26 février 1978

Réponse de Mgr Lefebvre au cardinal Seper du 26 février 1978

Mgr Lefebvre © FSSPX Maison Générale

Eminence,

En réponse à votre lettre du 28 jan­vier, veuillez trou­ver ci-​joint les docu­ments qui, je l’es­père, appor­te­ront la preuve que c’est par atta­che­ment à la doc­trine infaillible de l’Eglise et aux suc­ces­seurs de Pierre que nous nous voyons contraint d’ex­pri­mer des réserves dans nos paroles et dans nos actes vis-​à-​vis de la nou­velle et sin­gu­lière orien­ta­tion prise par le Saint-​Siège à l’oc­ca­sion du Concile Vatican II et après le Concile.

Demeurant à votre dis­po­si­tion pour tout sup­plé­ment d’in­for­ma­tion oral ou écrit, je vous prie, Eminence, d’a­gréer mes sen­ti­ments res­pec­tueux et entiè­re­ment dévoués en Jésus et Marie.

† Marcel Lefebvre.

Réponse à la sacrée congrégation pour la doctrine de la foi concernant la première question : La liberté religieuse

A) Prologue

Les para­graphes 1 et 2 du docu­ment sont en contra­dic­tion avec le para­graphe 3, et c’est un fait qui se constate dans les docu­ments conci­liaires assez fré­quem­ment, d’une manière assez expli­cite dans le docu­ment D.H., d’une manière impli­cite dans d’autres, ce qui est une source de confusion.

En effet, s’il est vrai que l’Eglise catho­lique est l’u­nique et vraie reli­gion, toutes les per­sonnes et toutes les socié­tés en par­ti­cu­lier la famille et la socié­té civile doivent recon­naître pour unique et vraie reli­gion l’Eglise catholique.

Dans la mesure où les auto­ri­tés consti­tuées par Dieu et par Notre Seigneur Jésus-​Christ sont catho­liques, elles ont le devoir d’exer­cer leur auto­ri­té selon la fonc­tion qui leur est don­née, en faveur de l’u­nique et vraie reli­gion. A cet effet elles ont le devoir et le droit d’é­dic­ter des lois, des règle­ments, des pres­crip­tions qui favo­risent la connais­sance et l’exer­cice de la vraie reli­gion, et qui la défendent contre ce qui lui est oppo­sé. Toute auto­ri­té catho­lique a le devoir d’a­gir ain­si dans sa sphère, concou­rant ain­si à l’ap­pli­ca­tion de la loi éter­nelle de Dieu, dont la loi natu­relle n’est que le reflet.

Cette appli­ca­tion doit se faire selon la ver­tu de pru­dence et le don de conseil, et par consé­quent sui­vant les cas agir avec plus ou moins de tolé­rance, mais aus­si avec une cer­taine exi­gence, et néces­sai­re­ment appli­quer les sanc­tions que com­porte toute loi juste. Il n’existe pas de loi sans sanc­tion pour les contre­ve­nants. Dieu en donne l’exemple. Si Notre Seigneur a par­lé de la patience et de la misé­ri­corde de Son Père, Il a aus­si par­lé de Sa jus­tice et des châtiments.

B) Analyse de l’article I

Première rai­son : Monseigneur Lefebvre lit D.H. avec un pré­ju­gé défa­vo­rable ; or il suf­fit de lire quelques passages-​clefs, pour voir que le « contexte » de la décla­ra­tion ne per­met pas une inter­pré­ta­tion critique.

Ainsi dans Lumen Gentium :

« C’est là l’u­nique Eglise du Christ dont nous pro­fes­sons dans le Symbole l’u­ni­té, la sain­te­té, la catho­li­ci­té et l’a­pos­to­li­ci­té, cette Eglise que notre Sauveur, après sa résur­rec­tion, remit à Pierre pour qu’il en fût le Pasteur (Jean XXI, 17)… Cette Eglise, comme socié­té consti­tuée et orga­ni­sée en ce monde, c’est dans l’Eglise catho­lique qu’elle se trouve, gou­ver­née par le suc­ces­seur de Pierre et les évêques qui sont en com­mu­nion avec lui, bien que des élé­ments nom­breux de sanc­ti­fi­ca­tion et de véri­té se trouvent hors de sa sphère, élé­ments qui, appar­te­nant pro­pre­ment par don de Dieu à l’Eglise du Christ, appellent par eux-​mêmes l’u­ni­té catho­lique ». (n. 8)

Ainsi de même dans D.H. :

« Cette unique vraie reli­gion, nous croyons qu’elle sub­siste dans l’Eglise catho­lique et apos­to­lique…» (n. 1)

Réponse.

Dans L.G. le texte cité a bien sa place ; il impor­tait en effet d’en­sei­gner que l’Eglise, dont on affirme l’ins­ti­tu­tion par le Christ, n’est autre que l’Eglise catho­lique, que l’on peut faci­le­ment recon­naître à « des preuves très nom­breuses et écla­tantes » (Léon XIII, Immortale Dei, « Paix Intérieure des Nations » – Documents Pontificaux, Desclée – n. 132) et à ses quatre « notes » qui font d’elle-​même un grand et per­pé­tuel « motif de cré­di­bi­li­té » (Vatican I, Dei Filius, Dz 1793–1794). De même dans D.H. il impor­tait avant tout d’en­sei­gner que Dieu ne veut être hono­ré que dans l’u­nique vraie reli­gion qu’Il a fon­dée Lui-​même, et qui est la reli­gion de l’Eglise catho­lique. (Cf. Pie IX, Lettre Apostolique Multiplices Inter du 10.VI.1851, et Syllabus, prop. 21, Dz 1721.) On peut citer sur­tout de Pie IX en ce sens, son allo­cu­tion au Consistoire, du 18.III.1861 : « Il n’y a en effet qu’une seule reli­gion vraie et sainte, fon­dée et ins­ti­tuée par le Christ, Notre Seigneur, mère et nour­rice des ver­tus, des­truc­trice des vices, indi­ca­trice du vrai bon­heur, elle s’ap­pelle catho­lique, apos­to­lique et romaine ». (« L’Eglise », même col­lec­tion, n. 230.)

Si donc l’op­por­tu­ni­té de ces deux textes de Vatican II est indé­niable, leur clar­té l’est moins : « Cette (unique) Eglise (du Christ), c’est dans l’Eglise catho­lique qu’elle se trouve » (L.G. 8). « Cette unique vraie reli­gion, nous croyons qu’elle sub­siste dans l’Eglise catho­lique et apos­to­lique ». (D.H‑1.)

Voilà des locu­tions nou­velles ! Pourquoi ne dit-​on pas tout sim­ple­ment avec la tra­di­tion que cette unique Eglise du Christ, c’est iden­ti­que­ment l’Eglise catho­lique ? On dit plus loin que des élé­ments de sanc­ti­fi­ca­tion se trouvent hors des limites visibles de l’Eglise, qui appar­tiennent en droit à « l’Eglise du Christ » ; pour­quoi ne dit-​on pas : « à l’Eglise catho­lique » ? On dit enfin que ces élé­ments « appellent par eux-​mêmes l’u­ni­té catho­lique » ; pour­quoi ne dit-​on pas, beau­coup plus clai­re­ment, qu’ils sont par eux-​mêmes pour ceux qui en usent un appel au retour à l’u­ni­té catholique ! ?

Ainsi, dès le départ, le « contexte » de Vatican II dans la ques­tion de la liber­té reli­gieuse n’est pas aus­si « clair » qu’on veut bien le dire !

C) Analyse de l’article II

Seconde rai­son : Vatican II n’en­seigne nul­le­ment l’in­dif­fé­ren­tisme reli­gieux condam­né par les Papes, il enseigne au contraire : Tous les hommes ont l’o­bli­ga­tion morale de cher­cher la véri­té, d’y adhé­rer (dès qu’ils la connaissent) et de régler leur vie selon ses exigences.

Le devoir des fidèles, de l’a­pos­to­lat mis­sion­naire. Le devoir des fidèles de se for­mer la conscience par la doc­trine « sainte et cer­taine » de l’Eglise catho­lique « maî­tresse de véri­té de par la volon­té du Christ ». (D.H. 2 et 14.)

Réponse. Il est heu­reux que Vatican II n’en­seigne pas l’in­dif­fé­ren­tisme indi­vi­duel de la per­sonne humaine vis-​à-​vis de la vraie reli­gion ; c’est-​à-​dire la liber­té morale, ou le droit de cha­cun, « d’embrasser la reli­gion qu’il pré­fère, ou de n’en suivre aucune si aucune ne lui agrée » (Immortale Dei, P.I.N. 143) !

Mais ce que Vatican II enseigne, c’est l’in­dif­fé­ren­tisme de l’Etat vis-​à-​vis de la vraie reli­gion ; qui aura à son tour comme consé­quence à plus ou moins brève échéance l’in­dif­fé­ren­tisme indi­vi­duel en matière reli­gieuse. (C’est ce que l’ex­pé­rience de nos Etats et socié­tés modernes laï­ci­sées nous montre.)

Montrons donc :

  1. Ce qu’en­seigne Vatican II (D.H. 13).
  2. Que cela est contraire au « Droit public » de l’Eglise.

1. Ce qu’en­seigne Vatican II ex pro­fes­so, sur le Droit public de l’Eglise, c’est-​à-​dire sur ses rap­ports avec l’Etat et la Société civile.
«La liber­té de l’Eglise est un (ou « le ») prin­cipe fon­da­men­tal dans les rela­tions de l’Eglise avec les pou­voirs pu blics et tout l’ordre civil ». (A)
«Dans la socié­té humaine et devant tout pou­voir public, l’Eglise reven­dique la liber­té au titre d’au­to­ri­té spi­ri­tuelle ins­ti­tuée par le Christ

Seigneur et char­gée par man­dat divin d’al­ler par le monde entier prê­cher l’Evangile à toute créa­ture ». (B)

« L’Eglise reven­dique éga­le­ment la liber­té en tant qu’as­so­cia­tion d’hommes ayant le droit de vivre, dans la Société civile, selon les pré­ceptes de la loi chré­tienne ». ©

« Dès lors là où il existe un régime de liber­té reli­gieuse… là se trouvent enfin assu­rées à l’Eglise les condi­tions, de droit et de fait, de l’in­dé­pen­dance néces­saire à l’ac­com­plis­se­ment de sa divine mis­sion ». (D)

« En même temps, les fidèles du Christ, comme les autres hommes, jouissent, au civil, du droit de ne pas être empê­chés de mener leur vie selon leur conscience. Il y a donc bon accord entre la liber­té de l’Eglise et cette liber­té reli­gieuse qui, pour tous les hommes et toutes les com­mu­nau­tés, doit être recon­nue comme un droit et sanc­tion­née dans l’ordre juri­dique ». (E) (D.H. 13.)

2. Ces pro­po­si­tions sont contraires à l’en­sei­gne­ment tra­di­tion­nel de l’Eglise sur le Droit public de l’Eglise.

  1. « Libertas Ecclesiae est prin­ci­pium fun­da­men­tale ».
    Non ! La liber­té n’est pas le prin­cipe fon­da­men­tal ni un prin­cipe fon­da­men­tal en la matière. Le Droit public de l’Eglise est fon­dé sur le devoir de l’Etat de recon­naître la royau­té sociale de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Le prin­cipe fon­da­men­tal qui gou­verne les rela­tions entre l’Eglise et l’Etat est donc le « opor­tet ilium regnare » de S. Paul (I Cor XV, 25) ; ce règne ne regar­dant pas seule­ment l’Eglise, mais devant être le fon­de­ment de la cité tem­po­relle ; ain­si l’en­seigne l’Eglise, voi­ci ce qu’elle reven­dique comme son pre­mier et prin­ci­pal droit dans la cité : « On ne bâti­ra pas la cité autre­ment que Dieu ne l’a bâtie ; on n’é­di­fie­ra pas la socié­té, si l’Eglise n’en jette les bases et ne dirige les tra­vaux ; non, la civi­li­sa­tion n’est plus à inven­ter ni la cité nou­velle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c’est la civi­li­sa­tion chré­tienne, c’est la cité catho­lique. Il ne s’a­git que de l’ins­tau­rer et le res­tau­rer sans cesse sur ses fon­de­ments natu­rels et divins contre les attaques tou­jours renais­santes de l’u­to­pie mal­saine, de la révolte et de l’im­pié­té : OMNIA INSTAURARE IN CHRISTO ». (S. Pie X, Lettre sur le Sillon, du 29.VIII.1910, n. 11.)
    Cette doc­trine, Léon XIII l’en­sei­gnait avant S. Pie X : « Les chefs d’Etat doivent tenir pour saint le nom de Dieu et mettre au nombre de leurs prin­ci­paux devoirs celui de favo­ri­ser la reli­gion, de la pro­té­ger de leur bien­veillance, de la cou­vrir de l’au­to­ri­té effi­cace des lois, et ne rien sta­tuer ou déci­der qui soit contraire à son inté­gri­té ». (Immortale Dei, P.I.N. 131 ; cf. aus­si Libertas, P.I.N. 203.)
    Et cette reli­gion est bien sûr la seule vraie : « Puisque est donc néces­saire la pro­fes­sion d’une seule (« unius reli­gio­nis ») reli­gion dans la cité, il faut pro­fes­ser celle qui uni­que­ment est la vraie, et que l’on recon­naît sans dif­fi­cul­té… » (Libertas, loc. cit.)
    Léon XIII, comme ses suc­ces­seurs, et comme déjà saint Thomas d’Aquin, voit un double fon­de­ment au devoir de l’Etat envers la reli­gion : 1) l’o­ri­gine divine de la socié­té civile (Immortale Dei, P.I.N. 130), 2) la fin de l’Etat lui-​même, le bien com­mun tem­po­rel, qui doit faci­li­ter posi­ti­ve­ment aux citoyens l’ac­cès du Ciel !
    «La socié­té civile… doit, en favo­ri­sant la pros­pé­ri­té publique, pour­voir au bien de citoyens de façon non seule­ment à ne mettre aucun obs­tacle, mais à assu­rer toutes les faci­li­tés pos­sibles à la pour­suite et à l’ac­qui­si­tion de ce bien suprême et immuable auquel ils aspirent eux-​mêmes. La pre­mière est de faire res­pec­ter la sainte et invio­lable obser­vance de la reli­gion, dont les devoirs unissent l’homme à Dieu ». (Immortale Dei, P.I.N. 131.)
    On trouve déjà ceci chez saint Thomas : « Donc, puisque la fin de cette vie qui mérite ici-​bas le nom de vie bonne est la béa­ti­tude céleste, il appar­tient à ce compte à la fonc­tion royale (lisons « à l’Etat ») de pro­cu­rer la vie bonne de la mul­ti­tude selon ce qu’il faut pour lui faire obte­nir la béa­ti­tude céleste ; c’est-​à-​dire qu’il doit pres­crire (dans son ordre qui est le tem­po­rel) ce qui y conduit et, dans la mesure du pos­sible, inter­dire ce qui y est contraire ». (De Regimine Principum, L 1, ch. XV.)
    Enfin, chez Pie XII : « Or ce bien com­mun, c’est-​à-​dire l’é­ta­blis­se­ment de condi­tions publiques nor­males et stables, telles qu’aux indi­vi­dus aus­si bien qu’aux familles il ne soit pas dif­fi­cile de mener une vie digne régu­lière, heu­reuse, selon la loi de Dieu, ce bien com­mun est la fin et la règle de l’Etat et de ses organes ». (Alloc. au Patriciat romain, du 8.1.1947, P.I.N. 981.)
    Et qu’est-​ce que la loi de Dieu, sinon celle de son Eglise ? Une lettre de la Secrétairerie d’Etat à l’Archevêque de Sao Paulo, du 14.IV.1955, résume bien cette doc­trine : « Le devoir de rendre à Dieu le tri­but d’hom­mages et de gra­ti­tude pour les bien­faits reçus, se rap­porte non seule­ment aux indi­vi­dus, mais aus­si aux familles, aux nations et à l’Etat comme tel. L’Eglise, dans sa sagesse et sa mater­nelle sol­li­ci­tude, a tou­jours incul­qué ce devoir. Les Quatre-​Temps entre autres fins en sont, dans leur lan­gage litur­gique, une preuve élo­quente. Une fois affai­bli ou presque per­du dans la socié­té moderne le sens de l’Eglise, et vu les consé­quences de l’ag­nos­ti­cisme reli­gieux des Etats, la néces­si­té s’im­pose de rebrous­ser che­min, de façon à ce que toutes les nations, fra­ter­ni­sant au pied de l’au­tel, réaf­firment publi­que­ment leur croyance en Dieu et élèvent la louange due au suprême sou­ve­rain des peuples ».
    Quel est donc le « suprême sou­ve­rain des peuples », sinon Notre Seigneur Jésus-​Christ ? Quelle est cette louange de l’au­tel, sinon le Saint Sacrifice de la Messe, acte reli­gieux par excel­lence de l’Eglise catho­lique ?
    On est loin, on le voit, de la seule « liber­té de l’Eglise » que se borne à reven­di­quer Vatican II, qui prend une par­tie de la doc­trine pour aban­don­ner l’autre à un silence scan­da­leux. L’Eglise de Vatican II affir­mait bien sa volon­té de ne reven­di­quer que la « liber­té » et d’ou­blier le Droit public de l’Eglise et le règne social de Notre Seigneur Jésus-​Christ, dans son mes­sage de clô­ture « aux gou­ver­nants » (8.XII.1965) : « Dans votre cité ter­restre et tem­po­relle, (le Christ) construit mys­té­rieu­se­ment Sa cité spi­ri­tuelle et éter­nelle, Son Eglise. Et que demande-​t-​elle de vous, cette Eglise, après deux mille ans bien­tôt de vicis­si­tudes de toutes sortes dans ses rela­tions avec vous, les puis­sances de la terre ; que demande-​t-​elle de vous aujourd’­hui ? Elle vous l’a dit dans un de ses textes majeurs de ce Concile : elle ne vous demande que la liber­té. La liber­té de croire et de prê­cher sa foi, la liber­té d’ai­mer son Dieu et de Le ser­vir, la liber­té de vivre et de por­ter aux hommes son mes­sage de vie ».
  2. Continuation du même pro­pos.
    Le pas­sage de D.H. cité plus haut en (B) repro­duit en sub­stance un beau pas­sage de Quas Primas de Pie XI, que nous nous devons de citer : «…L’Eglise, en tant que consti­tuée par le Christ comme socié­té par­faite, reven­dique, en ver­tu d’un droit natu­rel qu’elle ne peut abdi­quer, pleine liber­té et immu­ni­té de la part du pou­voir civil, dans l’exer­cice de la charge qui lui a été confiée d’en­sei­gner, de diri­ger et de conduire à la béa­ti­tude éter­nelle tous ceux qui appar­tiennent au royaume du Christ…» (Quas Primas, in fine.)
    Mais Pie XI se garde bien de dire que l’Eglise ne réclame que cela ! S’il est donc indé­niable que la liber­té de l’Eglise par rap­port au pou­voir civil est un de ses droits, et non des moindres, il n’est cepen­dant pas le seul, loin de là ! La « liber­té de l’Eglise » pour­ra bien être reven­di­quée comme un droit impres­crip­tible, contre les pou­voirs civils tota­li­taires réga­listes (jadis) ou anti­chré­tiens (actuel­le­ment) qui y attentent ; mais on ne peut la pré­sen­ter, sans ampu­ter gra­ve­ment la doc­trine, comme le « prin­cipe fon­da­men­tal » du Droit public de l’Eglise ! Pie XI lui-​même voit bien com­ment une asser­tion du « droit à la liber­té » pour l’Eglise demande à être com­plé­tée par la reven­di­ca­tion de ce qu’on peut appe­ler la « pri­mau­té » de l’Eglise, qui est une consé­quence de celle de son chef, Notre Seigneur Jésus-​Christ (cf. Mt XXVIII, 18) : « Aux Etats, la célé­bra­tion annuelle de cette fête (du Christ-​Roi) rap­pel­le­ra que les magis­trats et les gou­ver­nants sont tenus, tout comme les citoyens, de rendre au Christ un culte public et de lui obéir… Car Sa royau­té exige que l’Etat tout entier se règle sur les com­man­de­ments de Dieu et les prin­cipes chré­tiens aus­si bien dans la légis­la­tion que dans la façon de rendre la jus­tice et que dans la for­ma­tion de la jeu­nesse à une doc­trine saine et à une bonne dis­ci­pline des moeurs ». (Ibid. loc. cit.)
    On ne sau­rait être plus fort et plus expli­cite !
    Une objec­tion peut sur­gir :
    Oui, disent cer­tains, le Pape Pie XI est très expli­cite ; mais le Pape n’é­cri­rait plus cette ency­clique aujourd’­hui !
    Les temps ont chan­gé, nous sommes au plu­ra­lisme ! Ou encore : « De notre temps, il n’y a plus inté­rêt à ce que la reli­gion catho­lique soit consi­dé­rée comme l’u­nique reli­gion de l’Etat, à l’ex­clu­sion de tout autre culte ». (Proposition 77, condam­née dans le Syllabus, Dz 1777.) « Aussi doit-​on des éloges à cer­tains pays de nom catho­lique, où la loi a pour­vu à ce que les étran­gers qui viennent s’é­ta­blir puissent jouir de l’exer­cice public de leurs cultes par­ti­cu­liers ». (Ibid. prop. 78 condam­née.) Ou encore : « L’Eglise de Vatican II, par la Déclaration sur la liber­té reli­gieuse, par Gaudium et Spes, l’Eglise dans le monde de ce temps (titre signi­fi­ca­tif !), s’est net­te­ment située dans le monde plu­ra­liste d’au­jourd’­hui, et sans renier ce qu’il y a eu de grand, a cou­pé les chaînes qui l’au­raient main­te­nue sur les rives du Moyen-​Age. On ne peut demeu­rer fixé à un moment de l’Histoire !» (Père Congar, La crise dans l’Eglise et Mgr Lefebvre, p. 52 sq.)
    Répondons : C’est vou­loir faire plier le Droit public de l’Eglise devant l’é­tat de fait. C’est même pire que cela, c’est faire de l’a­po­sta­sie des nations une néces­si­té iné­luc­table de l’Histoire. Or l’Eglise enseigne depuis dix-​neuf siècles que son Droit public est aus­si immuable que sa foi, parce qu’il est fon­dé sur elle ; et que la seule néces­si­té iné­luc­table de l’Histoire de l’hu­ma­ni­té, c’est que Jésus-​Christ doit régner.
    équent l’Eglise (de Vatican II, comme de Vatican I, comme de Nicée ; OU ALORS « L’EGLISE DE VATICAN II » N’EST PAS L’EGLISE DE VATICAN I NI DE NICEE, NI L’EGLISE DU CHRIST) a le devoir de pro­cla­mer son Droit dans toute sa plé­ni­tude et toute sa force, à la face du monde même laï­ci­sé, maté­ria­liste, libé­ral, indif­fé­rent, agnos­tique ou athée ; et avec d’au­tant plus de force qu’il est plus laï­ci­sé, maté­ria­liste, libé­ral, indif­fé­rent, agnos­tique ou athée ! C’est une ques­tion de Foi ! L’Eglise peut-​elle renon­cer, hési­ter à pro­cla­mer sa foi en la royau­té sociale de Notre Seigneur Jésus-​Christ ? qui est bien une véri­té de foi catho­lique ! Pas davan­tage elle ne doit hési­ter à pro­cla­mer son Droit public, c’est-​à-​dire sa pri­mau­té, sa sou­ve­rai­ne­té dans la cité humaine ! Bien loin de nous faire l’é­cho de cette phrase apos­tate : « le Pape n’é­cri­rait plus cette ency­clique aujourd’­hui », nous sommes per­sua­dé que c’est aujourd’­hui plus que jamais que le monde a besoin de cette ency­clique ; que c’est de cette véri­té fon­da­men­tale que les hommes ont soif : « opor­tet illum regnare » ! C’est enfin pour cette rai­son que nous affir­mons que la bouche du prêtre, de l’é­vêque, ne doit avoir aujourd’­hui une plus grande véri­té de foi à cla­mer que celle-​ci : « opor­tet ilium regnare ». Nous en sommes per­sua­dé, nous fon­dant sur cette parole de Dom Guéranger : « Il y a une grâce atta­chée à la confes­sion pleine et entière de la Foi. Cette confes­sion, nous dit l’Apôtre, est le salut de ceux qui la font, et l’ex­pé­rience démontre qu’elle est aus­si le salut de ceux qui l’en­tendent ». (Dom Guéranger, Le sens chré­tien de l’Histoire.)
  3. Vatican II reven­dique la « liber­té de l’Eglise en tant qu’as­so­cia­tion d’hommes dans la socié­té civile ».
    Voilà une seconde rai­son, selon Vatican II, de reven­di­quer la liber­té de l’Eglise : elle a ce droit comme toute asso­cia­tion d’hommes dans la cité ; au même titre que les autres asso­cia­tions de la socié­té civile, elle a le « droit de vivre » (selon ses prin­cipes, qui sont en l’oc­cur­rence les pré­ceptes de la loi chré­tienne).
    C’est don­ner une idée tout à fait fausse de l’Eglise ! Ne la consi­dé­rer que comme une asso­cia­tion légi­time par­mi d’autres au sein de la socié­té civile ! La doc­trine de l’Eglise est autre : l’Eglise n’est pas seule­ment une socié­té légi­time, elle est aus­si une socié­té par­faite et suprême, qu’on ne peut assi­mi­ler sans blas­phème et grave injus­tice aux « autres asso­cia­tions de la socié­té civile ».
    Si de fait, dans les régimes laï­ci­sés ou athées, l’Eglise est réduite au rang d’une asso­cia­tion par­mi d’autres dans la socié­té, elle ne pour­ra guère espé­rer et reven­di­quer dans l’im­mé­diat qu’un sta­tut de « droit com­mun » aux autres asso­cia­tions de la cité ; mais cette solu­tion pré­caire, due à cette situa­tion très par­ti­cu­lière (même si elle est de fait très répan­due), ne peut aucu­ne­ment être consi­dé­rée comme la doc­trine géné­rale et inté­grale qui est tout autre, et la voi­ci : L’Eglise, socié­té par­faite au même titre que l’Etat, a par elle-​même tous les moyens de sub­sis­ter de façon stable et d’at­teindre sa fin de manière indé­pen­dante. (Cf. Immortale Dei, P.I.N. 134.)
    «Et comme la fin à laquelle tend l’Eglise est de beau­coup la plus noble de toutes, de même son pou­voir l’emporte sur tous les autres et ne peut en aucune façon être infé­rieur ni assu­jet­ti au pou­voir civil ». (Ibid.)
    Donc pré­sen­ter l’Eglise comme une « asso­cia­tion d’hommes… au sein de la socié­té civile », c’est la ran­ger au rang des socié­tés impar­faites qui, cha­cune à leur place secon­daire et subor­don­née, concourent à pro­cu­rer dans la cité le bien com­mun tem­po­rel ; c’est par consé­quent lui alié­ner son rang de socié­té par­faite, et de socié­té suprême en rai­son de la supé­rio­ri­té de sa fin (la béa­ti­tude éter­nelle) sur la fin de l’Etat (le bien com­mun tem­po­rel). On peut à cet égard citer une belle page de Jacques Maritain (avant sa « conver­sion » au libé­ra­lisme) : « Nous devons affir­mer comme une véri­té supé­rieure à toutes les vicis­si­tudes des temps la supré­ma­tie de l’Eglise sur le monde et sur tous les pou­voirs ter­restres. Sous peine d’un désordre radi­cal, il faut qu’elle guide les peuples vers la fin der­nière de la vie humaine, qui est aus­si celle des Etats, et pour cela qu’elle dirige au titre des inté­rêts spi­ri­tuels qui lui sont confiés les gou­ver­ne­ments et les nations ». (Primauté du spi­ri­tuel, Pion, 1927, n. 23.)
    Au lieu de réduire hon­teu­se­ment l’Eglise au régime du « droit com­mun » à toutes les asso­cia­tions de la cité, la doc­trine catho­lique pro­clame la « pri­mau­té », c’est-​à-​dire pré­ci­sé­ment, en termes clas­siques, le « pou­voir indi­rect » de l’Eglise sur l’Etat en rai­son de la subor­di­na­tion indi­recte des fins des deux socié­tés. C’est ce que montrent à la suite de saint Thomas (déjà cité) Jacques Maritain (Primauté du spi­ri­tuel) et le Cardinal Journet (La juri­dic­tion de l’Eglise sur la cité), et avant eux les grands doc­teurs romains récents, avant Vatican II.
    Ainsi, le Cardinal Billot s.j., De Ecclesia Christi, T II : « De habi­tu­dine Ecclesiae ad civi­lem socie­ta­tem », q.XVIII,§5 : « Quod Ecclesia acce­pit a Christo ple­nam auc­to­ri­ta­tem super bap­ti­za­tos in ordine ad finem salu­tis æternæ, et quod idcir­co, in socie­ta­ti­bus chris­tia­no­rum, potes­tas sæcu­la­ris iure divi­no indi­recte subest iuris­dic­tio­nis eccle­sias­ticæ ». L’auteur se réfère à Suarez, Defensio Fidei, L 3, ch. 22 ; et aux condam­na­tions des idées gal­li­canes par Innocent XI, Alexandre VIII et enfin Pie VI dans sa bulle Auctorem fidei contre le Synode de Pistoie, dans laquelle est réprou­vée l’o­pi­nion sui­vante : « Reges… et prin­cipes in tem­po­ra­li­bus nul­li eccle­sias­ti­cae potes­ta­ti, Dei ordi­na­tione subii­ci… directe vel indi­recte… Eamque sen­ten­tiam publi­cae tran­quilli­ta­ti neces­sa­riam, nec minus Ecclesiae quam Imperio uti­lem, ut Verbo Dei, Patrum tra­di­tio­ni, et sanc­to­rum exem­plis conso­nam, omni­no reti­nen­dam ».
    De même le P. Garrigou-​Lagrange o.p., De reve­la­tione, T II, ch. 15, a4 : « De offi­cio divi­nam reve­la­tio­nem suf­fi­cien­ter pro­po­si­tam sus­ci­pien­di, pro civi­li auc­to­ri­tate et socie­tate ». L’auteur se réfère à saint Thomas et à Léon XIII (déjà cité) et, répon­dant à une objec­tion oppo­sée au pou­voir indi­rect en ques­tion, écrit : « Bonum tem­po­rale non est qui­dem medium pro­por­tio­na­tum ad conse­cu­tio­nem finis super­na­tu­ra­lis, sed est ei subor­di­na­tum, nam « tem­po­ra­li­bus adju­va­mur ad ten­den­dum in bea­ti­tu­di­nem ; inquan­tum sci­li­cet per ea vita cor­po­ra­lis sus­ten­ta­tur, et inquan­tum nobis orga­nite deser­viunt ad actus vir­tu­tum » (II II q83 a6). Imo, hac subor­di­na­tione subla­ta, tem­po­ra­lia desi­de­ra­ren­tur prin­ci­pa­li­ter, ut in eis finem consti­tue­re­mus, quod acci­dit in socie­tate irre­li­gio­sa seu athea ». Et répon­dant enfin à une autre objec­tion qui disait que dans la liber­té des reli­gions est suf­fi­sam­ment défen­due la liber­té de la vraie reli­gion (ce que dit Vatican II : cf. notre pas­sage « D »), le P. Garrigou expose la doc­trine catho­lique : « Possumus… ex liber­tate cultuum arguere ad homi­nem, contra illos nempe qui liber­ta­tem cultuum pro­cla­mant et tamen veram Ecclesiam vexant (socié­tés laïques et socia­li­santes), eiusque cultum pro­hibent directe vel indi­recte (socié­tés com­mu­nistes). Haec argu­men­ta­tio ad homi­nem rec­ta est, et Ecclesia catho­li­ca eam non dedi­gna­tur, sed eam urget ut jura suae liber­ta­tis defen­dat. Sed ex hoc non sequi­tur quod liber­tas cultuum, in se spec­ta­ta, pos­sit defen­di abso­lute a catho­li­cis, quia in se absur­da est et impia ; veri­tas enim et error non pos­sunt eadem jura habere ».
    Enfin les manuels clas­siques de théo­lo­gie enseignent le pou­voir indi­rect de l’Eglise sur l’Etat : Zubizarreta, T I, n. 568 ; Hervé, T I, n. 537 : « Status Ecclesiae subor­di­na­ri debet, nega­tive qui­dem et posi­tive, sed indi­recte : Doctrina catho­li­ca ».
    Du reste le Syllabus condamne cette pro­po­si­tion (n. 24). « Ecclesia vis infe­ren­dae potes­ta­tem non habet, neque potes­ta­tem ullam tem­po­ra­lem direc­tam vel indi­rec­tam ». (Dz 1724.)
    Concluons : La « liber­té de l’Eglise en tant qu’as­so­cia­tion d’hommes au sein de la socié­té civile » est une argu­men­ta­tion ad homi­nem face aux pou­voirs qui attentent à ce point à son droit public, qu’elle en est réduite à ne pou­voir attendre d’eux dans l’im­mé­diat que le droit com­mun à l’exis­tence pour toutes les asso­cia­tions légi­times, c’est-​à-​dire conformes à la loi natu­relle. Mais c’est un blas­phème et une apos­ta­sie que de faire de cet argu­ment un prin­cipe abso­lu et fon­da­men­tal du Droit public de l’Eglise ! Les Papes ont eux-​mêmes for­mel­le­ment condam­né l’at­ti­tude d’Etats même catho­liques de nom, qui réduisent ain­si l’Eglise au régime du droit com­mun : « En somme ils traitent l’Eglise comme si elle n’a­vait ni le carac­tère ni les droits d’une socié­té par­faite, et qu’elle fût sim­ple­ment une asso­cia­tion sem­blable aux autres qui existent dans l’Etat ». (Immortale Dei, P.I.N. 144.)
    Pie VII avant Léon XIII écri­vait en son temps à l’é­vêque de Boulogne en France, au sujet de la Charte de 1814 : « Il n’est certes pas besoin de longs dis­cours, Nous adres­sant à un évêque tel que vous, pour vous faire recon­naître clai­re­ment de quelle bles­sure mor­telle la reli­gion catho­lique en France se trouve frap­pée par cet article (l’ar­ticle 22) ; par cela même qu’on éta­blit la liber­té de tous les cultes sans dis­tinc­tion, on confond la véri­té et l’er­reur, et l’on met au rang des sectes héré­tiques et même de la per­fi­die judaïque, l’Epouse sainte et imma­cu­lée du Christ, l’Eglise hors de laquelle il ne peut y avoir de salut ». (Lettre Post tam diu­tur­ni­tas, du 29.IV.1814, P.I.N. 19.)
    àl’Eglise elle-​même de telles concep­tions, et les met même sous leur patronage ?
  4. « Là où existe un régime de liber­té reli­gieuse…, là se trouvent enfin fer­me­ment assu­rées à l’Eglise les condi­tions, de droit et de fait, de l’in­dé­pen­dance néces­saire à l’ac­com­plis­se­ment de sa divine mis­sion ».
    Selon D.H., donc, si l’Eglise a cette liber­té com­mune aux autres reli­gions dans l’Etat, elle a l’in­dé­pen­dance néces­saire. Cette thèse mani­feste tou­jours la même « par­tia­li­té » dans la doc­trine et en plus une vue irréelle de l’ef­fi­ca­ci­té de la « seule liber­té » pour l’ac­com­plis­se­ment de sa mis­sion par l’Eglise. 
    • a) La par­tia­li­té de la doc­trine de D.H. appa­raît au fait que ce docu­ment n’as­pire pour l’Eglise qu’à l’in­dé­pen­dance (vis-​à-​vis de l’Etat). Or la doc­trine catho­lique ne se borne pas à cela : elle expose aus­si que l’Eglise a le droit à l’aide de l’Etat en tout ce par quoi, dans son domaine, ce der­nier peut faci­li­ter posi­ti­ve­ment la mis­sion de l’Eglise. Cette aide, l’Etat la doit à l’Eglise à cause de sa subor­di­na­tion indi­recte à celle-​ci en rai­son de la fin de l’Eglise. (Cf. supra « C ».) Cette aide n’est pas seule­ment néga­tive (« ne pas empê­cher »), elle est sur­tout posi­tive (« favo­ri­ser de toutes manières »), comme le disent Léon XIII (Immortale Dei, P.I.N. 131) et le théo­lo­gien Hervé (supra).
      D.H.
      a une concep­tion tout à fait par­tielle et injuste de l’Etat : ce docu­ment ne voit en l’Etat qu’un anta­go­niste, face auquel l’Eglise ne doit et ne peut récla­mer que son indé­pen­dance. Il n’i­ma­gine même pas qu’un régime d’u­nion et de concorde puisse exis­ter, par lequel ces deux socié­tés éta­blies par Dieu se prêtent une aide intime et mutuelle, cha­cune dans leur domaine : l’Eglise favo­ri­sant le res­pect des citoyens envers l’au­to­ri­té « qui vient de Dieu » ; l’Etat aidant et pro­té­geant l’Eglise par des ins­ti­tu­tions publiques fon­dées sur les prin­cipes catho­liques, telle que les ont vécues encore récem­ment (avant leur abro­ga­tion en appli­ca­tion de Vatican II) des pays entiè­re­ment catho­liques, comme la Colombie, l’Espagne et les Etats suisses de Fribourg, du Tessin et du Valais.
      Ce régime « d’u­nion entre l’Eglise et l’Etat » est bien celui que l’Eglise a tou­jours consi­dé­ré comme le plus capable de réa­li­ser la royau­té sociale de Notre Seigneur Jésus-​Christ, et d’être par consé­quent le plus favo­rable à l’é­pa­nouis­se­ment de l’une et l’autre socié­té : tem­po­relle et spi­ri­tuelle. C’est ce qu’en­seignent les Papes et les théo­lo­giens que nous avons déjà cités ; c’est une doc­trine catho­lique, que l’u­nion des deux socié­tés est le meilleur régime. Ainsi l’ex­pose Léon XIII : « Il est donc néces­saire qu’il y ait entre les deux puis­sances un sys­tème de rap­ports bien ordon­né, non sans ana­lo­gie avec celui qui dans l’homme consti­tue l’u­nion de l’âme et du corps ». (Immortale Dei, P.I.N. 137) ; cf. Libertas, P.I.N. 200 : «…et cela pour le plus grand avan­tage des deux conjoints, car la sépa­ra­tion est par­ti­cu­liè­re­ment funeste au corps puis­qu’elle le prive de la vie ».
    • b) C’est un grave irréa­lisme, que de croire que la véri­té catho­lique, en droit et en fait, fera plus de che­min par la seule force de son effi­ca­ci­té intrin­sèque et de sa « liber­té », qu’a­vec l’aide d’un Etat res­pec­tueux du Christ.
      S’il est vrai qu’en pays non catho­lique, le régime du droit com­mun ou de la « seule liber­té » four­nit en fait à l’Eglise des condi­tions mini­mums d’ac­tion, suf­fi­santes à son déve­lop­pe­ment, ce régime cepen­dant ne peut être reven­di­qué par l’Eglise d’une manière géné­rale et en toute hypo­thèse ; et il est même à brève échéance inef­fi­cace et désas­treux, puis­qu’il pré­sup­pose la laï­ci­té de l’Etat et abou­tit par consé­quent tôt ou tard à la laï­ci­sa­tion géné­rale des ins­ti­tu­tions et des moeurs : c’est l’ex­pé­rience actuelle de tous les anciens pays catho­liques ou sim­ple­ment « chré­tiens », main­te­nant en voie de laï­ci­sa­tion et d’a­théisme avan­cés !
      A la suite de Lamennais, de Montalembert (au siècle) et du Jacques Maritain conver­ti au libé­ra­lisme, le P. John Courtney Murray, expert au Concile et spé­cia­liste de la ques­tion, voyait la pros­pé­ri­té actuelle et future de l’Eglise dans le régime de la « liber­té seule » (qu’elle connaît aux Etats-​Unis), et non dans le régime d’u­nion, qu’il qua­li­fiait de « chré­tien­té médié­vale », régime auquel Léon XIII, disait-​il, « ne renon­ça pas tota­le­ment », mais qui pour lui « ne fut jamais plus qu’une hypo­thèse ». Le P. Yves Congar, de son côté, par­tage les mêmes vues quand il écrit : « Déjà au XIXè siècle, des catho­liques avaient com­pris que l’Eglise trou­ve­rait un meilleur appui pour sa liber­té dans la convic­tion affir­mée des fidèles que dans la faveur des princes ». (op. cit., p. 51.)
      Or ces « catho­liques » sont les catho­liques libé­raux dont les thèses furent réprou­vées en leur temps. Et dire que Léon XIII n’ex­po­sait sa doc­trine que comme une « hypo­thèse » c’est ne pas savoir lire les textes, qui sont sans équivoque !
  5. « Cette liber­té reli­gieuse pour tous les hommes et toutes les com­mu­nau­tés doit être recon­nue comme un droit et sanc­tion­née dans l’ordre juri­dique ».
    D.H. dit expli­ci­te­ment ici (comme ailleurs) que l’Etat doit accor­der la liber­té des reli­gions (bien qu’on évite avec soin d’employer ce terme pour le moins témé­raire depuis sa condam­na­tion par Pie IX ; mais qu’im­porte ? la réa­li­té est la même !). Or ce pré­ten­du droit est condam­né par les Papes comme contraire au Droit public « impres­crip­tible » de l’Eglise. Donc sa condam­na­tion demeure, mal­gré les vicis­si­tudes des temps ou les « chan­ge­ments de contexte historico-​social », et donc quelles que soient les moti­va­tions nou­velles qu’on s’ef­force de lui appor­ter pour le jus­ti­fier à notre époque.
    Une objec­tion se pré­sente immé­dia­te­ment : Elle est pré­sen­tée par divers auteurs modernes, en pas­sant sans chan­ge­ment de l’un à l’autre : ain­si le P. Congar (op. cit.), le P. André-​Vincent (La liber­té reli­gieuse droit fon­da­men­tal, Téqui, 1976) et avant eux le P. Jérôme Hamer (Histoire du texte de la Déclaration, in Vatican II, la liber­té reli­gieuse, Cerf, 1967, p. 66) ; la voi­ci en sub­stance : La liber­té des reli­gions fut condam­née par les Papes du XIXè siècle en rai­son de ses moti­va­tions his­to­riques à l’é­poque, à savoir l’in­di­vi­dua­lisme des droits de l’homme éri­gé en abso­lu. Et l’on donne comme réfé­rence : Léon XIII, Immortale Dei (P.I.N. 143) et Pie IX, Quanta Cura (P.I.N. 39–10). Au XXè siècle, dit-​on alors, Vatican II arrive et peut pro­cla­mer cette même liber­té des reli­gions, bap­ti­sée liber­té reli­gieuse, parce que le « contexte historico-​social » a chan­gé et qu’il y a d’autres motifs, comme la digni­té de la per­sonne humaine, pres­qu’i­gno­rée des Papes du XIXè siècle, qui la jus­ti­fient aujourd’­hui !
    Répondons :
  • Si des motifs jus­ti­fient aujourd’­hui la liber­té reli­gieuse, peut-​être que demain, le contexte historico-​social ayant encore chan­gé, ces motifs ne vau­dront plus, tan­dis que d’autres vien­dront au contraire réprou­ver ladite liber­té reli­gieuse ; alors, de deux choses l’une, ou bien c’est la doc­trine de l’Eglise qui doit per­pé­tuel­le­ment chan­ger pour s’a­dap­ter ; ou bien c’est la doc­trine de « l’Eglise de Vatican II » qui est condam­née à être inadap­tée, et qui est sans doute déjà « dépas­sée ». La pre­mière solu­tion est absurde, la seconde est intéressante…
  • Si l’on veut aller plus pro­fon­dé­ment que l’ar­gu­ment ad homi­nem et par l’ab­surde, on mon­tre­ra la spé­cio­si­té de l’ar­gu­ment : en fait, la liber­té des reli­gions n’est pas condam­née, par les Papes du XIXè siècle, à cause de son motif ou de sa « pré­misse » qu’est l’in­di­vi­dua­lisme, etc. ; mais c’est bien plu­tôt l’in­di­vi­dua­lisme des droits de l’homme, qui est condam­né en rai­son de ses consé­quences, dont l’une est la liber­té des reli­gions, qui, elle, est condam­née en elle-​même comme : 1) contraire à la vraie digni­té de la per­sonne humaine : cha­cun serait libre d’adhé­rer à l’er­reur (Immortale Dei, P.I.N. 143), et ain­si, de déchoir de sa digni­té (ibid., P.I.N. 149) ; 2) contraire au Droit public de l’Eglise, que l’on « relègue injus­te­ment » ou inju­rieu­se­ment au rang d’une « asso­cia­tion sem­blable aux autres qui existent dans l’Etat » (ibid., P.I.N. 144). Cf. plus haut, notre ana­lyse des textes.
    L’argument du P. Jérôme Hamer, repro­duit par d’autres, est donc entiè­re­ment cou­su de fil blanc et faux de fond en comble ! Mais qui a l’i­dée de se repor­ter aux textes et de les lire atten­ti­ve­ment ? En réa­li­té VATICAN II, DANS D.H., ET TOUS SES CORYPHEES EN LA MATIERE, REJETTENT LE DROIT PUBLIC DE L’EGLISE.
    Un his­to­rien du Concile, Ralph Wiltgen, expose très bien les deux posi­tions qui se sont oppo­sées au Concile, et dont l’une a triom­phé aux dépens de l’autre qu’il qua­li­fie de « plus tra­di­tion­nelle » : « La thèse fon­da­men­tale du Secrétariat pour l’u­nion des chré­tiens était que la neu­tra­li­té de l’Etat (ne recon­nais­sant aucune reli­gion plus qu’une autre) devait être consi­dé­rée comme consti­tuant la condi­tion nor­male (la « thèse »), et qu’il ne devait y avoir de coopé­ra­tion entre l’Eglise et l’Etat (régime d’u­nion des deux pou­voirs, ou de « l’Etat confes­sion­nel catho­lique ») que dans des cir­cons­tances par­ti­cu­lières ». « C’était là un prin­cipe que le Coetus Internationalis (grou­pe­ment de cinq cents Pères conci­liaires dont Mgr Lefebvre fut l’un des chefs) ne pou­vait accep­ter. Pour jus­ti­fier son atti­tude, le groupe citait une décla­ra­tion de Pie XII, selon qui l’Eglise consi­dé­rait comme « nor­mal » le prin­cipe de la col­la­bo­ra­tion entre l’Eglise et l’Etat, et tenait « comme un idéal l’u­ni­té du peuple dans la vraie reli­gion et l’u­na­ni­mi­té d’ac­tion » entre l’Eglise et l’Etat ». (Cf. Pie XII, Allocution au congrès des sciences his­to­riques, 7.IX.1955.) Il est vrai que Pie XII pour­sui­vait ain­si : Mais elle (l’Eglise) sait aus­si que depuis un cer­tain temps les évé­ne­ments évo­luent plu­tôt dans l’autre sens, c’est-​à-​dire vers la mul­ti­pli­ci­té des confes­sions reli­gieuses et des concep­tions de vie dans une même com­mu­nau­té natio­nale, où les catho­liques consti­tuent une mino­ri­té plus ou moins forte. Il peut être inté­res­sant et même sur­pre­nant pour l’Histoire, de ren­con­trer aux Etats-​Unis d’Amérique un exemple, par­mi d’autres, de la manière dont l’Eglise réus­sit à s’é­pa­nouir dans des situa­tions les plus dis­pa­rates ». (Ibid.)

Mais cette pré­ci­sion ne change rien à ce que l’Eglise consi­dère comme « nor­mal » et comme « l’i­déal », par rap­port à ce qu’elle tient pour l’ex­cep­tion liée à des « cir­cons­tances par­ti­cu­lières ». Un état de fait qui tend de plus en plus à être contraire à l’é­tat de droit laisse néan­moins intact cet état de droit ! Le Pape Pie XII constate sim­ple­ment la laï­ci­sa­tion pro­gres­sive et géné­rale des nations où le Christ régnait aupa­ra­vant de droit et de fait, et il note ensuite que para­doxa­le­ment, dans cer­tains pays où le Christ n’a­vait jamais régné par­fai­te­ment selon la « thèse » catho­lique, l’Eglise réus­sit à s’é­pa­nouir. Le suc­cès rela­tif de l’Eglise dans ces pays, qui vingt ans après nous semble bien éphé­mère, sur­tout depuis le Concile à par­tir duquel on enre­gistre au contraire un arrêt spec­ta­cu­laire des conver­sions au catho­li­cisme, ce suc­cès rela­tif n’in­firme nul­le­ment la « thèse » catho­liques, sous le coup de l’as­saut concer­té et constant des forces de la Contre-​Eglise, notam­ment de la Franc-​Maçonnerie et du Communisme inter­na­tio­naux ! Quoi d’é­ton­nant au recul de la reli­gion catho­lique, puisque l’Eglise de Vatican II n’en­seigne plus que Notre Seigneur Jésus-​Christ doit régner ? « Quoniam dimi­nu­tae sunt veri­tates a filiis homi­num » (Ps X, 11) ! On assiste donc à Vatican II à un ren­ver­se­ment com­plet des concep­tions, par rap­port à la doc­trine catho­lique ; le droit et l’é­tat nor­mal (l’Etat confes­sion­nel catho­lique) deviennent les « cir­cons­tances par­ti­cu­lières », tan­dis que l’ex­cep­tion (le plu­ra­lisme) devient le droit et doit être sanc­tion­né dans l’ordre juri­dique de la cité. Ajoutons une remarque sur un texte paral­lèle (de D.H.) à notre pas­sage « D » : Il s’a­git de D.H. (« Liberté des groupes reli­gieux »), qui recon­naît à tous les « groupes reli­gieux » une fonc­tion et deux droits :

  • a)La fonc­tion d’ho­no­rer d’un culte la divi­ni­té suprême : « Numen supre­mum ». Cela sonne mal : le culte de l’Etre suprême…! Et puis ain­si l’Eglise de Vatican II recon­naît à toutes les reli­gions sans dis­tinc­tion le pou­voir d’ho­no­rer Dieu, pou­voir qui n’ap­par­tient pour­tant qu’à la seule reli­gion catho­lique ! En somme l’Eglise de Vatican II confond Bouddha, le Dieu de Mahomet et Notre Seigneur Jésus-​Christ en une seule « Divinité suprême », ou du moins elle pense que l’Etat satis­fait à son devoir reli­gieux par cet indifférentisme.
  • b) Le droit d’exer­cer leur culte publiquement.
  • c) Les autres droits requis à leur exis­tence et à leur pro­ro­ga­tion, tel celui de « mani­fes­ter leur foi publi­que­ment ». Vatican II pro­clame donc le droit au scan­dale et le droit de pro­pa­ger l’erreur.

En guise d’épilogue – Ce à quoi l’Eglise de Vatican II ne croit plus :

« Scelesta tur­ba cla­mi­tat
Regnare Christum nolu­mus,
Te nos ovantes omnium
Regem super­num dici­mus.
(St. 2)

Te natio­num prae­sides
Honore tol­lant publi­co
Colant magis­tri, judices
Leges et artes expri­mant
. (St. 6)

Submissa regum ful­geant
Tibi dica­ta insi­gnia,
Mitique scep­tro patriam
Domosque subde civium ».
(St. 7)

(« Une foule scé­lé­rate voci­fère
Du Règne du Christ nous ne vou­lons,
Mais c’est Toi que nos ova­tions
Proclament sou­ve­rain Roi de tous.

Qu’à Toi les chefs des nations
Apportent public hom­mage !
Que T’honorent maîtres et juges
Que lois et arts Te manifestent

Que brillent par leur sou­mis­sion
Des rois les éten­dards à Toi consa­crés
Et qu’à Ton doux sceptre se sou­mettent
Des citoyens la patrie et les foyers ».)

Strophes tru­quées ou sup­pri­mées inté­gra­le­ment de l’hymne des 1ères Vêpres de la Fête du Christ-​Roi, dans « l’Office Divin ». « Ex decre­to sacro­sanc­ti oecu­me­ni­ci Concilii Vaticani II ins­tau­ra­tum, auc­to­ri­tate Pauli PP. VI pro­mul­ga­tum ».

Une lecture attentive des textes :

Léon XIII. Immortale Dei (P.I.N. 143–144)

1 – Condamnation du ratio­na­lisme indi­vi­dua­liste indif­fé­ren­tiste, et de l’in­dif­fé­ren­tisme et du monisme éta­tique.
«Tous les hommes… sont… égaux entre eux, cha­cun relève si bien de lui seul qu’il n’est sou­mis d’au­cune façon à l’au­to­ri­té d’au­trui, il peut en toute liber­té pen­ser sur toute chose ce qu’il veut, faire ce qui lui plaît…
L’autorité publique n’est que la volon­té du peuple… dès lors le peuple est cen­sé la source de tout droit… il s’en­suit que l’Etat ne se croit lié à aucune obli­ga­tion envers Dieu, ne pro­fesse offi­ciel­le­ment aucune reli­gion, n’est pas tenu… d’en pré­fé­rer une aux autres…»

2 – Conséquence : le « droit à la liber­té reli­gieuse » dans l’Etat :
«…mais qu’il doit leur attri­buer à toutes l’é­ga­li­té de droit, du moment que la dis­ci­pline de la chose publique n’en subit pas de détri­ment. Par consé­quent cha­cun sera libre de se faire juge de toute ques­tion reli­gieuse, d’embrasser la reli­gion qu’il pré­fère ou de n’en suivre aucune si aucune ne lui agrée…»

3 – Conséquence de ce « droit nou­veau » : atteinte au Droit public de l’Eglise.
«Etant don­né que l’Etat repose sur ces prin­cipes aujourd’­hui en grande faveur, il est aisé de voir à quelle place on relègue injus­te­ment l’Eglise. Là en effet où la pra­tique est en accord avec de telles doc­trines, la reli­gion catho­lique est mise dans l’Etat sur le même pied d’é­ga­li­té, ou même d’in­fé­rio­ri­té, avec les socié­tés qui lui sont étran­gères… En somme, ils traitent l’Eglise comme si elle n’a­vait ni le carac­tère ni les droits d’une socié­té par­faite ; et qu’elle fût seule­ment une asso­cia­tion sem­blable aux autres qui existent dans l’Etat ».

Pie IX. Quanta Cura (P.I.N. 39–40)

1 – Dénonciation du natu­ra­lisme et de son appli­ca­tion à l’Etat :
«Beaucoup aujourd’­hui appliquent à la socié­té civile le prin­cipe impie et absurde du natu­ra­lisme, et osent ensei­gner que le meilleur régime poli­tique et le pro­grès de la vie civile exigent abso­lu­ment que la socié­té humaine soit consti­tuée et gou­ver­née sans plus tenir compte de la reli­gion que si elle n’exis­tait pas, ou du moins sans faire aucune dif­fé­rence entre la vraie et les fausses religions. »

2 – Conséquence : le droit à la liber­té reli­gieuse dans l’Etat :
«Et contre la doc­trine de la Sainte Ecriture, de l’Eglise et des Saints Pères, ils affirment sans hési­ta­tion que « la meilleure condi­tion de la socié­té est celle où on ne recon­naît pas au Pouvoir le devoir de répri­mer par des peines légales les vio­la­teurs de la reli­gion catho­lique, si ce n’est dans la mesure où la tran­quilli­té publique le demande»… Et : « La liber­té de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme. Ce droit doit être pro­cla­mé et garan­ti dans toute socié­té bien organisée…»

3 – Conséquence de ce « droit nou­veau » : Atteinte à l’Eglise. Pie IX dénonce la der­nière « opi­nion », citée ici en (2), comme : « opi­nion erro­née, funeste au maxi­mum pour l’Eglise catho­lique et le salut des âmes ». II n’en dit pas plus, mais ajoute plus loin que tout cela abou­tit à : « mettre la reli­gion à l’é­cart de la socié­té ».

Conclusion : le « droit nou­veau », ce « droit à la liber­té reli­gieuse dans l’Etat » est CONDAMNÉ par ces deux Papes essen­tiel­le­ment parce qu’il a pour consé­quence ou même pour corol­laire immé­diat l’at­teinte au Droit public de l’Eglise ; et nul­le­ment en rai­son de sa moti­va­tion his­to­rique du moment, à savoir le ratio­na­lisme indi­vi­dua­liste et le monisme étatique.

D) Analyse de l’article III

Troisième rai­son : Le docu­ment D.H. a omis toutes les dis­tinc­tions néces­saires pour qu’il soit admis­sible : Qu’entend-​on par la liber­té reli­gieuse lorsque l’on dit que la per­sonne humaine a le droit à la liber­té reli­gieuse. Déjà telle quelle, cette phrase est ambi­guë, on ne peut avoir de droit moral que pour la véri­té et non pour l’er­reur. A sup­po­ser qu’il s’a­gisse d’un droit civil, il ne peut être que l’ex­pres­sion d’une tolé­rance et non d’un droit strict. C’est ce que dit le Pape Léon XIII dans son Encyclique Libertas.

Les rai­sons don­nées pour ce droit de la per­sonne humaine confondent la liber­té natu­relle ou psy­cho­lo­gique et la liber­té morale. Les débuts de l’Encyclique Libertas sont très clairs à ce sujet. La liber­té natu­relle est la liber­té consi­dé­rée dans son essence sans la consi­dé­ra­tion de la fin qu’elle doit pour­suivre. Dès lors qu’elle entre en exer­cice, elle accom­plit des actes humains qui tombent sous la loi et ont un aspect moral qui place la liber­té sous une auto­ri­té, qui n’est autre que celle de Dieu à laquelle par­ti­cipent toutes les auto­ri­tés humaines, cha­cune dans ses limites.

L’exercice de cette liber­té s’é­tend à des actes divers, que le docu­ment D.H. passe sous silence. On doit dis­tin­guer les actes internes et les actes externes, les actes externes pri­vés et les actes externes publics.

Tous ces actes tombent sous l’au­to­ri­té de Dieu. Pour les catho­liques l’Eglise a un pou­voir soit au for interne soit au for externe selon ce qu’ex­prime le Droit Canon. La famille a un droit sur les actes externes pri­vés et publics des enfants avant leur majo­ri­té. L’Etat a un devoir et un droit sur les actes externes publics, dans leur rap­port avec le bien com­mun, qui ne peut se conce­voir sans rela­tion avec la seule vraie religion.

De nom­breux docu­ments du Saint-​Siège expriment ces devoirs et ces droits, la pra­tique de l’Eglise le confirme par les concor­dats, par le rap­pel constant des devoirs des Chefs d’Etat vis-​à-​vis de la seule et unique vraie religion.

Ce para­graphe 3 implique la neu­tra­li­té de l’Etat, si celui-​ci doit admettre « la pro­fes­sion même publique d’une reli­gion ». Cette affir­ma­tion est incon­ce­vable car cela signi­fie la pro­fes­sion publique de l’er­reur. Le docu­ment D.H. est très expli­cite en effet sur ce sujet. Le para­graphe 4 de D.H. est abso­lu­ment scan­da­leux et contre­dit tout l’en­sei­gne­ment de l’Eglise. « La liber­té reli­gieuse demande en outre que les groupes reli­gieux ne soient pas empê­chés de mani­fes­ter libre­ment l’ef­fi­ca­ci­té sin­gu­lière de leur doc­trine pour orga­ni­ser la socié­té et vivi­fier toute l’ac­ti­vi­té humaine ». (D.H. 4.)

Aucun catho­lique, digne de ce nom, ne peut sous­crire une pareille infamie.

Citation de Grégoire XVI Inter prae­ci­puas - 8 mai 1844 : « Il nous est prou­vé par des mes­sages et des docu­ments reçus il y a peu de temps que des hommes de sectes diverses se sont réunis l’an der­nier à New-​York en Amérique et à la veille des ides de juin, ont for­mé une nou­velle Association dite de l’«Alliance Chrétienne », des­ti­née à rece­voir dans son sein des membres de tous pays et de toute nation et à se for­ti­fier par l’ad­jonc­tion ou l’af­fi­lia­tion d’autres Sociétés éta­blies pour lui venir en aide, dans le but com­mun d’i­no­cu­ler aux Romains et aux autres peuples de l’Italie, sous le nom de Liberté Religieuse, l’a­mour insen­sé de l’in­dif­fé­rence en matière de Religion… Résolus donc de gra­ti­fier tous les peuples de la liber­té de conscience ou plu­tôt de la liber­té de l’er­reur,… ils croient ne rien pou­voir, si d’a­bord ils n’a­vancent leur œuvre auprès des citoyens Italiens et Romains, dont l’au­to­ri­té et l’ac­tion sur les autres peuples leur serait un secours tout puis­sant ».

Qu’entend-​on par « coer­ci­tio » ?

Il y a la contrainte phy­sique et la contrainte morale.

Ces contraintes sont tou­jours employées dans toute socié­té pour ceux qui s’op­posent à l’ap­pli­ca­tion des lois. Si les lois sont justes et conformes au droit divin natu­rel et posi­tif, il est juste que le légis­la­teur fasse obser­ver la loi par la contrainte morale d’a­bord, la crainte des châ­ti­ments et ensuite par la contrainte phy­sique, ceci à l’i­mage de Dieu lui-même.

Si les gou­ver­ne­ments catho­liques accom­plissent leur devoir, comme l’ont deman­dé tous les Papes, ils ont le devoir de favo­ri­ser la reli­gion catho­lique et donc de la pro­té­ger, dans toute la mesure du pos­sible, contre les fausses reli­gions, contre l’im­mo­ra­li­té, le scan­dale des moeurs de ces reli­gions dépra­vées, et cela non seule­ment dans l’in­té­rêt de la reli­gion catho­lique, mais de leur propre uni­té et subsistance.

C’est ce que l’Eglise et les gou­ver­nants catho­liques ont tou­jours com­pris et pro­fes­sé. Il serait inju­rieux pour l’Eglise et les gou­ver­nants qui ont mis ces prin­cipes en pra­tique de faire croire qu’ils ont igno­ré la « trans­cen­dance de la per­sonne, le mode conna­tu­rel de tendre à la véri­té et la liber­té de l’acte de foi ». Le docu­ment D.H. appelle cela la digni­té humaine.

E) Jugement au sujet de cet article III

  1. L’article III est contraire aux docu­ments du Magistère de l’Eglise.
    Ces conclu­sions sont celles qui sont constam­ment affir­mées dans les Documents Pontificaux. Nous don­nons quelques réfé­rences, ci-​après : Articles 77 et 78 du Syllabus.
    77 – Il n’est plus utile, à notre époque, que la reli­gion catho­lique soit consi­dé­rée comme l’u­nique reli­gion de l’Etat, à l’ex­clu­sion de tous les autres cultes.
    78 – Aussi c’est avec rai­son que dans quelques pays catho­liques, la loi a pour­vu à ce que les étran­gers qui s’y rendent y jouissent de l’exer­cice public de leurs cultes par­ti­cu­liers.

    Les Propositions IV et V du Synode de Pistoïe condam­nées par Pie IX dans la Bulle Auctorem Fidei.
    Références nom­breuses à ce sujet dans le Recueil des Documents Pontificaux de Solesmes : « La Paix inté­rieure des Nations », en par­ti­cu­lier à la table logique : « Le Libéralisme Politique » et « La Cité chré­tienne ».
  2. L’article III est contraire à la pra­tique constante de l’Eglise.
    D’autre part si le para­graphe 3 est vrai, il condamne le Saint-​Office « Sanctum Officium Inquisitionis » qui a été fon­dé pour la défense de la foi catho­lique et qui n’a jamais hési­té à faire appel au bras sécu­lier contre les héré­tiques notoires et scan­da­leux.
    L’affirmation de ce N° 3 qui résume en effet le docu­ment D.H. est donc contraire non seule­ment à toute pra­tique sécu­laire du Saint-​Office dont le Pape a tou­jours été per­son­nel­le­ment le Préfet, et à tout le Droit public de l’Eglise, théo­rique et pra­tique.
    Voici aus­si des réfé­rences à ce sujet :
    Voir : Fontes selec­ti Historiae juris publi­ci eccle­sias­ti­ciEcclesia et Status de Lo Grasso – Romae – Universitas Gregoriana – N° 26 – N° 52 (St Augustin sur la coac­tion) N° 53, 54. Bulle Inter Coetera Alexandre VI N° 559 – N° 707, 708. Devoirs des Princes N° 710 – Devoirs de l’Etat envers Dieu et envers l’Eglise 793. 4. 825.
  3. L’article III est contraire au Droit public de l’Eglise.
    Silvio Romani – Elementa juris Ecclesiae publi­cis fon­da­men­ta­lis – De Ecclesia et civi­tate, page 252 – ain­si que toute la biblio­gra­phie au début de l’ouvrage.Le Droit public de l’Eglise fon­dé sur les prin­cipes les plus élé­men­taires de la Révélation et de la théo­lo­gie, exige des Etats païens qu’ils admettent la Mission de l’Eglise et la liber­té de son ensei­gne­ment, et des Etats catho­liques qu’ils aident l’Eglise dans son devoir de sanc­ti­fier et gou­ver­ner les fidèles et de pro­té­ger leur foi contre les scan­dales des erreurs de l’hé­ré­sie et de l’im­mo­ra­li­té.
    Demander aux gou­ver­nants de lais­ser la liber­té de l’er­reur, la liber­té des cultes, c’est leur impo­ser la neu­tra­li­té, le laï­cisme, le plu­ra­lisme qui finit tou­jours par pro­fi­ter à l’er­reur. Les Documents Pontificaux sont for­mels à ce sujet.

F) Conséquences désastreuses de l’abandon de la doctrine traditionnelle de l’Eglise concernant les devoirs de la Cité par rapport à l’Eglise

  • Interventions du Saint-​Siège pour la liber­té des fausses reli­gions, par la sup­pres­sion dans les Constitutions des Etats catho­liques du pre­mier article expri­mant que seule la Religion catho­lique est offi­ciel­le­ment recon­nue comme reli­gion de l’Etat.
    Exemples de la Colombie, de l’Espagne, de l’Italie, des Etats suisses du Valais et du Tessin, où les Nonciatures ont encou­ra­gé ces Etats à sup­pri­mer cet article de leurs Constitutions.
  • Intervention du Saint-​Père lui-​même dans le dis­cours après le Concile et à l’oc­ca­sion de la récep­tion offi­cielle au Vatican du Roi d’Espagne s’ap­puyant sur le docu­ment de la Liberté Religieuse : « Que vous demande l’Eglise aujourd’­hui ? Elle vous l’a dit dans un des textes majeurs du Concile : elle ne vous demande que la liber­té ».
    On ne peut s’empêcher d’y voir un écho aux affir­ma­tions de Lamennais lors de la fon­da­tion de son jour­nal L’Avenir (Dictionnaire de Théologie Catholique, L. 9 – 1ère colon. 526–527) : « Beaucoup de catho­liques en France aiment la liber­té. Que les libé­raux s’en­tendent donc avec eux pour récla­mer la liber­té entière, abso­lue d’o­pi­nion, de doc­trine, de conscience, de culte, de toutes les liber­tés civiles sans pri­vi­lège, sans res­tric­tion. D’un autre côté que les catho­liques le com­prennent aus­si la Religion n’a besoin que d’une chose : la Liberté ».
    Il suf­fit de lire le livre de Marcel Prélot Le Libéralisme catho­lique édi­té en 1969 pour voir le par­ti qu’ont tiré les libé­raux de ces affir­ma­tions.
    La condam­na­tion de Lamennais par le Pape Grégoire XVI dans son Encyclique Mirari vos mani­feste l’op­po­si­tion entre les pré­dé­ces­seurs de Paul VI et Paul VI lui-​même.
    A ces décla­ra­tions font écho les paroles du Cardinal Colombo de Milan. « Lo Stato non puo essere altro che laï­co ». Je n’ai pas enten­du dire que la Congrégation pour la foi l’ait réprimandé.
  • La logique de cet aban­don entraîne les Etats même catho­liques à adop­ter des lois contraires au Décalogue, sous la pres­sion des fausses reli­gions, sous le pré­texte de ne pas les bri­mer dans leur morale.
  • Conclusion : Ce point est d’une impor­tance majeure. S’il s’a­gis­sait sim­ple­ment de consta­ter l’o­bli­ga­tion impo­sée par les faits d’une tolé­rance reli­gieuse, on pour­rait encore l’ad­mettre.
    Mais admettre que cette liber­té reli­gieuse est basée sur un droit natu­rel, cela est abso­lu­ment contraire à la néces­si­té du salut éter­nel fon­dé sur la foi catho­lique, sur la Vérité.
    Enlever au légis­la­teur le moyen d’ap­pli­quer Sa loi, sur­tout lors­qu’il s’a­git de ce qui importe le plus au salut des âmes, c’est rendre la foi inef­fi­cace. Admettre qu’on puisse impu­né­ment bra­ver la loi du salut des âmes, la mettre en échec, c’est l’a­néan­tir, c’est rendre impuis­sants les gou­ver­ne­ments catho­liques dans l’ac­com­plis­se­ment pri­mor­dial de leur tâche.
    «Allez trou­ver le Roi (Louis XVIII),
    dit le Pape Pie VII à Monseigneur de Boulogne, Evêque de Troyes, dans sa Lettre Apostolique Post tam diu­tur­nas, faites-​lui savoir la pro­fonde afflic­tion… dont notre âme se trouve assaillie et acca­blée par des motifs men­tion­nés. Représentez-​lui quel coup funeste pour la reli­gion catho­lique, quel péril pour les âmes, quelle ruine pour la foi serait le résul­tat de son consen­te­ment aux articles de la dite Constitution (22è, 23è art. Liberté des cultes et de presse)… Dieu Lui-​même aux mains de qui sont les droits de tous les royaumes et qui vient de lui rendre le pou­voir… exige cer­tai­ne­ment de lui qu’il fasse ser­vir prin­ci­pa­le­ment cette puis­sance au sou­tien et à la splen­deur de son Eglise ».
    Ce n’est mal­heu­reu­se­ment pas ce lan­gage que le Pape Paul VI a tenu au Roi d’Espagne.
    C’est donc en défi­ni­tive parce que nous croyons à l’in­failli­bi­li­té des Papes lors­qu’ils pro­clament des véri­tés maintes fois affir­mées par leurs Prédécesseurs que nous ne pou­vons pas admettre le para­graphe N° 3 de la Liberté Religieuse tel qu’il est rédi­gé dans l’Annexe.

G) Analyse de l’article IV

Quatrième rai­son : « L’affirmation de ce droit à la liber­té reli­gieuse est dans la ligne des docu­ments pon­ti­fi­caux anté­rieurs (Cf. D.H. 2, note 2) qui, face aux excès de l’é­ta­tisme et au tota­li­ta­risme, ont affir­mé le droit de la per­sonne humaine » (ou « droits fon­da­men­taux »).

Réponse. Il suf­fit de se repor­ter aux textes cités dans la note en ques­tion et à l’in­té­res­sante thèse du P. André-​Vincent (op. cit.) qui est en sub­stance la « qua­trième rai­son » appor­tée pour défendre l’or­tho­doxie de D.H. Nous pren­drons les textes dans l’ordre chronologique.

  • LEON XIII, ENCYCLIQUE LIBERTAS, DU 20.VI.1888. Effectivement, Léon XIII pro­clame cer­tains droits de la per­sonne humaine, encore qu’im­pli­ci­te­ment : a) Droit de la per­sonne à exi­ger de l’Etat une pro­tec­tion effi­cace contre la pro­pa­ga­tion de l’er­reur, notam­ment en matière reli­gieuse. Léon XIII expose la doc­trine catho­lique, qui, on le ver­ra, est tout à fait oppo­sée à la liber­té de pro­pa­ga­tion de l’er­reur pro­cla­mée par Vatican II. Laissons le P. André-​Vincent expo­ser les choses comme il les voit : « C’est pour la néces­saire pro­tec­tion des per­sonnes que Léon XIII reven­dique pour l’Eglise la sau­ve­garde de l’Etat : par égard à la fai­blesse humaine. Et quand il affir­mait le devoir de l’Etat de répri­mer les excès des « liber­tés nou­velles », c’é­tait à une époque où la masse des fidèles appa­raît comme un peuple d’en­fants : les êtres humains ont besoin (pour­quoi ne pas dire même : ont droit ! ?) de pro­tec­tion contre l’er­reur : le contrôle des idées sub­ver­sives n’est pas moins néces­saire que celui des stu­pé­fiants.
    «Les écarts d’un esprit licen­cieux qui, pour la mul­ti­tude igno­rante, deviennent faci­le­ment une véri­table oppres­sion doivent jus­te­ment être punis par l’au­to­ri­té des lois, non moins que les atten­tats de la vio­lence com­mis contre les faibles ». (Libertas, n. 39, P.I.N. 207.)
    La liber­té des forts était l’op­pres­sion des faibles. Léon XIII repre­nait l’i­dée de Lacordaire : « entre le fort et le faible, c’est la liber­té qui opprime et la loi qui affran­chit ». L’intervention de l’Etat était donc la néces­saire pro­tec­tion des per­sonnes. Le mot « droit des per­sonnes » n’est pas pro­non­cé par Léon XIII, mais il suf­fit de pres­ser un peu sa notion du bien com­mun (incluant les devoirs de l’Etat envers la Religion, et par consé­quent les droits de la Religion et des fidèles à l’aide de l’Etat) pour l’en faire sor­tir »
    .
    Tout cela est vrai, mais pour­quoi le rela­ti­vi­ser en par­lant à l’im­par­fait his­to­rique ? « La masse des fidèles… peuple d’en­fants » est tou­jours la grande réa­li­té : nos contem­po­rains sont plus que jamais aban­don­nés sans défense à l’a­gres­sion per­pé­tuelle des mass media qui pro­pagent avec une effi­ca­ci­té incroyable la cor­rup­tion des esprits et des moeurs vou­lue par la Contre-​Eglise.
    Léon XIII défi­nit donc dans Libertas un pre­mier vrai droit de la per­sonne humaine, dont les com­po­santes sont les sui­vantes :
    1) C’est un droit natu­rel, car fon­dé (au moins impli­ci­te­ment ici) sur la digni­té humaine qui doit évi­ter sa déchéance par adhé­sion à l’er­reur (cf. Immortale Dei, P.I.N. 149
    2) Un droit non seule­ment natu­rel, mais civil : qui doit être sanc­tion­né par « l’au­to­ri­té des lois ».
    3) Un droit indi­vi­duel (au moins impli­ci­te­ment : ce n’est pas, dans le contexte immé­diat, un droit de la socié­té qu’est l’Eglise, mais un droit de la per­sonne humaine en tant que telle).
    4) Un droit « posi­tif » : droit d’être pro­té­gé (c’est quelque chose de posi­tif) contre la séduc­tion de l’er­reur. b) Droit de la per­sonne, dans l’Etat, à accom­plir les pré­ceptes de Dieu sans que rien ne puisse l’en empê­cher «…mais on peut l’en­tendre aus­si [la liber­té de conscience et de culte] en ce sens que l’homme a dans l’Etat le droit de suivre, d’a­près la conscience de son devoir, la volon­té de Dieu, et d’ac­com­plir Ses pré­ceptes sans que rien ne puisse l’en empê­cher » (Libertas, n. 19, P.I.N. 215).
    Il s’a­git donc ici du droit à la liber­té de conscience et de reli­gion, mais pré­ci­sons bien ses quatre com­po­santes, dont la pre­mière est fon­da­men­tale, nous avons affaire :
    1) La liber­té de LA VRAIE RELIGION : car les pré­ceptes de Dieu dont il est fait men­tion ne sont accom­plis que dans la reli­gion que Dieu Lui-​même a ins­ti­tuée en Se fai­sant homme et en inau­gu­rant à la Cène et à la Croix le Sacrifice sacra­men­tel de la Nouvelle et Eternelle Alliance.
    2) Un droit non seule­ment natu­rel (fon­dé sur la nature humaine et sa per­fec­tion opé­ra­tive), mais aus­si un droit « devant l’Etat » donc un droit civil.
    3) Un droit indi­vi­duel : c’est, encore, un droit de l’homme ou de la per­sonne humaine, et non un droit de la socié­té reli­gieuse qu’est l’Eglise.
    4) Un droit « néga­tif » cette fois. C’est un droit « de ne pas être empê­ché » dans l’exer­cice du vrai culte ; droit qu’il faut bien dis­tin­guer d’un autre : le droit à ne pas être contraint à pra­ti­quer le vrai culte (ou tout autre culte) ; ce der­nier droit, Léon XIII ne l’en­vi­sage pas car ce n’est pas sa pers­pec­tive, mais Vatican II en par­le­ra (sans le dis­tin­guer suf­fi­sam­ment du pre­mier, et sans le nuan­cer comme il fau­drait, car cer­taines contraintes sociales peuvent être admises, comme sti­mu­lants à embras­ser la vraie reli­gion). Une dif­fi­cul­té se pré­sente : l’in­cise « d’a­près la conscience de son devoir ». Donnons pour la résoudre le texte latin : « Sed potest etiam in hac sen­ten­tiam acci­pi, ut homi­ni EX CONSCIENTIA OFFICII Dei volun­ta­tem sequi et jus­sa facere nul­la re impe­diente, in civi­tate liceat ».
    Nous voyons alors que l’in­cise « ex conscien­tia offi­cii » a un sens expli­ca­tif et non pas res­tric­tif. Le sens res­tric­tif serait le sui­vant : « L’homme a le droit de suivre, selon ce qu’en per­çoit sa conscience, la volon­té de Dieu ». Dans ce cas, même une conscience erro­née sur la nature de la vraie reli­gion aurait ce droit civil ; ce serait alors accep­ter qu’il y ait un droit (d’a­bord natu­rel, puis civil) à l’er­reur, ce qui n’est mani­fes­te­ment pas l’a­vis de Léon XIII qui disait plus haut dans la même Encyclique : « Le droit est une facul­té morale, et, comme nous l’a­vons dit, et comme on ne sau­rait trop le redire, il serait absurde de croire qu’elle appar­tient natu­rel­le­ment et sans dis­tinc­tion à la véri­té et au men­songe, au bien et au mal ». (N. 39, P.I.N. 207, AAS 20, 605.)
    C’est donc le sens expli­ca­tif qui est le vrai : « l’homme a le droit de suivre, étant don­né la conscience de son devoir, la volon­té de Dieu ».
    La dif­fi­cul­té est donc écar­tée ; voyons com­ment Léon XIII va main­te­nant rap­pro­cher cette liber­té de conscience ou liber­té reli­gieuse, droit natu­rel et civil, indi­vi­duel, néga­tif, rela­tif à la seule vraie reli­gion, de la notion de digni­té humaine, que Vatican II n’a pas décou­verte, mais a plu­tôt per­ver­tie (en disant qu’elle appar­tient aus­si bien à celui qui est dans la véri­té qu’à celui qui est dans l’er­reur). Voici les paroles du Pontife : « Cette liber­té, la vraie liber­té digne des enfants de Dieu, qui pro­tège si glo­rieu­se­ment la DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE, est au-​dessus de toute vio­lence et de toute oppres­sion ». (N. 49, P.I.N. 215.) Voilà donc défi­nis par Léon XIII deux droits de la per­sonne humaine :
    • 1) le droit d’exi­ger de l’Etat une pro­tec­tion contre l’er­reur (reli­gieuse en particulier) ;
    • 2) le droit, dans l’Etat, d’ac­com­plir les pré­ceptes de Dieu (en par­ti­cu­lier celui de l’ho­no­rer du culte de la vraie reli­gion), sans que rien ne puisse l’en empêcher.
    Que trouve-​t-​on en paral­lèle dans D.H. ? On trouve éga­le­ment deux droits, mais fort dif­fé­rents des pre­miers : 1°) Le droit, garan­ti par l’Etat, de pro­pa­ger l’er­reur : « Aux groupes reli­gieux appar­tient, de même, le droit de ne pas être empê­chés d’en­sei­gner et de mani­fes­ter leur foi publi­que­ment, de vive voix et par écrit ». (D.H., n. 4.)
  • 2°) Le droit de « ne pas être empê­ché d’a­gir selon sa conscience en matière reli­gieuse, en pri­vé comme en public ». (D.H., n. 2.) (Toujours « dans de justes limites » qui ne le sont pas !) – Et ceci, même s’il s’a­git d’une reli­gion autre que la vraie reli­gion !CONCLUSION : Loin de décou­vrir la « conti­nui­té » qu’on espé­rait y voir, on doit consta­ter au contraire UNE EVIDENTE CONTRADICTION ENTRE LIBERTAS ET D.H.

PIE XI, ENCYCLIQUE MIT BRENNENDER SORGE, DU 14.III.1937.
«…L’homme, en tant que per­sonne, pos­sède des droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeu­rer vis-​à-​vis de la com­mu­nau­té hors de toute atteinte qui ten­drait à les nier, à les abo­lir ou à les négli­ger ». (P.I.N. 677.)
«…Le croyant a un droit inalié­nable à pro­fes­ser sa foi et à la revivre comme elle veut être vécue. Des lois qui étouffent ou rendent dif­fi­ciles la pro­fes­sion et la pra­tique de cette foi sont en contra­dic­tion avec le droit natu­rel…» (D.C. n.837–838 du 10–17.IV.1937, col. 915 ; cité par André-​Vincent, op. cit. p. 252.)
De quel croyant et de quelle foi s’agit-​il ? La réponse est donnée :

  • 1) par le sens obvie des mots « croyant » et « foi » qui dési­gnent le fidèle et la foi catholiques
  • 2) par le contexte : cette lettre est adres­sée aux évêques d’Allemagne, donc des­ti­née à défendre les droits des catho­liques alle­mands, et, en tant qu’en­cy­clique, les droits de tous les catho­liques qui se trou­ve­raient dans une situa­tion ana­logue (devant un régime tota­li­taire oppo­sé à la reli­gion catho­lique), et qui ver­raient leur droit même sim­ple­ment « natu­rel », comme dit Pie XI, mena­cé ou bafoué.
    Vatican II, lui, uti­lise le mot « foi » pour dési­gner indif­fé­rem­ment la foi catho­lique et les super­sti­tions des autres reli­gions ! (cf. D.H. n. 4, déjà cité.) Et D.H. accorde ce droit inalié­nable aux « croyants » de toutes les religions !

Où se trouve la conti­nui­té de doc­trine qu’on pré­tend voir entre Pie XI et Vatican II ?

ENCORE PIE XI, ENCYCLIQUE NON ABBIAMO BISOGNO, DU 29.VI.1931. (Texte non cité par D.H., mais sou­vent pré­sen­té à l’ap­pui de la thèse de la conti­nui­té.)
«…Les droits sacrés et invio­lables des âmes et de l’Eglise. Il s’a­git du droit qu’ont les âmes de se pro­cu­rer le plus grand bien spi­ri­tuel sous le magis­tère et l’œuvre édu­ca­trice de l’Eglise, divi­ne­ment consti­tuée unique man­da­taire de ce magis­tère et de cette âme, en cet ordre sur­na­tu­rel fon­dé dans le sang du Dieu Rédempteur, néces­saire et obli­ga­toire pour tous, afin de par­ti­ci­per à la divine Rédemption. Il s’a­git du droit des âmes ain­si for­mées, à com­mu­ni­quer les tré­sors de la Rédemption à d’autres âmes, en col­la­bo­rant à l’ac­ti­vi­té de l’a­pos­to­lat hié­rar­chique. (Pie XI a en vue l’Action Catholique.) C’est en consi­dé­ra­tion de ce double droit des âmes que Nous Nous disions récem­ment heu­reux et fier de com­battre le bon com­bat pour la liber­té des consciences, non pas (comme cer­tains, par inad­ver­tance peut-​être, Nous l’ont fait dire) pour la liber­té de conscience, manière de par­ler équi­voque et trop sou­vent uti­li­sée pour signi­fier l’ab­so­lue indé­pen­dance de la conscience, chose absurde en une âme créée et rache­tée par Dieu…» (D.C. n. 574 du 18.VII.1931, col. 82, cité par André-​Vincent, op. cit., p. 251–252.)
Pie XI prend bien garde : il ne pro­clame pas la liber­té de conscience, « chose absurde », mais la liber­té des consciences des âmes chré­tiennes : cette « liber­té des enfants de Dieu » dont nous parle saint Paul et que Léon XIII défi­nis­sait si bien : « La liber­té consiste en ce que, par le secours des lois civiles, nous puis­sions plus aisé­ment vivre selon les pres­crip­tions de la loi éter­nelle ». (Libertas, n. 17, P.I.N. 185.)
Et Léon XIII la défen­dait en ces termes : « Cette liber­té, la vraie liber­té digne des enfants de Dieu, qui pro­tège si glo­rieu­se­ment la digni­té de la per­sonne humaine, est au-​dessus de toute vio­lence et de toute oppres­sion ». (Ibid., n. 49, P.I.N. 215.)
Pie XI pro­clame donc cette liber­té de conscience des âmes chré­tiennes, et non pas, comme Vatican II, le « droit à ne pas être empê­ché d’a­gir… selon sa conscience » en matière reli­gieuse, sans dis­tinc­tion d’une conscience vraie ou d’une conscience erro­née !
Pie XI défi­nit de plus deux droits

  1. « Droit des âmes de se pro­cu­rer le plus grand bien spi­ri­tuel, sous le magis­tère et l’œuvre édu­ca­trice de l’Eglise ». On est loin de la « libre recherche » pro­cla­mée par Vatican II et qui existe, selon le Concile, aus­si bien dans « l’en­sei­gne­ment et l’é­du­ca­tion » que dans « l’é­change et le dia­logue»… (D.H., n. 3). Au contraire, on se sent en pleine conti­nui­té avec l’en­sei­gne­ment de Léon XIII sur le droit de la per­sonne à la pro­tec­tion de l’Etat contre la dif­fu­sion de l’erreur.
  2. « Droit des âmes catho­liques à com­mu­ni­quer le tré­sor de la Rédemption à d’autres âmes » sous la direc­tion de la hié­rar­chie. On est loin du droit accor­dé par Vatican II « aux groupes reli­gieux [sans dis­tinc­tion] de ne pas être empê­chés d’en­sei­gner et de mani­fes­ter leur foi publi­que­ment de vive voix et par écrit » ! Vatican II mêle à plai­sir le tré­sor de la Rédemption et les super­sti­tions étran­gères à la vraie foi !

- PIE XII : RADIO-​MESSAGE DE NOËL : 24.XII.1942. Le Pontife, « en plein enfer de la guerre, ose jeter les bases de la paix… Après avoir mar­qué le lien entre les deux phé­no­mènes de la pro­lé­ta­ri­sa­tion et du tota­li­ta­risme d’Etat, Pie XII indique la direc­tion de l’ef­fort à pour­suivre pour ren­ver­ser le pro­ces­sus de dis­so­lu­tion » (André-​Vincent, op. cit., p. 114–115) : « Promouvoir le res­pect et l’exer­cice pra­tique des droits fon­da­men­taux de la per­sonne, à savoir : le droit à entre­te­nir et à déve­lop­per la vie cor­po­relle, intel­lec­tuelle et morale, en par­ti­cu­lier le droit à une for­ma­tion et à une édu­ca­tion reli­gieuse ; le droit au culte de Dieu pri­vé et public, y com­pris l’ac­tion cha­ri­table reli­gieuse…»
Pie XII reven­dique ici les « droits fon­da­men­taux » de la per­sonne humaine, c’est-​à-​dire des « droits natu­rels » qui doivent deve­nir des droits civils. La dif­fi­cul­té est l’in­ter­pré­ta­tion de l’ex­pres­sion « droit au culte de Dieu, pri­vé ou public ». Est-​ce deman­der, comme Vatican II, le droit d’ho­no­rer d’un culte public la divi­ni­té suprême » (D.H. n. 4) ? Nous devons répondre, non !
- L’expression « culte de Dieu » est sim­ple­ment, dans la bouche de Pie XII, une ABSTRACTION DE LA VRAIE RELIGION, qui inclut impli­ci­te­ment la vraie reli­gion et exclut, tou­jours impli­ci­te­ment, sans le faire expli­ci­te­ment, les autres reli­gions, en tant qu’elles seraient direc­te­ment oppo­sées aux actes de la simple reli­gion natu­relle, base sous-​jacente de toutes les reli­gions posi­tives.
Car il s’a­git, selon nous, de défendre in direc­to les droits des âmes catho­liques (Cf. Pie XI), et aus­si in obli­quo de réprou­ver les exac­tions des régimes tota­li­taires (athées notam­ment), qui atteignent aus­si injus­te­ment catho­liques et aca­tho­liques
- Le texte de D.H. au contraire, parle d’emblée expli­ci­te­ment de « liber­té des groupes reli­gieux » : l’ex­pres­sion « hono­rer la divi­ni­té suprême » doit donc être com­prise, dans ce contexte, comme une ABSTRACTION DE TOUTES LES RELIGIONS, qui inclut toutes celles-​ci impli­ci­te­ment au même degré. Elle ne res­pecte pas, par consé­quent, le carac­tère de la seule vraie reli­gion, de la reli­gion catholique.

Il y a donc un abîme entre le Radio-​message de Noël 1942 et D.H. ; les expres­sions le font pres­sen­tir, le contexte de chaque docu­ment est là pour l’expliciter.

JEAN XXIII. ENCYCLIQUE PACEM IN TERRIS DU 11.I V.1963.
Citons le texte dans sa tra­duc­tion cou­rante : « Chacun a le droit d’ho­no­rer Dieu sui­vant la juste règle de la conscience et de pro­fes­ser sa reli­gion dans la vie pri­vée et publique ».
Suivent une cita­tion de Lactance, et une de Léon XIII : Libertas, (N. 39, P.I.N. 215), texte que nous avons cité cides­sus à pro­pos de Non abbia­mo biso­gno.
Dans cette ver­sion fran­çaise, Jean XXIII semble reven­di­quer pour la per­sonne humaine le droit de pro­fes­ser sa reli­gion quelle qu’elle soit (indif­fé­ren­tisme de l’Etat, donc !). Or il n’en est rien ; la tra­duc­tion est défec­tueuse ; le texte latin contient ceci : « In homi­nis juri­bus hoc quoque nume­ran­dum est, ut et deum, ad rec­tam conscien­tiae suae nor­mam, vene­ra­ri pos­sit, et reli­gio­nem pri­va­tim publice pro­fi­te­ri…» « Il faut ins­crire aus­si au nombre des droits de l’homme, celui de pou­voir véné­rer Dieu, selon la droite norme de sa conscience, et de pro­fes­ser la reli­gion en pri­vé comme en public…» (A.A.S. 259, 55, 1963.)
On peut donc inter­pré­ter ce texte dans le sens des « droits fon­da­men­taux » de Pie XII par une « abs­trac­tion de la vraie reli­gion » qui donne le « droit de pro­fes­ser la reli­gion » ; l’in­cise « selon la droite norme de sa conscience » peut aus­si être inter­pré­tée en un sens tra­di­tion­nel : « selon la conscience de cha­cun, rec­ti­fiée par la ver­tu de pru­dence, et adhé­rant au vrai ». (On peut aus­si inter­pré­ter en ce sens la même expres­sion dans Gaudium et Spes, n. 16.)
Dans cette hypo­thèse Pacem in ter­ris mani­feste le même hia­tus que les textes anté­rieurs, avec Vatican II.
Mais un auteur auto­ri­sé, qui par­ti­ci­pa à la rédac­tion de l’Encyclique, Mgr Pietro Pavan fait un aveu révé­la­teur, que nous expose René Laurentin, qui par­lant de D.H., écrit : « Ce « droit de la per­sonne » n’est pas une acqui­si­tion conci­liaire. Le décret (D.H.) l’a repris de Pacem in ter­ris et les for­mules de cette ency­clique, qui avait d’a­bord été assu­mée telle qu’elle, n’a pu être main­te­nue qu’au prix d’at­té­nua­tions. Pourtant, la décla­ra­tion (D.H.) prise dans son ensemble n’est pas un retrait, et lève même cer­taines ambi­guï­tés qui avaient été volon­tai­re­ment main­te­nues dans Pacem in ter­ris ». (R. Laurentin, Bilan du Concile, Paris, Seuil, 1966, pp. 329–330.)
En quoi pou­vait donc consis­ter l’am­bi­guï­té volon­taire ? Sinon en ce que les rédac­teurs se sont arran­gés à conser­ver la pos­si­bi­li­té de l’in­ter­pré­ta­tion tra­di­tion­nelle par des expres­sions « atté­nuées » (« pro­fes­ser la reli­gion », « selon la droite norme de sa conscience ») qui néan­moins pré­pa­raient, en ne l’ex­cluant pas, la concep­tion nou­velle de D.H. En tout cas, dans l’hy­po­thèse de cette ambi­guï­té cal­cu­lée, Pacem in ter­ris ne mérite, au moins en la matière, aucu­ne­ment l’as­sen­ti­ment dû aux docu­ments du Magistère ordi­naire de l’Eglise, et sa cita­tion, à l’ap­pui de D.H., est sans valeur, ni force aucune.
Nous croyons avoir ain­si suf­fi­sam­ment mon­tré que D.H. ne s’ins­crit pas comme on le pré­tend dans la ligne des docu­ments pon­ti­fi­caux anté­rieurs que l’on peut allé­guer en la matière.

Concernant la deuxième question : L’Ordo Missae promulgué par le Pape Paul VI

La nou­velle concep­tion du monde et des rela­tions de l’Eglise avec ce monde devait néces­sai­re­ment atteindre les moyens par les­quels l’Eglise exprime sa foi et la vit : la Liturgie, école de la foi, sera donc elle aus­si trans­for­mée sous l’ef­fet de cet esprit oecu­mé­nique libé­ral, qui voit dans les pro­tes­tants des frères sépa­rés et non plus des héré­tiques imbus de prin­cipes radi­ca­le­ment contraires à la doc­trine de l’Eglise. On ne cher­che­ra plus à conver­tir mais à unir, d’où l’ef­fort de syn­thèse de la Liturgie catho­lique et du culte protestant.

La pré­sence de six pas­teurs pro­tes­tants à la Commission de la Réforme Liturgique est éloquente.

Le Pape lui-​même (allo­cu­tion du 13 jan­vier 1965) par­le­ra de la « réno­va­tion litur­gique » comme « d’une nou­velle péda­go­gie reli­gieuse » qui va prendre « la place de moteur cen­tral dans le grand mou­ve­ment ins­crit dans les prin­cipes consti­tu­tion­nels de l’Eglise » prin­cipes réno­vés du Concile.

Monseigneur Dwyer, membre du Consilium de Liturgie, arche­vêque de Birmingham, recon­naît l’im­por­tance de cette Réforme (confé­rence de presse, 23.10. 67) : « C’est la Liturgie qui forme le carac­tère, la men­ta­li­té des hommes affron­tés aux pro­blèmes… La Réforme litur­gique est dans un sens très pro­fond la clé de l’ag­gior­na­men­to, ne vous y trom­pez pas, c’est là que com­mence LA REVOLUTION…»

On insis­te­ra sur l’es­prit com­mu­nau­taire, la par­ti­ci­pa­tion active des fidèles, on ne peut s’empêcher de pen­ser à l’es­prit qui ani­ma Luther et ses pre­miers dis­ciples (voir le livre de Cristiani, Du Luthéranisme au Protestantisme), (voir les Institutions Liturgiques de Dom Guéranger, extraits édi­tés par la Diffusion de la Pensée Française, spé­cia­le­ment les cha­pitres 14 et 23). Dom Guéranger en révé­lant tous les efforts des héré­tiques contre la Liturgie Romaine jette une lumière sin­gu­lière sur la Réforme Liturgique du Concile (et post-conciliaire).

De plus si l’on étu­die tous les détails de la nou­velle Réforme de la Messe en par­ti­cu­lier, on est stu­pé­fait d’y retrou­ver les Réformes que Luther, les Jansénistes et le Concile de Pistoïe pré­co­ni­saient. Comment conci­lier cette Réforme de la Messe avec les canons du Concile de Trente et les condam­na­tions de la Bulle Auctorem fidei de Pie VI ?

Nous ne jugeons pas des intentions1 ; mais les faits (et les consé­quences de ces faits, sem­blables d’ailleurs à celles qui se sont pro­duites dans les siècles pas­sés là où ces Réformes ont été intro­duites) nous obligent à recon­naître avec les Cardinaux Ottaviani et Baggi (Bref exa­men cri­tique remis au Saint-​Père le 3 sep­tembre 1969) « que le Nouvel Ordo s’é­loigne d’une manière impres­sion­nante, dans l’en­semble, comme dans le détail, de la Théologie catho­lique de la Sainte Messe, défi­nie à jamais par le Concile de Trente ».

D’ailleurs la « Messe nor­ma­tive » pré­sen­tée par le Père Bunigni en 1967 au Synode des Evêques à Rome, a été très contes­tée par les Evêques. A la confé­rence qu’il fit aux Supérieurs géné­raux en octobre 1967, à laquelle j’as­sis­tais, nous avons été stu­pé­faits de la manière dont le pas­sé litur­gique de l’Eglise était trai­té. J’étais per­son­nel­le­ment indi­gné des réponses faites aux objec­teurs et je ne pou­vais croire que le confé­ren­cier était la per­sonne à qui l’Eglise confiait sa réforme litur­gique. Les Cardinaux Cicognani et Gut m’ont fait part de leur immense dou­leur devant cette incom­pré­hen­sible réforme. – Un autre Cardinal encore de ce monde me disait que l’ar­ticle 7 de l’Instruction pre­mière rédac­tion était hérétique.

Les expli­ca­tions, au dire de Monseigneur Bugnini lui-​même, n’ont rien chan­gé à la doc­trine expri­mée aupa­ra­vant. En tout cas, la Messe nou­velle n’a pas été modi­fiée, elle est demeu­rée une syn­thèse catholico-​protestante. Les Protestants eux-​mêmes l’ont recon­nu publiquement.

Si la Congrégation de la Foi me le demande, je puis faire une étude appro­fon­die et très pré­cise avec réfé­rences sur les simi­li­tudes de la Nouvelle Messe avec le culte pro­tes­tant et la simi­li­tude des expres­sions employées désor­mais pour les réa­li­tés divines de la Messe avec les expres­sions protestantes.

En conclu­sion, il est cer­tain, au dire même de ceux qui célèbrent selon le Nouvel Ordo Missae, que la nou­velle Messe repré­sente une déva­lo­ri­sa­tion très sen­sible du mys­tère sacré aus­si bien dans l’ex­pres­sion de la foi catho­lique dans les réa­li­tés divines de ce mys­tère : expres­sion des paroles, des gestes, des actes, de tout ce qui donne un carac­tère de subli­mi­té à cette réa­li­té qui est le cœur de l’Eglise.

Bien plus, de nom­breuses sup­pres­sions et atti­tudes nou­velles finissent par engen­drer le doute dans l’es­prit des fidèles et les amènent à adop­ter une men­ta­li­té pro­tes­tante, sans s’en rendre compte.

L’oecuménisme libé­ral pro­duit ses effets peu à peu et dimi­nue la foi des fidèles. Beaucoup aban­donnent l’Eglise, sur­tout les jeunes.

Comment le Saint-​Siège a‑t-​il pu enga­ger une telle Réforme sans se sou­cier des actes du magis­tère, et en repre­nant à son compte les erre­ments des pro­tes­tants, des jan­sé­nistes, du Concile de Pistoïe ?

C’est le motif de notre atta­che­ment à la Messe Romaine de tou­jours, qui ne peut être abo­lie et ne peut être l’ob­jet de cen­sures selon le juge­ment infaillible de saint Pie V ; nous vou­lons gar­der la foi catho­lique par la Messe catho­lique, non par une Messe oecu­mé­nique, quand bien même valide et non héré­tique, mais « favens hae­re­sim ».

C’est ce qui me fait dire que je ne vois pas com­ment on peut for­mer des clercs avec la nou­velle Messe ; le prêtre et le sacri­fice ont une rela­tion qua­si trans­cen­dan­tale ; rendre le sacri­fice dou­teux c’est rendre le sacer­doce douteux.

Confirmation de la protestantisation de l’Eglise par la liturgie

(Extraits de Ce qu’il faut d’a­mour à l’homme de Julien Green de l’Académie Française. Plon, Paris, 1978. J. Green s’est conver­ti de l’Anglicanisme en 1916.)

  • « La pre­mière fois que j’en­ten­dis la messe en fran­çais, j’eus peine à croire qu’il s’a­gis­sait d’une messe catho­lique et ne m’y retrou­vai plus. Seule me ras­su­ra la consé­cra­tion, bien qu’elle fût mot pour mot pareille à la consé­cra­tion angli­cane ». (p. 135)
  • « Un jour que j’é­tais à la cam­pagne avec ma soeur Anne, nous assis­tâmes à une messe télé­vi­sée… Ce que je recon­nus, comme Anne de son côté, était une imi­ta­tion assez gros­sière du ser­vice angli­can qui nous était fami­lier dans notre enfance. Le vieux pro­tes­tant qui som­meille en moi dans sa foi catho­lique se réveilla tout à coup devant l’é­vi­dente et absurde impos­ture que nous offrait l’é­cran, et cette étrange céré­mo­nie ayant pris fin, je deman­dai sim­ple­ment à ma soeur : « Pourquoi nous sommes-​nous conver­tis ? »» (p. 138)
  • « Je com­pris d’un coup avec quelle habi­le­té on menait l’Eglise d’une façon de croire à une autre. Ce n’é­tait pas une mani­pu­la­tion de la foi, mais quelque chose de plus sub­til. A ceux qui m’eussent objec­té que le sacri­fice était men­tion­né au moins trois fois dans la nou­velle messe, je pou­vais répondre qu’entre men­tion­ner une véri­té et la mettre en lumière la dif­fé­rence ne lais­sait pas d’être forte. Que la messe fût le mémo­rial de la Cène, nous le savions bien. Que l’Eucharistie fût aus­si la mise en croix du Seigneur, sans quoi point de salut, on ne nous le disait plus. Or cette réa­li­té du sacri­fice pro­pi­tia­toire de la messe est en train de s’ef­fa­cer dis­crè­te­ment de la conscience des catho­liques, laïcs ou prêtres…
    Les vieux prêtres qui l’ont, si je puis dire, dans le sang, ne sont pas près de l’ou­blier et disent par consé­quent des messes conformes aux inten­tions de l’Eglise, mais que dire des jeunes prêtres ? Que croient-​ils ? Que croient-​ils encore et qui ose­ra dire ce que vaut leur messe ?»
    (p. 143)
  • « Les ency­cliques du Pape ne chan­ge­ront rien au fait que le monde ratio­na­liste moderne refuse le miracle. On ne peut faire admettre la messe que si l’on en sup­prime l’élé­ment mira­cu­leux. Retaillée aux dimen­sions pro­tes­tantes, elle aura quelques chances de sur­vivre dans la chré­tien­té d’au­jourd’­hui, mais ce ne sera plus la messe ». (p. 144)
  • « Dans une Eglise en désordre s’é­le­vèrent des remous quand Mgr Lefebvre prit posi­tion contre la messe de Paul VI et le Concile. L’histoire de son inter­mi­nable contro­verse avec le Vatican est trop connue pour que je la raconte ici. Des mil­lions de catho­liques se sen­tirent tou­chés et je fus de ceux-​là. La ques­tion que je posai à des prêtres conci­liaires était simple : « Que reproche-​t-​on à l’an­cienne messe ? » Réponse : « Elle est sur­an­née ». Par ailleurs, on nous disait que la nou­velle messe s’ins­pi­rait des sources plus anciennes et se rap­pro­chait d’au­tant des pre­mières messes que l’Eglise avait dites. Il fal­lait des spé­cia­listes pour voir clair dans ces pro­blèmes obs­curs. De véhé­mentes dis­cus­sions eurent lieu au sujet de l’ef­fa­ce­ment du sacri­fice de la Croix. Cette Croix dans la nou­velle messe n’é­tait plus qu’un fan­tôme. Nous étions au Cénacle, le soir du Jeudi-​Saint, alors que nous étions à la fois à la Cène et au Calvaire dans la messe aban­don­née de saint Pie V. L’écart était énorme et per­met­tait à l’Eglise Anglicane d’en­tre­voir une union pos­sible et ardem­ment dési­rée dès avant la guerre de 14. La réponse de la nou­velle Eglise fut vive. Le sacri­fice était nom­mé trois fois au moins dans la nou­velle messe. Nommé, oui, mais c’é­tait tout, alors que l’Eucharistie était très abon­dam­ment expli­quée aux fidèles. De toute évi­dence nous étions en pré­sence de ce que les théo­lo­giens appellent un obs­cur­cis­se­ment d’une par­tie capi­tale de la messe. Protester fut consi­dé­ré comme un acte de rébel­lion. Les évêques fran­çais lais­sèrent dire que la messe de saint Pie V était désor­mais inter­dite, ce qui était une contre-​vérité for­melle. Et la déchi­rure se fit.
    Pour ma part j’en fus très affec­té, car j’a­vais à l’âge de seize ans juré fidé­li­té à la messe du Concile de Trente et aujourd’­hui il m’é­tait enjoint de n’y plus assis­ter. Quelle que soit l’o­pi­nion que l’on ait de cer­taines prises de posi­tion de Mgr Lefebvre, nous devons à ce pré­lat fran­çais d’a­voir cou­ra­geu­se­ment réveillé la conscience de toute une par­tie du monde catho­lique en l’o­bli­geant à s’in­ter­ro­ger sur sa foi. Croyons-​nous ou ne croyons-​nous pas à la réa­li­té du sacri­fice de la messe ? Dans quelle mesure sommes-​nous catho­liques romains ou inclinons-​nous vers une foi prête à faire des conces­sions au pro­tes­tan­tisme ? Je recon­nais l’au­to­ri­té du Pape et l’i­dée de quit­ter l’Eglise me ferait pro­pre­ment hor­reur, mais je reste fidèle à ma pro­fes­sion de foi de 1916 et n’en bou­ge­rai pas d’une ligne. Dire que pré­fé­rer la messe de saint Pie V est un acte de rébel­lion ne peut se défendre »
    . (p. 150–151)

Réponse concernant le sacrement de confirmation

La trans­crip­tion faite à ce sujet dans une confé­rence à Florence a dû être incom­plète, car j’ai cou­tume de dire que la for­mule nou­velle est la for­mule d’un rite orien­tal et qu’elle est cer­tai­ne­ment valide, quand elle est tra­duite correctement.

Mais elle est fré­quem­ment mal tra­duite ou écour­tée. Elle se réduit sou­vent à : « Reçois l’Esprit Saint ». Parfois elle est tota­le­ment omise puis­qu’on a déjà fait appel à l’Esprit Saint. Quant aux Saintes huiles, on peut se deman­der si les consé­cra­tions sont valides. Dans un cer­tain nombre de dio­cèses on ne confirme plus. On estime que le bap­tême suffit.

C’est devant cette désas­treuse situa­tion pour leurs enfants que les parents insistent afin que je vienne don­ner le sacre­ment de confir­ma­tion à leurs enfants. J’accepte à contre­coeur et pré­fé­re­rais ne pas me rendre à ces invi­ta­tions si j’ap­pre­nais que l’ad­mi­nis­tra­tion de ce sacre­ment était réa­li­sée normalement.

Réponse concernant le sacrement de pénitence

Je pense que le docu­ment sui­vant don­ne­ra une réponse suf­fi­sante ; si j’ai affir­mé la non-​sacramentalité de l’ab­so­lu­tion col­lec­tive, c’est qu’en fait l’es­prit dans lequel la plu­part des prêtres la donnent fait fi de la notion de juge­ment qu’est le sacre­ment de péni­tence et de la néces­si­té de l’in­té­gri­té de la confession.

Faire de l’ex­cep­tion la règle, c’est ris­quer de modi­fier essen­tiel­le­ment la loi.

Mais j’ai bien la convic­tion que le sacre­ment don­né dans l’es­prit des excep­tions autre­fois auto­ri­sées est valide.

1 – LE « NOUVEL ORDO POENITENTIA ».

  • Le 16 juin 1972 : De la S.C. pour la Doctrine de la Foi, des « Normes pas­to­rales pour l’ad­mi­nis­tra­tion de l’ab­so­lu­tion sacra­men­telle géné­rale ».
  • Le 2 décembre 1973 : De la S.C. pour le Culte Divin, le Novus ordo Poenitentiae, c’est-​à-​dire le nou­veau rituel de la Pénitence. Ce der­nier docu­ment pré­voit trois modes d’ab­so­lu­tion sacra­men­telle.
    • Mode tra­di­tion­nel : confes­sion et abso­lu­tion individuelles.
    • Confession et abso­lu­tion indi­vi­duelles à l’is­sue d’une céré­mo­nie pénitentielle.
    • Pour cer­tains cas pré­cis (« pro cer­tis casi­bus »), confes­sion et abso­lu­tion générales.
    C’est ce der­nier mode qui porte à de graves abus du sacre­ment, en ce qui concerne l’in­té­gri­té de la confes­sion.
    Le N.O.P. pré­cise les condi­tions de vali­di­té du troi­sième mode d’ab­so­lu­tion de la part des fidèles :
    • repen­tir des péchés commis,
    • ferme pro­pos de ne plus y retomber,
    • ferme pro­pos de répa­rer les scan­dales et dom­mages éven­tuel­le­ment commis,
    • et enfin, ce qui est par­ti­cu­lier à la dis­ci­pline en ques­tion, l’in­ten­tion de confes­ser cha­cun de ses péchés graves dans une confes­sion indi­vi­duelle qui doit être faite dans l’année.
    On ajoute qu’on n’a pas le droit (sub vali­di­tate ?) de rece­voir une nou­velle abso­lu­tion col­lec­tive sans une confes­sion auri­cu­laire préa­lable des péchés graves non encore confessés.

2 – DISCIPLINE ANTERIEURE DE L’EGLISE. (RIEN A CE SUJET DANS LE RITUEL NI LE DROIT CANON.)

  • Benoît XV : S. Pénitencerie (6 février 1915) : L’absolution col­lec­tive est auto­ri­sée lorsque les sol­dats sont appe­lés au com­bat, quand leur nombre est tel qu’on ne peut les entendre un à un et quand ils ont fait un acte de contrition.
  • Pie XII : S.C. Consistoriale (1 décembre 1939) : exten­sion de la conces­sion pré­cé­dente à tous les fidèles en dan­ger de mort durant les raids aériens.
  • 10 décembre 1940 : Réponse à un doute : per­mis­sion non seule­ment quand le com­bat est immi­nent, mais dès qu’on le juge­ra nécessaire.
  • 1940 : Indult accor­dé au Cardinal Bertram : Absolution col­lec­tive auto­ri­sée pour les fidèles tra­vaillant dans les usines de guerre et les pri­son­niers qui ne peuvent se confes­ser indi­vi­duel­le­ment (ici, ce n’est plus le pro­chain dan­ger de mort), ain­si que pour les tra­vailleurs étran­gers et les cap­tifs en commandos.
  • 25 mars 1944 : La S. Pénitencerie fait une syn­thèse de tout cela, et fixe net­te­ment la doc­trine et la pra­tique à suivre en ce qui concerne l’ab­so­lu­tion col­lec­tive. Elle semble de plus étendre à toute l’Eglise l’in­dult accor­dé au Cardinal Bertram : « En dehors des cas où inter­vient le dan­ger de mort, il n’est pas per­mis de don­ner l’ab­so­lu­tion sacra­men­telle à plu­sieurs fidèles à la fois et en même temps. Il n’est pas per­mis non plus d’ab­soudre sacra­men­tel­le­ment chaque fidèle qui, à cause seule­ment du grand nombre de péni­tents – comme cela par exemple peut arri­ver au jour d’une grande fête ou d’une indul­gence à gagner -, ne s’est confes­sé qu’à moi­tié (cf. Proposition 59, par­mi celles condam­nées par pro­por­tion­née à la gra­vi­té du pré­cepte divin de l’in­té­gri­té de la confes­sion, par exemple si les péni­tents, sans qu’il y ait aucu­ne­ment de leur faute, étaient réduits à être pri­vés long­temps de la grâce du sacre­ment et de la Sainte Communion » Innocent XI le 2 mars 1679, Dz 1209) ; cela serait per­mis cepen­dant, s’il sur­vient une néces­si­té tout à fait grave et urgente.

Le texte des Normae Pastorales de 1972 se réfère dans une note à celui de la S. Pénitencerie de 1944 ; voi­ci ce qu’il dit : « En dehors des cas de péril de mort, il est per­mis d’ab­soudre sacra­men­tel­le­ment de façon col­lec­tive des fidèles qui se sont confes­sés seule­ment de manière géné­rale, mais qui ont été conve­na­ble­ment exhor­tés au repen­tir, s’il sur­vient une grave néces­si­té, c’est-​à-​dire lorsque, vu le nombre des péni­tents, il n’y a pas assez de confes­seurs à dis­po­si­tion pour entendre comme il faut la confes­sion de cha­cun dans les limites de temps conve­nables, en sorte que les péni­tents seraient contraints de demeu­rer long­temps pri­vés, sans faute de leur part, de la grâce sacra­men­telle ou de la Sainte Communion. Cette conjonc­ture peut se pro­duire sur­tout dans les ter­ri­toires de mis­sion, mais aus­si en d’autres lieux, ou encore pour des groupes de per­sonnes, lorsque se véri­fie une telle néces­si­té. Par contre, lorsque des confes­seurs sont à dis­po­si­tion, cela n’est point ren­du licite par le seul fait d’un grand afflux de péni­tents, comme il peut arri­ver par exemple pour quelque grande fête ou quelque grand pèlerinage ».

3 – COMPARAISON DES DEUX TEXTES.

Absolution col­lec­tive :

  • Non per­mise, sauf si : néces­si­té grave et urgente (S. Pen. 1944) = pri­va­tion longue et non cou­pable de l’ab­so­lu­tion sacra­men­telle et de la communion.
  • Permise, si : grave néces­si­té (S.C. Doc. F. 1972) = Pas assez de confes­seurs pour confes­ser tout le monde dans le temps conve­nable ; de telle sorte que pri­va­tion longue et non cou­pable d’ab­so­lu­tion sacra­men­telle et de la Sainte Communion.

On peut donc faire les remarques suivantes :

  • a) Les deux textes abordent la ques­tion avec des optiques oppo­sées : le pre­mier parle d’a­bord de l’in­ter­dic­tion, le second, de permission.
  • b) Dans le pre­mier cas, il faut « une néces­si­té tout à fait grave et urgente », dans le second, il suf­fit d’une « grave néces­si­té ».
  • c) Mais sur­tout, ce qui dans le pre­mier texte était la grave néces­si­té, n’est plus dans le second qu’une consé­quence (« en sorte que…»), la « néces­si­té » deve­nant le nombre insuf­fi­sant de confes­seurs et le manque de temps ! S’il en est bien ain­si, on contre­dit l’es­prit du pre­mier texte, et l’on tombe sous le coup de la condam­na­tion d’Innocent XI !

On peut mettre en évi­dence le dépla­ce­ment d’ac­cent entre les deux textes par le sché­ma suivant :

  • S.Pen. 1944
    • 1) L’absolution col­lec­tive n’est pas permise.
    • 2) L’afflux des péni­tents ne la légi­time pas.
    • 3) Sauf si pri­va­tion trop longue de la grâce sacramentelle.
  • S.C. Doc. F. 1972
    • 1) L’absolution col­lec­tive est permise.
    • 2) L’afflux des péni­tents la légitime.
    • 3) Parce que sans elle, pri­va­tion trop longue de la grâce sacramentelle.

Cette der­nière confron­ta­tion des textes est plus par­lante que la pré­cé­dente ; il en res­sort avec évidence :

  • 1) Ce qui n’é­tait pas per­mis devient per­mis désormais.
  • 2) Ce qui ne légi­ti­mait pas la pra­tique incri­mi­née la légi­time désormais.
  • 3) Ce n’est plus la pri­va­tion trop longue de la grâce sacra­men­telle qui est la « néces­si­té tout à fait grave et urgente », mais le simple afflux des péni­tents rela­ti­ve­ment au nombre de confes­seurs et au peu de temps.

Les faits étant donc ain­si éta­blis, nous pou­vons mon­trer que la pra­tique nou­velle s’op­pose et dans l’es­prit et dans les faits à la pra­tique anté­rieure, et ceci par trois argu­ments : le pre­mier est spé­cu­la­tif, le second est pra­tique, le troi­sième est « per absur­dum ».

  • Premier argu­ment. Le texte de 1972 se réfère lui aus­si à la pro­po­si­tion condam­née par Innocent XI, qui, avec le mot « seule­ment » ajou­té en 1944, s’é­nonce ain­si : « Il est per­mis d’ab­soudre sacra­men­tel­le­ment chaque fidèle qui, à cause seule­ment du grand nombre de péni­tents, – comme cela peut arri­ver au jour d’une grande fête ou d’une indul­gence à gagner – ne s’est confes­sé qu’à moi­tié ».
    Les laxistes, qui sou­te­naient cette pro­po­si­tion, ne l’au­raient tout de même pas sou­te­nue si, un jour de fête, il y avait eu autant de confes­seurs que de péni­tents : il est donc clair qu’ils pen­saient qu’on avait le droit d’ab­soudre ceux qui, alors, ne s’é­taient confes­sés qu’à moi­tié, pour cette rai­son que sans cela, on n’au­rait pas pu les confes­ser tous dans le temps conve­nable.
    C’est donc dire une sot­tise et retom­ber dans l’er­reur laxiste, que d’ap­pe­ler « grave néces­si­té » le fait qu’on ne puisse pas confes­ser tous les péni­tents dans le temps conve­nable !
    Or le texte de 1972 est rédi­gé en ce sens : l’af­flux des péni­tents devient la « grave néces­si­té », et la pri­va­tion trop longue des fidèles de la grâce sacra­men­telle, qui est la seule « grave et urgente néces­si­té », n’est pré­sen­tée que comme une consé­quence habi­tuelle de l’autre. Le texte étant ain­si rédi­gé, il incite à ne pas tenir compte de la suite de la phrase : « de telle sorte que les péni­tents seraient contraints…»
    Ainsi, le seul motif qui puisse vrai­ment légi­ti­mer le cas est pra­ti­que­ment éli­mi­né, soit qu’on n’en tienne pas compte, pla­cé qu’il est en bout de phrase, soit qu’on le consi­dère comme une consé­quence habi­tuelle du motif nou­vel­le­ment et frau­du­leu­se­ment intro­duit par la tor­sion du texte ! Et ce nou­veau motif n’est autre que celui que reje­tait Innocent XI !
  • Deuxième argu­ment. Certains objec­te­ront sans doute que le texte de 1972 n’est pas for­mel­le­ment hété­ro­doxe, et que son ambi­guï­té même per­met de l’en­tendre dans le sens tra­di­tion­nel. Les « Normes Pastorales » de 1972 s’ef­forcent même de res­treindre l’in­ter­pré­ta­tion « large » du texte, dans un para­graphe où il est dit « Les prêtres doivent ensei­gner aux fidèles qu’il est inter­dit à ceux dont la conscience est char­gée d’un péché mor­tel, lors­qu’il y a la pos­si­bi­li­té de recou­rir à un confes­seur, de s’abs­te­nir de pro­pos déli­bé­ré ou par négli­gence, de satis­faire à l’o­bli­ga­tion de la confes­sion indi­vi­duelle, en atten­dant l’oc­ca­sion où une abso­lu­tion col­lec­tive sera don­née ». – Il est dit de plus que la confes­sion indi­vi­duelle doit res­ter le mode ordi­naire.
    Mais ce para­graphe n’est pas cité dans l’Ordo Poenitentiae de 1973, et il est carac­té­ris­tique de l’es­prit des réformes actuelles, qui, ayant ouvert une porte, feignent ensuite de la refer­mer ; ou bien ayant feint de fer­mer une porte, s’ef­forcent ensuite de la rou­vrir ! Et si l’on est moins méchant, l’on dira seule­ment que, s’a­per­ce­vant qu’ils ont ouvert une porte, les auteurs des réformes crient à l’a­bus de leurs direc­tives et s’ef­forcent en vain de refer­mer la porte ; ou bien qu’ayant fer­mé pour de bon une porte, ils se croient obli­gés ensuite de la rou­vrir un peu ! C’est ce per­pé­tuel jeu de balan­cier qu’on observe ici.
    Voici un autre texte qui s’ef­force en vain de refer­mer la porte : il s’a­git d’une lettre du 8 février 1977 adres­sée par Mgr Bernardin, pré­sident de la Conférence Episcopale, aux évêques des Etats-​Unis, leur fai­sant part de pré­ci­sions don­nées par la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi au sujet de l’ab­so­lu­tion col­lec­tive (Documentation Catholique n° 1716 du 20 mars 1977) ; et voi­ci le pas­sage inté­res­sant : « Les exemples expli­ci­te­ment men­tion­nés à l’ar­ticle 3 (des N.P.), de situa­tions pas­to­rales qui ne jus­ti­fient pas le recours à l’ab­so­lu­tion col­lec­tive – un grand afflux de péni­tents pré­vu à l’oc­ca­sion d’une grande fête ou d’un grand pèle­ri­nage, alors qu’il est pos­sible de prendre des dis­po­si­tions pour assu­rer les confes­sions -, doivent a for­tio­ri exclure impli­ci­te­ment la convo­ca­tion de grandes foules dans le but pre­mier de don­ner l’ab­so­lu­tion col­lec­tive ».
    La S.C. pour la Doc. de la Foi vou­lait, par ce com­men­taire de ses N.P., désa­vouer l’in­ter­pré­ta­tion « large » de celles-​ci, qui avait don­né récem­ment lieu à deux graves abus du sacre­ment aux Etats-​Unis. Mais ne s’illusionne-​t-​elle pas sur l’ef­fi­ca­ci­té de ses res­tric­tions à l’in­ter­pré­ta­tion d’un texte ambi­gu ? Les N.P. de 1972 pré­voient expli­ci­te­ment le cas des céré­mo­nies péni­ten­tielles – qui sont l’oc­ca­sion des abus en ques­tion -, dans leur para­graphe 10 : «- Les rites péni­ten­tiels col­lec­tifs. On doit ensei­gner soi­gneu­se­ment aux fidèles que les célé­bra­tions litur­giques et les rites péni­ten­tiels col­lec­tifs sont très utiles pour une pré­pa­ra­tion plus fruc­tueuse à la confes­sion… Si les péni­tents font leur confes­sion indi­vi­duelle au cours de telles célé­bra­tions, cha­cun doit rece­voir per­son­nel­le­ment l’ab­so­lu­tion du confes­seur auquel il s’a­dresse. Au cas où l’ab­so­lu­tion sacra­men­telle devrait être don­née de façon col­lec­tive, elle doit tou­jours être admi­nis­trée selon le rite par­ti­cu­lier éta­bli par la Congrégation pour le Culte Divin…»
    On encou­rage donc les fidèles à accou­rir aux céré­mo­nies péni­ten­tielles, où, s’il se trouve peu de prêtres – et ce sera le plus sou­vent, car les prêtres qui veulent bien confes­ser sont rares -, les condi­tions pour per­mettre l’ab­so­lu­tion col­lec­tive sem­ble­ront faci­le­ment être rem­plies ! Ceci, sans que le but « pre­mier » de la célé­bra­tion ait été de don­ner l’ab­so­lu­tion col­lec­tive. Dans la pra­tique, les orga­ni­sa­teurs des célé­bra­tions péni­ten­tielles s’empresseront de « consta­ter » le cas urgent, vu l’af­flux trop impor­tant de fidèles, sans s’en­qué­rir de ce que les fidèles n’ont vrai­ment pas d’autre pos­si­bi­li­té de rece­voir la grâce sacra­men­telle avant long­temps. Ainsi dans la pra­tique est intro­duit, à la faveur d’un texte ambi­gu qu’on s’ef­force ensuite en vain de res­treindre, un mode de pro­cé­der oppo­sé à la pra­tique tra­di­tion­nelle de l’Eglise, et qui est un grave abus du sacre­ment de Pénitence.
  • Troisième argu­ment. Si on devait inter­pré­ter ce texte de 1972 stric­te­ment, il ne devrait pas y avoir plus d’ab­so­lu­tions col­lec­tives qu’il n’y en avait depuis 1944 ; or ce n’est pas le cas ! Les abso­lu­tions col­lec­tives à l’is­sue de céré­mo­nies péni­ten­tielles tendent à être le cas géné­ral. Citons trois cas récents, où l’ab­so­lu­tion col­lec­tive a été abu­si­ve­ment don­née à la foule des fidèles après une céré­mo­nie péni­ten­tielle : pen­dant l’Avent 1976 aux Etats-​Unis avec 11.500 per­sonnes réunies à Memphis, puis avec 2.000 per­sonnes à Jackson, avec grand ren­fort de publi­ci­té ; c’est pour empê­cher que se renou­vellent des scènes aus­si déplo­rables, que la S.C. pour la Doc. de la Foi écri­vit ce com­men­taire des N.P. publié par Mgr Bernardin (cf. ci-​dessus, p. 97). Mais ce docu­ment reste impuis­sant à endi­guer des aber­ra­tions sem­blables : quelques mois après, avait lieu la « fameuse » abso­lu­tion col­lec­tive de Lourdes, le 12 sep­tembre 1977, pour les pèle­rins du dio­cèse de Vannes, sous la pré­si­dence de leur évêque.
    L’interprétation stricte du texte ambi­gu de 1972 reste donc lettre morte, et tous les rap­pels n’y pour­ront rien faire, aus­si vrai est-​il que lors­qu’on a entrou­vert une porte, en ces matières, on n’ar­rive plus à la refermer.

4 – VALIDITE DES ABSOLUTIONS COLLECTIVES ABUSIVES.

Le texte de 1944, comme celui de 1972, disent qu’en dehors des cas indi­qués, les abso­lu­tions sacra­men­telles géné­rales doivent être tenues pour des abus graves, « que tous les prêtres doivent évi­ter avec soin, conscients de leur res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle envers le bien des âmes et de la digni­té du sacre­ment de Pénitence » (N.P., n° 8). Ces abus sont donc gra­ve­ment illi­cites et atteignent la digni­té du sacre­ment. Touchent-​ils à sa vali­di­té ? On peut répondre : non, pas ipso fac­to, mais oui dans cer­tains cas.

Le com­men­taire de la « Bonne Presse » à pro­pos de l’Instruction de 1944 disait : « En dehors des cas pré­vus, l’ab­so­lu­tion don­née de façon col­lec­tive est illi­cite, il y a abus grave de la part du ministre, mais l’ab­so­lu­tion est valide si les dis­po­si­tions du péni­tent sont ce qu’elles doivent être ».

Dans quel cas l’ab­so­lu­tion abu­sive ne serait-​elle pas valide ? Dans le cas où les fidèles, parce qu’ils n’en auraient pas été suf­fi­sam­ment aver­tis par les prêtres, n’au­raient pas l’in­ten­tion requise de confes­ser dans la pro­chaine confes­sion cha­cun de leurs péchés graves.
Mais de plus, à notre avis, on peut se deman­der si les abso­lu­tions col­lec­tives abu­sives ne rendent pas ipso fac­to le sacre­ment inva­lide, du fait que de fac­to, qu’on le veuille ou non, manque la cause excu­sante de l’in­té­gri­té de la confes­sion. En effet, le pré­cepte divin de l’in­té­gri­té de la confes­sion regarde la vali­di­té même du sacre­ment de Pénitence. Si l’en­semble des théo­lo­giens recon­naissent l’exis­tence de causes, phy­siques et morales, excu­santes de l’in­té­gri­té, et avec eux le Magistère pour cer­tains cas (en 1915, 1939, 1940 et 1944), et par consé­quent recon­naissent dans ces cas la vraie sacra­men­ta­li­té et la vali­di­té de l’ab­so­lu­tion géné­rale, ils ne peuvent que conclure à l’a­bus sacri­lège du sacre­ment et à son inva­li­di­té, lorsque l’ab­so­lu­tion géné­rale est don­née en l’ab­sence de cause excu­sante de l’in­té­gri­té de la confes­sion.
Donc, dans bien des cas, les abso­lu­tions géné­rales qui suivent les céré­mo­nies péni­ten­tielles semblent être inva­lides, soit par manque d’in­ten­tion requise chez le péni­tent, de sup­pléer à l’in­té­gri­té de la confes­sion dans la pro­chaine confes­sion, soit par défaut de cause excu­sante réelle.

5 – VALEUR PASTORALE DE LA PRATIQUE AUTORISEE PAR LES NORMES PASTORALES DE 1972.

La pro­po­si­tion 59 condam­née par Innocent XI l’est comme « au mini­mum scan­da­leuse et en pra­tique per­ni­cieuse ». Que dire d’un docu­ment qui favo­rise, bien que l’on s’en défende ensuite, la pra­tique ain­si réprouvée ?

L’Osservatore Romano com­men­tait, le 14 juillet 1972, la dis­ci­pline de l’ab­so­lu­tion col­lec­tive en disant : « C’est un docu­ment pas­to­ral ; qui par consé­quent n’ap­porte aucune inno­va­tion en matière de doc­trine et laisse sub­stan­tiel­le­ment inchan­gée la dis­ci­pline en vigueur, mais en même temps pour­voit à cer­tains cas urgents ».

Il nous semble au contraire qu’un dépla­ce­ment d’ac­cent est intro­duit au niveau doc­tri­nal : on pré­sente main­te­nant comme per­mis dans cer­tains cas ce qui était jus­qu’a­lors inter­dit sauf dans cer­tains cas ; la dis­ci­pline anté­rieure serait inchan­gée si on appli­quait les normes de 1972 dans le sens « strict », mais de fac­to, c’est l’in­verse qui se pro­duit, mal­gré les rap­pels impuis­sants de l’au­to­ri­té romaine ; enfin on nomme « cas urgent », d’une manière ambi­guë en théo­rie, mais claire en pra­tique, ce qui ne l’é­tait nul­le­ment, dans la dis­ci­pline antérieure.

Nous pou­vons donc conclure en disant que, bien loin d’être « un docu­ment pas­to­ral », les « Normes Pastorales » sont une dis­ci­pline « anti­pas­to­rale », dans leur ins­tau­ra­tion de l’ab­so­lu­tion col­lec­tive à l’is­sue des céré­mo­nies péni­ten­tielles, comme un des rites pos­sibles d’ab­so­lu­tion sacra­men­telle. En fait, il semble bien que là comme sou­vent, la S.C. pour la Doctrine de la Foi n’ait pu qu’en­té­ri­ner, en cher­chant d’en limi­ter les « dégâts » et d’y appor­ter le poids de son auto­ri­té, les nou­veau­tés éma­nées de la S.C. pour le Culte Divin.

Réponses aux assertions plus générales

1. Les déclarations à l’égard du concile Vatican II

Les réponses don­nées aux divers points évo­qués ci-​dessus mani­festent pour­quoi et dans quelle mesure nous fai­sons des réserves plus ou moins graves vis-​à-​vis de cer­tains textes du Concile, en par­ti­cu­lier au sujet des docu­ments de la Liberté Religieuse, de L’Eglise dans le monde et des Religions non chrétiennes.

Or com­ment expli­quer que ces textes du Concile puissent conte­nir des expres­sions contraires à l’en­sei­gne­ment tra­di­tion­nel de l’Eglise sinon parce que de mau­vaises influences se sont exer­cées au cours du Concile et avant le Concile. Certaines séances de la Commission cen­trale pré­con­ci­liaire mani­fes­taient ces fâcheuses influences.

Est-​ce deve­nir schis­ma­tique que de main­te­nir fer­me­ment le magis­tère tra­di­tion­nel et offi­ciel de l’Eglise ? Est-​ce être schis­ma­tique que dénon­cer les influences moder­nistes et libé­rales qui ont eu lieu dans le Concile ? N’est-​ce pas, au contraire, rendre ser­vice à l’Eglise ? N’est-​ce pas mani­fes­ter notre pro­fonde union avec les Evêques et le Pape, qui ne peuvent pas et ne doivent pas se sépa­rer de leurs pré­dé­ces­seurs, mais qui ne sont pas exempts d’in­fluences dan­ge­reuses, consé­quences de cet esprit d’ou­ver­ture au monde, d’oe­cu­mé­nisme exa­gé­ré, qui recherche l’u­nion au lieu de l’u­ni­té dans la Vérité, que seule détient l’Eglise ?

2. L’autorité du Pape Paul VI

Nous ne contes­tons pas l’au­to­ri­té du Pape Paul VI et nous la res­pec­tons, beau­coup mieux et beau­coup plus pro­fon­dé­ment que la plu­part des Evêques du monde entier qui ont déso­béi et déso­béissent encore dans les matières dans les­quelles le Pape ne fai­sait que confir­mer l’en­sei­gne­ment de ses pré­dé­ces­seurs. Et ces Evêques ne sont jamais publi­que­ment importunés.

Pour nous, nous pen­sons qu’il est de notre devoir de ne pas obéir lors­qu’on veut nous obli­ger à rompre avec l’en­sei­gne­ment tra­di­tion­nel de l’Eglise. Cet ensei­gne­ment est clair en ce qui concerne la « Liberté Religieuse » et ses consé­quences, il est clair en ce qui concerne la Liturgie.

Nous nous réfé­rons aux prin­cipes évi­dents de la loi natu­relle et éter­nelle. Comme l’ex­prime le Pape Léon XIII : « Dès que le com­man­de­ment est contraire à la rai­son, à la vie éter­nelle, à l’au­to­ri­té de Dieu, alors il est légi­time de déso­béir, nous vou­lons dire aux hommes, afin d’o­béir à Dieu » (Libertas praes­tan­tis­si­mum, 20 juin 1888).

Il ajoute : « Supposons donc une pres­crip­tion d’un pou­voir quel­conque qui serait en désac­cord avec les prin­cipes de la droite rai­son et avec les inté­rêts du bien public, elle n’au­rait aucune force de loi ».

Or les inter­dic­tions qui nous sont faites le sont pour nous obli­ger à accep­ter de dimi­nuer et d’at­ten­ter à notre foi. C’est pour­quoi nous sommes convain­cus que ces pres­crip­tions n’ont aucune force de loi.

L’autorité dans l’Eglise est don­née pour trans­mettre fidè­le­ment et exac­te­ment le « dépôt de la foi ». User de cette auto­ri­té dans un sens nui­sible au dépôt de la foi, c’est perdre le droit à l’o­béis­sance. Cela ne signi­fie pas que l’on perde toute auto­ri­té. Nous res­pec­tons fidè­le­ment les auto­ri­tés de l’Eglise lors­qu’elles agissent confor­mé­ment au but pour lequel l’au­to­ri­té leur a été donnée.

S’il ne s’a­gis­sait que de pure dis­ci­pline sans rap­port avec la foi, nous n’hé­si­te­rions pas à sacri­fier nos pré­fé­rences ou pen­sées per­son­nelles, mais dès lors que la foi est en jeu, c’est notre vie éter­nelle qui est en jeu.

C’est le salut des âmes qui est en péril. Les faits nous le prouvent ample­ment d’une manière dou­lou­reuse et angois­sante. C’est le Règne de Notre Seigneur Jésus-​Christ en ce monde qui est en cause. Nous ne pou­vons pas col­la­bo­rer à sa disparition.

Raisons profondes de ce changement radical intervenu dans l’Eglise depuis le Pape Jean XXIII et le Pape Paul VI et par le Concile

Le Pape Paul VI l’a sou­vent affir­mé dans ses dis­cours : désor­mais l’Eglise modi­fie sa manière de juger le monde moderne, l’homme moderne, elle l’aime, l’es­time tel qu’il est, elle voit dans cet homme, ce frère, sa digni­té humaine, la liber­té de ses choix, reli­gieux, cultu­rels. Elle ne veut plus s’op­po­ser à ses choix, bien plus elle vou­drait s’en appro­cher, les assu­mer parce qu’elle y voit une recherche de la véri­té, une contri­bu­tion à la construc­tion du monde, moyen­nant quoi, dans la pra­tique elle ne veut plus impo­ser son mes­sage, elle le pro­pose comme celui qu’elle pense le plus effi­cace à la construc­tion de ce monde. Elle n’im­pose plus la conver­sion, mais fra­ter­nise avec les groupes hors de l’Eglise tels qu’ils sont, sauf avec ceux qui s’op­posent à cette nou­velle vision du monde.

D’où un oecu­mé­nisme libé­ral qui, ne voyant plus le monde comme Notre Seigneur et l’Eglise à sa suite l’ont tou­jours vu et jugé, ne dis­tingue plus le vrai du faux, le bien du mal. Les docu­ments du Concile sur les reli­gions non chré­tiennes et la pra­tique du Saint-​Siège depuis le Concile vis-​à-​vis des fausses reli­gions en sont un exemple écla­tant et rui­neux pour la Vérité de l’Eglise.

La « digni­té humaine » mal défi­nie, ayant per­du son vrai cri­tère qui est la grâce de Notre Seigneur Jésus-​Christ reçue par l’Eglise (même hors de l’Eglise), est un sujet de confu­sion sans fin. Les démons eux-​mêmes seraient dignes. Car en véri­té l’homme n’est digne que dans la mesure où il est réel­le­ment uni à Notre Seigneur Jésus-​Christ par la grâce et dans la mesure où il est encore capable de l’être. Il est indigne dans la mesure où il s’op­pose à cette grâce. C’est ain­si que seront jugés tous les hommes par Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-​même. Il n’y a pas deux critères.

Modifier ce juge­ment pour plaire au monde de l’er­reur et du péché, en éta­blis­sant des ententes avec ce monde repré­sen­té par les francs-​maçons, les com­mu­nistes, les socia­listes et toutes les fausses reli­gions, c’est rui­ner tota­le­ment l’Eglise dans ce qu’elle a de plus cher : le règne de Notre Seigneur Jésus-​Christ « sur la terre comme au Ciel », c’est sup­pri­mer l’es­prit missionnaire.

Cette entente avec les pro­tes­tants dans l’oe­cu­mé­nisme libé­ral a pro­duit la nou­velle Liturgie, équi­voque, bâtarde, qui donne la nau­sée aux vrais catho­liques, même si elle est par­fois valide. La ruine de la vraie Liturgie royale de Notre Seigneur a entraî­né la fin des voca­tions sacer­do­tales et religieuses.

L’Eglise ne peut pas se per­mettre de por­ter sur le monde d’hier, d’au­jourd’­hui et de demain un autre juge­ment que celui de Notre Seigneur, qui a été gar­dé fidè­le­ment pen­dant vingt siècles. Les docu­ments de « l’Eglise dans le monde », de la « Liberté reli­gieuse », des « Religions non chré­tiennes » sont les témoins de cette vision nou­velle, et toute l’ac­ti­vi­té du Saint-​Siège depuis le Concile a été ins­pi­rée par ce chan­ge­ment de vision tota­le­ment oppo­sé à celui de Notre Seigneur et de l’Eglise.

Les mal­heurs de l’Eglise, désor­mais évi­dents, connus de tous, affir­més par le Pape lui-​même et par tous les Evêques et les clercs, par les fidèles, mal­heurs dont se réjouissent les enne­mis de l’Eglise, ne peuvent que s’ag­gra­ver tant que ceux qui sont à la barre de l’Eglise ne repren­dront pas l’o­rien­ta­tion et le cap de toujours.

Il faut en finir avec cet oecu­mé­nisme libé­ral contraire au véri­table apos­to­lat et à la vraie mis­sion de l’Eglise. Sinon les forces du mal, ne trou­vant plus de résis­tance même dans l’Eglise, auront tôt fait de triom­pher partout.

Le moyen que Notre Seigneur a pré­co­ni­sé Lui-​même c’est la for­ma­tion de clercs soli­de­ment ins­truits dans la foi catho­lique, dans la pié­té, dans la dévo­tion au Saint Sacrifice de la Messe, apôtres zélés et rem­plis de l’a­mour de la Vérité qui est la vraie Charité.

Nous deman­der de fer­mer nos Séminaires pour adop­ter la nou­velle orien­ta­tion conci­liaire et post-​conciliaire, serait nous obli­ger à contri­buer à la des­truc­tion de l’Eglise, à miner l’au­to­ri­té du Siège Apostolique de Rome, car c’est parce que nous vou­lons demeu­rer fidèles au magis­tère de l’Eglise, que nous sup­plions le Saint-​Père d’y être fidèle lui-​même, de ne pas s’é­car­ter de ses pré­dé­ces­seurs, en par­ti­cu­lier les deux der­niers Saints Papes : Saint Pie V et Saint Pie X.

Nous ne deman­dons qu’à contri­buer à l’œuvre apos­to­lique de l’Eglise sous l’au­to­ri­té du Saint-​Siège et des Evêques, mais pas dans un esprit oecu­mé­nique libé­ral des­truc­teur de l’Eglise.

Profession de foi catholique

Nous pro­fes­sons la foi catho­lique inté­gra­le­ment et tota­le­ment telle qu’elle a été pro­fes­sée et trans­mise fidè­le­ment et exac­te­ment par l’Eglise, les Souverains Pontifes, les Conciles, dans sa par­faite conti­nui­té et homo­gé­néi­té, sans en excep­ter un seul article, spé­cia­le­ment en ce qui concerne les pri­vi­lèges du Souverain Pontife tels qu’ils ont été défi­nis à Vatican I.

Nous reje­tons et ana­thé­ma­ti­sons de même tout ce qui a été reje­té et ana­thé­ma­ti­sé par l’Eglise, en par­ti­cu­lier par le Saint Concile de Trente.

Nous condam­nons avec tous les Papes du XIXè et du XXè siècles le libé­ra­lisme, le natu­ra­lisme, le ratio­na­lisme sous toutes leurs formes ; comme les Papes les ont condamnés.

Nous reje­tons avec eux toutes les consé­quences de ces erreurs qu’on appelle « les liber­tés modernes », « le droit nou­veau », comme ils les ont rejetées.

C’est dans la mesure où les textes du Concile Vatican II et les Réformes post-​conciliaires s’op­posent à la doc­trine expo­sée par ces Papes et laissent libre cours aux erreurs qu’ils ont condam­nées que nous nous sen­tons, en conscience, obli­gés de faire de graves réserves sur ces textes et ces Réformes.