez-​vous des pre­mières prio­ri­tés pour les années à venir ?

La Fraternité est une œuvre de Dieu et plus on la découvre, plus on l’aime. Deux choses me sai­sissent le plus dans cette décou­verte. D’abord, le carac­tère pro­vi­den­tiel de la Fraternité : elle est le résul­tat des choix et des déci­sions d’un saint gui­dé uni­que­ment par une pru­dence sur­na­tu­relle et « pro­phé­tique », dont on appré­cie encore plus la sagesse au fur et à mesure que les années s’écoulent et que la crise de l’Eglise s’aggrave. Ensuite, j’ai pu consta­ter encore une fois que nous ne sommes pas des pri­vi­lé­giés épar­gnés : le Bon Dieu sanc­ti­fie tous nos membres et nos fidèles, par les échecs, les épreuves, les décep­tions, en un mot par la croix et non par d’autres moyens.

Les vocations viennent des foyers où l’on ne respire pas l’amertume ni la critique envers les prêtres

La Porte LatineAvec 65 nou­veaux sémi­na­ristes cette année, la Fraternité détient son record d’en­trées dans ses sémi­naires depuis trente ans. Vous avez été vous-​même direc­teur du sémi­naire de La Reja (Argentine) pen­dant près de six ans. Comment comptez-​vous favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment de voca­tions tou­jours plus nom­breuses et plus solides ?

Je suis per­sua­dé que la vraie solu­tion pour aug­men­ter le nombre de voca­tions et leur per­sé­vé­rance ne réside pas en pre­mier lieu dans des moyens humains et pour ain­si dire « tech­niques », tels que bul­le­tins, tour­nées apos­to­liques ou publi­ci­té. Tout d’abord, une voca­tion a besoin pour éclore d’un foyer où l’on aime Notre-​Seigneur, sa Croix et son sacer­doce ; un foyer où l’on ne res­pire pas l’amertume ni la cri­tique envers les prêtres. C’est par osmose, au contact de parents véri­ta­ble­ment chré­tiens et de prêtres pro­fon­dé­ment impré­gnés de l’esprit de Notre-​Seigneur, qu’une voca­tion s’éveille. C’est à ce niveau-​là qu’il faut conti­nuer à tra­vailler de toutes nos forces. Une voca­tion n’est jamais le résul­tat d’un rai­son­ne­ment spé­cu­la­tif ni d’une leçon qu’on a reçue et avec laquelle on est intel­lec­tuel­le­ment d’accord. Ces élé­ments peuvent aider à répondre à l’appel de Dieu, seule­ment à condi­tion de suivre ce que nous avons dit précédemment.

La Porte Latine – Le 14 octobre der­nier, le pape François a cano­ni­sé le pape qui a signé de sa main tous les docu­ments de Vatican II, le pape de la nou­velle messe, le pape dont le pon­ti­fi­cat a été mar­qué par les 80 000 prêtres qui ont aban­don­né leur sacer­doce. Que vous ins­pire cette canonisation ? 

Cette cano­ni­sa­tion1 doit nous ins­pi­rer une réflexion pro­fonde, au-​delà de l’émotion média­tique qui a duré quelques heures et qui ne laisse aucune trace pro­fonde ni chez ses par­ti­sans, ni chez ses adver­saires. Au contraire, après quelques semaines, cette seule émo­tion risque de trans­for­mer tous en indif­fé­rents. Nous devons prendre garde à ne pas tom­ber dans ces pièges.

D’abord, il me semble assez évident qu’avec les béa­ti­fi­ca­tions ou cano­ni­sa­tions de tous les papes récents à par­tir de Jean XXIII, on a essayé de « cano­ni­ser » d’une cer­taine manière le Concile, la nou­velle concep­tion de l’Eglise et de la vie chré­tienne que le Concile a éta­blie et que tous les papes récents ont promue.

C’est un phé­no­mène inédit dans l’histoire de l’Eglise. Ainsi, l’Eglise post-​tridentine n’a jamais son­gé à cano­ni­ser tous les papes sans dis­tinc­tion de Paul III à Sixte V. Elle n’a cano­ni­sé que saint Pie V et cela, non en rai­son de ses seuls liens avec le concile de Trente ou son appli­ca­tion, mais en rai­son de sa sain­te­té per­son­nelle, pro­po­sée comme modèle à toute l’Eglise et mise au ser­vice de l’Eglise en tant que pape.

Le phé­no­mène auquel nous assis­tons actuel­le­ment nous fait plu­tôt pen­ser au chan­ge­ment de nom des places prin­ci­pales et des bou­le­vards, à la suite d’une révo­lu­tion ou d’un chan­ge­ment de régime.

Mais il faut lire cette cano­ni­sa­tion aus­si à la lumière de l’état pré­sent de l’Eglise, car l’empressement à cano­ni­ser les papes du Concile est un phé­no­mène rela­ti­ve­ment récent et il a connu son expres­sion la plus mani­feste avec la cano­ni­sa­tion presque immé­diate de Jean-​Paul II.

Cette déter­mi­na­tion à « faire vite » mani­feste une fois de plus la fra­gi­li­té dans laquelle l’Eglise issue du Concile se trouve actuel­le­ment. Que l’on veuille l’admettre ou non, le Concile est consi­dé­ré comme dépas­sé par toute une aile ultra-​progressiste et pseudo-​réformatrice. Je pense, par exemple, à l’épiscopat alle­mand. Et d’un autre côté, les plus conser­va­teurs sont ame­nés à consta­ter, par la force des choses, que le Concile a déclen­ché un pro­ces­sus condui­sant l’Eglise à une sté­ri­li­té gran­dis­sante. Face à ce pro­ces­sus qui semble irré­ver­sible, il est nor­mal que la hié­rar­chie actuelle essaye de redon­ner, au moyen de ces cano­ni­sa­tions, une cer­taine valeur au Concile, qui puisse frei­ner la ten­dance inexo­rable des faits concrets.

Pour reve­nir à une ana­lo­gie avec la socié­té civile, chaque fois qu’un régime est en crise et qu’il en prend conscience, il essaye de faire redé­cou­vrir la Constitution du pays, sa sacra­li­té, sa péren­ni­té, sa valeur trans­cen­dante… Or c’est en réa­li­té le signe que tout ce qui est issu de cette Constitution et qui se fonde sur elle, est en péril de mort et qu’il faut essayer de le sau­ver par tous les moyens pos­sibles. L’histoire prouve que ces mesures sont géné­ra­le­ment insuf­fi­santes pour redon­ner vie à ce qui a fait son temps.

Il n’y a que la Fraternité qui pourra aider l’Eglise, en rappelant qu’elle est une monarchie et non une assemblée moderne chaotique

La Porte Latine – Voici trois ans (le 17 octobre 2015), le pape François pro­non­çait un impor­tant dis­cours pour pro­mou­voir la « syno­da­li­té » dans l’Eglise, y invi­tant les évêques à être désor­mais « à l’écoute de Dieu jusqu’à entendre avec lui le cri du Peuple, et à écou­ter le peuple jusqu’à y res­pi­rer la volon­té à laquelle Dieu nous appelle ». Selon ses propres dires (dis­cours du 25/​11/​2017), c’est en s’appuyant sur cette nou­velle syno­da­li­té qu’il a édic­té les nou­velles lois sim­pli­fiant les pro­cé­dures de nul­li­té de mariage, ou encore qu’il a écrit Amoris Laetitia à la suite du synode sur la famille. Reconnaissez-​vous en cela la voix de l’Esprit-Saint ? Que pouvez-​vous nous dire de cette nou­velle expres­sion dont usent aujourd’hui les auto­ri­tés de l’Eglise ?

Le débat cyclique sur la syno­da­li­té n’est rien d’autre que la pro­jec­tion dans l’après-concile de la doc­trine conci­liaire sur la col­lé­gia­li­té et des pro­blèmes qu’elle a créés à l’Eglise.

De fait, on en parle très sou­vent, même dans des débats qui ont un autre objec­tif ou d’autres thèmes à trai­ter. Je pense, par exemple, au der­nier synode sur la jeu­nesse où le sujet a été évo­qué pour la énième fois. Cela mani­feste que la hié­rar­chie n’a pas encore trou­vé une solu­tion satis­fai­sante et cela est inévi­table, du moment que le pro­blème est insoluble.

En effet, la col­lé­gia­li­té met l’Eglise dans une situa­tion per­ma­nente de quasi-​concile, avec l’utopie de pou­voir gou­ver­ner l’Eglise uni­ver­selle avec la par­ti­ci­pa­tion de tous les évêques du monde. Cela a pro­vo­qué, de la part des confé­rences épis­co­pales natio­nales, une reven­di­ca­tion de décen­tra­li­sa­tion sys­té­ma­tique et insa­tiable, qui n’aura jamais de terme. On est devant une sorte de lutte de classes de la part des évêques, ce qui a pro­duit, dans cer­taines confé­rences épis­co­pales, un esprit que l’on pour­rait défi­nir de pré-​schismatique. Je pense encore ici à l’épiscopat alle­mand, qui offre bien l’exemple de toutes les défor­ma­tions actuelles. Rome est dans une impasse. D’un côté, vis-​à-​vis des épis­co­pats natio­naux, elle doit essayer de sau­ver quelque peu son auto­ri­té minée. De l’autre, elle ne peut pas renon­cer à la doc­trine conci­liaire, ni à ses consé­quences, sans mettre en dis­cus­sion l’autorité du Concile et par consé­quent le fon­de­ment de l’ec­clé­sio­lo­gie actuelle. De fait tout le monde conti­nue à mar­cher dans le même sens, quoiqu’à des vitesses différentes.

Les débats qui se pour­suivent mani­festent ce malaise latent, et sur­tout le fait que cette doc­trine révo­lu­tion­naire est fon­ciè­re­ment contraire à la nature monar­chique de l’Eglise. On ne pour­ra jamais trou­ver de solu­tion satis­fai­sante, tant que l’on ne la rejet­te­ra pas définitivement.

C’est para­doxal, mais il n’y a que la Fraternité qui pour­ra aider l’Eglise, en rap­pe­lant aux papes et aux évêques que Notre-​Seigneur a fon­dé une Eglise monar­chique et non pas une assem­blée moderne chao­tique. Le jour arri­ve­ra où ce mes­sage sera écou­té. Pour l’instant, c’est notre devoir de gar­der ce sens pro­fond de l’Eglise et de sa hié­rar­chie, mal­gré le champ de bataille et les ruines que nous avons sous les yeux.

La Porte Latine – Comment l’Eglise pourrait-​elle cor­ri­ger les erreurs du Concile ? Après cin­quante ans, est-​ce réa­liste de pen­ser ainsi ?

D’un point de vue pure­ment humain, il n’est pas réa­liste de pen­ser ain­si, car nous avons devant nous une Eglise com­plè­te­ment réfor­mée, dans tous les aspects de sa vie, sans excep­tion. C’est une nou­velle concep­tion de la foi et de la vie chré­tienne qui a engen­dré de façon cohé­rente une nou­velle manière de conce­voir l’Eglise et d’y vivre au quo­ti­dien. Humainement, reve­nir en arrière est impossible.

Mais nous oublions peut-​être trop sou­vent que l’Eglise est fon­ciè­re­ment divine, quoiqu’elle s’incarne en des hommes et dans l’histoire des hommes. Un jour, un pape, contre toute attente et contre tout cal­cul humain, repren­dra les choses en mains et tout ce qu’il y a à cor­ri­ger sera cor­ri­gé, car l’Eglise est divine et Notre-​Seigneur ne l’abandonne pas. De fait, il ne dit pas autre chose, lorsqu’Il pro­met solen­nel­le­ment que « les portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas contre elle » (Mt 16, 18). L’éclat de la divi­ni­té de l’Eglise sera d’autant plus fort qu’actuellement la situa­tion paraît irréversible.

La Porte Latine – Cette année 2018 fut celle du tren­tième anni­ver­saire des sacres épis­co­paux confé­rés à Ecône par Mgr Lefebvre, véri­table opé­ra­tion « sur­vie de la Tradition ». Estimez-​vous que cette opé­ra­tion était par nature unique, et qu’elle a aus­si été un suc­cès en ce sens qu’aujourd’hui, des évêques acceptent de confé­rer les ordi­na­tions et les confir­ma­tions dans le rite tra­di­tion­nel, ou estimez-​vous que, les années pas­sant, de nou­veaux sacres risquent de devoir être envisagés ?

L’avenir de la Fraternité est dans les mains de la Providence. C’est à nous d’en dis­cer­ner les signes, de la même manière que notre Fondateur l’a fait, fidè­le­ment, sans jamais vou­loir ni devan­cer la Providence, ni l’ignorer. Nous avons là la plus belle leçon de Mgr Lefebvre, et beau­coup de ceux qui ne l’ont pas com­prise en son temps peu à peu sont reve­nus sur leur jugement.

Le véritable esprit de notre Fondateur : un esprit d’amour pour la foi et pour la vérité, pour les âmes, pour l’Eglise, dans un esprit de charité authentique entre membres

La Porte Latine Le District de France est le plus ancien et le plus impor­tant même s’il est d’ores-et-déjà « talon­né » par celui des USA. Quelles sont les prio­ri­tés humaines, maté­rielles ou apos­to­liques que vous avez fixées à son nou­veau supé­rieur, M. l’abbé Benoît de Jorna, qui a été pen­dant 22 ans le Directeur du sémi­naire d’Ecône ?

Toutes les prio­ri­tés peuvent se résu­mer en très peu de mots. Le nou­veau supé­rieur de District a la tâche très belle de veiller à ce que l’on garde dans toutes nos mai­sons et chez tous les membres de la Fraternité le véri­table esprit que notre Fondateur nous a légué : un esprit d’amour pour la foi et pour la véri­té, pour les âmes, pour l’Eglise, et sur­tout ce qui découle de tout cela, un esprit de cha­ri­té authen­tique entre les membres. Dans la mesure où nous gar­dons cet esprit, nous aurons une bonne influence sur les âmes, et la Fraternité atti­re­ra encore de nom­breuses vocations.

La Porte Latine Beau et enthou­sias­mant pro­gramme que voi­là ! Mais il fau­dra aus­si que les fidèles s’y asso­cient plei­ne­ment. Vous les avez vus venir par mil­liers au récent pèle­ri­nage de Lourdes au cours duquel vous avez célé­bré la messe solen­nelle du dimanche du Christ-​Roi. Que leur demandez-​vous ? Que leur proposez-vous ?

J’ai été pro­fon­dé­ment tou­ché en voyant à Lourdes des pèle­rins de tout âge et, en par­ti­cu­lier, beau­coup de familles et d’enfants. Ce pèle­ri­nage est vrai­ment remar­quable et aus­si très signi­fi­ca­tif. Il nous rap­pelle que l’avenir de l’Eglise et des voca­tions se trouve dans les familles où les parents ont plan­té la Croix de Notre-​Seigneur. En effet, c’est seule­ment la Croix de Notre-​Seigneur et la géné­ro­si­té qui en découle, qui pro­duit des familles nom­breuses. Devant notre socié­té égoïste et apos­tate, châ­tiée par sa propre sté­ri­li­té, il n’y pas de témoi­gnage plus noble et plus pré­cieux que celui d’une jeune mère entou­rée d’une cou­ronne d’en­fants. Le monde peut choi­sir de ne pas écou­ter nos ser­mons, mais il ne peut pas s’empêcher de voir ce spec­tacle. Et cela aus­si repré­sente la Fraternité. En fin de compte, c’est le même idéal de la Croix – je le répète encore – qui fait qu’une âme se consacre au Bon Dieu et qui fait qu’une mère se consacre géné­reu­se­ment et sans réserve à l’é­du­ca­tion et sanc­ti­fi­ca­tion de tous les enfants que la Providence veut lui confier.

Enfin, ce pèle­ri­nage nous rap­pelle aus­si et sur­tout que toute renais­sance ne pour­ra se faire que sous le man­teau de la Très Sainte Vierge car, dans le désert actuel, il n’y a aucun lieu au monde qui conti­nue à atti­rer les âmes autant que Lourdes.

Aux fidèles de France, je dis très sim­ple­ment ceci : n’oubliez pas que ceux qui vous ont pré­cé­dés ont été des com­bat­tants et des croi­sés, miles Christi, et que la bataille actuelle pour la défense de la foi et de l’Eglise est sans doute la plus impor­tante que l’histoire ait jamais connue.

Bonne et Sainte Année 2019 !

La Porte Latine Merci Monsieur la Supérieur Général, d’a­voir répon­du aux ques­tions que se posent les mil­liers de lec­teurs quo­ti­diens des sites de la FSSPX qui sont un moyen d’a­pos­to­lat moderne, qui sont très visi­tés et très sui­vis aus­si par les « com­mu­ni­cants » du Vatican…

Sources : La Porte Latine du 28 décembre 2018

  1. Voir le com­mu­ni­qué de la Maison Générale du 13 octobre 2018 : Au sujet de la scan­da­leuse cano­ni­sa­tion de Paul VI []

Supérieur Général FSSPX

M. l’ab­bé Davide Pagliarani est l’ac­tuel Supérieur Général de la FSSPX élu en 2018 pour un man­dat de 12 ans. Il réside à la Maison Générale de Menzingen, en Suisse.