Retraite inouïe dans les Pays Baltes – Témoignage de l’abbé Karl Stehlin

Retraite inouïe dans les Pays Baltes
Extrait de Fideliter n° 187 de janvier-​février 2009

Si la Lettonie et l’Estonie consti­tuent des États dis­tincts de la Russie, les prêtres qui, au nom de la Fraternité, assurent l’a­pos­to­lat dans ces pays, sont les mêmes. Le récit très encou­ra­geant qu’on va lire ci-​dessous relate deux retraites spi­ri­tuelles prê­chées à des pas­teurs pro­tes­tants. Une page épique du tra­vail de la grâce.

Les bonnes rela­tions qu’un pas­teur luthé­rien d’Estonie entre­te­nait avec nous, prêtres de la Fraternité et du prieu­ré de Kaunas, étaient déjà anciennes. Et cepen­dant, rien ne lais­sait soup­çon­ner l’i­ni­tia­tive que ce pas­teur pren­drait un jour. Rien, si ce n’est l’in­té­rêt que celui-​ci mani­fes­tait pour l’en­sei­gne­ment tra­di­tion­nel de l’Église catholique.

Ce pas­teur luthé­rien nous sur­prit donc, et nous sur­prit agréa­ble­ment, lors­qu’il nous invi­ta à prê­cher une retraite à quelques-​uns de ses col­lègues en Estonie. Nous dîmes aus­si­tôt oui, et je me ren­dis donc, au jour fixé, à l’en­droit pré­vu pour accueillir les retraitants.

Et quel endroit ! Un pres­by­tère luthé­rien. Lieu dans lequel un prêtre de la Tradition catho­lique allait prê­cher les exer­cices de saint Ignace de Loyola à des âmes séduites par la doc­trine de Luther !

Les retrai­tants n’é­taient, certes, pas nom­breux : sept en tout. Nous étions à la cam­pagne. L’église du vil­lage datait du xiiie siècle. On était au mois de novembre 2007.

Je com­men­çai donc ma pré­di­ca­tion, et annon­çai à tous, dès le pre­mier jour, que nous réci­te­rions tous les soirs le cha­pe­let. L’un des pas­teurs, venu quant à lui de Lettonie, mon­tra du mécon­ten­te­ment, et le jus­ti­fia en rap­pe­lant les argu­ments les plus habi­tuels que l’on oppose à la dévo­tion mariale dans l’Église catho­lique. Je lui répon­dis en dépo­sant dans ses mains un beau cha­pe­let, et en repre­nant les paroles de saint Louis-​Marie Grignion de Montfort : « Après tout, lorsque vous direz le cha­pe­let, vous ne ferez que réci­ter cin­quante fois une prière très biblique, dont le centre n’est autre que Jésus. Car l’Ave maria culmine par ces mots : « Jésus. est béni. » »

« J’ai trouvé l’Immaculée ! »

Étonné, le pas­teur accep­ta et le cha­pe­let et le prin­cipe de prier ain­si. La retraite se pas­sa fort bien, et se ter­mi­na par de beaux fruits de rap­pro­che­ment de plu­sieurs de ces pas­teurs avec la doc­trine tra­di­tion­nelle de l’Église. Quant au pas­teur let­ton dont je viens de par­ler, il s’é­cria devant tous, à la fin de la retraite : « J’ai trou­vé ma Mère ! J’ai trou­vé l’Immaculée ! Une des plus grandes grâces de ma vie ! » « Bon, me disais-​je, ô Immaculée, si c’est comme ça, vous le pren­drez en main. »

Par la suite, je per­dis contact avec lui. Ses confrères pas­teurs d’Estonie, qui avaient sui­vi la retraite, et avec les­quels j’eus des ren­contres par la suite, ne sur­ent pas trop me dire ce que leur col­lègue de Lettonie était devenu.

Grand silence, par consé­quent. jus­qu’au 11 jan­vier dernier.

Je reçus en effet, ce jour­là, un mes­sage de notre pas­teur let­ton. Encore tou­ché par la retraite qu’il avait sui­vie en Estonie, il me deman­dait si je ne pour­rais pas en prê­cher une nou­velle, tou­jours pour des pas­teurs luthé­riens, cette fois en Lettonie ! Il se fai­sait fort d’in­vi­ter ses confrères, et insis­tait pour que la retraite fût selon les exer­cices de saint Ignace, parce qu’elle reprend dure­ment le pro­tes­tan­tisme et qu’on n’y trouve pas de paroles vides.

Il fal­lait bien enten­du répondre à cette invi­ta­tion. J’étais tout de même un peu inquiet, car mon cor­res­pon­dant m’an­non­çait que ses col­lègues, pas­teurs en Lettonie, n’é­taient pas autant « cryp­to­ca­tho­liques » que ceux aux­quels j’a­vais appor­té l’Évangile en Estonie, et que dans la retraite à venir il fau­drait s’at­tendre à de nom­breuses contro­verses. « Si c’est le cas, me disais-​je, les retrai­tants ne seront guère nom­breux : trois ou quatre, peut-être. »

Je débar­quai, à la fin du mois d’a­vril 2008, à l’aé­ro­port de Riga. Première sur­prise : le « curé » de la cathé­drale luthé­rienne vint en per­sonne me cher­cher. il m’a­me­na dans une paroisse très ancienne, au fin fond du pays. Deuxième sur­prise : dix-​neuf par­ti­ci­pants venaient écou­ter la retraite. On comp­tait sept laïcs, onze pas­teurs luthé­riens, et même « l’ar­che­vêque » luthé­rien de Riga, patron de tous les luthé­riens de Lettonie !

Luthériens face à saint Ignace

Le pas­teur let­ton qui orga­ni­sait la retraite m’ac­cueillit dans la mai­son de retraite. Il tenait dans sa main le cha­pe­let que je lui avais offert en novembre 2006, et me dit : « Voyez, je suis res­té fidèle à « elle ». Tous les jours je dis le cha­pe­let, source de grâces pour ma vie per­son­nelle et pour mon apos­to­lat. » « Vos voies sont admi­rables, ô Immaculée » pensai-je.

Je leur prê­chai donc une retraite entière de cinq jours. Les retrai­tants se réunis­saient le matin pour dire Laudes, le soir pour Vêpres et la nuit pour Complies. Autant que je pus com­prendre leur prière, ils uti­li­saient un bré­viaire béné­dic­tin en langue let­ton­nienne. Ils célé­braient éga­le­ment chaque jour leur litur­gie, qui a des res­sem­blances avec le Novus Ordo Missæ, bien que le célé­brant soit, à l’au­tel, tour­né vers Dieu et que la com­mu­nion soit dis­tri­buée à genoux. Accueilli dans cette mai­son, l’or­ga­ni­sa­tion étant prise en charge par les pas­teurs qui m’in­vi­taient, j’observais.

Il est inté­res­sant de savoir que « l’Église » luthé­rienne de Lettonie est consi­dé­rée comme la plus conser­va­trice des com­mu­nau­tés luthé­riennes du monde. Ses dis­ciples pré­tendent avoir la suc­ces­sion apos­to­lique (l’Église catho­lique ne la recon­naît pas, en réa­li­té). La plu­part des luthé­riens de Lettonie consi­dèrent la prê­trise comme un sacre­ment, et pensent donc que leurs pas­teurs célèbrent vali­de­ment la messe. Au demeu­rant, leurs connais­sances sont assez confuses car, sur de nom­breux points de doc­trine, la clar­té manque chez eux.

Controverses

Je pro­fi­tais des ins­truc­tions que je déli­vrais pour expo­ser dans le détail les points de doc­trine de contro­verse. Je m’at­tar­dais tout spé­cia­le­ment sur la très sainte Vierge Marie, la Tradition comme source de la Révélation, le Magistère de l’Église et le saint sacri­fice. Pendant les temps libres, j’é­tais fré­quem­ment visi­té. Cinq pas­teurs, sur les onze, venaient me voir régu­liè­re­ment. Ils me ques­tion­naient sur la doc­trine, la vie morale et la vie spi­ri­tuelle. Lorsque je célé­brais la messe, quel­que­suns y assis­taient – deux ou trois – et la sui­vaient avec un très grand intérêt.

Plusieurs priaient le cha­pe­let en privé.

Quant à « l’ar­che­vêque » luthé­rien, il ne vint jamais me voir. Toutefois, il pre­nait des notes, pen­dant les ins­truc­tions, sur un petit ordi­na­teur qu’il avait appor­té. A la fin de la retraite, il m’as­su­ra avoir ain­si com­po­sé quarante-​cinq pages.

Lorsque les Exercices furent ter­mi­nés, cha­cun des par­ti­ci­pants appor­ta son témoi­gnage, comme on le fait, du reste, dans presque toutes les cir­cons­tances de ce genre.

Les inter­ven­tions furent vrai­ment émou­vantes. L’un des retrai­tants remer­cia pour les expli­ca­tions don­nées sur le rôle de la sainte Vierge dans la vie chré­tienne. Un autre expri­ma sa gra­ti­tude pour l’ex­po­si­tion claire que j’a­vais tâché d’ap­por­ter sur la doc­trine du saint sacri­fice. Tous étaient pro­fon­dé­ment heu­reux d’a­voir entre­vu une véri­table direc­tion pour la vie spi­ri­tuelle, sur­tout en matière d’o­rai­son et de lec­ture de la sainte Écriture.

Quelques-​uns, de façon confi­den­tielle, m’ex­pri­mèrent leur grand désir de se conver­tir et d’exer­cer leur minis­tère comme prêtres catho­liques. Certains remer­ciaient leur pré­di­ca­teur des éclai­rages que je leur avais appor­tés sur la crise de l’Église et les dan­gers de l’oecuménisme.

L’oecuménisme contre la conversion

Une ques­tion me brû­lait les lèvres. Pourquoi s’étaient-​ils ain­si adres­sés à un prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X ? Leur réponse me stu­pé­fia : avec les catho­liques « offi­ciels », on ne peut avoir que des ren­contres oecu­mé­niques. Elles consistent à échan­ger de nom­breuses paroles vides, et donnent l’im­pres­sion que les catho­liques veulent faire tout pour plaire aux pro­tes­tants. Or, ce n’est pas ce que cherchent ces luthé­riens. Ils dési­rent la lumière sur de nom­breux points qui, dans leur confes­sion, sont ou bien confus ou bien contra­dic­toires entre eux. Seul, m’avouaient-​ils, un catho­lique de Tradition est capable de pro­fes­ser la doc­trine catho­lique sans ambages, sans belles paroles mais en trans­met­tant sim­ple­ment ses convictions.

Finalement « l’ar­che­vêque » prit la parole devant tous :

« A tous mes pas­teurs, au plus grand nombre de fidèles pos­sible, il faut appor­ter cette retraite de saint Ignace. Elle trans­forme l’homme en quelques jours. Je ferai tout pour faire prê­cher ces Exercices apos­to­liques. Rien n’est plus néces­saire, comme anti­dote contre le monde moderne et la perte de la foi. » 

J’en étais là de mes éba­his­se­ments lorsque l’ar­che­vêque me condui­sit per­son­nel­le­ment à Riga. Le temps était venu pour moi de repar­tir. Les trois heures de tra­jet, dans la voi­ture, furent occu­pées par une conver­sa­tion por­tant sur des points divers de la doc­trine chré­tienne. Il me condui­sit chez lui, où nous prîmes une petite col­la­tion. Puis nous allâmes à l’aé­ro­port. Il por­ta lui­même mes bagages jus­qu’à l’enregistrement.

Avant de me dire adieu, il me deman­da de reve­nir, de prê­cher de nou­veau cette retraite à un nombre plus éle­vé de pas­teurs et de luthériens.

De retour au prieu­ré, je reçus, deux semaines plus tard, les remer­cie­ments du pas­teur let­ton qui m’a­vait invi­té. Il me remer­cia encore pour ces jours de grâces.

J’appris, de sa bouche même, qu’un des par­ti­ci­pants laïcs s’é­tait, après la retraite, conver­ti au catho­li­cisme. Comme la Fraternité Saint-​Pie X n’est pas connue en Lettonie, ce retrai­tant s’est adres­sé à un prêtre « conser­va­teur », qui l’a reçu au sein de l’Église.

Les pas­teurs qui avaient sui­vi la retraite deman­daient, de leur côté, qu’on leur envoyât des livres catho­liques écrits en letton.

Il faut recon­naître que ces livres sont peu nom­breux. Même les clas­siques de la spi­ri­tua­li­té catho­lique sont ou bien dif­fi­ciles ou bien impos­sibles à trou­ver dans ce pays. Il fau­drait donc se mettre à l’é­di­tion, en let­ton, de l’Apologétique et de l’ex­pli­ca­tion de la messe tra­di­tion­nelle ain­si que de la lit­té­ra­ture mariale.

Apostolat immense

Pour conclure, je dois dire que j’ai rare­ment ren­con­tré un audi­toire de retrai­tants si atten­tif et appli­qué, avec une grande fer­veur et une recherche sin­cère de la véri­té. Quel crime, alors, que ce faux oecu­mé­nisme tou­jours ambiant qui ferme la porte aux gens de bonne volon­té, et qui donne aux non catho­liques une image par­fai­te­ment fausse de l’Église catholique !

Imaginez donc : ces pas­teurs ont un grand désir de sau­ver les âmes, leurs églises ne sont pas encore aus­si vides que celles des libé­raux catho­liques ou des pro­tes­tants. Ils dési­rent être de bons pas­teurs pour les âmes, ces mil­liers de per­sonnes qui sont, comme la retraite le prouve, éga­le­ment ouverts à la vraie doc­trine et à la vraie spi­ri­tua­li­té. Mais l’Église catho­lique offi­cielle leur inter­dit pra­ti­que­ment la conver­sion. Nous tou­chons ici au mys­tère de l’i­ni­qui­té le plus profond.

Que faire à pré­sent ? Pouvoir être plus pré­sent dans ces pays serait tel­le­ment impor­tant. Or, nous n’a­vons qu’une toute petite cha­pelle dans la capi­tale de l’Estonie. Elle est visi­tée deux fois par mois par un prêtre de notre prieu­ré. Cette cha­pelle a cepen­dant un cer­tain ave­nir, car elle réunit quelques jeunes familles, en tout qua­rante per­sonnes. Quant à la Lettonie, il y a dans ce pays un prêtre ami uniate, chez qui nous réunis­sons irré­gu­liè­re­ment quelques per­sonnes du rit latin pour leur dire la messe tra­di­tion­nelle. Notre rêve est de pou­voir ouvrir une cha­pelle à Riga et de béné­fi­cier d’un prêtre qui pour­rait visi­ter régu­liè­re­ment ces pays afin de com­men­cer un apos­to­lat sérieux. Pour le moment, nous n’a­vons ni prêtres ni moyens. Mais, après tout, lorsque nous avons com­men­cé l’a­pos­to­lat en Europe de l’Est, le nombre de prêtres était deux, et le nombre de moyens « s’é­le­vait » à zéro ! Or, aujourd’­hui nous comp­tons deux prieu­rés, dix prêtres, dix cha­pelles en Pologne, deux en Lituanie, une en Biélorussie, celle dont je viens de par­ler en Estonie, sans comp­ter les rela­tions que nous entre­te­nons avec la Fraternité Saint-​Josaphat en Ukraine.

Voilà la preuve que, lorsque les hommes ne trouvent pas de solu­tions à leurs dif­fi­cul­tés, il y a tou­jours une per­sonne qui la trouve, qui connaît l’is­sue, et vers celle-​là nous nous tour­nons. Elle, qui écrase la tête du ser­pent, qui « a vain­cu toutes les héré­sies sur toute la terre », elle aura pitié des cris des âmes « dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort ». Comment, quand, avec qui et avec quoi ? Elle seule le sait.

A nous de deman­der le miracle.

Abbé Karl Stehlin, Supérieur de la Maison auto­nome des Pays de l’Est

Merci à Fideliter n° 187 pour ce magni­fique et exal­tant repor­tage sur une retraite « inouïe » !