Lettre n° 52 de Mgr Bernard Fellay aux Amis et Bienfaiteurs de la FSSPX de mars 1997

Chers Amis et Bienfaiteurs,

l y a six ans, Monseigneur Lefebvre ren­dait son âme à Dieu. Nous vou­drions com­men­cer cette lettre par rendre hom­mage à notre véné­ré fon­da­teur qui s’éteignit dans la souf­france de la mala­die et l’opprobre de ce monde. Tant la jus­tice civile qu’ecclésiastique ont aban­don­né dans la condam­na­tion cet « homme » qui les déran­geait tant par son amour de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ par des­sus tout. Six ans après son décès, le com­bat conti­nue. Combat spi­ri­tuel pour rap­pe­ler aux masses anes­thé­siées par l’abondance des biens maté­riels, plon­gées de plus en plus dans un rela­ti­visme et scep­ti­cisme doc­tri­nal de « bon ton », les exi­gences de leur Créateur, la fin glo­rieuse à laquelle Il les appelle, les enjeux ter­ribles d’une non cor­res­pon­dance à l’invitation divine, le ciel ou l’enfer.

Le libé­ra­lisme exerce une tyran­nie inouïe sur les esprits et gare à qui ose­rait affir­mer autre chose. Bien vite on nous traite de sec­taires, d’extrémistes radi­caux, de fon­da­men­ta­listes et notre cause est enten­due ! Et pour­tant, la véri­té pourrait-​elle abdi­quer de ses droits et de ses pré­ro­ga­tives ? D’autres voix en d’autres temps ont par­lé, leur juge­ment est tou­jours aus­si actuel :

« Beaucoup assu­ré­ment vous accu­se­ront d’imprudence et diront que votre entre­prise est inop­por­tune ; mais parce que la véri­té peut déplaire à beau­coup et irri­ter ceux qui s’opiniâtrent dans leur erreur, elle ne doit pas être jugée impru­dente et inop­por­tune ; bien plus, il faut croire qu’elle est d’autant plus pru­dente et plus oppor­tune que le mal qu’elle com­bat est plus grave et plus répan­du. Autrement, il fau­drait pré­tendre que rien n’est plus impru­dent et plus inop­por­tun que la pro­mul­ga­tion de l’Évangile qui eut lieu lorsque la reli­gion, les lois, les mœurs de toutes les nations lui fai­saient une oppo­si­tion directe. Une lutte de ce genre ne pour­ra que vous atti­rer les blâmes, le mépris, les que­relles hai­neuses ; mais Celui qui appor­ta la véri­té à la terre n’a pas pré­dit autre chose à ses dis­ciples sinon qu’ils seraient odieux à tous à cause de son nom. [1] »

Pie IX fus­ti­geait le catho­li­cisme libé­ral qui prône une tolé­rance accommodante :

« Une sorte de moyen terme à l’aide duquel ils pour­raient ame­ner à de mutuels embras­se­ments la véri­té et l’erreur qui se com­battent sans cesse, esti­mant comme une œuvre de pru­dence de ne s’attacher plei­ne­ment ni à l’une ni à l’autre de peur que la véri­té ne trouble l’erreur dans sa pos­ses­sion ou que l’erreur ne dépasse les limites qu’on a cru fol­le­ment pou­voir lui assi­gner [2] ».

Le concile Vatican II a ouvert toutes grandes ses portes à cet esprit extrê­me­ment dan­ge­reux pour l’Église et si soi­gneu­se­ment condam­né par les papes pen­dant plus d’un siècle. L’Église depuis se meurt de cet esprit de com­po­si­tion aux contours flous, qui engendre un peu par­tout la confu­sion, l’indiscipline, la rébel­lion, le chaos.

Que l’on ne nous accuse pas de construire une spé­cu­la­tion abs­traite entre un pas­sé glo­rieux de l’Église et un pré­sent téné­breux, entre une mani­fes­ta­tion expres­sive et claire de la foi aupa­ra­vant et une pro­po­si­tion trouble et indé­cise aujourd’hui. D’autres auto­ri­tés ont consta­té l’état de fait en des termes qui ne laissent pas indif­fé­rents : Paul VI [3] :

« (…) Ce qui me frappe quand je consi­dère le monde catho­lique, c’est qu’à l’intérieur du catho­li­cisme, une pen­sée de type non catho­lique semble par­fois avoir le des­sus, et il se peut que cette pen­sée non catho­lique à l’intérieur du catho­li­cisme devienne demain la plus forte, mais elle ne repré­sen­te­ra jamais la pen­sée catho­lique. Il faut que sub­siste un petit trou­peau, même si c’est un trou­peau tout petit ».

Nous n’inventons donc rien lorsque nous essayons, à la suite de Mgr Lefebvre, de dis­tin­guer entre une Rome catho­lique et une Rome moder­niste ! D’où aus­si le grave pro­blème des rela­tions que nous devrions avoir nor­ma­le­ment avec Rome ! à quelles mains allons-​nous confier notre futur ? Aux ins­tances romaines qui déclarent que tous, évêques, prêtres, fidèles sont excom­mu­niés pour cause de schisme, ou à celles qui dégagent de telles sanc­tions, au moins les prêtres et les fidèles, car il n’y a pas schisme, mais dan­ger de schisme, à celles encore qui nous estiment tout sim­ple­ment catho­liques ? Comment pourrions-​nous opé­rer un tel choix ? Les auto­ri­tés romaines sont divi­sées à notre sujet, c’est un fait, nous avons les docu­ments qui le prouvent en notre pos­ses­sion. Nous ne pou­vons que conti­nuer notre « poli­tique » de dis­crets contacts et sur­tout de pro­tes­ta­tion publique contre l’auto-démolition de l’Église, fruit du libé­ra­lisme qui empoi­sonne tant et tant de pré­lats. Comment ne pas voir le paral­lé­lisme écla­tant entre l’attitude du catho­lique libé­ral et celle de l’œcuménisme actuel ? C’est le même esprit appli­qué cette fois-​ci aux rela­tions de l’Église avec les autres reli­gions chré­tiennes. Le même esprit qui conduit au même rela­ti­visme pra­tique, à l’indifférentisme.

Dans cette optique œcu­mé­nique se pré­pare le jubi­lé de l’an 2000. Que restera-​t-​il de l’identité de l’Église ? On pré­tend qu’elle n’est pas iden­tique à l’Église de Dieu [4], on pré­tend main­te­nant qu’elle n’a pas le droit à l’exclusivité du salut, un des dogmes les plus fon­da­men­taux de notre reli­gion [5].

L’œcuménisme, qui pré­tend réa­li­ser l’union des reli­gions chré­tiennes, en fait et tel qu’il est pra­ti­qué, détruit l’unité de l’Église catho­lique. Au nom de l’œcuménisme, on sape les trois uni­tés consti­tu­tives de l’Église : l’unité de foi en rela­ti­vi­sant la néces­si­té abso­lue de celle-​ci pour être sau­vé, l’unité de litur­gie (la nou­velle messe a été inven­tée dans l’optique œcu­mé­niste, selon les affir­ma­tions de son auteur Mgr Bugnini) et fina­le­ment l’unité de gou­ver­ne­ment en atta­quant la pri­mau­té inalié­nable de Pierre, pierre sur laquelle est fon­dée l’unique Église du Christ, pri­mau­té qui dans son exer­cice est la cause effi­ciente de l’unité des cœurs et des volon­tés, qui a pour consé­quence de son non exer­cice la dis­per­sion des brebis…

Prions pour que Dieu conserve à son Église « l’intégrité de la reli­gion » [6] Prions assi­dû­ment et sacrifions-​nous pour que cette épreuve arrive bien­tôt à son terme ! Plongés au milieu de ces temps de crise, nous rece­vons de Dieu cepen­dant d’abondantes conso­la­tions : les voca­tions semblent aug­men­ter légè­re­ment ; ici et là, de véri­tables églises se construisent et méritent la plus solen­nelle des béné­dic­tions, la consé­cra­tion ou dédi­cace. Ainsi, nous avons pu consa­crer à Manille notre église dédiée à Notre Dame des Victoires au début mars avec le concours de nom­breux fidèles et Mgr Williamson consa­cre­ra notre église « baroque » de Stuttgart le dimanche du bon Pasteur, (dédiée à Notre-​Dame du Rosaire). Quant à l’église d’Écône, les pho­tos ci-​jointes vous montrent l’avancement des tra­vaux : on pose actuel­le­ment le toit et nous espé­rons que la construc­tion sera ter­mi­née dans un peu plus d’un an.

Nous osons réité­rer notre appel pres­sant à votre géné­ro­si­té, déjà tant sol­li­ci­tée, pour cet impor­tant pro­jet qui ne pour­ra voir son abou­tis­se­ment qu’avec votre aide !

Nous deman­dons à Dieu qu’il daigne nous don­ner la conso­la­tion non seule­ment d’ériger ces temples de pierre à sa gloire, mais sur­tout de faire de vos cœurs un temple saint qu’il embel­lit, for­ti­fie, honore de sa pré­sence constante, en ce jour où le Verbe s’est fait chair par l’opération du Saint-​Esprit et a dai­gné habi­ter par­mi nous dans le sein de Marie tou­jours Vierge, la plus belle des créa­tures, le plus beau et le plus saint des temples où Il est glo­ri­fié dans les siècles des siècles.

Menzingen, le 25 mars 1997, en la fête de l’Annonciation

+ Bernard Fellay

Supérieur géné­ral

[1] Pie IX, Bref aux rédac­teurs d’un jour­nal catho­lique de Rodez, déc. 1876.
[2] Pie IX, Bref aux membres des Conférences de St Vincent de Paul d’Angers, fév. 1875.
[3] Jean Guitton, Paul VI secret, p. 168,
[4] Vatican II, subsistit.
[5] Cf., Le tra­vail de la Commission théo­lo­gique Internationale, publié dans la Civilta cat­to­li­ca, fév. 1997, le Christianisme et les religions.
[6] Post com­mu­nion de la messe d’un sou­ve­rain pontife.

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FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.