Lettre aux Amis et Bienfaiteurs n° 38

Chers Amis et Bienfaiteurs,

Lors de son séjour à Paris, le poète Rilke, accom­pa­gné d’une jeune fran­çaise, pas­sait chaque jour sur l’heure de midi devant une vieille men­diante. Assise là, muette et immo­bile, la pauvre femme rece­vait les aumônes des pas­sants sans don­ner le moindre signe de recon­nais­sance. Le poète ne lui don­nait jamais rien, à la sur­prise de celle qui l’accompagnait qui, elle, tenait tou­jours prête une pièce. Interrogé dis­crè­te­ment sur sa conduite, il dit : « C’est à son cœur qu’il fau­drait don­ner, non à sa main ». – L’un des jours sui­vants, Rilke parut, une magni­fique rose mi-​éclose à la main. Ah ! pen­sa la jeune fille, une fleur pour moi, comme c’est char­mant ! Mais lui de mettre la fleur dans la main de la men­diante. – Alors se pro­dui­sit une chose éton­nante. La femme se leva, sai­sit sa main, la bai­sa et s’en alla avec la rose. Elle dis­pa­rut toute une semaine. Puis on la revit assise à sa place, muette et immo­bile comme avant. « De quoi a‑t-​elle bien pu vivre toute la semaine ? » deman­da la jeune fille. Et Rilke répon­dit : « De la rose ».

Ce que la rose était au natu­rel pour la men­diante, l’œuvre de la Tradition l’est au sens sur­na­tu­rel pour les fidèles : une source vivante d’espérance, de confiance, de force et de joie.

Cette source a jailli abon­dam­ment le 19 novembre 1989 à Paris, lors de cette fête de chré­tien­té qui vit les familles nom­breuses, les écoles catho­liques, une jeu­nesse conqué­rante et joyeuse, des reli­gieux et reli­gieuses, des prêtres jeunes et vieux et avant tout quatre jeunes évêques catho­liques, tous réunis autour de Monseigneur Lefebvre, pour remer­cier avec lui le Dieu Trinité pour soixante ans de minis­tère sacer­do­tal le plus fruc­tueux. Venus de tous les conti­nents et de nom­breux pays, peuples et langues, ils entou­raient l’autel du sacri­fice et l’agneau immo­lé, s’écriant à haute voix : « Le salut est à notre Dieu qui est assis sur le trône et à l’Agneau ! » (Apo. 7, 9–12).

Chers amis et bien­fai­teurs, l’interview qui suit pour­ra vous don­ner une idée exacte du tra­vail réa­li­sé par la Fraternité sous le man­teau pro­tec­teur de Marie. Que Notre Seigneur Jésus-​Christ vous bénisse et vous accorde un Carême riche en grâces. Et à bien­tôt, à Friedrichshafen le 29 avril 1990, pour célé­brer les vingt ans d’existence de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, tous réunis autour de son fon­da­teur, Monseigneur Marcel Lefebvre.

Rickenbach, le 15 février 1990
Abbé Franz Schmidberger
Supérieur géné­ral

Entretien avec M. l’abbé Schimdberger : Il faut former des prêtres selon l’Eglise de toujours

Quels buts la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X poursuit-​elle depuis sa fondation ?

Le but prin­ci­pal de la Fraternité, selon ses sta­tuts, est de don­ner à la sainte Eglise une nou­velle géné­ra­tion de prêtres bien for­més, pieux, zélés. C’est cet idéal qui guide notre œuvre depuis qu’elle a vu le jour cano­ni­que­ment le 1er novembre 1970.

Entre donc spé­cia­le­ment dans le cadre de notre tra­vail tout ce qui conduit vers le sacer­doce direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, tout ce qui gra­vite autour de lui, tout ce qui découle de lui : la for­ma­tion des prêtres et leur sanc­ti­fi­ca­tion, les mis­sions prê­chées, les retraites, l’apostolat des prieu­rés qui sont des quasi-​paroisses, les écoles catho­liques. Bref, il faut à tout prix rendre au prêtre son sacer­doce dans son plein épa­nouis­se­ment, à savoir dans le domaine du dogme, de la spi­ri­tua­li­té et du minis­tère. Mais en rai­son de l’avancée du pro­gres­sisme et de l’attaque infer­nale menée contre l’Eglise par le Concile et les réformes post-​conciliaires, c’est le bon com­bat pour la foi elle-​même et pour son centre, le saint Sacrifice de la messe, qui a gagné de plus en plus en impor­tance. Il s’agit en effet de défendre les prin­cipes éter­nels de l’ordre natu­rel et sur­na­tu­rel, en par­ti­cu­lier les dogmes de la très Sainte-​Trinité et de la divi­ni­té de Notre Seigneur Jésus-​Christ contre les néo-​ariens, de défendre l’Eglise, ins­ti­tu­tion divine, dans son iden­ti­té et son essence. Dans ce com­bat, le prêtre est l’acteur prin­ci­pal, et donc une Fraternité sacer­do­tale trouve là son plein champ d’activité.

Comment la Fraternité est-​elle organisée ?

A la tête de la Fraternité se trouve le Supérieur géné­ral avec son Conseil qui com­prend le pre­mier Assistant (M. l’abbé Aulagnier), le deuxième Assistant (Mgr Williamson) ; s’y joignent aus­si le Secrétaire géné­ral (Mgr Tissier de Mallerais) et l’Econome géné­ral (Mgr Fellay). Le Conseil se réunit plu­sieurs fois par année pour prendre les déci­sions qui touchent vrai­ment la vie de l’œuvre. A l’échelon sui­vant, nous trou­vons les sémi­naires, les dis­tricts et les mai­sons autonomes.

Parlons tout d’abord des sémi­naires : ils sont tous inter­na­tio­naux et dépendent direc­te­ment de la Maison géné­ra­lice de Rickenbach, donc du Supérieur géné­ral et de son Conseil. Actuellement sont éta­blis six sémi­naires qui tra­vaillent tous selon la devise « doc­tri­na cum pie­tate » : la doc­trine doit illu­mi­ner la pié­té, la pié­té rendre fer­tile la doctrine.

Les dis­tricts ensuite sont des enti­tés qui sont pra­ti­que­ment la pré­pa­ra­tion à ce qu’on appelle en termes d’Eglise des « pro­vinces », c’est-à-dire des enti­tés juri­diques ayant à leur tête un pro­vin­cial qui dirige l’apostolat dans son ter­ri­toire. Le Supérieur de dis­trict a cette charge ; il super­vise, il conseille, il encou­rage les prêtres, il s’occupe des contacts avec les laïcs, pense à l’ouverture d’un nou­veau prieu­ré, édite des bro­chures et contrôle les dif­fé­rents bul­le­tins parois­siaux. Les pays ou les sec­teurs où une seule ou à la rigueur deux mai­sons seule­ment sont éta­blies, où l’apostolat n’est pas encore plei­ne­ment déve­lop­pé, où il y a encore peu de prêtres, ne forment pas un dis­trict mais une « mai­son autonome ».

Parlez-​nous, si vous le vou­lez bien, de votre tra­vail de Supérieur de la Fraternité.

Le Supérieur géné­ral a la res­pon­sa­bi­li­té de toute la Fraternité. C’est lui qui donne la ligne géné­rale dans le cadre des sta­tuts. Il doit donc veiller à la fer­me­té doc­tri­nale et à la spi­ri­tua­li­té pro­fonde, tout orien­tée vers le saint Sacrifice de la messe. Pour bien rem­plir ce rôle, il doit faire des confé­rences, prê­cher des retraites, des récol­lec­tions pour les prêtres, aller sur place contrô­ler le tra­vail, encou­ra­ger ses col­la­bo­ra­teurs, par­ta­ger les sou­cis de ses subor­don­nés, cor­ri­ger et quel­que­fois même por­ter des sanc­tions. C’est lui qui, aidé de son Conseil, nomme les direc­teurs de sémi­naire, les supé­rieurs de dis­trict et de mai­son auto­nome. Il joue éga­le­ment un rôle pré­pon­dé­rant dans la nomi­na­tion des Supérieurs des dif­fé­rentes œuvres et des prieurés.

Il ne doit pas non plus oublier les contacts avec les prêtres et les familles reli­gieuses proches de la Fraternité, ain­si qu’avec les groupes de laïcs qui mènent le même combat.

Quels sont vos rap­ports avec Mgr Lefebvre ?

J’ai tou­jours consi­dé­ré Mgr Lefebvre comme char­gé d’une mis­sion toute spé­ciale par la divine Providence. N’est-il pas, avec Mgr de Castro Mayer, l’évêque qui, au milieu du déluge de l’apostasie, se réfu­gie dans l’arche de l’intégrité et de l’intégralité de la foi catho­lique ? Vous pou­vez vous ima­gi­ner ma grande joie d’avoir reçu de ses mains l’onction sacer­do­tale, il est donc bien mon père dans le sacerdoce.

Quand j’ai été appe­lé ensuite à prendre sa suc­ces­sion à la tête de la Fraternité en 1983, il m’a lais­sé vrai­ment avec déli­ca­tesse toute la res­pon­sa­bi­li­té afin de ne pas gêner le gou­ver­ne­ment. Il est évident que, dans toutes les ques­tions impor­tantes, je vais le voir pour lui deman­der conseil, pour être éclai­ré par son expé­rience acquise tout au long de sa vie d’évêque de la sainte Eglise et d’ancien Supérieur géné­ral de Congrégation et pour pui­ser dans sa grande sagesse.

Quelquefois je lui ai deman­dé de ne pas hési­ter à nous tirer un peu les oreilles pour que nous res­tions sur le bon chemin…

Pourquoi Mgr Lefebvre ne vous a‑t-​il pas sacré évêque en 1988 ?

Il y a plu­sieurs rai­sons. Lors des négo­cia­tions avec Rome, les membres de la com­mis­sion char­gée de notre dos­sier nous ont fait com­prendre qu’ils ne vou­laient pas que le Supérieur géné­ral soit sacré évêque, vu sa charge déjà très lourde. Quand par la suite les négo­cia­tions n’ont pas abou­ti, nous avons déci­dé de conti­nuer à res­pec­ter ce souhait.

Ensuite nous vou­lions mettre bien en évi­dence que nous ne créions pas une Eglise paral­lèle, et que par consé­quent nous n’établissions pas une sorte de « petit Pape ». En outre pour moi, Supérieur géné­ral, il était plus facile de défendre les sacres, n’étant pas concer­né personnellement.

Enfin un tel règle­ment pour­rait rendre plus faciles à Rome de nou­velles dis­cus­sions, le jour où il y en aura.

De quels moyens de pro­pa­gande dis­pose la Fraternité pour son apostolat ?

Il y a d’abord nos prêtres qui sont les moyens les plus pré­cieux, il y a – ou il devrait y avoir – la pro­pa­gande de leur exemple. De fait, un prêtre en sou­tane repré­sente toute la sainte Eglise. Il y a ensuite toute l’aide que nous offrent nos col­la­bo­ra­teurs, les Frères, les Sœurs. Il y a toute cette famille de la tra­di­tion avec ses écoles, ses cou­vents, ses monas­tères, qui connaît un grand rayon­ne­ment auprès des fidèles. Pensez, par exemple, aux prêtres de Mgr de Castro Mayer à Campos qui parlent tous les jours à la radio.

N’oublions pas aus­si tous nos fidèles, ces jeunes familles nom­breuses, ces grou­pe­ments de jeunes comme le MJCF ou la KJB en pays de langue alle­mande, qui sont des mis­sion­naires apos­to­liques et qui donnent presque tou­jours le bon exemple. Il y a aus­si toutes les asso­cia­tions de laïcs avec les­quelles nous vivons en étroite ami­tié, comme par exemple Renaissance Catholique, ou le mou­ve­ment Credo, qui orga­nisent des congrès, des ses­sions, des pèle­ri­nages etc. Et il y a ensuite toutes les publi­ca­tions au niveau des dis­tricts, les bul­le­tins parois­siaux des prieu­rés, ce qui a une réper­cus­sion consi­dé­rable. Mais c’est avant tout l’argument théo­lo­gique et phi­lo­so­phique qui fait notre force dans le combat.

Ne pensez-​vous pas qu’il fau­drait plus encore uti­li­ser les média, voire déve­lop­per de nou­veaux moyens d’expression ?

Envisager de nou­veaux moyens d’évangélisation, de pro­pa­ga­tion de la foi ? Il y a la presse, la radio et la télé­vi­sion. La presse, nous l’utilisons déjà beau­coup avec tous les bul­le­tins dif­fu­sés par­tout. Nous aime­rions uti­li­ser davan­tage la radio et même la télé­vi­sion (bien que nous reje­tions cette der­nière dans son actuel aspect déma­go­gique de séduc­tion), voire pos­sé­der une radio ou une chaîne pri­vée. Mais cela demande des sommes consi­dé­rables que nous n’avons pas.

Mais ne nous trom­pons pas : Dieu donne tou­jours sa grâce pre­miè­re­ment et essen­tiel­le­ment à tra­vers l’action sacer­do­tale, donc par la pré­di­ca­tion per­son­nelle qui doit conduire aux sacre­ments et au saint Sacrifice de nos autels. Les mass-​media peuvent don­ner des infor­ma­tions, on pour­rait dis­pen­ser à tra­vers eux un caté­chisme, toute autre chose s’avère trop sou­vent n’être qu’un feu de paille.

Qu’en est-​il des finances de la Fraternité ?

Nos seuls moyens finan­ciers sont les dons de nos fidèles. En effet, toutes nos églises, sémi­naires, prieu­rés, écoles ne sont rien d’autre que leur foi incar­née. Sans leur géné­ro­si­té qui découle de leurs convic­tions catho­liques, nous ne pour­rions rien faire, mais « beau­coup de grains font le sable et beau­coup de gouttes font la pluie », dit le pro­verbe allemand.

Bien sûr, cer­tains dis­tricts sont mieux éta­blis que d’autres ; c’est avant tout dans les pays du tiers monde qu’il faut de temps en temps une aide de la Maison géné­ra­lice ou d’un autre district.

Voulez-​vous nous faire un petit tour du monde de la Fraternité Saint-​Pie X ?

Nous avons des prieu­rés et des mai­sons avec des prêtres rési­dents dans 23 pays, sur tous les conti­nents. En plus de cela nous sommes en rela­tion avec un grand nombre d’autres pays où nous avons des amis, des groupes de fidèles que nous visi­tons de temps à autre. Commençons notre tour en Europe. Il y a des dif­fé­rences assez pro­non­cées entre les pays. Dans l’ordre d’importance, nous sommes le plus repré­sen­tés en France où une soixan­taine de prêtres s’occupent de groupes impor­tants de fidèles dans les prieu­rés, et où il y a spé­cia­le­ment beau­coup d’écoles éta­blies. Il y a éga­le­ment le sémi­naire de Flavigny et cer­tai­ne­ment le plus de familles reli­gieuses proches de la Fraternité en com­pa­rai­son d’autres dis­tricts. La France est sui­vie par l’Allemagne et la Suisse qui se déve­loppent d’une façon très heu­reuse et où nous trou­vons des bien­fai­teurs très géné­reux. En Suisse, il y a bien sûr Ecône, et en Allemagne deux ins­tal­la­tions impor­tantes : le sémi­naire de Zaitzkofen, à 120 km au nord de Munich, et l’école Saint-​Jean Bosco à 100 km à l’est de Dortmund. Il y a dans cha­cun de ces pays un car­mel qui sou­tient notre action par la prière et les sacri­fices. L’Angleterre se déve­loppe len­te­ment mais très soli­de­ment. Mère Marie-​Christiane va sous peu y fon­der un carmel.

En Autriche il n’est pas tou­jours facile de sus­ci­ter une saine réac­tion auprès des fidèles ; il y a beau­coup d’indifférence incul­quée dans les esprits par la pro­pa­gande des loges maçon­niques d’une part, et par une obéis­sance aveugle d’autre part. Ce manque de réac­tion touche encore davan­tage l’Italie, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande. Dans ces pays d’ancienne catho­li­ci­té, les fidèles se rendent beau­coup moins compte de la pro­fon­deur de la crise et suivent aveu­glé­ment leurs pas­teurs. Ils se laissent trom­per par quelques façades de ce sinistre mariage de l’Eglise et du monde. D’où une grande dif­fi­cul­té à déve­lop­per notre tra­vail dans ces pays, bien que l’Italie donne bon espoir si l’on consi­dère que trois voca­tions sont entrées au sémi­naire de Flavigny. En Belgique le sol est lourd à labou­rer, mais néan­moins fruc­tueux ; c’est ain­si que nous avons pu ins­tal­ler une petite école dans notre prieu­ré de Bruxelles. C’est autre­ment dif­fi­cile en Hollande. Ce pays est com­plè­te­ment anéan­ti dans la foi, la pra­tique reli­gieuse et même la morale natu­relle. Rien qu’à Amsterdam, il y a actuel­le­ment 14 églises catho­liques à vendre.

Aux Etats-​Unis, après d’innombrables dif­fi­cul­tés et de croix, le tra­vail porte de très bons fruits. Nous avons non seule­ment 80 cha­pelles mais encore le sémi­naire de Winona qui est actuel­le­ment le plus grand sémi­naire de la Fraternité, une école à St. Marys dans l’Etat du Kansas avec 350 élèves ain­si qu’un petit col­lège uni­ver­si­taire. Le novi­ciat de nos Sœurs à Armada prend de jour en jour de l’ampleur ; l’automne der­nier, trois coréennes y sont entrées. Il y a dans ce pays, il est vrai, beau­coup d’immoralité, de sen­sua­lisme et de maté­ria­lisme ; mais, d’un autre côté, les amé­ri­cains n’aiment pas du tout la nou­velle litur­gie, ce qui pro­voque une bonne réac­tion contre la destruction.

Le Canada, pays immense, est en train de voir s’ouvrir une école dans la ban­lieue de Québec dans un bâti­ment que nous avons pu acqué­rir, je dirais d’une façon mira­cu­leuse. Comme aux Etats-​Unis, ce sont les grandes dis­tances qui rendent dif­fi­cile notre apos­to­lat ; pra­ti­que­ment, il faut très sou­vent prendre l’avion pour les messes du dimanche, ce qui n’est pas tou­jours favo­rable à la spi­ri­tua­li­té sacer­do­tale. Mais com­ment faire autre­ment puisque pour tout l’Ouest cana­dien nous n’avons actuel­le­ment que deux prêtres ? Dans l’ensemble de ces deux pays ce sont actuel­le­ment 35 prêtres qui sont au tra­vail, et heu­reu­se­ment, un cer­tain nombre de confrères plus âgés nous aident efficacement.

Le Mexique est une des terres qui pro­mettent le plus pour l’avenir. Bien que le gou­ver­ne­ment soit socia­liste et franc-​maçon et que le peuple ne soit pas tou­jours très éclai­ré, il y a une foi vive et même très ferme chez les gens simples. Dans quelques années, le pays sera une pépi­nière de voca­tions, mais c’est affaire de longue haleine et de com­mu­nau­tés très fortes que de pou­voir vrai­ment péné­trer les âmes de la lumière du saint Evangile et de la grâce de Jésus crucifié.

En Amérique Centrale et en Amérique du Sud nous sommes implan­tés en Argentine avec un sémi­naire et un novi­ciat des Sœurs. Il y a de plus un prieu­ré à Buenos-​Aires et un autre à Cordoba, un autre aus­si au Chili et un en Colombie. Partout dans ces pays, les catho­liques souffrent beau­coup des sectes et de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion. Alors très sou­vent les gens simples des quar­tiers popu­laires en ont assez des prêtres révo­lu­tion­naires et s’adressent à nous. Mais ce sera, comme au Mexique un tra­vail de longue haleine, avec davan­tage de prêtres. Pour vous don­ner un exemple, au prieu­ré de Buenos-​Aires nous avons presque un mil­lier de pre­mières com­mu­nions par année. Au prieu­ré du Chili, à Santiago, il y a plus de 500 enfants au caté­chisme, sans comp­ter les caté­chismes dans les quar­tiers popu­laires, dis­pen­sés par des caté­chistes amis. Il y a aus­si heu­reu­se­ment toute une élite spi­ri­tuelle qui s’est adres­sée à nous : méde­cins, pro­fes­seurs, avo­cats et même quelques mili­taires. C’est très impor­tant pour la recons­truc­tion morale, intel­lec­tuelle et spi­ri­tuelle de ces pays. Malheureusement, nous n’avons pas encore de fon­da­tion au Brésil, la plus grande nation catho­lique du monde ; et pour­tant les fidèles nous demandent constam­ment puisque les prêtres de Mgr de Castro Mayer res­tent plus ou moins dans le ter­ri­toire du dio­cèse de Campos où ils sont sub­mer­gés de tra­vail. Dans l’horizon des fidèles, le monas­tère de Santa Cruz mené par le P. Thomas d’Aquin prend aus­si de jour en jour une place plus importante.

En Afrique noire nous avons un prieu­ré au Gabon, avec trois prêtres ; il connaît, depuis son début il y a quatre ans, un déve­lop­pe­ment mer­veilleux ; un mil­lier de fidèles assistent à la messe le dimanche, par­mi eux un ancien ministre et d’autres notables. A Noël ils étaient presque deux mille. 500 enfants suivent le caté­chisme. L’abbé Groche demande avec ins­tance une fon­da­tion de nos Sœurs pour pou­voir ouvrir une école. Ensuite nous sommes ins­tal­lés en Afrique du Sud et au Zimbabwe où les trois prêtres devraient de toute urgence avoir du ren­fort, car ici encore les dis­tances sont très grandes.

En Australie nous avons un sémi­naire, un prieu­ré avec une petite école à Sydney, et un prieu­ré à Melbourne.

En Nouvelle-​Zélande le prieu­ré avec ses deux prêtres est ins­tal­lé depuis 1986, et nous sommes actuel­le­ment en train d’acheter une grande église avec pres­by­tère. A par­tir de ce pays, il y a régu­liè­re­ment des visites aux îles Fidji, comme à par­tir de l’Australie, en Nouvelle-​Calédonie et en Papouasie.

En Asie, un seul prieu­ré est ins­tal­lé au sud de l’Inde avec, mal­heu­reu­se­ment, un seul prêtre pour le moment, ceci est dû au pro­blème des visas. La vie est très dif­fi­cile : cli­mat, civi­li­sa­tion, atmo­sphère spi­ri­tuelle au milieu du paga­nisme, nour­ri­ture. Avec la grâce du bon Dieu nous avons pu ache­ter un grand ter­rain et y construire un prieu­ré que Mgr Fellay a béni le 3 décembre, en la fête de saint François-​Xavier. Le dimanche, 300 fidèles en tout assistent à la messe dans les quatre cha­pelles que nous des­ser­vons. Il y a là un poten­tiel immense qui peut être mis en valeur, une fois réso­lu le pro­blème de visa. Les évêques conci­liaires sont évi­dem­ment achar­nés contre nous, nous nous heur­tons là à une oppo­si­tion peut-​être plus vio­lente que par­tout ailleurs et une per­sé­cu­tion phy­sique est même diri­gée contre les fidèles fré­quen­tant nos chapelles.

Il y a ailleurs en Asie des groupes assez solides : au Sri Lanka, à Singapour, à Hong-​Kong, en Corée du Sud, au Japon et aux Philippines, ce der­nier pays étant un peu com­pa­rable à l’Amérique du Sud. Tous ces fidèles ne demandent qu’une seule chose : « nous vou­lons la messe de tou­jours, les sacre­ments comme nos ancêtres les ont reçus et l’Evangile prê­ché comme il a été prê­ché par les Apôtres. Envoyez-​nous donc des prêtres qui puissent don­ner le caté­chisme à nos enfants, qui assistent les mou­rants dans leurs der­niers moments, qui puissent vivre par­mi nous pour nous gui­der et nous conseiller ». A tra­vers toutes les dif­fé­rences de cultures, de langues, de niveau social, de tranches d’âges, c’est par­tout la même sup­plique, presque déses­pé­rée : « Quand aurons-​nous des prêtres par­mi nous ? » Et par­tout il y a les mêmes obs­tacles, les mêmes per­sé­cu­tions de la part des évêques et des prêtres conci­liaires. Ne devrions-​nous pas répondre par les paroles de Notre Seigneur : « mise­reor super tur­bam » - « j’ai pitié de cette foule affamée ? »

Malgré le mau­vais accueil du cler­gé local, com­ment êtes-​vous reçus par le gou­ver­ne­ment des pays où vous êtes implantés ?

En Europe, nous avons peu de contacts avec les gou­ver­ne­ments, très peu de contacts. Ils sont en géné­ral cor­rects, mais il y a aus­si des excep­tions. Les choses sont dif­fé­rentes en Afrique noire où il y a des rela­tions très étroites entre l’Eglise et l’Etat, ce qui rend dif­fi­ciles nos implan­ta­tions. Dans d’autres pays, comme l’Australie, les Etats-​Unis, ou encore le Canada, nous ne ren­con­trons pas de dif­fi­cul­tés majeures ; même au Mexique on nous tolère. En Amérique du Sud, nous avons pu nous implan­ter sans trop d’obstacles. Les pays les plus déli­cats sont cer­tai­ne­ment ceux d’Asie, spé­cia­le­ment là où il y a de fortes majo­ri­tés musul­mane, hin­douiste ou boud­dhiste. En Malaisie par exemple, le tra­vail des mis­sion­naires chré­tiens est très mal vu par le gou­ver­ne­ment musulman.

Pouvez-​nous nous par­ler de vos rela­tions avec Rome après le 30 juin 1988. Avez-​vous gar­dé des contacts ?

On peut en par­ler, bien qu’il n’y ait pas grand-​chose à dire. Il y a tou­jours quelques contacts, mais rien d’officiel. Cependant il faut ajou­ter que nous gar­dons tout notre atta­che­ment au Siège Apostolique, nous prions pour le Pape afin qu’il soit libé­ré de sa pri­son qu’il a choi­sie lui-​même en grande part et afin que la Tradition retrouve aus­si à Rome la place qui lui est due.

Pensez-​vous avoir une influence sur Rome mal­gré son atti­tude de rejet ?

Nous avons une influence à divers éche­lons. Tout d’abord notre simple pré­sence gêne énor­mé­ment la Rome libé­rale ; ensuite la fer­ti­li­té de la tra­di­tion doit faire réflé­chir les auto­ri­tés de l’Eglise : alors que par­tout se ferment les éta­blis­se­ments reli­gieux, chez nous s’ouvrent par­tout de nou­velles mai­sons. Finalement on n’a jamais vrai­ment répon­du à nos argu­ments. Le car­di­nal Ratzinger a bien accu­sé récep­tion du livre Ils l’ont décou­ron­né, mais il n’a jamais rien répon­du quant à son conte­nu. Pourquoi cela ? Parce que notre argu­men­ta­tion est irré­fu­table, par exemple sur l’enseignement de tous les papes antérieurs.

Les évêques ne peuvent pas aller aus­si loin qu’ils aime­raient le faire, des groupes entiers de fidèles les quit­te­raient pour nous rejoindre, ceci se passe par exemple en Inde où bon nombre de prêtres sont en train de retour­ner à l’ancienne messe.

Est-​ce que votre mes­sage passe auprès des moder­nistes mal­gré la dés­in­for­ma­tion constante qui entoure vos revendications ?

Si les moder­nistes sont sin­cères, ils doivent s’apercevoir qu’il y a un pro­blème très grave dans l’Eglise. Les sta­tis­tiques montrent clai­re­ment que vers l’an 2000 l’Eglise aura pra­ti­que­ment dis­pa­ru du for public, tan­dis qu’une recons­truc­tion, certes dif­fi­cile, mais réelle et même rapide, s’effectue du côté de ceux qui rejettent les erreurs du concile Vatican II et les réformes qui en sont issues.

Nous avons lan­cé en 1984 une péti­tion qui a été signée par nos fidèles pour deman­der que l’ancienne messe soit réta­blie et que Mgr Lefebvre soit réha­bi­li­té. Sans cher­cher une action d’envergure, uni­que­ment par nos cha­pelles, nous avons récol­té 135.000 signa­tures. En les appor­tant moi-​même à Rome j’ai dit au car­di­nal Oddi : « Eminence, nous devrions mul­ti­plier ces chiffres par cent ». En effet, si nous pou­vions nous expri­mer en toute liber­té, nous pour­rions encore gagner beau­coup de fidèles et contri­buer puis­sam­ment à sau­ver la foi dans les âmes. Par exemple aux Etats-​Unis, plus de la moi­tié des fidèles dési­re­raient voir la messe de saint Pie V réin­tro­duite, au moins à titre de pos­si­bi­li­té. Il y a donc encore bien des forces dans le peuple chré­tien, mais toutes ces forces sont actuel­le­ment cachées, para­ly­sées, apeu­rées par la hié­rar­chie libé­rale. Comment expli­quer autre­ment la réac­tion pré­sente d’un car­di­nal ren­con­tré par un de nos prêtres : « Eminence, com­ment expli­quer que l’Eglise offi­cielle vende ses bâti­ments et que Mgr Lefebvre les rachète ? » – « C’est parce que l’œuvre de Mgr Lefebvre est bénie par le Seigneur ».

Après un an et demi fai­sons le point sur le tra­vail et le rôle des quatre évêques sacrés par Mgr Lefebvre.
Les nou­veaux évêques sont au ser­vice de la Fraternité, sans ter­ri­toire ni trou­peau déter­mi­nés. Un tra­vail consi­dé­rable est réa­li­sé par eux quo­ti­dien­ne­ment : ordi­na­tions et confir­ma­tions, béné­dic­tions de cha­pelles, pré­di­ca­tions et confé­rences. Ils ne sont cer­tai­ne­ment pas de trop pour faire face à toutes les demandes qui leur sont adres­sées de par­tout. Depuis leur sacre ils ont ordon­né 37 prêtres et admi­nis­tré plus de 5.000 confirmations.

Quels sont vos pro­jets pour ces pro­chaines années ?

Tout d’abord ren­for­cer nos ins­ti­tu­tions, nos prieu­rés. Il faut que nos prêtres soient davan­tage pro­té­gés dans leur voca­tion, leur minis­tère et leur tra­vail. Le prêtre iso­lé res­sent de grandes dif­fi­cul­tés dans ce monde cor­rom­pu et apos­tat. Il faut que toutes nos mai­sons aient deux, trois, voire quatre prêtres, des frères et des sœurs. Bien sûr cela ne peut être réa­li­sé du jour au len­de­main, mais c’est pour nous un but très important.

Il y a ensuite tout un apos­to­lat de la prière qui se met en route peu à peu. Nous avons com­men­cé le 1er décembre l’adoration per­pé­tuelle dans nos dif­fé­rents prieu­rés et cha­pelles où, à tour de rôle, le Saint-​Sacrement est expo­sé toute la jour­née aux quatre inten­tions sui­vantes : la vic­toire sur les enne­mis à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise, le retour de Rome et des évêques à la tra­di­tion et à la foi de nos ancêtres, la sanc­ti­fi­ca­tion de nos prêtres et beau­coup de nou­velles voca­tions sacer­do­tales et reli­gieuses. D’autre part chaque jour un de nos prêtres célèbre une messe en l’honneur de la très Sainte Vierge, pour chan­ter au nom de toute la Fraternité la plus haute louange mariale.

Nous avons éga­le­ment relan­cé l’intronisation du Sacré-​Cœur dans les familles ain­si que la Croisade Eucharistique des enfants.

Toutes ces actions se com­plètent et por­te­ront cer­tai­ne­ment des fruits : ce sont des familles catho­liques que décou­le­ront les voca­tions, et ces voca­tions une fois réa­li­sées seront l’appui des familles chré­tiennes, les encou­ra­geant et les réunis­sant autour de l’autel et du tabernacle.

Nous avons aus­si à déve­lop­per les écoles vrai­ment catho­liques, ain­si que des retraites pour conver­tir. Je ne connais pas de moyen plus sûr et plus puis­sant pour rechris­tia­ni­ser une âme que les cinq jours de saint Ignace. Or nous sommes arri­vés à un état où il ne s’agit plus tel­le­ment – au moins pour nos pays – d’informer seule­ment les gens, mais de conver­tir les cœurs et les intel­li­gences. Nous vivons en effet dans un cli­mat de néo-paganisme.

Il nous faut éga­le­ment ren­for­cer le tra­vail théo­lo­gique. Nous avons orga­ni­sé l’an der­nier pen­dant l’été une ses­sion d’études qui a été très appré­ciée par les participants.

Il nous faut aus­si réfu­ter l’hérésie par un tra­vail appro­fon­di, tra­vail dog­ma­tique et apo­lo­gé­tique, comme d’ailleurs l’ont fait les Pères de l’Eglise face à l’arianisme, au péla­gia­nisme, au nes­to­ria­nisme et aux autres hérésies.

Enfin il y a cer­tai­ne­ment l’un ou l’autre prieu­ré à fon­der dans les pays du tiers-​monde. C’est ain­si que nous créons des centres de réfé­rences qui don­ne­ront une orien­ta­tion claire et nette aux catho­liques de ces pays et qui sus­ci­te­ront des voca­tions par­mi les jeunes.

Que pensez-​vous des der­niers évé­ne­ments sur­ve­nus à l’Est ?

Il fau­drait être très réser­vé et savoir dis­tin­guer, à la source de ces chan­ge­ments, les besoins impé­ra­tifs d’un sys­tème en voie d’effondrement, la tac­tique nou­velle de l’hégémonie sovié­tique, et les forces occultes qui pré­parent le gou­ver­ne­ment mon­dial, sou­te­nu par une reli­gion mon­diale huma­niste ou par un par­le­ment de toutes les religions.

Mais il est évident que dans la mesure où ces pays s’ouvrent, quelques contacts sont pos­sibles avec les évêques, les prêtres et les groupes de fidèles. Il faut alors leur pro­cu­rer de la bonne lit­té­ra­ture pour les infor­mer du com­bat qui se déroule aujourd’hui par­tout. Sensibilisés par tant de souf­frances dans les geôles com­mu­nistes ils com­prennent peut-​être mieux que seule la Croix de Notre-​Seigneur, sa grâce et son Eglise sont la réponse à toutes les questions.

On nous dit par exemple qu’en Ukraine, des clercs et des fidèles sont bien infor­més sur la Fraternité et par­tagent tout à fait nos idées, qui ne sont pas les nôtres mais celles de l’Eglise de toujours.

Il y a donc par­tout un grand tra­vail à faire, par­tout la mois­son est abon­dante, les ouvriers peu nom­breux. Alors il faut prier le Maître de la mois­son d’envoyer des ouvriers dans sa moisson.

Quels sont vos rap­ports avec les autres com­mu­nau­tés de tradition ?

Nous nous réjouis­sons pro­fon­dé­ment de voir se déve­lop­per tous ces éta­blis­se­ments qui sont fidèles à la règle et à l’esprit de leur fon­da­teur. Citons les Dominicains d’Avrillé, les Dominicaines de Fanjeaux et de Brignoles avec leurs écoles qui font quo­ti­dien­ne­ment un tra­vail magni­fique dans les âmes des enfants ; l’abbé Lecareux avec sa Fraternité de la Transfiguration, les Capucins de Morgon, les Franciscaines, les Sœurs du Rafflay, pour ne citer que les plus impor­tantes en France. Ensuite il y a les prêtres de Mgr de Castro Mayer qui se sont asso­ciés en Fraternité, le Monastère de Santa Cruz au Brésil, les Rédemptoristes du P. Sim en Angleterre fon­dés il y a un an et demi, les dif­fé­rents car­mels fon­dés par Mère Marie Christiane qui sont le pré­cieux appui, tout sur­na­tu­rel, qui féconde notre apos­to­lat, les Sœurs de Mayence qui s’occupent des malades et des per­sonnes âgées et une petite com­mu­nau­té de Sœurs qui s’est déta­chée du monas­tère des Sœurs du Très Précieux Sang situé au Liechtenstein, monas­tère qui mal­heu­reu­se­ment, depuis les sacres, suit la Fraternité Saint-​Pierre. Or les six Sœurs « dis­si­dentes » sont en train d’acheter une mai­son pour pour­suivre leur but prin­ci­pal : l’adoration per­pé­tuelle du Très Précieux Sang et pour rece­voir éga­le­ment quelques per­sonnes âgées.
Que Dieu bénisse tous ces monas­tères, tous ces cou­vents, toutes ces ini­tia­tives et cou­ronne en eux les fruits de sa propre grâce !

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