Chers Amis et Bienfaiteurs,
u cours du mois de mai, un évêque diocésain, Mgr Brunner évêque de Sion, a cru devoir publier deux textes qu’il avait reçu de Rome faisant le point sur la situation de la Fraternité Saint-Pie X après les sacres de 1988 ; on y parle de schisme, excommunication pour tous, évêques, prêtres, fidèles [1]. Il convient de noter que, pendant ce temps, la Commission « Ecclesia Dei », dans différentes réponses à des particuliers ou même à des évêques, se contente de parler de « grave danger de schisme », ce qui est tout autre chose [2].
L’évêque de Sion présentait les deux textes comme des documents romains, – « J’ai demandé aux autorités ecclésiastiques compétentes une prise de position authentique » – l’un émanant de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, l’autre du Conseil pour l’interprétation des textes législatifs.
Comme il y avait des erreurs manifestes, nous avons écrit à Mgr Brunner pour lui demander quelques précisions. Il répondit qu’effectivement on avait commis une erreur de date [3], mais que le premier document était bien de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et il nous fit comprendre que les textes étaient publiés tels qu’il les avait reçus.
Bientôt les évêques français, d’une part, qui avaient demandé au pape une condamnation de la Fraternité en automne dernier et qui s’étaient vu conseiller « d’écrire eux-mêmes un document » [4], et la Fraternité Saint-Pierre d’autre part, se firent le vibrant écho de ces condamnations « romaines ».
La Fraternité Saint-Pierre reproduit les textes tels quels ; La documentation catholique introduit une différence : dans le texte introductif de Mgr Brunner ainsi que par son titre, le premier document n’est plus présenté comme provenant de la Congrégation de la Doctrine de la Foi, mais de la Congrégation des évêques, comme nous le suggérions dans notre lettre. Ceci appelle quelques remarques :
1. Les deux textes ne comportent aucune signature : ce sont des anonymes.
2. Mgr Brunner dit les avoir reçus le 31 octobre 1996 mais ne les publie que le 16 mai 1997. En fait, les deux textes ne comportent aucune date, pas davantage que de numéro protocolaire.
3. Il faut en conclure qu’il s’agit de simples notes, peut-être d’esquisses, un brouillon, ce que la qualité du texte, avec ses lacunes, ses imprécisions semble indiquer.
4. Le brouillon est tellement embrouillé qu’ils ne sont même pas capables de déterminer son origine, son auteur sans balbutier. Pour épouvanter les fidèles, on en est réduit à brandir des notes anonymes !
5. Mais on s’appuie sur cela pour crier bien haut et fort que la Fraternité est schismatique et excommuniée, des termes qui, dans la bouche de leurs auteurs, ont perdu quasiment toute force.
6. Quel sens faut-il attribuer à « l’excommunication », qui en soi signifie un rejet hors de l’Église ? Lorsque les autorités romaines pensent pouvoir dégrader le Dogme « hors de l’Église pas de salut » à « son sens originel, celui d’exhorter à la fidélité les membres de l’Église [5] », on est poussé à penser que l’excommunication peut avoir tout au plus une valeur similaire… un tigre de papier.
Que la justice et le droit soient si manifestement bafoués dans leurs principes les plus élémentaires, cela ne semble pas émouvoir le moins du monde les autorités ecclésiastiques ou la Fraternité Saint-Pierre. Quelle autorité civile aurait jamais osé un tel vice de forme ? Aucune. C’est ainsi que se perd la crédibilité… Force est de constater qu’encore une fois le chemin de la condamnation de la Fraternité est entachée d’une injustice crasse de la part des autorités ecclésiastiques. Nihil novi sub sole.
On nous fait parfois le reproche de ne pas faire recours à Rome contre de telles énormités : peine perdue, car on nous rétorquera « Prima sedes a nemine judicatur ». Causa finita. Pas étonnant alors d’entendre de la bouche du cardinal Ratzinger dans son livre Le sel de la terre : « Le pouvoir dont nous disposons est réellement très mince aujourd’hui [6] ».
Quant au contenu des documents
Ils tendent à affirmer, avec une certaine obscurité l’existence d’un schisme concrétisé par le sacre des évêques le 30 juin 1988, et par conséquent l’excommunication pour tous ceux qui adhèrent formellement au soit-disant schisme : évêques, prêtres, fidèles.
On affirme l’absence de nécessité sans rien prouver, autrement dit, on en revient au sempiternel « obéissez » sans vouloir entrer en matière sur la question de fond.
Pourquoi, malgré les graves menaces, Mgr Lefebvre a‑t-il estimé devoir passer outre ? Pourquoi refusons-nous l’ordre qui nous est intimé de nous aligner sur les réformes conciliaires et post conciliaires ? A quel titre prétendons-nous avoir le Droit à une telle opposition ? Pourquoi cette opposition n’est pas schismatique ?
La réponse se trouve dans le fondement même de l’autorité et de l’obéissance corrélative :
– Dans toute société, l’autorité découle comme nécessairement de la nature de la société [7] dans laquelle elle s’exerce comme une condition sine qua non.
– Cette nature, elle, dépend de la fin, du but que la société se propose d’atteindre. Le but fixe la nature, la structure, les moyens de chaque société.
– L’autorité est donc limitée par la fin de la société, qui fixe le cadre, l’étendue et la compétence de l’Autorité.
L’Autorité a pour fonction de diriger les intelligences et les volontés vers le but de la société (elle est ainsi principe d’unité de la société).
Jamais cette autorité humaine ne peut changer ce dont elle-même dépend : le but, et la plupart du temps la structure, les moyens de la société (nous parlons ici des sociétés parfaites : la société civile, l’Église). « Le droit de l’Église de commander aux fidèles est renfermé dans les limites que constitue la nécessité ou l’utilité du salut éternel des âmes [8] ».
Si elle s’avisait de faire cela, elle dépasserait ses compétences, ce serait un abus d’autorité et dans ce cas il n’est plus question d’obéissance pour les membres, mais bien de résistance selon la gravité de l’abus.
Lorsqu’il s’agit de l’autorité papale, la plus haute qui existe sur terre, souveraine et universelle, les limites sont fixées non seulement par son but (continuer la mission salvifique de Notre-Seigneur), par les commandements de Dieu et de Notre-Seigneur son fondateur (par ex : « Allez, enseignez toutes les nations » etc.), mais aussi par la Constitution divine de l’Église.
Si cette autorité, censée être le miroir exact de Notre-Seigneur lui-même (« Qui vous écoute m’écoute ») entendait enfreindre ces limites, il y aurait abus d’autorité et il faudrait répondre, comme saint Pierre au Sanhédrin : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ».
Or le reproche que nous adressons au Concile et aux réformes post conciliaires est précisément de prétendre changer 1) la nature de l’Église, épouse unique du Christ Sauveur, unique dépositaire des moyens de salut, surnaturels, de par la communication des biens de son divin époux, 2) sa structure (par la collégialité anonyme et paralysante), 3) ses moyens par une réduction de la grâce (messe et sacrements) aux activités humaines. Ces changements ne sont pas une perception subjective de notre part, ils sont reconnus et déclarés par les autorités en place [9].
C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas obéir. Nous refusons l’ordre de démolition pour abus de pouvoir.
Nous ne sommes pas ceux qui ont changé. Toute l’Église pendant tous les temps, depuis saint Paul a mis en garde contre ce genre de changements. C’est au nom de l’enseignement pluriséculaire de l’Église infaillible que nous refusons de marcher dans l’auto-démolition de l’Église.
Tant que Rome n’acceptera pas de traiter de ce problème gravissime, nous resterons dans une sorte de cercle vicieux, un dialogue de sourds.
On aura beau agiter tous les épouvantails d’excommunication qu’on voudra, nous continuerons à réclamer à cor et à cri de notre Mère le lait d’une doctrine non frelatée, la foi sans coupes sombres, le droit de louer et adorer Dieu dignement et sans théâtre ni folklore, comme l’ont fait nos pères, celui de recevoir la nourriture substantielle de la grâce par des sacrements non douteux, celui d’être conduits et dirigés vers des pâturages éternels et non dans le désert de l’innovation évolutive, selon le mot de Paul VI : « Le mot de « nouveauté » nous a été donné comme un ordre, comme un programme [10] ».
L’Église se meurt, déchirée par les divisions qu’on occulte sous l’étiquette mensongère : « Ici on est en communion avec le pape » ; elle est empoisonnée par les doctrines délétères de l’hérésie, « répandues à pleines mains » selon les paroles de Jean-Paul II en 1981 [11] ! Rome elle-même s’égare dans les dédales de la « théologie des valeurs terrestres » au lieu de rappeler les lumineuses exigences et les intérêts de notre Créateur et Sauveur.
Il est temps que les apprentis sorciers cessent leurs malheureuses expériences et que l’on revienne à la sagesse séculaire dont l’Église n’a jamais défailli, qu’on nous rende la foi, la grâce, la sainteté, le sacerdoce, la messe, la papauté, tous les trésors où repose notre cœur de catholiques romains. Ils sont nôtres, nous y avons un droit strict dont aucune autorité humaine ne pourra nous priver, même pas la Rome post-conciliaire.
Daigne le Cœur Immaculé de Marie, qui veille sur l’Église, nous obtenir cette fidélité jusqu’à la mort, garantie du salut : « Seul celui qui aura été trouvé fidèle jusqu’au bout sera sauvé ».
« La joie du Seigneur est notre force ! » Qu’il daigne vous bénir.
Menzingen, le 29 septembre 1997, en la fête de saint Michel Archange
+ Bernard Fellay
Supérieur général
[1] « Evangile et mission » n° 21, 29 mai 1997.
[2) Lettres 153/96 du 12 novembre 1996, 667/89 du 1er décembre 1996, 90/97 du 21 juin 1997, etc.
[3] En ce qui concerne la date du décret d’excommunication, le texte disait « notre décret du 1er juin 1988″.
[4] Exaudiat, Mai 1997 –(Feuille catholique du pays de Somme).
[5] Texte de la Commission Internationale de théologie sur la question « Extra Ecclesiam nulla salus », n° 31, La documentation catholique n° 2157, 6 avril 1997, p. 323.
[6] Cardinal Ratzinger, Le sel de la terre, Flammarion, 1987, p. 86.
[7] Un philosophe, Gredt, qualifie l’autorité de propriété nécessaire. (Terme philosophique qui indique une qualité découlant nécessairement de l’essence d’une chose, comme p. ex : rire est le propre de l’homme.) Joseph Gredt, Elementa Philosophiæ, Tome II, Herder, Barcelone, 1961, p. 459.
[8] Cardinal Ottaviani, Institutiones juris publici ecclesiastici, Edition polyglotte vaticane, Rome, 1958, p. 177.
[9] Mgr Polge, évêque d’Avignon : « L’Église de Vatican II est nouvelle et l’Esprit-Saint ne cesse de la sortir de l’état statique ». Osservatore Romano du 3 septembre 1976, (Cf. Iota Unum, p. 102).
Mgr Schmitt, évêque de Metz : « La situation de civilisation que nous vivons entraîne des changements non seulement dans notre comportement extérieur, mais dans la conception même que nous nous faisons tant de la création que du salut apporté par Jésus-Christ ». (Cf. Iota Unum n° 37, p. 66 ; Itinéraires n° 160, p. 206).
Tout le livre de Romano Amerio, Iota Unum, Etude des variations de l’Église catholique au XXe siècle, serait à citer.
r« Lorsqu’il y a conflit entre les personnes et la foi, c’est la foi qui doit plier » – « De quel Dieu les sacrements sont signe », Centre Jean Bart, Paris 1975, pp. 14–15.
« En effet, surtout depuis les conférences panorthodoxes et le deuxième concile du Vatican, la redécouverte et la remise en valeur, tant par les orthodoxes que par les catholiques, de l’Église comme communion, ont changé radicalement les perspectives et donc les attitudes » Déclaration de Balamand du 23 juin 1993, art 13, La Documentation catholique, n° 2077 (1993), p. 712.
Jean-Paul II : « Le concile Vatican II nous a donné une nouvelle vision de l’Église, une vue plus ouverte à l’universalité du peuple de Dieu ». Au clergé de Rome, Osservatore Romano du 8 mars 1991.
[10] Osservatore Romano du 3 juillet 1974.
[11) J.P. II, 6 février 1981, Osservatore Romano du 8 février 1981.
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