L’Eglise de Chine (3) : Stratégies pontificales

Un pre­mier article a mon­tré les moyens employés par le régime chi­nois pour inféo­der l’Eglise catho­lique. Un second article a mon­tré com­ment l’Eglise clan­des­tine a fait face à la per­sé­cu­tion, allant jus­qu’à faire des sacres sans man­dat. Voyons main­te­nant les poli­tiques pon­ti­fi­cales face à la ques­tion chinoise.

Pour ins­tru­men­ta­li­ser l’Eglise catho­lique, le gou­ver­ne­ment de Mao Tsé Toung a d’abord essayé de lui impo­ser la réforme des « Trois auto­no­mies ». Refusant d’être inféo­dée au régime athée, l’Église catho­lique a alors subi une rude per­sé­cu­tion. Le régime a ensuite renou­ve­lé sa ten­ta­tive en la revê­tant des ori­peaux de la paix et du patrio­tisme. Créée le 2 août 1957, l’Association patrio­tique des catho­liques chi­nois (APCC) s’assure que les catho­liques obéissent à la ligne poli­tique défi­nie par le Parti com­mu­niste chi­nois. L’APCC s’est atte­lée sans retard à la tâche de recons­ti­tuer l’épiscopat chi­nois déci­mé par les arres­ta­tions, les exils, les mises en rési­dence sur­veillées et les exé­cu­tions. De 1957 à nos jours (sauf durant la Révolution cultu­relle), l’APCC a dési­gné et fait sacrer des évêques avec l’aval du régime de Pékin mais contre la volon­té de Rome. Illégitimes et excom­mu­niés, ces évêques appar­tiennent à l’Église offi­cielle, pilo­tée par l’APCC et inféo­dée au gou­ver­ne­ment athée. Par ailleurs, des évêques légi­times exercent leur apos­to­lat clan­des­ti­ne­ment mais dans la fidé­li­té à Rome. Menacés d’extinction en rai­son de leur âge, de leur petit nombre et des per­sé­cu­tions, quelques-​uns ont déci­dé à par­tir de 1980 de se don­ner des suc­ces­seurs et de pour­voir les sièges épis­co­paux deve­nus vacants. Leur ini­tia­tive a été ava­li­sée en pri­vé par Jean-​Paul II avant que des facul­tés spé­ciales ne leur soient concé­dées en la matière. Confrontés aux divi­sions de l’Église chi­noise, les trois der­niers pon­tifes romains ont mis en œuvre plu­sieurs stra­té­gies, soit alter­na­tives, soit com­plé­men­taires, au ser­vice de l’unité.

Le pontificat de Jean-​Paul II

Outre les facul­tés extra­or­di­naires concé­dées aux évêques de l’Église clan­des­tine pour se don­ner des suc­ces­seurs, Jean-​Paul II a abor­dé les pro­blèmes de l’Église de Chine de trois façons. Primo, le pape a deman­dé en 1984aux évêques qui avait été expul­sés de Chine et étaient tou­jours en vie de renon­cer à leurs sièges épis­co­paux. La mesure est certes excep­tion­nelle, mais elle répond à une situa­tion inédite dans laquelle nombre d’évêques occupent un siège épis­co­pal mais sont empê­chés d’en exer­cer la charge depuis plus d’un quart de siècle. On se sou­vient que le pape Pie VI, dans le cadre du concor­dat signé avec Napoléon, avait deman­dé le 15 août 1801 aux évêques d’Ancien Régime (Bref Tam mul­ta) et aux évêques consti­tu­tion­nels (Bref Post mul­tos labores) de renon­cer dans les 10 jours à leur sièges épiscopaux.

Secundo, le pape a accep­té de récon­ci­lier les évêques « patrio­tiques » qui expri­maient clai­re­ment leur volon­té de réta­blir la com­mu­nion avec le vicaire du Christ. Mgr Bernardin Dong Guangqing, évêque d’Hankou, a été le pre­mier à entre­prendre cette démarche en 1984. Le pro­ces­sus de régu­la­ri­sa­tion des évêques illé­gi­times s’est accé­lé­ré à par­tir de 2000.Conséquence : un nombre crois­sant de dio­cèses ont deux évêques, un évêque « offi­ciel » récon­ci­lié avec Rome et un évêque « clan­des­tin » en com­mu­nion avec Rome. Tertio, une par­tie des évêques dési­gnés par l’APCC à par­tir de 2002 l’ont été en accord avec le Saint-​Siège. Ce fut le cas, par exemple, de Mgr Pierre Feng Xinmao nom­mé coad­ju­teur d’Hengshuien 2004. Nonobstant ces accords ponc­tuels, Pékin conti­nue à nom­mer d’autres évêques sans que Rome ait don­né son aval.

Le pontificat de Benoît XVI

Benoît XVI est res­té fidèle à la stra­té­gie de son pré­dé­ces­seur fon­dée, d’une part, sur la récon­ci­lia­tion indi­vi­duelle des évêques illé­gi­times qui en font la demande expresse et, d’autre part, sur la nomi­na­tion des nou­veaux évêques « offi­ciels » avec l’accord de Pékin et de Rome. La situa­tion n’en reste pas moins confuse comme en témoignent les quatre sacres épis­co­paux qui se sont dérou­lés en avril et mai 2006 et dont deux seule­ment béné­fi­ciaient du man­dat apos­to­lique. Lors du Consistoire du 24 mars 2006, Mgr Joseph Zen, évêque salé­sien de Hong-​Kong depuis 2002, a été créé car­di­nal. Il va être la che­ville ouvrière de la Lettre aux catho­liques de Chine signée par Benoît XVI le 27 mai 2007.Dans ce long docu­ment, le pape rap­pelle d’abord les prin­cipes qui ont gui­dé l’action du Saint-​Siège depuis 1957 : éta­blir de justes rela­tions avec les auto­ri­tés civiles chi­noises, œuvrer à la com­mu­nion des évêques entre eux et avec le pape, dénier toute légi­ti­mi­té au BNAF et à l’APCC—deux ins­ti­tu­tions impo­sées par l’État et étran­gères à la struc­ture de l’Église. Face à un épis­co­pat chi­nois mor­ce­lé et divi­sé, Benoît XVI for­mule ensuite plu­sieurs souhaits :

  • le sta­tut des évêques « offi­ciels » récon­ci­liés devrait être ren­du public sans retard,
  • les évêques « offi­ciels » non récon­ci­liés devraient poser les actes publics requis à leur légitimation,
  • les évêques nom­més d’un com­mun accord entre Pékin et Rome devraient être dotés de qua­li­tés intel­lec­tuelles, morales et spi­ri­tuelles, dont le Saint-​Siège est seul juge,
  • les évêques « clan­des­tins » doivent ces­ser les sacres clan­des­tins et les auto­ri­tés civiles devraient les reconnaître.

Le pontificat de François

Dans le pro­lon­ge­ment de sa Lettre, Benoît XVI a créé une Commission pour la Chine au sein de laquelle deux lignes vont s’affronter. La pre­mière pri­vi­lé­gie la récon­ci­lia­tion entre les membres de l’Église chi­noise ; la seconde envi­sage la signa­ture rapide d’un accord entre le Saint-​Siège et les auto­ri­tés chi­noises. Benoît XVI et le car­di­nal Zen estiment que la récon­ci­lia­tion entre membres de l’Église chi­noise est pos­sible, mais que l’accord avec les auto­ri­tés com­mu­nistes est dif­fi­cile car il pré­sup­pose la bonne volon­té de ces der­nières. L’élection du pape François va chan­ger la donne, car le nou­veau pon­tife est plu­tôt par­ti­san d’un accord rapide entre le Saint-​Siège et le régime de Pékin. Dans les années 1960–1980, la Secrétairie d’État avait déjà sui­vi une ligne simi­laire dans ses rela­tions avec les régimes com­mu­nistes d’Europe de l’Est. L’Ostpolitik pro­mue par le car­di­nal Agostino Casaroli (1914–1998) visait à trou­ver un « modus non moriendi—un moyen de ne pas mou­rir » pour l’Église catho­lique pré­sente der­rière le Rideau de Fer. Tandis que la Commission créée par Benoît XVI n’est plus jamais convo­quée, la Secrétairie d’État reprend direc­te­ment contact avec les repré­sen­tants du gou­ver­ne­ment chi­nois. En juin 2014, Mgr Claudio Celli est char­gé d’organiser une Commission mixte qui va se réunir alter­na­ti­ve­ment à Rome et à Pékin. Entre 2015 et 2018, les ren­contres se suc­cèdent pour dis­cu­ter de la nomi­na­tion des évêques, de l’avenir de l’APCC, du sta­tut des évêques illé­gi­times, de la recon­nais­sance des évêques clan­des­tins par le gou­ver­ne­ment. Le BNAR met deux condi­tions à la signa­ture d’un accord : la rup­ture des rela­tions diplo­ma­tiques entre le Saint-​Siège et Taïwan et l’engagement du Saint-​Siège à ne pas inter­ve­nir dans les « affaires internes » de la Chine. Le 22 sep­tembre 2018, le ser­vice de presse du Vatican annonce la signa­ture d’un Accord pro­vi­soire entre la République popu­laire de Chine et le Saint-​Siège. Cet Accord porte sur trois points : la régu­la­ri­sa­tion cano­nique des sept der­niers évêques illé­gi­times, l’érection du nou­veau dio­cèse de Chengde, une nou­velle pro­cé­dure de nomi­na­tion des évêques. Très sen­sible, ce der­nier point reste à ce jour cou­vert par le secret. Dès la signa­ture du texte, la pres­sion du régime sur le cler­gé et les fidèles de l’Église clan­des­tine s’est accrue. Signé pour deux ans, l’Accord pro­vi­soire est arri­vé à terme. On peut s’interroger sur ses effets béné­fiques quand on sait que près de la moi­tié des dio­cèses chi­nois étaient orphe­lins avant l’Accord et le sont toujours…

Sources biblio­gra­phiques :

Source : La Lettre de Saint Florent n°275, bul­le­tin du prieu­ré d’Urmatt