Lettre n° 54 de Mgr Bernard Fellay aux Amis et Bienfaiteurs de la FSSPX de mars 1998

Chers Amis et Bienfaiteurs,

e 30 juin 1988, il y a dix ans, S.E. Mgr Lefebvre s’était vu « contraint par la Providence divine de trans­mettre la grâce de l’épiscopat catho­lique » à quatre prêtres, dont votre ser­vi­teur. Dans une lettre adres­sée à ces der­niers, Mgr Lefebvre expo­sait les rai­sons qui l’avaient déter­mi­né à fina­le­ment poser cet acte si grave devant l’Église :

« La cor­rup­tion de la sainte Messe a ame­né la cor­rup­tion du sacer­doce et la déca­dence uni­ver­selle de la foi dans la divi­ni­té de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ » ; et d’autre part la volon­té bien arrê­tée et clai­re­ment mani­fes­tée de la part des auto­ri­tés romaines de conti­nuer « leur œuvre des­truc­trice du Règne de Notre-​Seigneur, comme le prouvent Assise et la confir­ma­tion des thèses libé­rales de Vatican II sur la liber­té religieuse ».

La situa­tion était si grave qu’elle deman­dait un tel acte ; il fal­lait poser un acte très concret qui per­mette la sur­vie de l’Église et du sacer­doce catho­lique. Un regard trop natu­rel ou super­fi­ciel sur l’Église ne per­met­tait pas de com­prendre l’acte de Monseigneur, et aujourd’hui encore, on nous accuserad’un mons­trueux orgueil pour oser pré­tendre que l’acte de consé­cra­tion épis­co­pale était justifié.

Même aujourd’hui, dix ans plus tard, bien que la situa­tion se soit encore sen­si­ble­ment dégra­dée, com­bien se laissent abu­ser par ce qui reste d’apparence et d’appareil ecclé­sias­tique ? Et quelques socié­tés que Rome a sus­ci­tées alors pour don­ner le change, béné­fi­ciant du pri­vi­lège de la célé­bra­tion de la messe tra­di­tion­nelle au prix du silence com­plice sur la réa­li­té du drame qui se joue sous nos yeux, confirment notre vision des choses.

Sous un cou­vert d’apparente uni­té, l’Église est déchi­rée en lam­beaux ; on tente de lui arra­cher par­ti­cu­liè­re­ment son âme, son tré­sor spi­ri­tuel, ce qui la dis­tingue de toutes les autres reli­gions et de toutes les autres socié­tés : sa Vérité sur­na­tu­relle, son dépôt, Le dépôt révé­lé dont elle est l’unique gar­dienne, sa cha­ri­té, la grâce, le sacri­fice, le sacerdoce.

Si l’on parle encore de ces choses, cepen­dant on les a vidées du sens qu’elles avaient jusqu’au concile Vatican II, et la pra­tique quo­ti­dienne de l’œcuménisme montre com­bien les libé­raux font de cas de ces valeurs. Même si théo­ri­que­ment on pro­fesse encore le même Credo, dans la pra­tique on en est loin. Dans beau­coup de sémi­naires, comme dans la plu­part des églises encore ouvertes, c’est l’abomination et la déso­la­tion, la paro­die qui ont rem­pla­cé le Saint des saints… Nous n’exagérons pas, hélas !

On nous rétor­que­ra qu’à Rome, il y a quand même des voix qui rap­pellent à l’ordre les excès pro­gres­sistes et les abus, une reprise en mains. Cette voix est-​elle sui­vie ? quel effet par exemple a pro­duit le solen­nel rap­pel à l’ordre sur les laïcs ? la contes­ta­tion et l’indifférence… Tout conti­nue comme aupa­ra­vant, sans sanc­tions romaines.

Voici l’expérience concrète toute récente de deux Hollandais. Ils se deman­daient com­ment il était pos­sible que l’Église éter­nelle puisse être détruite d’une manière si dra­ma­tique dans leur pays. Ils ont écrit plu­sieurs lettres à Rome, mais n’ont jamais reçu de réponse. Aussi ils déci­dèrent d’aller à Rome et de s’adresser à plu­sieurs car­di­naux, pré­lats, évêques… Lors de leurs dis­cus­sions, ces car­di­naux et évêques leur deman­dèrent d’être actifs, de pro­mou­voir la messe catho­lique tri­den­tine et d’arrêter les spec­tacles de la table à ban­quet, les ‘tables-​meal-​shows’. Eux mêmes, en tant que car­di­naux et évêques, ne pou­vaient rien faire. Les laïcs catho­liques doivent agir pour sau­ver l’Église… Ils res­tèrent quelques jours à Rome et le mes­sage était clair : Rome ne pou­vait aider en aucune manière. » (lettre au Supérieur géné­ral du 7 mars l998).

Faut-​il se décou­ra­ger, aban­don­ner le com­bat, ren­trer dans le mutisme ? Bien au contraire, plus que jamais, il faut secouer la tor­peur qui guette, ravi­ver la foi, la foi en Notre-​Seigneur, la foi dans ses pro­messes pour son Église. L’ennemi est puis­sant, Notre-​Seigneur bien davan­tage, infi­ni­ment plus.

Et nous en avons la démons­tra­tion dans la manière dont Il veille sur cette petite œuvre de l’Église bal­lot­tée au sein de la tem­pête, pro­té­gée en même temps, et qui fleu­rit de ces fleurs fra­giles de grâce et de sain­te­té que l’Église a tou­jours pro­duites, même en plein orage.

Tandis que l’enseignement est pour­ri dans les sémi­naires et les uni­ver­si­tés (cf. Fideliter de mars 1988), nous avons la conso­la­tion de voir des prêtres suf­fi­sam­ment for­més pour sillon­ner le monde entier appor­tant aux âmes le récon­fort du par­don de Dieu et du pain des anges. Ils leur donnent au milieu d’un monde de plus en plus insen­sé le sens de la vie et les moyens de plaire au Dieu tout puis­sant dans l’accomplissement du devoir d’état quo­ti­dien. Ils leur rap­pellent la néces­si­té de la croix à la suite du Christ cru­ci­fié pour arri­ver au bon­heur éternel.

La mois­son est tou­jours aus­si abon­dante, les mois­son­neurs trop peu nom­breux. Demandez au maître de la mois­son… par des larmes et sacri­fices, ce que le Supérieur géné­ral, le cœur ser­ré, ne peut pas encore vous don­ner… Par la péni­tence et l’assiduité dans la prière, par la vie fami­liale ordon­née sous le regard du Sacré-​Cœur, par une vie appli­quée à la pra­tique de la jus­tice et de la cha­ri­té, mon­trons au Seigneur que nous sommes prêts à mettre le prix, parce que nous l’estimons vrai­ment, pour rece­voir de Lui des prêtres selon son Cœur, des autres Christs.

Nous comp­tons sur vos prières, chers bien­fai­teurs, encore davan­tage que sur vos dons en remer­cie­ment des­quels nous deman­dons à Dieu une ample béné­dic­tion, sa conso­la­tion et sa pro­tec­tion. Grâce à vous, l’église du sémi­naire d’Écône est presque ter­mi­née et nous pou­vons pré­voir son inau­gu­ra­tion le 10 octobre pro­chain. Un bon tiers des coûts est déjà cou­vert, et nous nous tour­nons déjà vers deux nou­veaux et impor­tants pro­jets : la construc­tion de l’église de notre sémi­naire Notre-​Dame Corédemptrice en Argentine est prête à démar­rer, n’était-ce le manque de res­sources finan­cières ; et la construc­tion d’un sémi­naire aux Philippines, Philippines où la Fraternité se déve­loppe d’une manière qua­si mira­cu­leuse. Le Maire de Quezon City, ville de plus de 2 mil­lions d’habitants, vient de consa­crer sa ville au Cœur Immaculé de Marie dans notre église, sous le regard de Mgr Lazo et de nos prêtres, tan­dis que les mis­sions médi­cales pour sou­la­ger les pauvres malades se mul­ti­plient avec l’aide de nos 19 méde­cins… sans par­ler du pré-​séminaire, du pré-​noviciat pour les sœurs…

Toutes ces œuvres, vous le savez bien, ne se réa­lisent pas sans le sou­tien maté­riel et ne se déve­loppent qu’à la mesure de votre cha­ri­té fra­ter­nelle. Que vos aumônes et sacri­fices dont nous vous sommes tant recon­nais­sants et qui couvrent beau­coup de péchés, soient un jour, accom­pa­gnés des prières de nos sémi­na­ristes et de nos prêtres, vos meilleurs alliés qui vous ouvrent les portes du Ciel !

Que Saint Joseph, pro­tec­teur de la Sainte Église, vous garde ain­si que vos familles.

En la fête de St Joseph, 19 mars 1998

+ Bernard Fellay

Supérieur géné­ral

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FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.