Remarques écrites sur le chapitre V du schéma sur la liberté religieuse (Dignitatis humanae)

période de la première session du concile, sans doute membre important du Cœtus?

Ces remarques écrites furent rédi­gées par Mgr de Proença Sigaud à l’issue de la quatre-​vingt-​quinzième assem­blée géné­rale du Concile Vatican II, entre décembre 1963 et mai 1964. Elles figurent dans les Actes syno­daux du Concile Vatican II (actes officiels).((Mgr de Proença Sigaud, « Remarques écrites sur le cha­pitre V du sché­ma sur la liber­té reli­gieuse » dans Acta syno­da­lia sacro­sanc­ti conci­lii oecu­me­ni­ci vati­ca­ni secun­di, Vol. III, pars III, p. 648–657. Ces remarques écrites furent rédi­gées à l’issue de la quatre-​vingt-​quinzième assem­blée géné­rale du Concile, entre décembre 1963 et mai 1964.))

I. Où traiter de cette question ?

1. Il semble que le lieu pour trai­ter de la doc­trine de l’Église à pro­pos de la liber­té reli­gieuse, ou plu­tôt de la liber­té de conscience, soit plus jus­te­ment non pas le sché­ma de l’œcuménisme, mais celui de la pré­sence de l’Église dans le monde. Et en voi­ci la rai­son : le sché­ma sur l’œcuménisme s’attache à éta­blir les prin­cipes et les normes aptes à faci­li­ter le che­min vers l’unité des chré­tiens dans la vraie reli­gion. Or, la ques­tion de la liber­té reli­gieuse concerne bien plus le rap­port de l’Église avec le monde d’aujourd’hui divi­sé en plu­sieurs confes­sions religieuses. 

II. La question de la liberté religieuse 

2. Pour ce qui est de la doc­trine elle-​même, le sché­ma n’est mani­fes­te­ment pas assez atten­tif aux prin­cipes inébran­lables, et, lorsqu’il uti­lise cer­taines notions, ne consi­dère pas les défor­ma­tions qu’elles ont subies sous l’influence du libé­ra­lisme. En consé­quence de quoi, le sché­ma pro­pose des affir­ma­tions que le Concile ne peut pas faire siennes.

A. Des principes auxquels le schéma n’est manifestement pas assez attentif

1 – Premier principe

3. Le pre­mier prin­cipe auquel le sché­ma n’attache pas assez d’importance peut s’énoncer ain­si, d’après les pro­pos du Pape Pie XII : « Ce qui ne répond pas à la véri­té ou à la norme de la mora­li­té n’a objec­ti­ve­ment aucun droit, ni pour être, ni pour être pro­pa­gé, ni pour agir »((« Ciò che non ris­ponde alla veri­tà e alla nor­ma morale, non ha ogget­ti­va­mente alcun dirit­to né all’esistenza, né alla pro­pa­gan­da, né all’azione ». Allocution Ci riesce aux juristes catho­liques ita­liens, 6 décembre 1953 ; Discours et radio-​messages de S.S. Pie XII, XV, p. 488.)).

4. En réa­li­té, la notion de droit, elle-​même déri­vée de la notion de jus­tice, a son fon­de­ment dans les exi­gences de la nature humaine à pou­voir par­ve­nir, par l’usage de la rai­son, à sa fin propre. Or, cette fin propre de la nature humaine est le vrai et le bien, fin à laquelle elle est ordon­née par sa qua­li­té de rai­son­nable. L’homme a, en consé­quence, un droit à adhé­rer à la véri­té et à faire le bien. Autrement dit, sa nature serait frus­trée s’il était pri­vé de sa facul­té d’adhérer au vrai et de faire le bien, ce qui serait contraire à l’ordre éta­bli par le Créateur. A l’inverse, puisque ni l’erreur, ni le mal moral ne sont le propre de la nature rai­son­nable, l’homme n’a aucun droit à l’erreur ou au mal moral. 

5. Il s’en suit donc que l’homme ne peut être empê­ché par qui que ce soit d’adhérer à la véri­té ou de faire le bien ; au contraire, de soi, il ne peut être dit ratio­na­bi­li­ter invi­tus(([L’expression ratio­na­bi­li­ter invi­tus, qui pour­rait se tra­duire ici par rai­son­na­ble­ment oppo­sé à, qua­li­fie en théo­lo­gie morale un sujet qui de soi, rai­son­na­ble­ment, n’est pas oppo­sé à l’action qu’il subit, quand bien même, pour un autre motif que sa seule rai­son, il y est de fait oppo­sé. Ici, l’homme est sup­po­sé ne pas s’opposer à être empê­ché d’adhérer à l’erreur ou de faire le mal, puisque cet empê­che­ment est, en soi, un bien pour lui. Il ne serait pas rai­son­nable de s’y oppo­ser, quand bien même, de fait, il s’y oppose].)), ou souf­frir une injus­tice, lorsqu’il est empê­ché d’adhérer à une erreur ou de faire un péché. Il n’a, en effet, aucun droit ni à l’erreur, ni au péché. 

6. Cependant, dans l’état pré­sent de la nature humaine, il peut arri­ver que l’homme invin­ci­ble­ment, donc sans faute de sa part, adhère au faux ; il ne s’en suit pas pour autant pour lui un droit à l’erreur. Il s’en suit, en revanche, que per­sonne ne peut le for­cer à consen­tir à la véri­té ; non pas certes au nom d’un droit qu’il aurait à se trom­per, mais du fait que l’acte interne par lequel l’homme adhère à la véri­té ou à l’erreur, au bien ou au mal moral, ne peut être impo­sé de l’extérieur. En effet, par volon­té divine, le for de la conscience est invio­lable par toute puis­sance humaine que ce soit, l’homme devant se déter­mi­ner libre­ment dans le choix de sa fin ultime. Cette liber­té interne crée un droit pour l’homme à ne pas être for­cé par qui que ce soit à pro­fes­ser telle ou telle idéo­lo­gie. Et uni­que­ment ce droit-​ci ; la liber­té de l’adhésion à l’erreur ou au mal ne créant aucun autre droit supplémentaire.

7. De soi, donc, dans la vie en socié­té, la mani­fes­ta­tion exté­rieure de l’adhésion à l’erreur peut, et en elle-​même doit, être empê­chée. D’une part, parce que l’erreur s’oppose à la nature humaine, du fait que celle-​ci est douée de rai­son, et d’autre part, parce que la mani­fes­ta­tion de l’erreur, spé­cia­le­ment en matière reli­gieuse, nuit à autrui en tant qu’elle peut être pour lui une cause de scan­dale. Par acci­dent, cepen­dant, elle peut, et par­fois doit, être tolérée.

8. Tel est ce qu’enseigne Pie XII dans la célèbre allo­cu­tion, Ci riesce, dans le même sens que le pas­sage cité plus haut. En effet, l’allocution se pour­suit ain­si : « Ne pas l’empêcher (celui qui ne répond pas à la véri­té ou à la norme de mora­li­té), au moyen des lois d’État et de dis­po­si­tions coer­ci­tives, peut néan­moins se jus­ti­fier par l’intérêt d’un bien supé­rieur et plus vaste »((« Il non impe­dir­lo (sci­li­cet, quod veri­ta­ti vel nor­mae mora­li­ta­tis non respon­det) per mez­zo di leg­gi sta­ta­li e di dis­po­si­zio­ni coer­ci­tive può non­di­me­no essere gius­ti­fi­ca­to nell’interesse di un bene super­iore e più vas­to ». Pie XII, Allocution Ci riesce ; sou­li­gne­ment de l’auteur.)). À consi­dé­rer les choses atten­ti­ve­ment, le Pape affirme ici deux élé­ments. D’une part, de soi, les lois civiles doivent empê­cher de façon coer­ci­tive l’erreur et le mal moral. Et d’autre part, par acci­dent, la per­mis­sion du mal moral et de l’erreur peut cepen­dant être jus­ti­fiée dans un cas d’exception, lequel doit tou­jours être véri­fié, comme pour toute excep­tion. Enfin, il faut noter que Pie XII dans cette allo­cu­tion, se pro­pose à des­sein de résoudre la ques­tion du rap­port de l’État à la reli­gion lorsqu’il s’agit d’une Communauté des Peuples dans laquelle vivent ensemble des catho­liques et des non-​catholiques. Par ailleurs, il est évident que le Pape parle tou­jours de l’erreur qui s’oppose à la véri­té reli­gieuse et non pas de l’erreur scientifique. 

2 – Deuxième principe

9. Seule la reli­gion catho­lique est vraie, et tous les hommes sont tenus de l’embrasser. Et Dieu, de par sa volon­té de sau­ver tous les hommes, accorde à tous la grâce suf­fi­sante pour par­ve­nir à la vraie reli­gion, en sorte que nul ne soit dam­né sans faute de sa part.

3 – Troisième principe

10. La socié­té civile a le devoir de recon­naître la vraie reli­gion et d’honorer Dieu selon cette même reli­gion : « Les hommes, en effet, unis par les liens d’une socié­té com­mune, ne dépendent pas moins de Dieu que pris iso­lé­ment ; autant au moins que l’individu, la socié­té doit rendre grâce à Dieu, dont elle tient l’existence, la conser­va­tion et la mul­ti­tude innom­brable de ses biens. C’est pour­quoi, de même qu’il n’est per­mis à per­sonne de négli­ger ses devoirs envers Dieu, […] ain­si les socié­tés poli­tiques ne peuvent sans crime se conduire comme si Dieu n’existait en aucune manière ; […] en hono­rant la Divinité, elles doivent suivre stric­te­ment les règles et le mode sui­vant les­quels Dieu lui-​même a décla­ré vou­loir être hono­ré »((Léon XIII, Encyclique Immortale Dei, du 1er novembre 1885, §§12 et 13.)).

4 – Quatrième principe

11. L’acte interne de foi est par­fai­te­ment libre. Il ne peut donc y avoir d’obstacle de coer­ci­tion, qu’il s’agisse de l’acte de foi vraie, ou qu’il s’agisse de l’acte de foi fausse, de façon cou­pable ou non. La mani­fes­ta­tion, cepen­dant, de la foi publique peut être empê­chée, et de soi, doit l’être, étant don­né que l’erreur en tant que telle n’a objec­ti­ve­ment aucun droit. En consé­quence, sa tolé­rance ne peut être consi­dé­rée comme une exi­gence de la jus­tice, et donc tou­jours valable, mais seule­ment comme une per­mis­sion en vue d’un moindre mal((Cf. Pie XII, Allocution Ci riesce citée plus haut.)). 

B. Le schéma utilise des notions déformées

1 – Notion de liberté

12. Le sché­ma consi­dère, mani­fes­te­ment, que l’essence de la liber­té consiste en cette pos­si­bi­li­té qu’ont les hommes, en rai­son de la fai­blesse de la volon­té humaine, de choi­sir le bien ou le mal. Alors que la véri­table liber­té est inti­me­ment liée à la véri­té, selon ce pas­sage de l’Évangile : « La véri­té vous ren­dra libre »((Jn VIII, 32.)) ; l’élection du mal, ou péché, de même que l’adhésion à l’erreur devant plu­tôt être consi­dé­rées comme un escla­vage : « Celui qui fait le péché, est esclave du péché »((Jn VIII, 34.)). Il s’en suit donc que l’on ne peut juger de la même manière de l’adhésion à la véri­té ou au bien d’une part, et de l’admission de l’erreur ou du péché d’autre part, même lorsqu’il s’agit de per­sonnes errant de bonne foi. Objectivement, la dif­fé­rence la plus grande sépare celui qui adhère au vrai et au bien de celui qui admet le mal ou l’erreur. En consé­quence de quoi, on ne peut recon­naître aux uns et aux autres des droits iden­tiques. Celui qui adhère à la véri­té per­fec­tionne objec­ti­ve­ment en lui la nature humaine, tan­dis que celui qui s’attache à l’erreur la déforme plu­tôt. Et dans le domaine social, il est néces­saire de tenir compte de cette différence. 

2 – Notion de dignité humaine

13. La digni­té de la per­sonne humaine ne doit être consi­dé­rée que comme une consé­quence de la nature même de l’homme, nature ration­nelle qui a comme objet propre le vrai et le bien. De la sorte, la digni­té de la per­sonne est per­fec­tion­née par l’adhésion au vrai et au bien et, au contraire, dimi­nuée, quoique tou­jours conser­vée, lorsque l’homme s’écarte du vrai et du bien. Certes, puisque la notion de digni­té com­porte une rela­tion bien plus à l’ordre moral qu’à l’ordre intel­lec­tuel, il est sans doute néces­saire de consi­dé­rer spé­cia­le­ment le cas de celui qui erre de bonne foi. Celui-​ci, en effet, ne déforme pas sa nature de façon volon­taire, bien plus son acte peut être bon et méri­toire ; tou­te­fois, objec­ti­ve­ment, il amoin­drit l’excellence de sa nature. Cependant, pour la rai­son évo­quée à l’instant, à celui-​ci s’applique spé­cia­le­ment ce qu’affirmait Jean XXIII de façon géné­rale dans l’encyclique Pacem in ter­ris, à savoir que l’homme tom­bé dans l’erreur demeure un être humain et par suite ne perd pas la digni­té de sa per­sonne((« L’homme éga­ré dans l’erreur reste tou­jours un être humain et conserve sa digni­té de per­sonne ». Jean XXIII, Encyclique Pacem in ter­ris, du 11 avril 1963, §158, AAS, t. 55, p. 299.)) 9. Effectivement, le fon­de­ment de la digni­té humaine se trouve dans la nature même ration­nelle de l’homme, lequel fon­de­ment demeure quand bien même l’usage de la rai­son cesse ou est mau­vais. Toutefois, de même que ceux qui souffrent de mala­die men­tale peuvent être empê­chés dans l’usage de leur liber­té pour ne pas nuire aux droits d’autrui, de même, ceux qui errent de bonne foi, bien que conser­vant les droits fon­da­men­taux de la per­sonne humaine, peuvent cepen­dant être empê­chés dans la mani­fes­ta­tion, et a for­tio­ri dans la pro­pa­ga­tion, de leurs erreurs, pour ne pas nuire à autrui. 

3 – Notion de bien commun

14. La notion de bien com­mun, telle que sous-​entendue dans le sché­ma, est mani­fes­te­ment insuf­fi­sante. En effet, lorsqu’il traite du bien com­mun, le sché­ma ne consi­dère pas suf­fi­sam­ment la fin sur­na­tu­relle de l’homme, alors que la socié­té civile, non seule­ment ne peut pas igno­rer une telle fin, mais doit aus­si posi­ti­ve­ment la pro­mou­voir. Cette doc­trine est expli­ci­te­ment expri­mée dans l’encyclique Pacem in ter­ris : « Composé d’un corps et d’une âme immor­telle, l’homme ne peut, au cours de cette exis­tence mor­telle, satis­faire à toutes les requêtes de sa nature ni atteindre le bon­heur par­fait. Aussi les moyens mis en œuvre au pro­fit du bien com­mun ne peuvent-​ils faire obs­tacle au salut éter­nel des hommes, mais encore doivent-​ils y aider posi­ti­ve­ment »((« Homines, utpote qui ex cor­pore et ani­mo im-​mortali constent, intra mor­ta­lem hanc vitam neque suas explere neces­si­tates, neque per­fec­tam adi­pis­ci feli­ci­ta­tem pos­sunt. Quocirca com­mune bonum eius­mo­di viis atque ratio­ni­bus paran­dum est, qui­bus non modo æternæ homi­num salu­ti non offi­cia­tur, sed etiam eidem ser­via­tur ». Jean XXIII, ency­clique Pacem in ter­ris, §59. Jean XXIII répète plus loin le même prin­cipe, §146 : « Ils s’efforceront aus­si d’obtenir que les ins­ti­tu­tions rela­tives à la vie éco­no­mique, sociale, cultu­relle ou poli­tique ne mettent pas d’entrave, mais au contraire apportent une aide à l’effort de per­fec­tion­ne­ment des hommes, tant au plan natu­rel qu’au plan sur­na­tu­rel ».Cf. Pie XI, Encyclique Quadragesimo Anno, 15 mai 1931, AAS, t. 23, p. 215.)).

4 – Notion de liberté religieuse

15. Quant à la notion de liber­té reli­gieuse, telle qu’entendue dans le sché­ma, il fau­drait bien plu­tôt par­ler de tolé­rance reli­gieuse, étant don­né que la véri­table liber­té n’est pas don­née pour faire le mal mais seule­ment pour accom­plir le bien. Le mal et l’erreur peuvent être per­mis uni­que­ment comme des choses qui se trouvent per acci­dens dans la nature humaine en son état actuel sur terre, mais non pas comme un corol­laire néces­saire décou­lant de la nature de la liberté. 

C. Des propositions inacceptables

1 – Première proposition

« Le Saint Concile affirme solen­nel­le­ment qu’un droit à l’exercice public de la liber­té de conscience en matière reli­gieuse existe tou­jours et par­tout, étant sauf le bien com­mun, et qu’il doit être recon­nu par tous »((« Sacra Synodus solem­ni­ter affir­mat ius ad liber­ta­tem conscien­tiæ in re reli­gio­sa externe exer­cen­dam, sal­vo bono com­mu­ni, sem­per et ubique valere et ab omni­bus agnos­cen­dum esse », n. 5 ver­sus finem.12 Allocution Ci riesce citée plus haut.)). 

16. En rai­son des prin­cipes déjà évo­qués, il ne peut être admis qu’il existe tou­jours et par­tout un droit à la liber­té de conscience, telle que le sché­ma l’entend, c’est-à-dire même pour une conscience invin­ci­ble­ment erronée. 

17. Premièrement, en effet, parce qu’il ne s’agit pas d’un droit au sens strict, Pie XII ensei­gnant que seule la véri­té peut créer de véri­tables droits((Allocution Ci riesce citée plus haut.)). Deuxièmement parce que dans la vie publique, dans les affaires sociales, les actions dic­tées par une conscience erro­née doivent, de soi, être empê­chées du fait que, par le mau­vais exemple qu’elles don­ne­raient aux autres, elles seraient, de soi, nocives. C’est pour­quoi, elles ne peuvent par­fois être per­mises que pour une rai­son dif­fé­rente, pour évi­ter un plus grand mal, par exemple. En effet, tous ont le droit d’être conduits au vrai et au bien par la vie en socié­té. C’est effec­ti­ve­ment en celle-​ci que les hommes cherchent ce qu’il leur manque pour la per­fec­tion de leur vie et ce qu’ils ne peuvent obte­nir par eux-​mêmes, tout spé­cia­le­ment ce qu’il leur manque pour atteindre à la per­fec­tion tant de l’intelligence que de la volon­té. Or l’intelligence n’est per­fec­tion­née que par le vrai, la volon­té que par le bien. La vie en socié­té, ne peut donc de soi admettre ce qui, au contraire, éloigne les hommes du vrai et du bien, comme le serait la recon­nais­sance d’un véri­table droit en faveur de la mani­fes­ta­tion publique des fausses reli­gions. Dans ce cas, la vie en socié­té ne pour­rait être dite favo­ri­ser posi­ti­ve­ment le salut éter­nel des hommes, comme elle le devrait ain­si que l’affirme la doc­trine de l’encyclique Pacem in ter­ris, comme nous l’avons vu plus haut. En consé­quence, tolé­rer la mani­fes­ta­tion publique de convic­tions reli­gieuses fausses n’est pas licite sem­per et ubique, tou­jours et par­tout, mais uni­que­ment lorsque des cir­cons­tances concrètes le requièrent. 

18. La doc­trine conte­nue dans l’affirmation en ques­tion est dite être fon­dée sur l’encyclique Pacem in ter­ris de Jean XXIII, dans le pas­sage sui­vant : « Parmi les droits humains, celui-​ci aus­si doit être consi­dé­ré, à savoir que cha­cun a le droit d’honorer Dieu sui­vant la juste règle de sa conscience et de pro­fes­ser sa reli­gion dans la vie pri­vée et publique »((« In homi­nis iuri­bus hoc quoque nume­ran­dum est, ut et Deum, ad rec­tam conscien­tiæ suæ nor­mam, vene­ra­ri pos­sit, et reli­gio­nem pri­va­tim publice pro­fi­te­ri ». Jean XXIII, ency­clique Pacem in ter­ris, §14.)). En réa­li­té, ce texte ne peut mani­fes­te­ment pas être com­pris de la conscience invin­ci­ble­ment erro­née, comme l’affirme l’auteur du sché­ma, mais uni­que­ment de la conscience conforme à la véri­té. Le contexte de cette cita­tion le prouve. Jean XXIII, en effet, entend éta­blir son affir­ma­tion à par­tir de deux textes, l’un de Lactance, l’autre de Léon XIII. Lactance, pour sa part, évoque le droit qu’ont les hommes, de par leur nais­sance, d’offrir à Dieu un hom­mage dû et juste((« Nous rece­vons l’existence pour rendre à Dieu, qui nous l’accorde, le juste hom­mage qui lui revient, pour le connaître lui seul et ne suivre que lui. Cette obliga-​tion de pié­té filiale nous enchaîne à Dieu et nous relie à lui, d’où son nom de reli­gion ». Lactance (250–325), Institutions divines, livre IV.)). Cela peut s’entendre donc des hom­mages dus et justes objec­ti­ve­ment par­lant, c’est-à-dire des hom­mages que Dieu lui-​même demande et ordonne de la part des hommes. Aucun terme n’indique que Lactance entende par­ler de la conscience invin­ci­ble­ment erro­née en tant qu’opposée à la conscience vraie. Léon XIII, quant à lui, traite de la liber­té de conscience que les apôtres ont constam­ment pro­cla­mée, que les apo­lo­gètes ont démon­trée et que les mar­tyrs ont consa­crée de leur sang((« Cette liber­té véri­table, réel­le­ment digne des enfants de Dieu, qui sau­ve­garde comme il faut la noblesse de la per­sonne humaine, pré­vaut contre toute vio­lence et toute injuste ten­ta­tive ; l’Église l’a tou­jours deman­dée, elle n’a jamais rien eu de plus cher. 

Constamment les apôtres ont reven­di­qué cette liber­té, les apo­lo­gètes l’ont jus­ti­fiée dans leurs écrits, les mar­tyrs en foule l’ont consa­crée de leur sang ». Léon XIII, ency­clique Libertas præs­tan­tis­si­mum, 20 juin 1888.)). Mais, les apôtres, les apo­lo­gètes et prin­ci­pa­le­ment les mar­tyrs n’ont tou­jours com­bat­tu que pour la liber­té de la vraie reli­gion, et non pour celle des fausses reli­gions, quand bien même elles seraient pro­fes­sées de bonne foi. Par ailleurs, Léon XIII, dans l’encyclique Immortale Dei, n’admet pas ce droit abso­lu à la liber­té reli­gieuse, en lequel, selon le sché­ma, consiste la liber­té reli­gieuse. Il déclare en effet, que la socié­té civile se doit d’honorer Dieu de la manière et de la façon selon les­quelles Dieu a décla­ré vou­loir être hono­ré((« Ainsi les socié­tés poli­tiques ne peuvent sans crime se conduire comme si Dieu n’existait en aucune manière ; … en hono­rant la Divinité, elles doivent suivre stric­te­ment les règles et le mode sui­vant les­quels Dieu lui-​même a décla­ré vou­loir être hono­ré ». Léon XIII, Immortale Dei, 1er novembre 1885, §13.)), et non pas d’une façon qui serait dic­tée par la conscience des citoyens, quand bien même cette der­nière serait invin­ci­ble­ment erro­née. De plus, Jean XXIII, dans cette même ency­clique Pacem in ter­ris, pré­sente comme fon­de­ment de la paix (d’où le titre de l’encyclique) et de l’ordre social, en pre­mier lieu, la véri­té ; ensuite, vient la liber­té, qu’il pré­sente aus­si comme fon­de­ment de l’ordre social, mais une liber­té qui ne doit pas être com­prise autre­ment que comme celle qui n’est pas en contra­dic­tion avec la véri­té. Autrement, il fau­drait admettre une contra­dic­tion dans la pen­sée du Pontife. La véri­té, en effet, est quelque chose d’objectif et d’universel, auquel les actions de la libre volon­té de l’homme doivent aus­si cor­res­pondre objec­ti­ve­ment, de sorte que la paix et l’ordre social soient obte­nus. Il faut donc conclure que le texte de Jean XXIII ne peut être com­pris que de la seule conscience vraie. 

19. L’auteur du sché­ma pré­tend ensuite que la doc­trine qu’il tient, et estime être celle de Jean XXIII, trouve une confir­ma­tion dans l’allocution don­née par Paul VI, heu­reu­se­ment régnant, à l’ouverture de la seconde ses­sion du deuxième Concile du Vatican((« Combien ne sommes-​nous pas affli­gé de voir que dans cer­tains pays la liber­té reli­gieuse ain­si que d’autres droits fon­da­men­taux de l’homme sont vio­lés par des prin­cipes et des méthodes d’intolérance poli­tique, raciale ou anti­re­li­gieuse. Nous souf­frons de voir com­ment dans le monde il y a encore tant d’injustices contre la pro­fes­sion hon­nête et libre de sa foi reli­gieuse ». Paul VI, Discours pro­non­cé à l’ouverture de la deuxième ses­sion du Concile Vatican II, le 29 sep­tembre 1963.)). Cependant les paroles de Paul VI ne semblent pas résoudre la dif­fi­cul­té. Le Pape traite en effet de la liber­té reli­gieuse qui est oppri­mée dans cer­tains lieux, de même que d’autres droits fon­da­men­taux de l’homme. Cela ne signi­fie pas pour autant qu’il entende par­ler de cette liber­té reli­gieuse dont l’erreur pour­rait béné­fi­cier à par­tir du moment où elle est pro­fes­sée de bonne foi. En effet, puisqu’il est évident que d’une part l’erreur ne peut aucu­ne­ment créer un droit objectif((Cf. Pie XII, Allocution Ci riesce citée plus haut.)), et que d’autre part celui qui erre souffre plu­tôt d’une cer­taine cap­ti­vi­té plus qu’il ne pro­fite d’une vraie liber­té, les paroles du Pontife, sauf preuve du contraire, sont à com­prendre de la liber­té de pro­fes­sion de la vraie religion. 

De plus, ne sont pas davan­tage en faveur de l’auteur du sché­ma, les autres paroles du même Paul VI dans l’allocution pré­ci­tée. En effet, le Pontife y mani­feste sa dou­leur de voir que beau­coup souffrent de nom­breuses injures dans la confes­sion libre et hon­nête de leur reli­gion. Ainsi le Souverain Pontife s’intéresse à un fait par­ti­cu­lier qui n’indique aucu­ne­ment qu’il parle d’un droit abso­lu ou d’une tolé­rance qui devrait être per­mise dans tel cas concret. De plus il est clair que Paul VI a devant les yeux les peuples gémis­sant sous le joug com­mu­niste. Or, le com­mu­nisme entend détruire les fon­de­ments mêmes de la reli­gion – fon­de­ments qui se trouvent aus­si dans les fausses reli­gions, à savoir l’affirmation d’un être suprême et de la dépen­dance des hommes à son égard. En rai­son de quoi, son mode d’action est condam­nable et repré­sente une véri­table injus­tice, y com­pris lorsqu’il s’attache à détruire les fausses reli­gions. Les peuples oppri­més de la sorte par le com­mu­nisme subissent donc réel­le­ment une injus­tice. En effet, dans le droit de pro­fes­ser la vraie reli­gion est conte­nu le droit fon­da­men­tal et natu­rel de pro­fes­ser la reli­gion natu­relle. C’est même une des rai­sons pour les­quelles pro­fes­ser publi­que­ment de bonne foi une fausse reli­gion est par­fois tolé­ré. Mais il ne s’en suit pas pour autant un véri­table droit que les fausses reli­gions auraient, tou­jours et par­tout, de s’exercer ouver­te­ment et publiquement. 

20. L’auteur du sché­ma s’attache à expo­ser une doc­trine d’une cer­taine nou­veau­té et par suite pré­tend mani­fes­ter que cette nou­veau­té n’est rien d’autre que l’évolution d’une doc­trine iden­tique, mais dif­fé­rem­ment expri­mée au cours des siècles en rai­son des dif­fé­rentes cir­cons­tances his­to­riques et idéo­lo­giques. Il est vrai sans aucun doute que la doc­trine révé­lée, bien qu’immuable, peut subir une cer­taine évo­lu­tion quant à sa connais­sance. De telle sorte, cepen­dant, que tou­jours le sens en demeure iden­tique, et iden­tique la signi­fi­ca­tion(([« In eodem sci­li­cet dog­mate, eodem sen­su, eademque sen­ten­tia ». Saint Vincent de Lérins, Commonitorium, n. 28. Cette règle a été reprise dans les termes mêmes de saint Vincent de Lérins dans la Constitution Dei Filius du pre­mier Concile du Vatican.])). Mais pré­ci­sé­ment cette règle d’or de saint Vincent de Lérins n’est mani­fes­te­ment pas res­pec­tée dans le sché­ma. Selon l’auteur du sché­ma, la doc­trine constante est celle qui concerne la digni­té de la per­sonne humaine ain­si que la sol­li­ci­tude en faveur de la liber­té de l’homme. Et cette doc­trine devrait être appro­fon­die par l’introduction d’une double dis­tinc­tion, à savoir, pre­miè­re­ment entre les fausses idéo­lo­gies et les mou­ve­ments ou ins­ti­tu­tions qui en sont issus, et deuxiè­me­ment entre les erreurs reli­gieuses et les droits de ceux qui errent de bonne foi. La conclu­sion à laquelle par­vient l’auteur contient ain­si une doc­trine réel­le­ment nou­velle et étran­gère à la Tradition. En effet, il conclut à un droit véri­table des fausses reli­gions à la mani­fes­ta­tion publique, et à l’incapacité abso­lue de l’État en matière reli­gieuse, en tant que dému­ni de droit face au for de la conscience. Cependant la doc­trine tra­di­tion­nelle, constante et indé­pen­dante des cir­cons­tances de temps et de lieux, tirée de la nature elle-​même ain­si que de la Révélation, affirme d’une part que l’erreur ne peut jamais créer un véri­table droit dans la cité, étant don­né que les droits de l’homme découlent de sa nature faite pour le vrai, et d’autre part que la socié­té, du fait qu’elle pro­cède elle-​même de Dieu, se doit de recon­naître le vrai Dieu et de le ser­vir selon le mode par lequel, mani­fes­te­ment, il veut être honoré. 

Quant à la dis­tinc­tion for­mu­lée par Jean XXIII dans l’encyclique Pacem in ter­ris, dis­tinc­tion entre les idéo­lo­gies et les mou­ve­ments qui en sont issus, il faut lire avec atten­tion les paroles du Pontife afin de ne pas approu­ver de tels mou­ve­ments en tant qu’ils pro­cèdent de ces idéo­lo­gies fausses((« De même, on ne peut iden­ti­fier de fausses théo­ries phi­lo­so­phiques sur la nature, l’origine et la fina­li­té du monde et de l’homme, avec des mou­ve­ments his­to­riques fon­dés dans un but éco­no­mique, social, cultu­rel ou poli­tique, même si ces der­niers ont dû leur ori­gine et puisent encore leur ins­pi­ra­tion dans ces théo­ries. Une doc­trine, une fois fixée et for­mu­lée, ne change plus, tan­dis que des mou­ve­ments ayant pour objet les condi­tions concrètes et chan­geantes de la vie ne peuvent pas ne pas être lar­ge­ment influen­cés par cette évo­lu­tion. Du reste, dans la mesure où ces mou­ve­ments sont d’accord avec les sains prin­cipes de la rai­son et répondent aux justes aspi­ra­tions de la per­sonne humaine, qui refu­se­rait d’y recon­naître des élé­ments posi­tifs et dignes d’approbation ? » Jean XXIII, ency­clique Pacem in ter­ris, §159.)). Du fait que, comme le remar­quait déjà saint Thomas, dans toute erreur se trouve une ten­dance essen­tielle de l’esprit vers le vrai, de tels mou­ve­ments, tirant leurs ori­gines d’idéologies fausses, peuvent cepen­dant, mal­gré tout, recher­cher en soi quelques biens et choses conformes à la nature. Et c’est seule­ment sous ce rapport-​là, dans la mesure où ils peuvent être sépa­rés de ces idéo­lo­gies fausses, qu’ils sont de nature à être approu­vés et admis. Quant à l’autre dis­tinc­tion faite par Jean XXIII, le Pontife ne conclut à par­tir de là rien d’autre que la per­ma­nence de la digni­té humaine en ceux qui errent de bonne foi((« C’est jus­tice de dis­tin­guer tou­jours entre l’erreur et ceux qui la com­mettent, même s’il s’agit d’hommes dont les idées fausses ou l’insuffisance des notions concernent la reli­gion ou la morale. L’homme éga­ré dans l’erreur reste tou­jours un être humain et conserve sa digni­té de per­sonne à laquelle il faut tou­jours avoir égard ». Jean XXIII, ency­clique Pacem in ter­ris, §158.)) 21. Ainsi c’est à tort que l’on conclut de cette dis­tinc­tion un droit des fausses reli­gions à être recon­nues publiquement. 

21. Quant aux autres docu­ments pon­ti­fi­caux cités par le sché­ma pour éta­blir un fon­de­ment à cette doc­trine, ce qu’il faut en pen­ser sera expo­sé dans la cri­tique des autres pro­po­si­tions du sché­ma. En effet, pour les mêmes rai­sons, d’autres pro­po­si­tions du sché­ma ne peuvent pas être approuvées. 

2 – Deuxième proposition

« Aussi long­temps qu’elle reste dans l’erreur invin­cible, la per­sonne humaine est digne d’estime et sa liber­té reli­gieuse est recon­nue et défen­due par l’Église »((« Quamdiu in errore invin­ci­bi­li ver­sa­tur, per­so­na huma­na æsti­ma­tione digna est atque eius liber­tas reli­gio­sa ab Ecclesia agnos­ci­tur et vin­di­ca­tur ». p. 4, n. 2, ll. 18–20.)) .

22. A l’appui de cette thèse est cité le Pape Pie XII dans son allo­cu­tion Vous avez vou­lu du 7 sep­tembre 1955. Cependant, le Pape y traite de la liber­té à embras­ser la foi, ce qui relève du for de la conscience, et éga­le­ment des convic­tions de ceux qui n’ont pas encore la foi, convic­tions don­nées comme motif, quoique non le prin­ci­pal, de tolé­rance à leur égard((Pie XII, Discours aux par­ti­ci­pants du Xème congrès inter­na­tio­nal des sciences his­to­riques, 7 sep­tembre 1955 : « Aux non-​catholiques, l’Église applique le prin­cipe repris dans le Code de Droit Canon, ad amplexan­dam fidem catho­li­cam nemo invi­tus coga­tur (c. 1351), et estime que leurs convic­tions consti­tuent un motif, mais non tou­te­fois le prin­ci­pal, de tolé­rance ». Discours et Radio-​messages de S.S. Pie XII, t. XVII, p. 211–222.)). Pie XII ne dit rien du droit à la liber­té reli­gieuse, droit pour lequel le sché­ma fait appel à cette cita­tion, droit de mani­fes­ter publi­que­ment une convic­tion erro­née de bonne foi. Bien au contraire, l’évocation d’un motif de tolé­rance mani­feste clai­re­ment qu’il n’est pas ques­tion d’un véri­table droit. Sont en effet tolé­rés ceux qui ne peuvent pas être défen­dus par le droit. 

3 – Troisième proposition

« Cette même liber­té reli­gieuse doit être res­pec­tée non seule­ment à l’égard des chré­tiens mais à l’égard de tous et cha­cun des hommes ain­si qu’à l’égard des asso­cia­tions humaines »((« Eadem liber­tas reli­gio­sa non tan­tum a chris­tia­nis, sed ab omni­bus et sin­gu­lis homi­ni­bus et a com­mu­ni homi­num convi­ven­tia obser­van­da est ». p. 4, n. 3, ini­tio.)).

23. A l’appui de cette thèse, sont cités les textes des Papes Jean XXIII, Pie XII, Pie XI et Léon XIII. 

24. Nous avons déjà exa­mi­né le texte de l’encyclique Pacem in ter­ris de Jean XXIII dans l’exposé des rai­sons pour les­quelles nous reje­tons la pre­mière proposition.

25. Pie XII, dans le mes­sage radio­pho­nique du 24 décembre 1942, évoque le droit fonda-​mental de la per­sonne humaine à rendre un culte à Dieu en pri­vé comme en public. Il ne pré­cise cepen­dant pas qu’il entende par­ler aus­si du culte erro­né pro­fes­sé de bonne foi. En consé­quence, nous pou­vons et devons le com­prendre du culte vrai et appro­prié, c’est-à-dire celui que Dieu a lui-​même impo­sé à l’homme par la créa­tion de l’Église dans laquelle tous doivent entrer ; d’autant plus que Pie XII ne recon­naît pas de droit véri­table à l’erreur : « Ce qui ne répond pas à la véri­té ou à la norme de la mora­li­té, objec­ti­ve­ment n’a aucun droit, ni pour être, ni pour être pro­pa­gé, ni pour agir »((Allocution Ci riesce citée plus haut.)).

26. Quant au Pape Pie XI, lorsqu’il affirme que le fidèle pos­sède un droit, droit qui ne peut être alié­né, de pro­fes­ser et de pra­ti­quer sa foi, lorsqu’il affirme que les lois contraires à ce droit sont en contra­dic­tion avec le droit natu­rel((« Le croyant a un droit inalié­nable à pro­fes­ser sa foi et à la vivre comme elle veut être vécue. Des lois qui étouffent ou rendent dif­fi­cile la pro­fes­sion et la pra­tique de cette foi sont en contra­dic­tion avec le droit natu­rel ». Pie XI, ency­clique Mit bren­nen­der Sorge (10 mars 1937), §36.)), il ne parle que de la vraie foi et non pas de l’erreur, y com­pris de l’erreur non-​coupable, tel qu’on le voit avec évi­dence tout au long de l’encyclique Mit bren­nen­der Sorge dans laquelle le Pontife traite avec soin de la foi authen­tique en Dieu, impos­sible sans la foi en Jésus-​Christ que conserve avec vigueur l’unique Église catholique.

27. Léon XIII, quant à lui, traite de la liber­té de conscience qu’a l’homme pour suivre la volon­té de Dieu et accom­plir ses pré­ceptes. Ce qui ne se com­prend cor­rec­te­ment que de la volon­té objec­tive de Dieu, et non pas de la volon­té sup­po­sée être celle de Dieu par celui qui est dans l’erreur ; cela est mani­feste du fait que le Pape parle aus­si des pré­ceptes ; les com­man­de­ments de Dieu en effet sont objec­tifs ou ne sont pas, aucune obli­ga­tion ne pour­rait être don­née de suivre un com­man­de­ment de Dieu inexis­tant. Or pré­ci­sé­ment, la conscience invin­ci­ble­ment erro­née est celle qui croit voir un pré­cepte là où il n’existe pas de pré­cepte objec­tif de Dieu.

4 – Quatrième proposition

« L’Église catho­lique déclare l’intolérance reli­gieuse être au plus haut point odieuse et offen­sante à la per­sonne humaine. En effet, par elle l’homme est pri­vé de sa liber­té pour obser­ver les exi­gences dic­tées par sa conscience, exi­gences qui sont même pour ceux qui errent de bonne foi suprêmes et très sacrées »((« Ecclesia catho­li­ca into­le­ran­tiam reli­gio­sam sum­mo gra­du odio­sam atque offen­si­vam erga per­so­nam huma­nam esse decla­rat. Ipsa, enim, homo pri­va­tur liber­tate sua in obser­van­dis iis dic­ta­mi­ni­bus conscien­tiæ suæ quæ ipsi etiam bona fide erran­ti ut supre­ma et sacra­tis­si­ma appa­rent ». p. 5, n. 3 sub fine.)).

28. Pour prou­ver cette asser­tion, sont cités les Papes Jean XXIII en l’encyclique Pacem in ter­ris et Pie XII dans le mes­sage radio­pho­nique du 1er juin 1941.

29. Tant Jean XXIII((Encyclique Pacem in ter­ris, §44 : « Ses propres droits, c’est avant tout comme autant d’expressions de sa digni­té qu’il (l’homme) devra les faire valoir, et à tous les autres incom­be­ra l’obligation de recon­naître ces droits et de les res­pec­ter ».)) que Pie XII((Radio-message pour le cin­quan­tième anni­ver­saire de Rerum nova­rum, 1er juin 1941 : « La pro­tec­tion de ce droit assu­re­ra la digni­té per­son­nelle de l’homme et lui don­ne­ra la faci­li­té de s’appliquer à rem­plir, dans une juste liber­té, cet ensemble de constantes obli­ga­tions et déci­sions dont il est direc­te­ment res­pon­sable envers le Créateur. C’est, en effet, à l’homme qu’appartient le devoir entiè­re­ment per­son­nel de conser­ver et de por­ter à plus de per­fec­tion sa propre vie maté­rielle et spi­ri­tuelle, pour atteindre la fin reli­gieuse et morale que Dieu a assi­gnée à tous les hommes et leur a don­née comme une norme suprême, les obli­geant tou­jours et dans tous les cas, anté­rieu­re­ment à tous leurs autres devoirs ».)) évoquent le devoir qu’ont les hommes de recon­naître et de res­pec­ter les droits d’autrui. Ce devoir sup­pose, bien enten­du, qu’il s’agisse de droits véri­tables. Or, nous l’avons vu plus haut, la liber­té reli­gieuse, telle que l’entend le sché­ma, ne crée pas un droit véri­table en rai­son du fait que l’erreur ne peut fon­der objec­ti­ve­ment le moindre droit. 

30. Quant à l’affirmation en cause, on ne peut affir­mer, de façon uni­ver­selle, que l’intolérance reli­gieuse soit au plus haut point odieuse et offen­sante à la per­sonne humaine. En effet, quand il s’agit ici d’un État où l’unité reli­gieuse est éta­blie autour de la vraie foi, le bien com­mun d’une telle nation requiert que cette uni­té ne soit point mise à mal par la mani­fes­ta­tion publique de fausses reli­gions. Par consé­quent, dans un tel état, un faux culte ne pour­rait être tolé­ré sans péché((Cf. l’analyse de la pro­po­si­tion n° 1 et la doc­trine du Pape Pie XII.)).

31. On ne peut pas plus décla­rer offen­sante à la per­sonne humaine une telle into­lé­rance, puisqu’en ce qui concerne la vie en socié­té, le bien com­mun peut même la récla­mer. Enfin, quoique les exi­gences de la conscience puissent paraître très sacrées à celui qui erre de bonne foi, cepen­dant, n’étant pas objec­ti­ve­ment conformes à la véri­té, elles ne créent objec­ti­ve­ment aucun droit pour lui, ni aucun devoir pour autrui.

5 – Cinquième proposition

« En matière de reli­gion l’Église catho­lique reven­dique l’exclusion de toute coac­tion exté­rieure… afin que la véri­table liber­té reli­gieuse, ou droit de la per­sonne, ne soit entra­vée pour qui que ce soit lorsqu’il s’agit d’observer et de pro­fes­ser ses devoirs publics et pri­vés envers Dieu et les hommes, en par­ti­cu­lier comme en groupe consti­tué, selon que l’indique la conscience de cha­cun. L’Église catho­lique affirme qu’une telle liber­té revient tant aux per­sonnes humaines prises indi­vi­duel­le­ment qu’aux asso­cia­tions d’hommes qui, sui­vant les exi­gences de leur conscience, se ras­semblent afin de mener et pro­mou­voir une vie reli­gieuse »((« In mate­ria reli­gio­sa præ­dic­ta externæ coac­tio­nis exclu­sio ab Ecclesia catho­li­ca vin­di­ca­tur… ut vera “liber­tas reli­gio­sa” seu ius per­sonæ ne ab aliis impe­dia­tur quo­mi­nus obser­vet et pro­cla­met offi­cia sua publi­ca et pri­va­ta erga Deum et erga homines, sin­gu­la­ri­ter vel col­lec­tive sump­tos, prout conscien­tia mani­fes­tan­tur. Ecclesia catho­li­ca affir­mat talem liber­ta­tem reli­gio­sam com­pe­tere tum sin­gu­lis per­so­nis huma­nis tum cœti­bus homi­num, qui exi­gen­tiis suæ conscien­tiæ addu­cun­tur ut col­la­tis viri­bus vitam reli­gio­sam ducant vel pro­mo­veant ». p. 5, n. 4.)).

32. A l’appui de cette thèse, sont cités deux textes des Papes Jean XXIII, ency­clique Pacem in ter­ris, et Léon XIII, ency­clique Sapientiæ chris­tianæ, textes à par­tir des­quels l’auteur du sché­ma conclut : « En consé­quence, un gou­ver­ne­ment agit abu­si­ve­ment et viole au plus haut point cette chose sacrée qu’est l’homme lorsqu’il s’immisce dans le gou­ver­ne­ment ou le soin des âmes »((p. 10, nota 7.)).

33. Cependant, le lieu cité de l’encyclique Pacem in ter­ris où Jean XXIII rap­pelle la pra­tique dans les Etats modernes de consi­gner par écrit les droits des citoyens, ne pour­suit qu’un but, celui de mon­trer com­ment les hommes acquièrent actuel­le­ment une plus grande conscience de leur propre digni­té((« Dans l’organisation juri­dique des com­mu­nau­tés poli­tiques à l’époque moderne, on note tout d’abord une ten­dance à rédi­ger en des for­mules claires et concises une charte des droits fon­da­men­taux de l’homme. (…) Toutefois, les ten­dances que Nous venons de rele­ver le prouvent à suf­fi­sance : les hommes de notre temps ont acquis une conscience plus vive de leur digni­té ». Pacem in ter­ris, §§75 et 79.)). Rien de plus. Par ailleurs, le fait que Jean XXIII recon­naisse au pou­voir civil le devoir de recon­naître les justes limites de la liber­té ain­si que de veiller au bon res­pect des droits((« La rai­son d’être des pou­voirs publics est de réa­li­ser le bien com­mun, dont un élé­ment fon­da­men­tal consiste à recon­naître le juste domaine de la liber­té et d’en pro­té­ger les droits ». Pacem in ter­ris, §104.)), ne consti­tue pas un argu­ment valable dans la mesure où, comme nous l’avons vu, l’erreur ne peut créer de droit véritable.

34. Le texte de Léon XIII, quant à lui, ne contient pas la conclu­sion de l’auteur du sché­ma. En effet, le Pontife traite de la com­pé­tence de l’État en matière reli­gieuse, com­pé­tence qui dans l’état pré­sent du genre humain n’a été confiée seule­ment qu’à l’Église((Léon XIII, Encyclique Sapientiæ chris­tianæ, 10 jan­vier 1890, § 37 : « On por­te­rait atteinte à l’intégrité de la foi si l’on met­tait en doute que l’Église seule a été inves­tie d’un sem­blable pou­voir de gou­ver­ner les âmes, à l’exclusion abso­lue de l’autorité civile ». [Mais cette dis­tinc­tion entre l’Église et l’État, en rai­son de leur domaine propre, ne signi­fie pas pour autant dans la pen­sée de Léon XIII un dés­in­té­res­se­ment de la part de l’État de ce qui concerne la reli­gion : « C’est pour­quoi, de la tran­quilli­té de l’ordre public, but immé­diat de la socié­té civile, l’homme attend le moyen de se per­fec­tion­ner phy­si­que­ment, et sur­tout celui de tra­vailler à sa per­fec­tion morale, qui réside exclu­si­ve­ment dans la connais­sance et la pra­tique de la ver­tu. […] Dès lors, ceux qui rédigent des consti­tu­tions et font des lois doivent tenir compte de la nature morale et reli­gieuse de l’homme et l’aider à se per­fec­tion­ner, mais avec ordre et droi­ture, n’ordonnant ni ne pro­hi­bant rien sans avoir égard à la fin propre de cha­cune des socié­tés civile et reli­gieuse ». Sapientiæ chris­tianæ, §§ 40 et 41.])). Pour autant, c’est à tort que l’on en conclu­rait que l’État puisse igno­rer quelle est la vraie reli­gion et, par­tant, per­mettre le culte de toutes les reli­gions. Nous avons vu plus haut le même Léon XIII affir­mer le devoir pour la socié­té civile de recon­naître la vraie reli­gion et d’employer pour le culte celui par lequel Dieu a mani­fes­té vou­loir être hono­ré((« Ainsi les socié­tés poli­tiques ne peuvent sans crime se conduire comme si Dieu n’existait en aucune manière ; … en hono­rant la Divinité, elles doivent suivre stric­te­ment les règles et le mode sui­vant les­quels Dieu lui-​même a décla­ré vou­loir être hono­ré ». Immortale Dei, § 13.)). 

35. D’autre part, Jean XXIII enseigne bien que par­mi les consti­tu­tifs du bien com­mun, dont le soin est confié à la socié­té civile, se trouve le devoir de pro­cu­rer le néces­saire à l’obtention du salut éter­nel des hommes((« Aussi les moyens mis en œuvre au pro­fit du bien com­mun ne peuvent-​ils faire obs­tacle au salut éter­nel des hommes, mais encore doivent-​ils y aider posi­ti­ve­ment ». Pacem in ter­ris, §59.)). En consé­quence de quoi, la puis­sance civile se doit de recon­naître et de favo­ri­ser la vraie religion.

36. Il appa­raît donc clai­re­ment que l’affirmation, telle que pro­po­sée par le sché­ma, est tout sim­ple­ment erro­née, l’Église catho­lique ne pou­vant aucu­ne­ment recon­naître un droit à la pro­fes­sion en public, ain­si qu’à la pro­pa­ga­tion des fausses reli­gions, que ce soit pour les indi­vi­dus seuls ou pour les assem­blées com­po­sées d’hommes pro­fes­sant les mêmes erreurs. Et la rai­son en est, d’une part qu’un tel droit véri­table n’existe pas et d’autre part qu’une telle pro­fes­sion et pro­pa­ga­tion s’opposent, de soi, au bien com­mun, en créant pour les hommes un scan­dale de nature à les détour­ner de la vraie reli­gion. L’Église demande uni­que­ment que soit tolé­rée en rai­son de cer­taines cir­cons­tances mani­festes la pro­fes­sion publique des fausses religions. 

6 – Sixième proposition

« La puis­sance publique ne peut impo­ser aux citoyens la pro­fes­sion d’une reli­gion déter­mi­née comme une condi­tion pour pou­voir par­ti­ci­per de plein droit à la vie de la nation et de la cité. La puis­sance humaine doit res­pec­ter la jus­tice et l’équité envers tous ceux qui obéissent en matière reli­gieuse à ce que leur dicte leur conscience »((« Potestas publi­ca nequit impo­nere civi­bus pro­fes­sio­nem deter­mi­natæ reli­gio­nis tam­quam condi­tio­nem ut ple­no et inte­gro iure vitæ natio­na­li et civi­li par­ti­ci­pare valeant. Potestas huma­na debet ius­ti­tiam et æqui­ta­tem obser­vare erga omnes qui in re reli­gio­sa dic­ta­mi­ni suæ conscien­tiæ obe­diunt ». p. 6, n. 5, ll. 15–19.)).

37. Une telle pro­po­si­tion est par­fai­te­ment évi­dente. Il est juste, en effet, que la puis­sance publique ne puisse impo­ser aux citoyens la pro­fes­sion d’une reli­gion déter­mi­née comme une condi­tion néces­saire pour jouir du bien de la vie sociale, puisque la pro­fes­sion reli­gieuse est un acte interne à chaque homme et que la puis­sance publique ne peut juger du for interne. En revanche, elle peut impo­ser la pro­fes­sion de la vraie foi dans l’exercice de cer­taines charges, cela le bien com­mun peut, en effet, l’exiger.

38. La deuxième par­tie de la pro­po­si­tion est juste dans la mesure où elle ne s’étend pas à la pro­fes­sion des fausses reli­gions, du fait qu’elles ne jouissent d’aucun droit véritable((Cf. Pie XII, Allocution Ci riesce citée plus haut.)), et éga­le­ment dans la mesure où la pro­fes­sion publique des fausses reli­gions n’est pas consi­dé­rée comme inof­fen­sive pour les autres citoyens. 

7 – Septième proposition

« Une telle liber­té reli­gieuse est offen­sée tant par les condam­na­tions à mort pour rai­son reli­gieuse, que par les spo­lia­tions de biens éga­le­ment pour motif de reli­gion, les pri­va­tions du néces­saire pour une vie décente, le refus de l’égalité sociale, civile ou natio­nale, ou encore l’impossibilité d’accomplir les actes civils et d’exercer les droits fon­da­men­taux recon­nus com­mu­né­ment par tous les peuples »((« Hæc liber­tas reli­gio­sa pari­ter offen­di­tur præ­pri­mis dam­na­tione mor­tis prop­ter rationes reli­gio­sas, sed præ­te­rea reli­gio­nis cau­sa per­ac­tis spo­lia­tione bono­rum, pri­va­tione eorum quæ ad vitam decen­tem requi­run­tur, abne­ga­tione æqua­li­ta­tis socia­lis vel civi­lis, natio­na­li­ta­tis, com­pe­ten­tiæ ad actus civiles, exer­ci­tii eorum iurium fun­da­men­ta­lium quæ concor­di­ter a natio­ni­bus agnos­cun­tur ». p. 6, n. 5, ll. 20–25.)).

39. Cette pro­po­si­tion éga­le­ment est évi­dente. En pre­mier lieu, elle ne dis­tingue pas la bonne foi de la mau­vaise foi par­mi ceux qui pro­fessent une fausse reli­gion. Deuxièmement, la liber­té reli­gieuse, en tant qu’elle concerne aus­si les fausses reli­gions, doit être dis­tin­guée de la liber­té de pro­fes­ser la vraie foi. En effet, la pro­fes­sion d’une fausse reli­gion peut être nocive à la vie sociale de telle sorte qu’elle puisse et doive être répri­mée par des peines infli­gées aux contu­maces, peines plus ou moins lourdes selon le degré de noci­vi­té et de perversité. 

40. Quant au docu­ment appor­té à l’appui de cette thèse, il n’est pas pro­bant. En effet, Jean XXIII, dans le pas­sage cité de l’encyclique Pacem in ter­ris, loue seule­ment la recon­nais­sance géné­rale de la digni­té de la per­sonne humaine((« Les hommes de notre temps ont acquis une conscience plus vive de leur digni­té ; ce qui les amène à prendre une part active aux affaires publiques et à exi­ger que les sti­pu­la­tions du droit posi­tif des États garan­tissent l’inviolabilité de leurs droits per­son­nels ». Pacem in ter­ris, §79.)). Il reste à prou­ver que cette digni­té humaine requiert la liber­té de conscience et de pro­fes­sion publique de l’erreur.

8 – Huitième proposition

« À notre époque et sur toute la terre, la liber­té reli­gieuse doit faire par­ti­cu­liè­re­ment l’objet d’un soin atten­tif du fait que de nos jours des rela­tions de plus en plus fré­quentes unissent des hommes de cultes et de reli­gions divers »((« Nostris tem­po­ri­bus ubique ter­ra­rum liber­tas reli­gio­sa spe­cia­li modo urgen­da est quia in dies fre­quen­tiores fiunt rela­tiones qui­bus homines dis­pa­ris cultus et diversæ reli­gio­nis inter se connec­tun­tur ». p. 6, n. 5 sub fine.)).

41. Telle quelle, la pro­po­si­tion ne peut pas être approu­vée. En effet, elle donne pour argu­ment en faveur de la liber­té de pro­fes­sion publique de l’erreur, les « rela­tions de plus en plus fré­quentes » entre des hommes de cultes et de reli­gions divers. À l’évidence, un tel argu­ment n’est pas suf­fi­sant pour admettre que l’unité de la vraie foi exis­tant dans un État don­né puisse être expo­sée à la des­truc­tion du fait des rela­tions avec des hommes d’autres reli­gions. On ne doit jamais faire le mal pour obte­nir un bien, a for­tio­ri, lorsque le bien espé­ré doit, en réa­li­té, plu­tôt être appe­lé un moindre mal. On devrait plu­tôt affir­mer, au contraire, qu’il est néces­saire de prendre tous les moyens licites pour que l’unité de la vraie foi ne soit point mise à mal par des rela­tions de plus en plus fré­quentes avec des adeptes de fausses religions.

42. Le docu­ment pon­ti­fi­cal cité en pre­mier lieu, l’allocution de Pie XII aux membres du tri­bu­nal de la Rote Romaine du 6 octobre 1946((« Les contacts tou­jours plus fré­quents et le mélange confus des diverses confes­sions reli­gieuses au sein d’un même peuple ont ame­né les tri­bu­naux civils à suivre le prin­cipe de « la tolé­rance » et de la « liber­té de conscience ». Il y a aus­si une tolé­rance poli­tique, civile et sociale à l’endroit des fidèles des autres reli­gions qui, en ces sortes de cir­cons­tances, est éga­le­ment pour les catho­liques un devoir moral. » Discours de Sa Sainteté Pie XII à la Rote Romaine, 6 octobre 1946, AAS, 38, 1946, p. 391.)), ne traite pas de la tolé­rance reli­gieuse en géné­ral, mais uni­que­ment de la tolé­rance « lorsqu’au sein d’un même peuple » se trouvent mêlées des confes­sions reli­gieuses diverses. Ce qui signi­fie que la tolé­rance civile et sociale appa­raît néces­saire uni­que­ment lorsque cette cir­cons­tance se véri­fie (« in tali circostanze »).

43. Quant à l’allocution Ci riese du 6 décembre 1953, citée éga­le­ment à l’appui de cette thèse, elle n’apparaît aucu­ne­ment pro­bante ain­si que l’avance l’auteur du sché­ma. En réa­li­té, voi­ci ce que dit l’allocution : « À l’intérieur de son ter­ri­toire et pour ses citoyens, chaque État déter­mi­ne­ra les affaires reli­gieuses et morales selon sa propre loi »((« Nell’interno del suo ter­ri­to­rio e per i suoi cit­ta­di­ni ogni Stato rego­lerà gli affa­ri reli­gio­si e mora­li con una pro­pria legge ».)). C’est-à-dire qu’un État quel­conque, de confes­sion isla­mique par exemple, agré­gé à une Communauté d’États, pour­rait régler les ques­tions reli­gieuses dans son ter­ri­toire et pour ses sujets de sorte à impo­ser à tous les citoyens la reli­gion isla­mique. Et selon l’auteur du sché­ma, Pie XII per­met­trait que « les citoyens catho­liques et les chefs d’États catho­liques approuvent en conscience une telle loi »((p. 11, n.11 sub fine.)). En d’autres termes, cela revien­drait à dire que dans un tel État, les catho­liques et l’Église renon­ce­raient en bonne conscience à obéir au pré­cepte du Seigneur de prê­cher l’Évangile à toutes créa­tures. L’auteur du sché­ma conclut mani­fes­te­ment bien trop hâti­ve­ment. En réa­li­té, Pie XII rejette une telle conclu­sion. Les paroles citées par l’auteur du sché­ma expriment un prin­cipe pro­bable selon lequel les affaires reli­gieuses seraient ordon­nées au sein d’une Communauté d’États où coha­bitent des reli­gions dif­fé­rentes. Mais ce sta­tut légal, qu’il estime pro­bable, Pie XII ne l’approuve nullement(([Le Pape Pie XII évoque ici, devant une assem­blée de juristes ita­liens, la pos­si­bi­li­té de voir appa­raître dans des Communautés d’États des lois concer­nant les reli­gions et s’appliquant à l’ensemble des pays membres de ces Communautés. « Selon les pro­ba­bi­li­tés et les cir­cons­tances, dit-​il, ce règle­ment de droit posi­tif s’énoncerait ain­si : à l’intérieur de son ter­ri­toire et pour ses citoyens, chaque État déter­mi­ne­ra les affaires reli­gieuses et morales selon sa propre loi. » Pie XII n’entend nul­le­ment faire sien ce prin­cipe, il estime seule­ment pro­bable que dans un futur plus ou moins proche des Communautés d’États adoptent ce type de prin­cipe. Ce prin­cipe pro­bable étant expo­sé, Pie XII conti­nue : « Pour le juriste, l’homme poli­tique et l’État catho­liques, se pose ici la ques­tion : peuvent-​ils consen­tir à un tel règle­ment quand il s’agit d’entrer dans la Communauté des Peuples et d’y res­ter ? » Le prin­cipe cité n’est donc pas l’expression de la pen­sée du Pape, Pie XII entend plu­tôt y oppo­ser l’enseignement de l’Église.])). Et de fait, un peu plus loin dans la même allo­cu­tion, il expose avec clar­té les droits immuables de la véri­té dans quelque État que ce soit : « D’abord il faut affir­mer clai­re­ment qu’aucune auto­ri­té humaine, aucun État, aucune Communauté d’États, quel que soit leur carac­tère reli­gieux, ne peuvent don­ner un man­dat posi­tif ou une auto­ri­sa­tion posi­tive d’enseigner ou de faire ce qui serait contraire à la véri­té reli­gieuse et au bien moral. Un man­dat ou une auto­ri­sa­tion de ce genre n’auraient pas force obli­ga­toire et res­te­raient inef­fi­caces. Aucune auto­ri­té ne pour­rait les don­ner parce qu’il est contre-​nature d’obliger l’esprit et la volon­té de l’homme à l’erreur et au mal ou de consi­dé­rer l’un et l’autre comme indif­fé­rents »((« Innanzi tut­to occorre affer­mare chia­ra­mente : che nes­su­na auto­ri­tà uma­na, nes­su­no Stato, nes­su­na Comunità di Stati, qua­lunque sia il loro carat­tere reli­gio­so, pos­so­no dare un man­da­to posi­ti­vo o una posi­ti­va auto­riz­za­zione d’insegnare o di fare ciò che sarebbe contra­rio alla veri­tà reli­gio­sa o al bene morale. Un man­da­to o una auto­riz­za­zione di ques­to genere non avreb­be­ro for­za obbli­ga­to­ria e res­te­reb­be­ro inef­fi­ca­ci. Nessuna auto­ri­tà potrebbe dar­li, per­ché è contro natu­ra di obbli­gare lo spi­ri­to e la volon­tà dell’uomo all’errore ed al male o a consi­de­rare l’uno e l’altro come indifferenti ».)).

III. Proposition

44. Que le cha­pitre De la liber­té reli­gieuse soit révi­sé de fond en comble. Qu’il soit appe­lé plu­tôt De la liber­té de conscience, et qu’il expose la doc­trine tra­di­tion­nelle en ce qui concerne les droits de la véri­té, la néces­si­té d’entrer dans l’Église catho­lique et la tolé­rance en matière religieuse.

Mgr Gérald de Proença Sigaud

Source : Courrier de Rome n°639

Mgr Geraldo de Proença Sigaud (1909–1999) est un arche­vêque bré­si­lien de la Société du Verbe divin, il fut ordon­né prêtre en 1932. Après avoir été pro­fes­seur au Grand Séminaire de São Paolo il fut nom­mé en 1946 évêque de Jacarèzinho (Brésil), puis fut trans­fé­ré en 1960 à l’archevêché de Diamantina. Il démis­sion­na de son évê­ché en 1980 et mou­rut le 5 sep­tembre 1999. Lors du concile Vatican II, il fut un des fon­da­teurs du Cœtus inter­na­tio­na­lis Patrum, l’association des Pères conci­liaires pour la défense de la doc­trine traditionnelle.