Vous avez dit diaconesses ?

Le 12 mai der­nier, tan­dis qu’il rece­vait en audience quelque neuf cents supé­rieures géné­rales de congré­ga­tions fémi­nines (voir pho­to ci-​dessus), le pape François s’est dit favo­rable à la réou­ver­ture d’une enquête sur le sta­tut des dia­co­nesses dans les pre­miers siècles de l’Eglise. Il enten­dait ain­si don­ner satis­fac­tion aux reven­di­ca­tions de ces reli­gieuses qui récla­maient tou­jours plus de place dans le gou­ver­ne­ment de l’Eglise, ou encore la pos­si­bi­li­té de pro­non­cer l’ho­mé­lie pen­dant la messe.

Nul doute que nous ayons affaire à une nou­velle pous­sée visant à ins­ti­tuer dans l’Eglise catho­lique des dia­co­nesses, à l’instar de ce que sont aujourd’hui les diacres per­ma­nents. Déjà, lors du tris­te­ment célèbre synode sur la famille, le cana­dien Mgr Durocher, proche du pape, pro­po­sait un « pro­ces­sus qui pour­rait ouvrir aux femmes l’accès au dia­co­nat per­ma­nent ». Signe que la bataille s’engage, les pro­pos du car­di­nal Kasper dans le quo­ti­dien ita­lien La Repubblica du 13 mai, fai­sant suite à ceux du pape : « Je pense qu’il va y avoir main­te­nant un débat féroce. Sur ce sujet, l’Eglise est divi­sée en deux. »

Un terrible mensonge

Lorsque l’on voit aujourd’hui les filles ser­vir la messe, lorsque l’on voit les femmes assu­rer les lec­tures pen­dant la messe ou encore dis­tri­buer la com­mu­nion tan­dis que le célé­brant demeure assis, lorsque l’on sait qu’elles peuvent déjà pro­non­cer l’homélie dans les « litur­gies de la parole » dis­tinctes de la « litur­gie eucha­ris­tique », on ne peut être que très inquiet de ce nou­veau pas auquel réflé­chit le pape François. Mais le plus odieux, en cette pro­tes­tan­ti­sa­tion tou­jours plus grande de l’Eglise, est le pseu­do appel à la Tradition fait en guise de jus­ti­fi­ca­tion : pour­quoi ne pas ins­ti­tuer un dia­co­nat per­ma­nent fémi­nin, puisque celui-​ci a exis­té aux pre­miers siècles de l’Eglise ?

Avant même de se pen­cher sur la nature de cette ins­ti­tu­tion qui ne sur­vé­cut pas au pre­mier mil­lé­naire, sou­li­gnons qu’elle n’a pas été trans­mise jusqu’à nous, et non sans rai­son ain­si que nous le ver­rons. Par voie de consé­quence, la démarche du pape François relève de l’archéologisme [1] condam­né par Pie XII, et non de l’appel à la Tradition.

D’ailleurs, elles auraient été scan­da­li­sées, les dia­co­nesses d’alors, si on leur avaient par­lé de ser­vir à l’autel ou encore de dis­tri­buer la com­mu­nion durant l’action litur­gique. Cela leur fut tou­jours expres­sé­ment inter­dit, et les graves aver­tis­se­ments ecclé­sias­tiques tom­baient si l’une d’elles s’aventurait ne serait-​ce qu’à tou­cher un linge sacré tel que la palle [2].

Elles auraient encore été scan­da­li­sées, si on leur avait dit qu’un jour on envi­sa­ge­rait que des femmes usant du mariage pour­raient deve­nir dia­co­nesses. Pour leur part, elle devaient avoir au moins soixante ans pour deve­nir dia­co­nesse, être veuve d’un seul mari ou vierge, en tout cas vivre dans la conti­nence parfaite.

L’institution des diaconesses dans l’antiquité

Qui étaient-​elles donc, ces dia­co­nesses des pre­miers temps de l’Eglise ? Déjà, lorsque saint Paul s’adresse aux Romains, il men­tionne « notre sœur Phébée, ser­vante (he dia­ko­nos) de l’Église de Cenchrées » (Rm 16,1–4). Mais, de l’aveu même des modernes, « on ne peut conclure que cette appel­la­tion désigne la fonc­tion spé­ci­fique de « diacre » [3]». En effet, les termes de dia­ko­nia, dia­ko­nos etc., absents de l’Ancien Testament mais fré­quents dans le Nouveau, ont un pre­mier sens très géné­ral, dési­gnant alors le ser­vice, le ser­vi­teur. En ce sens large, ils s’appliquent pre­miè­re­ment au Christ, ser­vi­teur de Dieu, mais encore à tous les chré­tiens. Or plu­sieurs indices laissent pen­ser que c’est en ce sens large que le terme est ain­si employé au sujet de Phébée. On ne peut donc user de ce texte pour reven­di­quer au dia­co­nat fémi­nin une ins­ti­tu­tion apos­to­lique, comme c’est le cas pour le dia­co­nat mas­cu­lin, clai­re­ment affir­mé quant à lui (cf. Ac. 6, 1–6). C’est au 2ème siècle que l’institution des dia­co­nesses est avé­rée en Orient, au 5ème seule­ment en Occident.

Le rôle des diaconesses

Comprendre ce que fut cette ins­ti­tu­tion réclame de se replon­ger dans le contexte de l’époque, où la sépa­ra­tion des hommes et des femmes était très mar­quée, sur­tout en Orient. Toujours aujourd’hui d’ailleurs, hommes et femmes ne se mélangent pas à l’église, et ont cha­cun une porte dis­tincte pour y péné­trer. Il serait des plus incon­ve­nants de se trom­per d’accès, nos jeunes volon­taires de la paroisse en ont fait les frais en Irak !

Cette sépa­ra­tion était alors telle qu’il deve­nait par­fois com­pli­qué au diacre d’exercer son minis­tère d’aide auprès de la gent fémi­nine. L’évêque lui adjoi­gnait alors des femmes lui ser­vant de relai, pour la visite de femmes malades par exemple. Elles s’occupaient donc du soin des pauvres et des malades de leur sexe, assu­raient l’ordre et le silence dans les rangs fémi­nins à l’église, se trou­vaient en géné­ral pré­sentes aux entre­tiens par­ti­cu­liers d’une femme avec l’évêque, le prêtre ou le diacre. Elles concou­raient encore à la for­ma­tion par­ti­cu­lière des caté­chu­mènes femmes, voire se char­geaient des consta­ta­tions cor­po­relles indis­pen­sables si une vierge consa­crée était accu­sée d’infidélité à son vœu de chasteté.

Elles n’avaient aucune fonc­tion litur­gique, sinon celles qu’imposaient la décence. Parce qu’alors les bap­têmes d’adultes étaient les plus nom­breux et ne se don­naient que par immer­sion totale du corps, parce qu’alors l’onction d’huile des caté­chu­mènes qui y était atte­nante ne se fai­sait pas sim­ple­ment sur le haut des épaules mais sur l’ensemble du corps, c’est à ces dia­co­nesses qu’on confiait ces fonc­tions, tou­jours dans la dépen­dance totale du prêtre ou de l’évêque. Ainsi, s’il reve­nait à la dia­co­nesse d’oindre l’ensemble du corps de la caté­chu­mène, ce n’était qu’après l’onction pro­pre­ment sacer­do­tale faite sur la tête de celle-​ci. Toute autre fonc­tion leur était stric­te­ment inter­dite, et en aucun cas elles ne pou­vaient s’approcher de l’autel pen­dant les fonc­tions liturgiques.

Nous consta­tons en tout cela com­bien nous sommes loin des reven­di­ca­tions fémi­nistes à l’origine du pro­pos du pape François…

Les conditions pour devenir diaconesse

Si les dia­co­nesses ne sont pas d’institution apos­to­lique, on leur a néan­moins appli­quées les condi­tions éta­blies par saint Paul (1Tim 3, 11 et 5, 9–11) pour deve­nir membre de la com­mu­nau­té des « veuves » : les chefs de l’Eglise les choi­sis­saient par­mi les veuves âgées de plus de soixante ans, n’ayant été mariées qu’une seule fois. On leur adjoi­gnit plus tard des vierges ayant consa­cré leur vir­gi­ni­té, et il va sans dire que toutes étaient tenues à la chas­te­té par­faite. Toutes en effet devaient avoir fait pro­fes­sion monas­tique, car celles qu’on appe­lait alors « veuves » étaient sim­ple­ment des religieuses.

La condi­tion d’âge était impor­tante, selon la recom­man­da­tion de saint Paul, 1 Tim 5, 11–13 :

« Quant aux jeunes veuves, écarte-​les. Car lorsque l’attrait des volup­tés les a dégoû­tées du Christ, elles veulent se rema­rier et se rendent cou­pables en man­quant à leur pre­mier enga­ge­ment. De plus, dans l’oisiveté, elles s’accoutument à aller de mai­son en mai­son, et non seule­ment elles sont oisives, mais encore jaseuses, intri­gantes, par­lant de choses qui ne conviennent point. »

Des excep­tions eurent cepen­dant lieu, et le 5ème siècle nous montre que l’âge mini­mal avait été rabais­sé à qua­rante ans [4]. Mais elles devaient alors, au moins jusqu’à cin­quante ans, rési­der dans un monas­tère, « afin qu’elles n’exercent leur minis­tère qu’à l’abri des hommes et qu’elle ne soient point expo­sées aux dan­gers d’une vie trop libre. [5] »

L’ « ordination » des diaconesses

Tout comme les reli­gieuses aujourd’hui, les dia­co­nesses d’alors étaient éta­blies dans cette fonc­tion par une consé­cra­tion sous la pré­si­dence de l’évêque. Les consti­tu­tions apos­to­liques, datant du 4ème siècle, en rap­portent le rite [6]. S’agissait-il là d’une cer­taine par­ti­ci­pa­tion au pou­voir d’ordre, comme c’est le cas pour le diacre ? Nullement ! Saint Epiphane, qui rap­porte beau­coup d’éléments rela­tifs aux dia­co­nesses, est formel :

« Si les femmes étaient appe­lées, dans le Nouveau Testament, à exer­cer le sacer­doce ou à rem­plir un autre minis­tère cano­nique, c’est à Marie, avant toute autre, que la fonc­tion sacer­do­tale eût dû être confiée. Mais Dieu en a dis­po­sé dif­fé­rem­ment, en ne lui don­nant même pas le pou­voir de bap­ti­ser. Quant à l’ordre des dia­co­nesses, s’il existe dans l’Eglise, il n’y est cepen­dant pas éta­bli pour la fonc­tion du sacer­doce ni aucun minis­tère de ce genre. Les dia­co­nesses sont des­ti­nées à sau­ve­gar­der la décence qui s’impose à l’égard du sexe fémi­nin, soit en prê­tant leur concours à l’administration du bap­tême, soit en exa­mi­nant celles qui souffrent de quelque infir­mi­té ou auraient été l’objet de quelque vio­lence, soit en inter­ve­nant chaque fois qu’il y a lieu de décou­vrir le corps d’autres femmes, afin que ces nudi­tés ne soient pas expo­sées aux regards des hommes qui accom­plissent les saintes céré­mo­nies et qu’elles ne soient vues que des dia­co­nesses mêmes. [7] »

L’extinction des diaconesses

Ainsi que nous le disions ini­tia­le­ment, l’ordre des dia­co­nesses a pour ain­si dire tota­le­ment dis­pa­ru à la fin du pre­mier mil­lé­naire, son « âge d’or » s’étendant du 3ème au 5ème siècle. Elles dis­pa­raissent en Occident dès le 6ème siècle, avec l’évolution du rite bap­tis­mal latin qui d’une part aban­donne l’immersion totale du bap­ti­sé au pro­fit du rite d’infusion, tou­jours en vigueur aujourd’hui, et d’autre part concerne de moins en moins les adultes. La même évo­lu­tion se fera dans l’Eglise d’Orient, quoique plus len­te­ment. Le titre de dia­co­nesse devien­dra alors une simple dis­tinc­tion hono­ri­fique, le plus sou­vent usur­pée par les supé­rieures reli­gieuses elles-mêmes…

Conclusion

On le voit, l’antique ins­ti­tu­tion des dia­co­nesses n’a rien à voir avec une par­ti­ci­pa­tion des femmes au pre­mier degré du pou­voir d’ordre, le dia­co­nat. Il s’agit bien plu­tôt d’une consé­cra­tion reli­gieuse vouée à la vie active, d’où l’usage du mot dia­ko­nos pour les dési­gner, dia­ko­nos ren­voyant en effet à la notion de ser­vice, et donc de ser­vantes. A l’époque où la vir­gi­ni­té consa­crée se vivait uni­que­ment sous forme de vie contem­pla­tive, les dia­co­nesses se dis­tin­guaient donc des vierges consa­crées par leur voca­tion active.

C’est d’ailleurs ce titre de dia­co­nesses qui fut bien plus tard repris par les pro­tes­tants pour ins­ti­tuer ces voca­tions actives, eux qui avaient tant déni­gré aupa­ra­vant la vie consa­crée et les vœux reli­gieux. Il s’agit alors de simples asso­cia­tions cha­ri­tables, tels le groupe hos­pi­ta­lier dans le XIIe arron­dis­se­ment de Paris, dont les femmes, pre­nant l’engagement de vir­gi­ni­té tant qu’elles exercent comme dia­co­nesses, se mettent au ser­vice des malades, des pauvres, ou de l’enseignement popu­laire. En un mot, ces pro­tes­tants ont une vision beau­coup plus juste de ce que furent les dia­co­nesses des pre­miers temps que ces femmes reven­di­ca­trices et éprises de féminisme.

A ces femmes, reli­gieuses ou non, qui aujourd’hui se reven­diquent de saint Paul et de la dia­co­nesse Phébée pour récla­mer un dia­co­nat fémi­nin per­ma­nent, nous vou­drions sim­ple­ment rap­pe­ler cet autre ensei­gne­ment de saint Paul, pour les invi­ter à une vraie fidé­li­té à l’enseignement apostolique :

« Que les femmes se taisent dans les assem­blées, car il ne leur est pas per­mis de prendre la parole ; qu’elles se tiennent dans la sou­mis­sion, selon que la Loi même le dit […] Si quel­qu’un croit être pro­phète ou ins­pi­ré par l’Esprit, qu’il recon­naisse en ce que je vous écris un com­man­de­ment du Seigneur. S’il l’ignore, c’est qu’il est igno­ré de Dieu […] Que tout se passe digne­ment et dans l’ordre » (1 Co 14, 34–40).

Abbé Patrick de La Rocque, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, curé de Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet

Notes de bas de page
  1. Archéologisme : de quoi s’agit-​il ? En 1947, dans l’en­cy­clique Mediator Dei, le pape Pie XII met­tait en garde les catho­liques contre une erreur appe­lée archéo­lo­gisme, ou désir impru­dent et exces­sif de retour­ner à des pra­tiques, expres­sions ou cou­tumes de l’Antiquité de l’Église en fai­sant fi du légi­time pro­grès des siècles et de l’ex­pé­rience mul­ti­sé­cu­laire de l’Église.[]
  2. Décrétale du Pape Soter[]
  3. Commission de théo­lo­gie inter­na­tio­nale, Diaconat, évo­lu­tion et pers­pec­tives, 2003, ch. 2 § 4.[]
  4. Concile de Chalcédoine (451), can. 15[]
  5. Novelles, VI, 6, Corpus juris civi­lis[]
  6. Constitutions apos­to­liques, VIII, 19–20[]
  7. St Epiphane, Hær., 79, 3.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Patrick de la Rocque est actuel­le­ment prieur de Nice. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions théo­lo­giques avec Rome entre 2009 et 2011.