La finalité du vêtement

Abbé Pascal Lorber – Août 2007

Certaines per­sonnes s’of­fusquent parce que l’Église nous impose des règles ves­ti­men­taires. « L’Église doit s’oc­cu­per du salut des âmes, clament-​elles. Les ques­tions ves­ti­men­taires ne la concernent pas. » C’est oublier un peu rapi­de­ment que la nature humaine est com­po­sée de l’u­nion du corps et de l’âme. La manière de vêtir le corps aura donc des consé­quences sur la vie de l’âme.

Pour bien com­prendre le sens des pres­crip­tions de l’Église, il faut faire un peu de phi­lo­so­phie et de théo­lo­gie et com­men­cer par se poser la ques­tion : « Pourquoi le vêtement ? »
Le livre de la Genèse (II, 25) nous dit que, au para­dis ter­restre, « Adam et sa femme étaient nus tous deux, sans en avoir honte ».

Leurs corps étaient enno­blis et comme irra­diés par la Présence divine. « Adam lui-​même n’é­tait pas nu, dit saint Ambroise, puisque l’in­no­cence le revê­tait. » Et saint Jean Chrysostome ajoute : « La grâce céleste les cou­vrait comme d’un splen­dide vête­ment. »

Adam et Ève avaient reçu de Dieu non seule­ment des dons sur­na­tu­rels (la grâce sanc­ti­fiante, les ver­tus infuses, les dons du Saint Esprit), mais aus­si des dons pré­ter­na­tu­rels qui per­fec­tion­naient encore leur nature : l’im­mor­ta­li­té, l’im­pas­si­bi­li­té, la science infuse et l’intégrité.

Or, le péché ori­gi­nel leur a fait perdre tous ces cadeaux du Bon Dieu. C’est la com­pré­hen­sion de la dif­fé­rence qui en a résul­té qui va nous aider à don­ner une réponse com­plète à la ques­tion posée.

Il nous faut consi­dé­rer suc­ces­si­ve­ment trois dons pré­ter­na­tu­rels : l’im­pas­si­bi­li­té, l’in­té­gri­té et la science infuse.

L’impassibilité

L’impassibilité est l’exemp­tion de toute mala­die, de toute infir­mi­té et de toute souf­france. Au para­dis ter­restre, Adam et Ève ne subis­saient aucun genre de souf­france ; le cli­mat en par­ti­cu­lier ne les indis­po­sait jamais. Ils jouis­saient d’un bien-​être natu­rel et continuel.

Adam et Ève ayant per­du ce don pré­ter­na­tu­rel d’im­pas­si­bi­li­té par le péché ori­gi­nel, leur nature était désor­mais sou­mise à la souf­france, notam­ment aux rigueurs du cli­mat, au froid de l’hi­ver et au soleil brû­lant de l’é­té. Voilà la pre­mière uti­li­té du vête­ment : l’homme doit se cou­vrir en hiver pour se pro­té­ger du froid et il doit se cou­vrir en été pour se pro­té­ger du soleil (les Touaregs et autres habi­tants du désert ont très bien com­pris que ce n’est pas en se dénu­dant com­plè­te­ment que l’on souffre moins de la chaleur).

Cette pre­mière rai­son est la plus facile à com­prendre, mais c’est aus­si la moins profonde.

L’intégrité

Par le don d’in­té­gri­té, l’har­mo­nie la plus par­faite exis­tait dans l’être humain : les sens et les pas­sions étaient subor­don­nés à la rai­son, et la rai­son était sou­mise à Dieu. Tout était dans l’ordre et dans l’har­mo­nie vou­lus et créés par Dieu.

Le péché ori­gi­nel va mal­heu­reu­se­ment bou­le­ver­ser cette belle har­mo­nie et l’homme sera désor­mais sou­mis à la concu­pis­cence, c’est-​à-​dire une recherche effré­née des biens sen­sibles. L’homme, au lieu de se por­ter d’a­bord sur les biens de l’es­prit, convoite avec un grand désir les plai­sirs char­nels. Pour mener une vie droite, il devra désor­mais lut­ter contre la concu­pis­cence. Un des moyens à employer est de cacher les par­ties déshon­nêtes du corps pour ne pas se lais­ser entraî­ner ou entraî­ner d’autres per­sonnes au péché.

L’homme devra donc tou­jours être vêtu de façon décente en public, quels que soient les lieux et les cir­cons­tances. C’est pour­quoi la ver­tu de modes­tie est indis­pen­sable pour pra­ti­quer la pureté.

Les enne­mis de l’Église ont très bien com­pris ce deuxième point. « Faites des cœurs vicieux, disait Nubius, l’un des maîtres de la franc-​maçonnerie ita­lienne au XIXème siècle, et vous n’au­rez plus de catho­liques. » De là, toutes les consignes qui ont été don­nées pour favo­ri­ser les vête­ments indé­cents et scan­da­leux. Il est vrai­ment mal­heu­reux de voir tant de catho­liques tom­ber ain­si dans les pièges du démon et adop­ter ces modes actuelles.

La science infuse

Adam et Ève rece­vaient direc­te­ment de Dieu toutes les lumières et connais­sances natu­relles et sur­na­tu­relles dont leur intel­li­gence avait besoin ici-​bas et ils n’é­taient point sujets à l’erreur.

Le péché ori­gi­nel leur a fait perdre aus­si cette science et désor­mais l’homme doit faire des efforts intel­lec­tuels pour acqué­rir les connais­sances néces­saires. De plus, le mode de connais­sance a chan­gé : l’homme ne connaît plus par des idées infuses direc­te­ment par Dieu mais il connaît par l’in­ter­mé­diaire des sens. L’intelligence doit abs­traire des concepts (des idées) à par­tir des per­cep­tions sensibles.

Quel rap­port avec le vêtement ?

L’homme est com­po­sé d’un corps et d’une âme. Celle-​ci ne peut pas se voir direc­te­ment et ne peut pas être appré­hen­dée par les sens. Elle sera donc connue par les paroles (la parole a été don­née par Dieu à l’homme pour expri­mer sa pen­sée, et donc pour faire connaître ce qu’il y a dans l’âme), par les actions qu’elle com­man­de­ra et aus­si, d’une cer­taine façon, par le vête­ment. C’est pour­quoi on peut dire que le vête­ment est une mani­fes­ta­tion de l’âme. Donnons un exemple pour illus­trer ce point.

Pourquoi les magis­trats, les gen­darmes, les doua­niers, les prêtres, les reli­gieux portent-​ils un uni­forme ? Parce qu’ils ont une fonc­tion par­ti­cu­lière ; ils exercent une mis­sion sociale : rendre la jus­tice, faire res­pec­ter l’ordre, sur­veiller les fron­tières, prê­cher la doc­trine catho­lique, être des modèles des ver­tus chré­tiennes. Cette mis­sion leur confère des droits et des devoirs par­ti­cu­liers. Or, ceux-​ci ne se situent pas au niveau du corps, mais de l’âme. L’uniforme doit cor­res­pondre à une gran­deur d’âme par­ti­cu­lière, à une noblesse (au sens pre­mier du mot), à une « voca­tion » parce qu’il exprime une mis­sion par­ti­cu­lière. On attend d’un magis­trat ou d’un gen­darme, non seule­ment qu’ils fassent cor­rec­te­ment leur tra­vail pour le bien com­mun de la socié­té, mais éga­le­ment qu’ils soient hon­nêtes et irré­pro­chables dans leur vie privée.

Le vête­ment exprime des carac­té­ris­tiques de l’âme. Il faut donc cher­cher non seule­ment à ne pas être indé­cent (côté néga­tif), mais aus­si à être bien habillé (côté posi­tif), à être beau.

Le beau est le rayon­ne­ment du vrai et du bien. Un être ou une chose qui ne sont pas vrais ou qui ne sont pas bons ne peuvent pas être beaux ; c’est méta­phy­si­que­ment impos­sible car ces notions, que l’on appelle en phi­lo­so­phie les trans­cen­dan­taux (le vrai, le bien, le beau, l’être et l’u­ni­té), sont convertibles.

Un beau vête­ment est celui qui cor­res­pond à la qua­li­té de la per­sonne, à sa situa­tion, à son milieu social… Il fera connaître et met­tra en valeur la per­sonne, non pas le corps en tant que corps, mais l’âme à tra­vers le corps, car la par­tie la plus noble et donc la plus belle de notre nature n’est pas le corps mais l’âme.

Un beau vête­ment n’est donc jamais pro­vo­ca­teur car il sera empreint de dou­ceur, de modes­tie, de pro­fon­deur. Répétons-​le : le vête­ment doit ser­vir à expri­mer l’âme et donc, en défi­ni­tive, doit éle­ver vers Dieu, le créa­teur des âmes qui veut y rési­der par sa grâce.

Considérons l’exemple de nos ancêtres qui avaient com­pris cela et qui le met­taient en pra­tique. Pensons aux beaux cos­tumes régio­naux qu’ils avaient confec­tion­nés et qui étaient pra­ti­que­ment des chefs d’œuvre ! Même les habits les plus simples res­pi­raient la paix, la force, la dou­ceur, la beau­té ; ils témoi­gnaient vrai­ment de l’é­qui­libre de l’âme chré­tienne. Ils faci­li­taient éga­le­ment l’é­du­ca­tion chré­tienne des enfants car un mes­sage était ain­si trans­mis en profondeur.

Essayons de retrou­ver cet esprit pour être tou­jours bien habillés afin que le vête­ment garde vrai­ment sa fina­li­té pro­fonde qui est d’être non seule­ment un orne­ment du corps, mais aus­si et sur­tout de l’âme.

Abbé Pascal Lorber