Lettre n° 45 de l’abbé Franz Schmidberger aux Amis et Bienfaiteurs de la FSSPX d’octobre 1993

Chers Amis et Bienfaiteurs,

uelle forme pour­rait prendre un ordre social chré­tien, appli­qué à notre temps ? Permettez-​nous d’en tra­cer les grands traits sous forme d’axiomes dont cha­cun est à appro­fon­dir et à déve­lop­per. Nous ferons appel au droit natu­rel, à la sainte Ecriture et, bien sûr, à la doc­trine poli­tique et sociale des papes.

1° L’ordre social chré­tien se fonde sur le droit natu­rel, gra­vé dans le cœur de tout homme et expri­mé objec­ti­ve­ment par les dix com­man­de­ments de Dieu. Il se recon­naît en outre rede­vable envers l’unique reli­gion fon­dée par Dieu, celle de l’Eglise catho­lique, avec son dépôt de la foi et son tré­sor de grâce ; car après le péché ori­gi­nel, l’ordre sur­na­tu­rel n’est facul­ta­tif pour aucun indi­vi­du humain et il est mora­le­ment néces­saire à la socié­té pour acqué­rir le simple bien com­mun tem­po­rel, fût-​il pure­ment naturel.

2° Le pou­voir dans l’Etat et dans la socié­té ne vient pas du peuple, de la base, mais de Dieu : « Non est enim potes­tas nisi a Deo – il n’y a en effet de pou­voir que venant de Dieu » (Rom 13, 1). Par consé­quent par l’élection, le peuple ne fait que dési­gner ceux qui doivent gou­ver­ner, mais il ne leur com­mu­nique pas l’autorité : encore moins peut-​il les en des­ti­tuer à son gré.
Il est en outre des régimes légi­times, telle la monar­chie héré­di­taire, dont le gou­ver­nant n’est pas dési­gné par élection.

3° La maxime actuelle « Chaque votant a une même et unique voix – one man, one vote » est-​elle vrai­ment conforme à l’ordre natu­rel ? Un père de famille a plus de res­pon­sa­bi­li­té et nor­ma­le­ment aus­si une com­pré­hen­sion plus pro­fonde du bien de la socié­té que son fils venant juste d’atteindre l’âge adulte ; un chef d’entreprise ayant mille employés sup­porte plus de res­pon­sa­bi­li­té que le plus jeune de ses apprentis.
Un droit de vote rési­dant essen­tiel­le­ment dans les pères de famille ne donnerait-​il pas une toute autre posi­tion à la famille, cel­lule de la société ?

4° On peut se deman­der, de plus, si les par­tis sont vrai­ment pour le bien du peuple ou s’ils ne contri­buent pas plu­tôt à ses divi­sions. Ne pourraient-​ils pas être rem­pla­cés par ces hommes chré­tiens qui se dis­tinguent par leur matu­ri­té de mœurs, leur expé­rience de la vie, leur sens de la jus­tice et leur sou­ci du bien commun ?

5° Le cen­tra­lisme engendre un pesant appa­reil de fonc­tion­naires aux mille bureaux et for­mu­laires et sur­tout une auto­ri­té ano­nyme. Au contraire le fédé­ra­lisme, les corps inter­mé­diaires, le prin­cipe de sub­si­dia­ri­té et avant tout la res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle cor­res­pondent bien mieux à la nature humaine, donc à la volon­té de Dieu. L’ultime aber­ra­tion du cen­tra­lisme est l’internationalisme des­truc­teur du carac­tère propre des peuples et des cultures.

6° Un ordre social chré­tien, bien sûr, recon­naît au for civil le mariage contrac­té devant l’Eglise et il n’admet sur­tout pas le divorce civil. Il repose même sur l’indissolubilité du mariage comme sur l’une de ses colonnes fon­da­men­tales. Aussi déclare-​t-​il la guerre au concu­bi­nage et aux rela­tions pré et extra-​matrimoniales. Il pros­crit la vente des contraceptifs.

7° De même il ban­nit de la vie publique le blas­phème, l’homosexualité et la por­no­gra­phie ; il punit l’avortement et rejette l’euthanasie ain­si que la drogue. Il ferme les loges maçon­niques et inter­dit les socié­tés secrètes.

8° Puisqu’il n’y a qu’une vraie reli­gion, fon­dée par Dieu, il inter­dit le culte des fausses reli­gions, ou s’il les tolère à la rigueur selon les prin­cipes de la pru­dence, il ne leur recon­naît jamais un droit natu­rel à l’existence. L’Etat chré­tien favo­rise de toutes ses forces l’activité de l’Eglise, il la pro­tège et la défend, puisque sans la foi divine il est pra­ti­que­ment impos­sible de pour­suivre le bien com­mun temporel.

9° Quel est ce bonum com­mune, ce bien com­mun ? Il ne consiste certes pas dans le bien-​être maté­riel, mais dans la ver­tu des citoyens, dans la tran­quilli­té de l’ordre – qui fait l’essence de la paix – tant interne qu’externe.

10° L’Etat chré­tien pro­tège et favo­rise la famille, par­ti­cu­liè­re­ment la famille nom­breuse ; il sou­tient au besoin les écoles et l’éducation, qui sont en pre­mier lieu l’affaire des parents et de l’Eglise ; il favo­rise l’initiative pri­vée et la pro­prié­té pri­vée, qui garan­tit à l’homme un cer­tain espace de liber­té et le pré­serve des dépen­dances dangereuses.

11° Il faut appe­ler le bien, bien et le mal, mal, louer la ver­tu et la récom­pen­ser, punir le péché et le vice. La peine a avant tout un rôle vin­di­ca­tif, pour ven­ger l’ordre détruit et le réta­blir, mais elle a aus­si un rôle médi­ci­nal de cor­rec­tion et de conver­sion du cou­pable. Dans ce but, l’emprisonnement doit durer un cer­tain temps et être accom­pa­gné d’une pas­to­rale sérieuse com­pre­nant confé­rences, exer­cices spi­ri­tuels, entre­tiens et occa­sions fré­quentes de se confesser.

12° La peine de mort pour des grands cri­mi­nels (meurtre, tra­fic de drogue) com­porte ce carac­tère vin­di­ca­tif, en outre, au témoi­gnage des aumô­niers de pri­son, elle mène de nom­breux cou­pables à la conver­sion. Elle est de plus un puis­sant moyen de dissuasion.

13° Finie, la tyran­nie du gros capi­tal et des grandes banques ! L’argent est et demeure un pur moyen d’échange, il n’est pas un but et ne porte pas de fruits de lui-​même. C’est pour­quoi l’Eglise a de tout temps inter­dit la spéculation.

14° La bipo­la­ri­sa­tion patrons-​ouvriers, avec les syn­di­cats et les grèves, serait judi­cieu­se­ment sur­mon­tée par la fon­da­tion de cor­po­ra­tions, asso­ciant dans la même pro­fes­sion employeurs et employés pour la défense des inté­rêts communs.

15° Les entre­pre­neurs sont tou­jours pères de leurs ouvriers. Ils doivent non seule­ment leur payer le juste salaire, mais se consi­dé­rer cores­pon­sables de leur bien moral et même spi­ri­tuel. Aussi doivent-​ils avoir le sou­ci de leurs familles et leur don­ner le bon exemple par l’assistance à la messe et la récep­tion des sacre­ments. De plus ne serait-​il pas rai­son­nable qu’un entre­pre­neur chré­tien ras­semble chaque matin ses employés au début du tra­vail devant l’image du Seigneur cru­ci­fié ou du Sacré-​Cœur, afin d’offrir avec eux à Dieu le tra­vail et les peines de la jour­née et d’appeler sur l’ouvrage la béné­dic­tion divine ?

16° L’économie agri­cole est fon­da­men­tale pour tout pays. Parmi d’autres maux, des sub­ven­tions par­tiales accor­dées pen­dant des années ont conduit les pay­sans à une sur­pro­duc­tion. Résultat : on les sub­ven­tionne main­te­nant pour qu’ils laissent leurs terres en friche ! Cette gra­ti­fi­ca­tion de l’infertilité est chose unique dans l’histoire, elle est direc­te­ment oppo­sée au com­man­de­ment de Dieu : « Soyez féconds, multipliez-​vous et rem­plis­sez la terre et soumettez-​là » (Gen 1, 28). Il y a ain­si un paral­lèle frap­pant à noter : l’Etat qui pousse à la sté­ri­li­té du sol est aus­si celui qui pousse à la sté­ri­li­té de la famille. Du reste cette poli­tique agraire mène néces­sai­re­ment à la des­truc­tion de la ferme fami­liale, rem­pla­cée par l’usine agri­cole col­lec­tive cal­quée sur le kolkhoze.

17° Sans la volon­té de défendre le pays, d’en pro­té­ger les habi­tants, les fron­tières et la culture et spé­cia­le­ment d’en sau­ve­gar­der la foi et de pro­mou­voir le royaume de Dieu, une nation se livre à sa perte. Entre le mis­sion­naire et le sol­dat, n’y a‑t-​il pas un lien étroit ? Le pre­mier prêche la foi et bâtit le royaume de Dieu, le der­nier défend l’une et l’autre contre les enne­mis du dedans et du dehors. L’état mili­taire est en cela hono­rable, il a fait beau­coup de saints, tels saint Sébastien et les mar­tyrs de la légion thé­baine, etc.

18° Appartiennent spé­cia­le­ment à un ordre social chré­tien : l’amour de la terre, de la nature et du tra­vail, l’amour du peuple et de la patrie, avec leurs cou­tumes et leurs tra­di­tions, leur culture et leur his­toire. Le déra­ci­ne­ment de l’homme et l’exode rural, la concen­tra­tion urbaine et ses cages à lapins sans espaces verts pour les enfants, sans contact avec la nature créée par le Bon Dieu, loin d’être une béné­dic­tion, sont une malédiction.

Chers amis et bien­fai­teurs, nous sup­plions chaque jour, dans le Notre Père, « Adveniat regnum tuum – que votre règne arrive. De quoi s’agit-il ? Vous connais­sez la devise de notre saint patron saint Pie X : « Omnia ins­tau­rare in Christo – Tout ins­tau­rer dans le Christ. Il ne s’agit pas seule­ment de sau­ver le saint Sacrifice de la messe, c’est toutes choses qu’il faut renou­ve­ler : l’individu, la socié­té et aus­si l’Eglise. De grandes figures de l’histoire en sont un exemple : un saint Henri, empe­reur du Saint-​Empire romain, un saint Louis, roi de France, un saint Etienne, roi de Hongrie, un saint Wenceslas de Bohème, un saint Edouard d’Angleterre, un saint Olav de Norvège, une Isabelle-​la-​Grande, reine de Castille. Des pré­si­dents de répu­bliques furent aus­si de grands hommes d’Etats chré­tiens : un Garcia Moreno en Equateur, un Dollfuss en Autriche. Et nous ne pou­vons qu’admirer ces maires de villes fran­çaises qui, l’an der­nier, consa­crant leur com­mune au Sacré-​Cœur de Jésus, ont appe­lé publi­que­ment sur leur cité le doux règne du Christ-Roi.

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Pour ter­mi­ner, voi­ci quelques nou­velles de la Fraternité Saint-​Pie X, elle-​même. Timidement, goutte à goutte, quelques prêtres du dehors nous rejoignent : une quin­zaine en tout ces deux der­nières années, tan­dis que le chiffre des entrées dans nos sémi­naires se main­tient avec constance, nous fai­sant escomp­ter dans l’avenir envi­ron vingt-​cinq nou­veaux prêtres chaque année. Avec cette crois­sance de l’œuvre, notre nou­velle mai­son géné­ra­lice s’avère une vraie béné­dic­tion, aus­si tenons-​nous à remer­cier vive­ment tous ceux qui ont ren­du pos­sible son achat et sa restauration.

Trois impor­tantes fon­da­tions nou­velles sont actuel­le­ment en train de se réa­li­ser. A Jaidhof en Autriche, nous avons éri­gé un prieu­ré des­ti­né à l’apostolat dans les pays de l’Est. Au Guatemala, les fidèles ont mis un ter­rain à notre dis­po­si­tion et sont en train d’y construire un prieu­ré et d’aménager une vaste cha­pelle. A Séoul, en Corée du sud, dans ce pays qui aujourd’hui montre peut-​être le plus de conver­sions à l’Eglise catho­lique, deux de nos prêtres seront d’ici peu en acti­vi­té sur place.

Aux Philippines, à Manille, nous avons pu ache­ter un ter­rain assez grand pour y construire un prieu­ré et une église de sept cents places assises. Enfin, nous avons ache­té une mai­son à Fatima, au Portugal.

Maintenant, les fidèles qui aime­raient œuvrer à un apos­to­lat sous la direc­tion de la très sainte Vierge et la conduite de nos prêtres sont invi­tés à se ras­sem­bler au sein de la Militia Mariæ, ain­si, dans la joie, ils tra­vaille­ront avec nous à l’édification du royaume de Dieu. Oui, nous invo­quons chaque jour la très sainte Vierge sous ses vocables de Médiatrice de toutes grâces, Auxiliatrice des chré­tiens, Notre-​Dame du Perpétuel Secours, Reine des apôtres et Notre-​Dame du Bon Conseil.

Enfin, juste un exemple de ce qu’opère la prière per­sé­vé­rante jointe à la cha­ri­té et à l’esprit de sacri­fice. Dans une com­mu­nau­té de reli­gieuses liée d’amitié à nous, le méde­cin consta­tait par des radios, chez la supé­rieure, un can­cer du foie déjà avan­cé. Ses filles sup­plièrent alors le ciel, invo­quant l’intercession d’une consœur défunte et très ver­tueuse. Pendant toute une jour­née, elles arra­chèrent à mains nues les char­dons et mau­vaises herbes d’un ter­rain nou­vel­le­ment acquis, payant pour ain­si dire la ran­çon de la gué­ri­son de leur Mère supé­rieure si esti­mée. Or quelques jours plus tard, un nou­vel exa­men radio­lo­gique ne révé­lait plus rien du can­cer ! Deux méde­cins sont prêts à témoi­gner du carac­tère natu­rel­le­ment inex­pli­cable de cette guérison.

Aujourd’hui aus­si, par­mi nous, Dieu opère donc ses miracles, là où l’on croit, où l’on espère, où l’on aime, où l’on prie, où l’on tra­vaille et où l’on porte pour l’amour de son Nom la Croix de son Fils unique.

Menzingen, le 7 octobre 1993, en la fête du saint Rosaire,

Abbé Franz Schmidberger

Supérieur géné­ral

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