Aux sources du Carmel : Editorial du numéro 6 d’octobre 2005

Cher frère. Chère sœur,

Dans la conti­nui­té du bul­le­tin pré­cé­dent où nous par­lions de l’es­prit de sacri­fice et du renon­ce­ment, nous avons pris pour thèmes de celui-​ci l’ou­bli et le don de soi. Pour par­ve­nir à aimer Dieu par­fai­te­ment, il ne suf­fit pas de déta­cher son cour des créa­tures, il faut encore le déta­cher entiè­re­ment de soi-​même : il faut ces­ser de regar­der et de recher­cher ses inté­rêts propres, en un mot il faut savoir s’ou­blier pour ne plus s’oc­cu­per que des inté­rêts et du bon plai­sir de Dieu. Le pur amour de Dieu est com­plè­te­ment dés­in­té­res­sé, il exclut tout sen­ti­ment de recherche per­son­nelle. Aussi est-​il incom­pa­tible avec l’amour-​propre, cet amour désor­don­né de soi-​même ou égoïsme qui est à la racine des sept péchés capi­taux qui nous empêche d’ai­mer Dieu par-​dessus tout et nous porte à nous détour­ner de Lui.

«]e ne suis pas une égoïste, confiait sainte Thérèse de l’Enfant-​Jésus deux mois avant de mou­rir ; c’est le Bon Dieu que j’aime, ce n’est pas moi. »

En toute sim­pli­ci­té et sin­cé­ri­té, sainte Thérèse révèle à la fois les dis­po­si­tions intimes qui l’ont ani­mée tout au long de sa vie et la voie royale qui conduit au pur amour de Dieu.

« C’est le Bon Dieu que j’aime. »

Son bon­heur ici-​bas était de Le réjouir, de Le conten­ter, de Lui faire plai­sir, de tout faire par amour pour Lui. Et pour y par­ve­nir, elle choi­sit la voie royale du dés­in­té­res­se­ment, de la désap­pro­pria­tion, de la désoc­cu­pa­tion, de l’ou­bli d’elle-même.

Dans son billet de pro­fes­sion, écrit le 8 sep­tembre 1890, elle s’a­dresse ain­si à l’Epoux divin :

« Fais que je ne sois jamais à charge à la com­mu­nau­té mais que per­sonne ne s’oc­cupe de moi, que je sois regar­dée fou­lée aux pieds, oubliée comme un petit grain de sable à toi, Jésus. »

A sa sœur Agnès de Jésus elle écri­vait le 4 mai 1890, usant de la même comparaison :

« Oh ! comme il [ce grain de sable, i.e. elle-​même] désire d’être réduit à rien, d’être incon­nu de toutes les créa­tures, pauvre petit, il ne désire plus rien rien que l’OUBLI…, non pas les mépris, les injures, ce serait trop glo­rieux pour un gram de sable… Oui je désire d’être oubliée, et non seule­ment des créa­tures mais aus­si de moi-​même, je vou­drais être tel­le­ment réduite au néant que je n’aie aucun désir… La gloire de Jésus ; voi­là tout ; pour la mienne, je la lui aban­donne, et s’il semble m oublier, eh bien ! il est libre puisque je ne suis plus à moi, mais à lui…»

Le regard de Jésus lui suffit :

« Tachant de me faire oublier, je ne vou­drais d’autre regard que celui de Jésus… Qu” importe si je parais pauvre et dénuée de talents… ]e veux mettre en pra­tique ce conseil de l” Imitation Ll ch 2 v 14, « Voulez-​vous apprendre quelque chose qui vous serve : Aimez à être igno­ré et comp­té pour rien ! » En pen­sant tout cela j’ai sen­ti une grande paix en mon âme, j’ai sen­ti que c” était la “véri­té et la paix ! » (à sa sœur Léonie, 28 avril 1895).

C’est la science fon­da­men­tale trai­tée tout au long de ce cha­pitre 2 de L’Imitation. Cette vraie science qui devien­dra Sagesse et pru­dence, a pour fon­de­ment une triple connais­sance : celle de notre igno­rance, de notre pro­fonde misère et de notre fai­blesse. Elle faci­lite la pra­tique de la cha­ri­té fra­ter­nelle nous condui­sant à

« Ne faire aucun cas de soi et avoir des autres des sen­ti­ments favo­rables et éle­vés » (Imitation, L 1 ch 2/​vl6).

L’amour dés­in­té­res­sé n’a­git pas en vue de la récom­pense. A l’of­fice de sexte, c’est bien à contre cour que sainte Thérèse pro­nonce ce ver­set du psaume 118

« Inclinavi cor meum ad facien­das jus­ti­fi­ca­tiones tuas in aeter­num, prop­ter retri­bu­tio­nem (J’ai incli­né mon cour à la pra­tique de vos com­man­de­ments, à cause de la recom­pense). « Intérieurement je m’empresse de dire : 0 mon Jésus, vous savez bien que ce n’est pas pour la récom­pense que je vous sers ; mais uni­que­ment parce que je vous aime et pour sau­ver des âmes. »

Elle se réjouit de ses ari­di­tés bien loin de s’en affliger,

» heu­reuse de suivre son Fiancé pour Lui seul et non à cause de ses dons. Lui seul, il est si beau ! si ravis­sant ! même quand il se cache ! »

Quelle est donc la rai­son de ce dés­in­té­res­se­ment ? Elle nous est don­née dans ce mot échap­pé de son cour :

« C’est à nous de conso­ler Jésus ; ce n’est pas à Lui de nous conso­ler » (Conseils et Souvenirs)

Le propre de l’a­mour étant de s’ou­blier pour celui que l’on aime, plus on s’ou­blie et plus on aime. Sainte Thérèse d’Avila l’en­ten­dait ain­si quand elle défi­nis­sait la perfection

« l’é­tat d’une âme entiè­re­ment désoc­cu­pée d’elle-​même et n’ayant plus de pen­sées et de dési­rs que pour les inté­rêts de la gloire de Dieu. »

Une âme humble, dans la mesure où elle est humble, se perd de vue, s’ou­blie, et, au lieu de dis­per­ser ses pré­oc­cu­pa­tions et ses pen­sées, elle les concentre toutes sur son Bien-Aimé.

Telles étaient les dis­po­si­tions de la Très Sainte Vierge Marie tout spé­cia­le­ment au pied de la Croix où l’Église nous invite à nous tenir avec Elle dans la prière du Stabat :

« Juxta Crucem tecum stare et me tibi sociare in planc­tu desi­de­ro » (Je veux avec Vous me tenir près de la Croix et m’u­nir à Vous dans Vos larmes).

Qu’Elle daigne nous les obte­nir par les mérites de Son Divin Fils.

+ Je vous bénis.

Abbé L.-P. Dubroeucq +