Lettre sur les vocations n° 18 de mai 2010

« Viens et suis-​moi. » Marc X, 21

L’une des rai­sons du manque de « voca­tions » sacer­do­tales ou reli­gieuses nous semble se trou­ver dans une concep­tion sou­vent quelque peu erro­née de « la voca­tion », qui sévit même dans les meilleures familles catho­liques où cette voie est pour­tant consi­dé­rée comme une grâce insigne. Nombreux sont les catho­liques, en effet, à pen­ser que « la voca­tion » est d’abord une sorte d’appel tout inté­rieur que les enfants ou jeunes gens entendent ou res­sentent au-​dedans d’eux-mêmes, et qui consti­tue le signe infaillible de l’appel de Dieu. Seuls ceux qui ont enten­du cet appel inté­rieur devraient alors entrer dans un sémi­naire ou dans un novi­ciat tan­dis que ceux qui ne l’ont pas enten­du ne devraient sur­tout pas y entrer.

Il y a là une confu­sion vrai­ment regret­table et qui entraîne cer­tai­ne­ment la perte de voca­tions bien réelles. En réa­li­té, il suf­fit seule­ment qu’un jeune homme ou une jeune fille pos­sède les qua­li­tés néces­saires à un futur prêtre, reli­gieux ou reli­gieuse pour que, sans hési­ta­tion, il puisse deman­der à entrer dans un sémi­naire ou dans une com­mu­nau­té reli­gieuse. Si les Supérieurs du sémi­naire ou de la com­mu­nau­té reli­gieuse vers les­quels il ou elle s’est tourné(e) l’acceptent au sémi­naire ou dans leur com­mu­nau­té, puis lui per­mettent d’avancer pour rece­voir les dif­fé­rents ordres qui mènent jusqu’au sacer­doce ou pour pro­non­cer ses vœux solen­nels, c’est qu’il ou elle a effec­ti­ve­ment les apti­tudes requises et peut pai­si­ble­ment pro­gres­ser sur cette voie. Rien n’autre n’est exi­gé pour deman­der à entrer que les apti­tudes requises ! Que l’on s’en remette ensuite au juge­ment que por­te­ront les Supérieurs.

La voca­tion ne consiste donc pas en un appel qui serait mys­té­rieu­se­ment don­né par Dieu au fond de l’âme et qui pose­rait ensuite comme « un droit » à être admis ici ou là parce qu’on aurait déjà direc­te­ment été appe­lé par Dieu. Bien sûr, il est cer­tain qu’il existe des sol­li­ci­ta­tions inté­rieures de la grâce divine, par­fois sin­gu­liè­re­ment pres­santes, qui viennent incli­ner les jeunes gens vers le sacer­doce ou la vie reli­gieuse. Mais elles ne consti­tuent pas la voca­tion elle-​même. La voca­tion, à pro­pre­ment par­ler, réside dans l’appel exté­rieur adres­sé par les Supérieurs ecclé­sias­tiques ou par les Supérieurs reli­gieux aux jeunes gens idoines. Soit que ces Supérieurs les appellent effec­ti­ve­ment, soit que ces jeunes gens se soient pré­sen­tés à eux spon­ta­né­ment parce que, après avoir pris conseil, ils pensent avoir les qua­li­tés requises, ils n’ont pro­pre­ment la « voca­tion » que s’ils sont ensuite « appe­lés » exté­rieu­re­ment aux ordres ou à émettre leurs vœux par leurs Supérieurs.

Si cette voca­tion peut donc, il est vrai, avoir été anti­ci­pée pour cer­tains d’une façon aus­si sai­sis­sante que pour Saül sur le che­min de Damas, selon la volon­té du Bon Dieu, ce n’est pas là la norme. La règle, c’est que la déci­sion de l’entrée au sémi­naire ou au novi­ciat pro­vient du choix que va libre­ment poser le jeune homme ou la jeune fille. Ainsi, il s’agit d’un acte volon­taire, déli­bé­ré et géné­reux, de toute per­sonne pos­sé­dant les qua­li­tés requises pour l’état sacer­do­tal ou pour la vie religieuse.

Il est donc impor­tant d’insister sur la part essen­tielle de volon­ta­riat que com­porte tou­jours une « voca­tion ». Le jeune homme ou la jeune fille qui pos­sède les apti­tudes suf­fi­santes de san­té, d’équilibre psy­cho­lo­gique, de dis­po­si­tions intel­lec­tuelles et de ver­tu n’a pas besoin d’attendre un autre signe pour se pré­sen­ter à la porte d’un sémi­naire ou d’un novi­ciat. Il n’y est pas obli­gé et, s’il se marie pour fon­der une belle famille chré­tienne, l’Eglise se réjouit de cette magni­fique des­ti­née. Mais, s’il pos­sède les apti­tudes, il peut aus­si choi­sir de se don­ner à Dieu dans la voie reli­gieuse ou sacer­do­tale pour le plus grand bon­heur de l’Eglise. Si le sémi­naire ou la com­mu­nau­té en est satis­fait et le porte vers les ordres ou l’émission des vœux, il aura alors confir­ma­tion qu’il y était bien appelé.

Que l’on ne croie pas pour autant, dans ces condi­tions, que tout le monde va entrer dans les sémi­naires ou dans les novi­ciats ! Dans un sens, comme cela été dit, ce serait certes la plus belle fin du monde ! Mais, dans la réa­li­té, ce n’est vrai­ment pas la tour­nure que prennent les événements.

D’abord parce que la fra­gi­li­sa­tion des psy­cho­lo­gies et des per­son­na­li­tés est deve­nue telle que de nom­breuses défi­ciences dans les carac­tères privent bien des jeunes gens de l’assise natu­relle suf­fi­sante pour entrer aujourd’hui dans les ordres ou en religion.

Ensuite, et il faut le redire, parce que le choix du mariage est bon et qu’il est donc légi­time que des jeunes fer­vents, même s’ils pos­sèdent tout ce qu’il faut pour deve­nir de bons prêtres, reli­gieux ou reli­gieuses, fassent le choix du mariage : ce sera un bon choix. On peut même ajou­ter que ce sera un choix sou­vent cou­ra­geux tant les sacri­fices pour édu­quer les enfants d’une façon vrai­ment catho­lique ne cessent de deve­nir plus lourds.

Enfin, il est cer­tain que l’histoire du jeune homme riche de l’Evangile est typique et que, dans un cer­tain nombre de cas, mais évi­dem­ment pas dans tous les cas, ce qui fait défaut, c’est cette géné­ro­si­té prête aux renon­ce­ments évi­dents que demande tou­jours l’entrée dans les Ordres ou en reli­gion : « Jésus l’ayant regar­dé, l’aima, et lui dit :’Il te manque une seule chose ; va, vends tout ce que tu as et donne-​le aux pauvres, et tu auras un tré­sor dans le ciel ; puis viens et suis-​moi. Mais lui, affli­gé de cette parole, s’en alla triste, car il avait de grands biens. » Marc X, 21–22

Que notre prière se porte cette année vers le Ciel, chers amis de la Croisade, pour que les jeunes gens sachent prendre leurs déci­sions, libre­ment, devant Dieu, sans la remettre tou­jours au len­de­main. La peur de l’engagement est un véri­table fléau. Dieu nous a faits libres, véri­ta­ble­ment libres, mais Il nous a aus­si don­né cette liber­té pour que nous allions libre­ment vers Lui. Que les jeunes gens ne croient pas que le refus de leur enga­ge­ment per­son­nel leur pro­cu­re­ra une indé­pen­dance et une liber­té supé­rieures. En réa­li­té, ils seront empor­tés, et d’une façon très sub­tile et très cruelle, vers une véri­table perte de la liber­té, c’est-à-dire un escla­vage et le pire escla­vage qui soit, celui de soi-​même : « Car celui qui vou­dra sau­ver sa vie la per­dra. » Matth. XVI, 25.

Abbé Régis DE CACQUERAY † 
Supérieur du District de France

Capucin de Morgon

Le Père Joseph fut ancien­ne­ment l’ab­bé Régis de Cacqueray-​Valménier, FSSPX. Il a été ordon­né dans la FSSPX en 1992 et a exer­cé la charge de Supérieur du District de France durant deux fois six années de 2002 à 2014. Il quitte son poste avec l’ac­cord de ses supé­rieurs le 15 août 2014 pour prendre le che­min du cloître au Couvent Saint François de Morgon.