Les attaques contre le célibat ecclésiastique

Ô beau fruit de la chas­te­té, en qui le sacer­doce s’est complu

Saint Ephrem, 4e siècle

Au sujet de la franc-​maçonnerie, le pape Pie IX dans son ency­clique Qui Pluribus du 9 novembre 1846, avait écrit, s’a­dres­sant aux évêques :

Vous connais­sez les autres mons­truo­si­tés de fraudes et d’er­reurs par les­quelles les enfants de ce siècle s’ef­forcent chaque jour de com­battre avec achar­ne­ment la reli­gion catho­lique et la divine auto­ri­té de l’Église, ses lois non moins véné­rables […] C’est à ce [même] but encore que tend cette hon­teuse conju­ra­tion qui s’est for­mée nou­vel­le­ment contre le céli­bat sacré des membres du cler­gé, conspi­ra­tion qui compte, ô dou­leur ! Parmi ses fau­teurs quelques membres de l’ordre ecclé­sias­tique, les­quels, oubliant misé­ra­ble­ment leur propre digni­té, se laissent vaincre et séduire par les hon­teuses illu­sions et les funestes attraits de la volupté.

Saint Pie X dans son ency­clique Pascendi du sep­tembre 1907, quand il en vient à décrire l’ac­tion des moder­nistes dans le domaine de la Morale catho­lique, sem­blait insi­nuer que leur ultime attaque concer­ne­rait le céli­bat ecclésiastique :

En morale, au cler­gé ils demandent de reve­nir à l’hu­mi­li­té et à la pau­vre­té antiques, et, quant à ses idées et son action, de les régler sur leurs prin­cipes. Il en est enfin qui, fai­sant écho à leurs maîtres pro­tes­tants, dési­rent la sup­pres­sion du céli­bat ecclé­sias­tique. Que reste-​t-​il donc sur quoi, et par appli­ca­tion de leurs prin­cipes, ils ne demandent réforme ?

Que pen­sez alors de ce qui semble vou­loir être mis en place dans l’Eglise catho­lique d’Occident ?

Le pape François avait écrit en 2010 :

si l’Eglise chan­geait un jour sur ce point, ce serait pour une rai­son cultu­relle, dans un endroit pré­cis, non de façon uni­ver­selle ou en sui­vant un choix per­son­nel » ; « à l’heure d’au­jourd’­hui, je sous­cris à la posi­tion de Benoît XVI : le céli­bat doit être main­te­nu, j’en suis convaincu

Après les pro­pos de dif­fé­rents car­di­naux ou du pape lui-​même, on peut se deman­der si « l’heure d’au­jourd’­hui » de 2010 n’est pas révo­lue aux yeux du pape et de cer­tains cardinaux.

La der­nière fois où cette ques­tion avait été abor­dé avec l’a­val des hautes auto­ri­tés ecclé­sias­tiques, ce fut la période pré­pa­ra­toire au concile Vatican II : un domi­ni­cain, le Père Spiazzi, avait posé la ques­tion de l’ou­ver­ture du sacer­doce à des hommes mariés. Toutes les rai­sons avan­cées à l’ap­pui d’une telle réforme por­taient sur deux grands axes : la dimi­nu­tion des voca­tions sacer­do­tales alliée aux besoins gran­dis­sant de prêtres ; et les dif­fi­cul­tés que ren­con­trait la chas­te­té par­faite en rai­son du milieu de plus en plus mal­sain et de la fai­blesse phy­sique et psy­chique des nou­velles générations.

Jean XXIII, et c’est tout à son hon­neur, répon­dit à ces pro­po­si­tions lors du Synode dio­cé­sain de Rome de 1960. Il décla­ra qu’il était navré par le fait que « pour sau­ver quelque lam­beau de leur digni­té per­due, d’au­cuns puissent déli­rer quant à savoir s’il faut, s’il convient que l’Eglise renonce à ce qui, pen­dant des siècles et des siècles, a été et reste l’une des gloires les plus nobles et les plus pures de son sacer­doce. » Certains inter­pré­tèrent ces paroles de façon mini­ma­liste, dans le sens d’ex­clure toute demande de modi­fi­ca­tion de la loi du céli­bat qui aurait éma­né de prêtres infi­dèles, puisque le pape fai­sait allu­sion à ceux qui auraient vou­lu « sau­ver quelque lam­beau de leur digni­té per­due ». Jean XXIII revint alors sur le sujet quelques temps plus tard dans une audience pri­vée et il sou­li­gna qu’il avait vou­lu réagir contre l’illu­sion que la rigueur de la loi du céli­bat ecclé­sias­tique pût être atténuée.

Cela n’empêcha pas cer­taines voix de se faire à nou­veau entendre pen­dant que le concile Vatican II se dérou­lait, pour récla­mer l’at­té­nua­tion ou la sup­pres­sion de la loi du céli­bat. En plus des rai­sons déjà invo­quées, on allé­guait l’exemple de l’Eglise orien­tale et les excep­tions admises peu de temps aupa­ra­vant pour des pas­teurs conver­tis qui, tout en étant mariés, furent ordon­nées prêtres et purent exer­cer leur minis­tère sacerdotal.

Essentiellement, les argu­ments mis en avant dans les attaques actuelles contre le céli­bat ecclé­sias­tique ne sont pas nou­velles : dif­fi­cul­tés de vivre la chas­te­té par­faite, manque de prêtres, exis­tence d’un cler­gé marié en Orient. Aux vues des décla­ra­tions récentes, on voit aus­si l’af­fir­ma­tion que cette loi étant une loi ecclé­sias­tique, elle pour­rait être abrogée.

En fait, ce qu’il convient de mettre en lumière c’est le lien qui existe entre céli­bat ecclé­sias­tique et sacer­doce. Ce ne peut être une néces­si­té abso­lue et essen­tielle, car la dis­ci­pline ecclé­sias­tique d’Orient ne pour­rait pas s’ex­pli­quer. N’est-​ce alors qu’une loi humaine sans autre fon­de­ment qu’une fer­veur deve­nue dépas­sée car irréa­li­sable et donc à réfor­mer ? Mais aupa­ra­vant écou­tons l’en­sei­gne­ment de la Tradition et les leçons de l’his­toire de l’Eglise.

La Tradition de l’Eglise

Dans les pre­miers siècles, on ne connaît pas de loi posi­tive écrite qui oblige les clercs au céli­bat. Mais il est déjà très à l’hon­neur et pra­ti­qué par de nom­breux clercs. Et la cou­tume qui pré­vaut et se répand, fon­dée sur les conseils du Christ dans l’Evangile (Mt 19, 12 : « Il y a des eunuques qui se sont ren­dus tels en vue du Royaume des Cieux. Que celui qui est capable de le sai­sir le com­prenne ») et sur les décla­ra­tions de saint Paul met­tant en avant sa propre chas­te­té comme la meilleure part (1Cor 7, 7 ; 25). De la géné­ra­li­sa­tion de la cou­tume, sur­gi­ront les pres­crip­tions juri­diques, dont la pre­mière est édic­tée par le concile d’Elvire en Espagne, vers 300 : elle inter­dit l’u­sage du mariage à tous les clercs entrés dans les ordres sacrés.

En 325, au concile de Nicée, se révèlent la force acquise par cet idéal de chas­te­té en même temps que la diver­gence entre les Eglises d’Occident et celles d’Orient. Ce concile inter­dit aux clercs le mariage après la récep­tion des Ordres sacrés, mais ne leur défend pas d’u­ser d’un mariage contrac­té aupa­ra­vant. Les évêques occi­den­taux auraient vou­lu inter­dire cet usage et pro­cla­mer le prin­cipe de la conti­nence par­faite mais ils ne furent pas sui­vis par leurs homo­logues d’Orient. La diver­gence ne por­tait pas sur la nature de l’i­déal de la chas­te­té sacer­do­tale ni sur son ampleur, mais sur la pos­si­bi­li­té concrète d’application.

En Occident, la loi de chas­te­té par­faite fut fina­le­ment for­mu­lée et mise en vigueur, notam­ment par les papes, quelques années après le concile de Nicée. Le pape Sirice, lors du concile romain tenu en 386, impo­sa la conti­nence aux prêtres et aux diacres. Il com­mu­ni­qua ses déci­sions aux Eglises d’Espagne et d’Afrique. Peu après le pape Innocent Ier impo­sa aus­si cette loi à l’Eglise de Gaule. Vers 440 le pape saint Léon le Grand renou­ve­la les pres­crip­tions de son pré­dé­ces­seur et il y sou­mit les sous-diacres.

Ainsi au 5e siècle la légis­la­tion en Occident est fer­me­ment éta­blie et elle trouve d’ailleurs un appui dans la doc­trine des Pères de l’Eglise comme saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin ou saint Ephrem.

Par la suite, des crises sur­girent dans l’Eglise d’Occident sur ce sujet, mais elles pro­vo­quèrent tou­jours un rap­pel des pres­crip­tions anté­rieures de la part des auto­ri­tés ecclé­sias­tiques. Saint Grégoire VII par exemple, rap­pe­la la cou­tume tra­di­tion­nelle en 1074. La plus grave des crises tou­chant le céli­bat ecclé­sias­tique eut lieu entre le 14e et le 15e siècle, où le concu­bi­nage des clercs devint une plaie de l’Eglise. Certains cano­nistes pré­co­ni­sèrent alors l’a­bro­ga­tion de la loi du céli­bat puis­qu’on ne par­ve­nait pas à répri­mer ce concu­bi­nage. La réponse fut celle du concile de Trente : loin de céder à la situa­tion appa­rem­ment inex­tri­cable et irré­mé­diable, il rap­pe­la la loi du céli­bat, rap­pe­la aus­si l’in­va­li­di­té du mariage contrac­té par les clercs et se pré­oc­cu­pa d’une meilleure for­ma­tion des prêtres, qui de fait, faci­li­te­ra la res­tau­ra­tion de la discipline.

En Orient, dès avant le concile de Nicée, d’autres conciles avaient inter­dit aux clercs consti­tués dans les Ordres sacrés de contrac­ter mariage. Le concile in Trullo, en 692, reprit cette pres­crip­tion et fixa la dis­ci­pline qui reste en vigueur jus­qu’à nos jours : l’é­vêque doit gar­der la conti­nence par­faite. On voit ain­si que l’i­déal en Orient est aus­si le céli­bat ecclé­sias­tique, puisque l’é­vêque doit s’y conformer.

Le fondement du célibat ecclésiastique : le caractère sacerdotal

Le débat sur ce sujet, deve­nu néces­saire face aux attaques récentes per­pé­trées contre le céli­bat ecclé­sias­tique, ne doit pas d’a­bord por­ter sur les bien­faits qu’ap­porte la chas­te­té par­faite à une vie sacer­do­tale ; ni dans la com­pa­rai­son des avan­tages et incon­vé­nients du mariage et du céli­bat. Il faut avant tout se remettre devant les yeux l’es­sence du sacerdoce.

Tout en n’é­tant pas abso­lu­ment néces­saire à l’exis­tence ni à l’exer­cice du Sacerdoce (sinon on ne peut com­prendre la légis­la­tion des Eglises d’Orient), le céli­bat sacer­do­tal lui est pro­fon­dé­ment adap­té et est comme récla­mé pour la per­fec­tion du sacerdoce.

Dans l’his­toire de l’Eglise, on voit que l’une des prio­ri­tés de l’ac­tion des papes suc­ces­sifs, a été la sain­te­té des prêtres. Or dans les crises qui ont jus­te­ment atten­té à cette sain­te­té, l’Eglise a tou­jours réagi pour assu­rer cette sain­te­té en rap­pe­lant la néces­si­té d’ob­ser­ver le céli­bat ecclésiastique.

Cette sain­te­té fon­da­men­tale du sacer­doce catho­lique, c’est dans le carac­tère sacer­do­tal reçu à l’Ordination, qu’elle doit être recher­chée. Ce carac­tère est impri­mé dans l’âme du prêtre par le carac­tère et pro­duit une consé­cra­tion, une sain­te­té objec­tive qui est à la base de toutes les grâces sacer­do­tales aux­quelles il dis­pose, et qui requiert aus­si de la part de celui qui le reçoit une sanc­ti­fi­ca­tion sub­jec­tive, à la hau­teur de la grâce reçue.

Et c’est jus­te­ment pour se confor­mer aux exi­gences du carac­tère sacer­do­tal que celui qui s’en­gage sur la voie du sacer­doce par l’Ordination, fait le vœu de chas­te­té, qui engage le clerc dans la chas­te­té parfaite.

Mais à quel titre le carac­tère sacer­do­tal réclame-​t-​il la chas­te­té parfaite ?

1er argument : le Prêtre est l’homme de Dieu

Le carac­tère est une marque, un signe de pro­prié­té. Et le carac­tère sacer­do­tal achève de faire d’une per­sonne humaine, la pro­prié­té de Dieu. Il com­plète et pousse à l’ex­trême la consé­cra­tion qui avait déjà été réa­li­sée par le bap­tême puis par la confir­ma­tion. Le Christ reven­dique toute l’exis­tence et toutes les forces de cet homme pour son ser­vice exclusif.

Cette totale appar­te­nance a pour but d’as­su­rer l’exer­cice des fonc­tions sacer­do­tales : elle doit per­mettre au prêtre de rendre à Dieu, par le culte, un hom­mage com­plet de lui-​même, de se dévouer sans réserve à l’a­pos­to­lat de la pré­di­ca­tion et de la tâche pas­to­rale qui consiste à sanc­ti­fier les âmes. Car le prêtre n’est pas prêtre pour lui mais pour Dieu et les âmes.

Cette appar­te­nance de prin­cipe, gra­vée dans l’âme du prêtre par le carac­tère, doit se concré­ti­ser dans une forme de vie adap­tée à cette consé­cra­tion. Or l’é­tat de vie qui cor­res­pond le mieux à cela, c’est la chas­te­té par­faite. L’autorité des Pères de l’Eglise est un argu­ment de poids à l’ap­pui de cette affir­ma­tion. Saint Epiphane par exemple, qui est inté­res­sant car il nous livre la pen­sée de l’Eglise d’Orient au 4e siècle, écrit :

L’Eglise n’ad­met pas au dia­co­nat, à la prê­trise, à l’é­pis­co­pat, ni même au sous-​diaconat, celui qui vit encore dans le mariage et engendre des enfants. Mais du moins me diras-​tu, en cer­tains endroits les prêtres, les diacres et les sous-​diacres conti­nuent d’a­voir des enfants. Ce n’est pas selon la règle ; cela résulte de la dis­po­si­tion des hommes à se lais­ser aller à la mol­lesse selon les occa­sions, et cela arrive à cause des besoins de la masse pour qui on ne trouve pas de ministres en nombre suf­fi­sant. Je dis qu’en rai­son des obli­ga­tions de culte et de ser­vice, il convient que le prêtre, le diacre, l’é­vêque se voue à Dieu (dans le sens de vœu de chasteté).

Panarion L. II, t. I, Haer., 59, 4

Ainsi la pro­prié­té de droit de Dieu sur son prêtre s’ac­com­pagne aus­si d’une pos­ses­sion de fait, grâce au vœu de chas­te­té et à la loi du céli­bat ecclésiastique.

2e argument : le Prêtre est un autre Christ

La « marque » confé­rée par le sacre­ment de l’Ordre n’est pas seule­ment un signe de pro­prié­té, mais elle est en même temps une res­sem­blance avec le Christ, par­ti­cu­liè­re­ment dans son Sacrifice. Le prêtre est confi­gu­ré au Christ, il est un « alter Christus ».

D’ailleurs toute appar­te­nance à Dieu implique une trans­for­ma­tion pro­fonde de l’être, et c’est bien le cas du sacre­ment de l’Ordre qui consacre le prêtre d’une façon toute spé­ciale à Dieu, par le carac­tère reçu.

Le prêtre doit donc être confi­gu­ré au Christ en rai­son du carac­tère reçu. Il doit por­ter en lui pro­fon­dé­ment l’i­mage du Christ, de façon à par­ler en son nom, à prê­cher l’Evangile avec l’au­to­ri­té du Christ. Et sur­tout, il doit être si fon­ciè­re­ment iden­ti­fié au Christ, qu’il puisse pro­non­cer les paroles de la Consécration au nom de Jésus-​Christ, que ce soit Jésus-​Christ qui parle à tra­vers lui dans l’ad­mi­nis­tra­tion des autres sacre­ments, qu’il lui laisse toute la place et dis­pa­raisse der­rière son divin Maître.

Or pour accom­plir une telle chose, il convient que le prêtre adopte l’i­déal de chas­te­té par­faite incar­né par le Fils de Dieu fait homme.

La source du céli­bat sacer­do­tal se trouve dans une volon­té essen­tielle d’i­mi­ta­tion de Jésus-​Christ. Mais com­pre­nons bien, que cette volon­té per­son­nelle que l’on doit trou­ver en tout prêtre ne résulte pas uni­que­ment d’un atta­che­ment, o com­bien légi­time, de suivre la voie tra­cée par Jésus-​Christ. Cette volon­té s’en­ra­cine aus­si et sur­tout dans le carac­tère sacer­do­tal. Elle réa­lise dans la manière de vivre la res­sem­blance que l’or­di­na­tion sacer­do­tale a gra­vée au fond de l’être.

D’ailleurs Notre-​Seigneur lui-​même a invi­té ses dis­ciples à une imi­ta­tion de sa chas­te­té quand il a dit :

Il y a des eunuques qui se sont ren­dus tels en vue du Royaume des Cieux. Que celui qui est capable de le sai­sir le com­prenne (Mt 19, 12).

3e argument : le Prêtre est un sanctificateur des âmes

Le carac­tère sacer­do­tal confère un pou­voir, un pou­voir actif de rendre le culte à Dieu, un double pou­voir sur le Corps du Christ : sur son Corps phy­sique, dans l’Eucharistie ; sur son Corps mys­tique, qui est l’Eglise. Or de ces deux points de vue, la plus grande pure­té est néces­saire au prêtre.

Le pou­voir du prêtre sur le Corps phy­sique du Christ s’exerce à la Messe, qui est le point culmi­nant de la fonc­tion sacer­do­tale. Or deux argu­ments sont pré­sen­tées dans la Tradition pour deman­der la chas­te­té par­faite au prêtre en rai­son du contact que celui-​ci entre­tient avec Corps du Christ dans l’Eucharistie et à la Messe.

La pre­mière vient de des condi­tions dans les­quelles l’Incarnation a eu lieu et qui doivent se reflé­ter dans la venue du Verbe à l’Autel : c’est par la Vierge que le Christ a été don­né au monde ; c’est par des mains chastes que le Christ est don­né au monde dans le Saint Sacrifice de la Messe.

La seconde rai­son, encore plus sou­li­gnée par la Tradition, c’est que le Sacrifice de la Messe, où le Christ renou­velle l’im­mo­la­tion inté­grale de la Croix, engage le prêtre dans une offrande totale, dans une immo­la­tion de toute sa per­sonne. Or pour être com­plète, l’o­bla­tion doit pré­sen­ter à Dieu un cœur, qui en renon­çant aux affec­tions ter­restres, se voue exclu­si­ve­ment à Lui, et un corps qui, en s’abs­te­nant des plai­sirs char­nels, s’ouvre plei­ne­ment à la sain­te­té spi­ri­tuelle. C’est ce qu’é­cri­vait le pape Sirice quand il impo­sait la chas­te­té par­faite aux prêtres et aux diacres.

Quant au pou­voir sur le Corps mys­tique du Christ c’est-​à-​dire l’Eglise, il réclame lui aus­si, pour être plei­ne­ment au ser­vice des âmes, la chas­te­té par­faite. L’illustration en est don­née par saint François de Sales : à une dame pro­tes­tante qui reve­nait sans cesse lui expo­ser ses griefs contre le « papisme » et qui trou­vait inhu­main et inex­cu­sable le céli­bat des prêtres, il répon­dit : « Répondez-​moi un peu… Le moyen que je puisse vaquer à toutes vos petites dif­fi­cul­tés si j’a­vais femme et enfant ? » Cette réponse « mali­cieuse » du saint fut d’ailleurs pour cette dame pro­tes­tante, l’oc­ca­sion de se conver­tir et de reve­nir à l’Eglise catho­lique. De plus, par l’exemple de la chas­te­té par­faite, le prêtre peut plus faci­le­ment sti­mu­ler l’ef­fort de chas­te­té des fidèles ; il lui accorde aus­si une pater­ni­té spi­ri­tuelle sur les âmes en renon­çant à la géné­ra­tion charnelle.

Enfin, la chas­te­té sacer­do­tale est l’i­mage d’un amour plus grand pour Jésus-​Christ. Et c’est la mis­sion du prêtre que d’in­car­ner jus­te­ment par­mi les hommes cette per­fec­tion supé­rieure de l’a­mour. Par le don qu’il fait de lui-​même, le prêtre peut être plus inté­gra­le­ment l’homme de Dieu. Et parce qu’il est l’homme de Dieu, il peut être l’homme de tous, « l’homme man­gé » selon le Vénérable Père Chevrier, celui qui ne se ménage pas lui-​même pour ser­vir autrui, celui qui se sacri­fie sans comp­ter pour le bien de ceux qui l’entourent.

Ainsi d’a­près tout ce qui vient d’être dit, on voit que le sacer­doce ne réclame pas la chas­te­té par­faite comme néces­saire abso­lu­ment car cela ne s’ac­corde pas avec la pra­tique de l’Eglise d’Orient. Mais c’est un lien essen­tiel de conve­nance qui unit sacer­doce et céli­bat : essen­tiel car le céli­bat convient émi­nem­ment au sacer­doce ; de conve­nance uni­que­ment car, comme on l’a vu, le céli­bat n’est pas abso­lu­ment néces­saire ni à la vali­di­té du sacer­doce, ni à l’ac­com­plis­se­ment valide et fruc­tueux des fonc­tions sacerdotales.

Et ce lien essen­tiel de conve­nance n’est pas rien, sur­tout quand toute la dis­ci­pline de l’Eglise d’Occident est là pour confor­ter ce lien.

L’idéal de la chas­te­té sacer­do­tale est très éle­vé. Certains, comme Luther, le trou­vaient et le trouvent encore trop éle­vé et sont impres­sion­nés par les infi­dé­li­tés qui font par­fois scan­dale dans l’Eglise.

Mais y aurait-​il moins d’in­fi­dé­li­tés si les prêtres étaient mariés ? Luther, qui avait espé­ré que le mariage aurait tem­pé­ré les ten­ta­tions chez lui et chez d’autres, consta­ta qu’il n’en était rien.

Les infi­dé­li­tés ne doivent pas faire oublier l’im­mense effort de fidé­li­té de la plu­part des prêtres.

Le Concile de Trente a décla­ré que cet idéal n’é­tait pas impos­sible à réa­li­ser, parce que le don de la chas­te­té n’est pas refu­sé par Dieu aux clercs qui le lui demandent et que per­sonne n’est ten­té au-​dessus de ses forces (Session 24, canon 9)

Prions donc pour que Notre-​Seigneur donne à ses prêtres le cou­rage et la fidé­li­té pour L’aimer par-​dessus tout.

Qu’en [eux] res­plen­disse d’un éclat inal­té­rable la chas­te­té, le plus bel orne­ment de [leur] ordre sacerdotal.

Saint Pie X, exhor­ta­tion Haerent ani­mo, 4 août 1908

Abbé Thierry Legrand +

Source : Le Saint Vincent n° 6 de juin 2014