La tradition du second millénaire et saint Joseph

Saint Bernard – Mt 1, 19 : La vénération et l’épreuve de Joseph (St Bernard)

« Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne vou­lait pas la dénon­cer publi­que­ment, réso­lut de la répu­dier sans bruit. » (Matthieu 1, 19)

Mais, pourquoi voulut-​il la renvoyer ?

Écoutez, sur ce point, non pas ma propre pen­sée, mais la pen­sée des Pères :

Si Joseph vou­lut ren­voyer Marie, c’é­tait dans le même sen­ti­ment qui fai­sait dire à Pierre : « Retire-​toi de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur » (Lc 5. 8), et au cen­tu­rion quand il dis­sua­dait le Seigneur de venir chez lui : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit » (Mt 8, 8). Ainsi en était-​il de Joseph qui, se jugeant, lui aus­si, indigne et pécheur, se disait à lui-​même qu’il ne devait pas vivre plus long­temps dans la fami­lia­ri­té d’une femme si par­faite et si sainte, dont l’ad­mi­rable gran­deur le dépas­sait tel­le­ment et lui ins­pi­rait de l’ef­froi. Il voyait avec une sorte de stu­peur à des marques cer­taines qu’elle était enceinte de la pré­sence divine et, comme il ne pou­vait péné­trer ce mys­tère, il avait for­mé le des­sein de la renvoyer.

La gran­deur de la puis­sance de Jésus ins­pi­rait une sorte d’ef­froi à Pierre, comme la pen­sée de sa pré­sence majes­tueuse décon­cer­tait le cen­tu­rion ; ain­si Joseph, n’é­tait que simple mor­tel, se sen­tait éga­le­ment décon­cer­té par la nou­veau­té d’une si grande mer­veille et par la pro­fon­deur d’un pareil mys­tère ; voi­là pour­quoi il son­gea à ren­voyer secrè­te­ment Marie.

Faut-​il vous éton­ner que Joseph se soit trou­ver indigne de la socié­té de la Vierge deve­nue enceinte, quand on sait que sainte Elisabeth ne put sup­por­ter sa pré­sence sans une sorte de crainte mêlée de res­pect ? En effet :« D’où me vient, s’écria-​t-​elle, ce bon­heur, que la mère de mon Seigneur vienne chez moi ? » (Lc 1, 43).

Saint Bernard,

In Laudibus Virginis Matris, Homelia II, 14.

Mais pour­quoi en secret et non au grand jour ? S’il avait dit son sen­ti­ment et la preuve qu’il s’é­tait faite de la pure­té de Marie, les gens ne l’auraient-​ils pas tour­né en déri­sion et n’auraient-​ils pas lapi­dé Marie ? Comment auraient-​ils cru en la Vérité encore muette au sein mater­nel ? Que n’auraient-​ils pas fait au Christ encore invi­sible ? C’est donc avec rai­son que cet homme juste, pour n’être pas réduit à men­tir ou à expo­ser au blâme une inno­cente, vou­lait en secret ren­voyer Marie.

Saint Bernard, Deuxième homélie « Super Missus », § 14.

Joseph a‑t-​il dou­té de Marie ? On pour­rait sans doute être d’un autre avis et sou­te­nir que Joseph eut les soup­çons natu­rels à tout homme, mais que dans sa droi­ture il refu­sa d’ha­bi­ter avec une per­sonne sus­pecte ; mais que, par bon­té, il s’abs­tint de la dénon­cer, mal­gré ses soup­çons, et que, pour ces rai­sons, il déci­da de l’é­loi­gner en secret.

Je réponds briè­ve­ment : même dans ce cas, le doute de Joseph était néces­saire, puis­qu’il nous a valu la cer­ti­tude appor­tée par une réponse du ciel. Voici ce qui est écrit : « Or tan­dis qu’il for­mait ce des­sein, (savoir : celui de ren­voyer Marie en secret) un ange se mon­tra à lui en songe et dit : Joseph, fils de David, n’aie pas peur de prendre chez toi Marie pour épouse, car ce qui en elle est né, vient de l’Esprit Saint » (Mt 1, 20).

Saint Thomas d’Aquin – Le Christ devait-​il naître d’une fiancée ?

Les articles de saint Thomas1 répondent à une ques­tion (celle du titre), et com­mencent par des « objec­tions ». Ensuite, il cite l’Evangile et donne réponse à la ques­tion posée. A la fin, il donne des « solu­tions » aux objections.

Objections :

1. Les fian­çailles sont ordon­nées à l’acte du mariage. Mais la Mère du Seigneur n’a jamais vou­lu user du mariage parce qu’elle aurait ain­si déro­gé à sa vir­gi­ni­té spirituelle.

2. Que le Christ soit né d’une vierge, ce fut un miracle. Aussi S. Augustin écrit-​il : » La ver­tu même de Dieu a fait sor­tir les membres d’un enfant à tra­vers le sein vir­gi­nal de sa mère invio­lée, comme plus tard elle fera entrer les membres d’un adulte par des portes closes. Si l’on en cherche une rai­son, la mer­veille s’é­va­nouit ; si l’on veut y trou­ver un exemple, ce n’est plus un cas unique. » Mais les miracles ont pour but de confir­mer la foi et c’est pour­quoi ils doivent être évi­dents. Donc, puisque les fian­çailles auraient obs­cur­ci ce miracle, il ne semble pas que le Christ naquit d’une fiancée.

3. D’après S. Jérôme le mar­tyr S. Ignace donne de ces fian­çailles le motif sui­vant : » Pour que son enfan­te­ment soit caché au diable, parce que celui-​ci le croi­rait engen­dré non d’une vierge mais d’une épouse. » Mais ce motif semble sans aucune valeur. D’abord parce que le diable connaît, grâce à sa pers­pi­ca­ci­té, tout ce qui concerne les corps. En outre, les démons ont plus tard quelque peu connu le Christ par de nom­breux signes évi­dents. On lit ain­si (Mc 1,23) » Un homme pos­sé­dé de l’es­prit impur s’é­cria « Que nous veux-​tu, Jésus de Nazareth ? Es-​tu venu avant le temps pour nous perdre ? je sais qui tu es : le Saint de Dieu. » » Il ne parait donc pas que la Mère de Dieu ait été fiancée.

4. S. Jérôme indique un autre motif : » Pour qu’elle ne soit pas lapi­dée par les juifs comme adul­tère. » Mais ce motif paraît sans valeur, car si elle n’a­vait pas été fian­cée, elle n’au­rait pas pu être condam­née pour adul­tère. Ainsi ne paraît-​il pas ration­nel que le Christ naquît d’une vierge fian­cée. (Somme Théologique, III Qu.29 a.1)

En sens contraire, on lit chez S. Matthieu (Mt 1,18): « Marie, la mère de Jésus, était fian­cée à Joseph. » Et chez S. Luc (Lc 1,26): « L’ange Gabriel fut envoyé à Marie, une vierge fian­cée à un homme appe­lé Joseph. »

Réponse : Il conve­nait que la vierge dont le Christ devait naître fût fian­cée, à cause du Christ lui-​même, à cause de sa mère et à cause de nous.

A cause du Christ

  1. Afin qu’il ne soit pas reje­té par les infi­dèles comme un enfant illé­gi­time. « Qu’aurait-​on pu repro­cher aux Juifs et à Hérode, demande S. Ambroise s’ils avaient per­sé­cu­té un enfant appa­rem­ment né de l’adultère ? »
  2. Afin que l’on pût dres­ser la généa­lo­gie du Christ, selon l’u­sage, en ligne mas­cu­line. Ce qui fait dire à S. Ambroise : « Celui qui est venu dans le monde est décrit à la manière du monde. On recherche l’homme à qui doivent échoir, au Sénat ou dans les autres assem­blées, les hon­neurs dus à une famille. C’est le même usage qu’at­testent les Écritures, en recher­chant tou­jours l’o­ri­gine d’un homme. »
  3. Afin de pro­té­ger le nouveau-​né contre les attaques que le diable aurait lan­cées contre lui avec plus de vio­lence. Et c’est pour­quoi S. Ignace sou­tient qu’elle fut fian­cée « afin que son enfan­te­ment fût caché au diable ».

En outre, cela convenait à l’égard de la Vierge elle-même.

- 1 Elle échap­pait ain­si au châ­ti­ment « afin de ne pas être lapi­dée par les juifs comme adul­tère » selon S. Jérôme.

- 2 Elle était ain­si pro­té­gée contre le déshon­neur, ce qui fait dire à S. Ambroise : « Elle a été fian­cée pour sous­traire au stig­mate infa­mant d’une vir­gi­ni­té per­due celle dont la gros­sesse aurait sem­blé faire écla­ter la déchéance. »

- 3 « Pour mon­trer l’aide que lui appor­ta S. Joseph », dit S. Jérôme.

Cela convenait aussi en ce qui nous concerne.

- 1 Parce que le témoi­gnage de Joseph atteste que le Christ est né d’une vierge, comme le remarque S. Ambroise : « Personne ne témoigne avec plus d’au­to­ri­té de la pudeur d’une femme que son mari qui pour­rait res­sen­tir l’in­jure et ven­ger l’af­front s’il n’a­vait recon­nu là un mystère. »

- 2 Parce que les propres paroles de la Vierge affir­mant sa vir­gi­ni­té en reçoivent plus de cré­dit. S. Ambroise le dit aus­si : « Cela donne plus de poids aux paroles de Marie et enlève tout motif de men­songe. Car une vierge qui aurait été enceinte sans être mariée aurait vou­lu voi­ler sa faute par un men­songe. Fiancée, elle n’a­vait aucune rai­son de men­tir puisque, pour les femmes, la fécon­di­té est la récom­pense du mariage et le bien­fait des noces. » Ces deux motifs viennent confir­mer notre foi.

- 3 Pour enle­ver toute excuse aux vierges qui, par leur impru­dence, n’é­vitent pas le déshon­neur. Ce que dit encore S. Ambroise : « Il ne conve­nait pas de lais­ser aux vierges dont la conduite a mau­vaise répu­ta­tion le pré­texte et l’ex­cuse de voir dif­fa­mée jus­qu’à la Mère du Seigneur. »

- 4 Parce qu’il y avait là un sym­bole de toute l’Église qui, » bien que vierge, a été fian­cée à un unique époux, le Christ « , dit S. Augustin.

- On peut encore ajou­ter une cin­quième rai­son à ce que la Mère du Seigneur fût une vierge fian­cée : en sa per­sonne sont hono­rés et la vir­gi­ni­té et le mariage, contre les héré­tiques qui rabaissent l’un ou l’autre.

Solutions [des objections] :

1. Il faut croire que la Bienheureuse Vierge Mère de Dieu a vou­lu se fian­cer par une impul­sion secrète du Saint-​Esprit. Comptant sur le secours divin pour n’a­voir jamais à s’u­nir char­nel­le­ment, elle a cepen­dant remis cela à la déci­sion divine, si bien que sa vir­gi­ni­té n’a subi aucune atteinte.

2. Comme dit S. Ambroise, « le Seigneur a pré­fé­ré lais­ser cer­tains mettre en doute son ori­gine plu­tôt que la pure­té de sa mère. Il savait com­bien est déli­cate la pudeur d’une vierge et fra­gile son renom de pure­té, et il n’a pas jugé devoir éta­blir la véri­té de son ori­gine en fai­sant mal juger sa mère ». Il faut pour­tant savoir que par­mi les miracles de Dieu, cer­tains sont de foi comme celui de l’en­fan­te­ment vir­gi­nal et celui de la résur­rec­tion du Seigneur, et aus­si celui du sacre­ment de l’au­tel. Et c’est pour­quoi le Seigneur a vou­lu qu’ils soient plus cachés afin qu’on ait plus de mérite à y croire. Mais cer­tains miracles ont pour but de confir­mer la foi, et ceux-​là doivent être manifestes.

3. Comme dit S. Augustin, le diable a par nature une grande puis­sance, mais celle-​ci est empê­chée par la puis­sance divine. Et ain­si peut-​on dire que si, par la puis­sance de sa nature, le diable pou­vait savoir que la Mère de Dieu n’a­vait pas été souillée mais était demeu­rée vierge, Dieu l’empêchait de connaître le mode de l’en­fan­te­ment divin. Que par la suite le diable ait pu décou­vrir que Jésus était le Fils de Dieu, cela ne s’y oppose pas, parce qu’il était temps alors pour le Christ de mon­trer sa puis­sance contre le diable et de subir la per­sé­cu­tion sou­le­vée par celui-​ci. Aussi S. Léon dit-​il : « Les mages trou­vèrent Jésus petit comme un enfant, ayant besoin de l’aide d’au­trui, inca­pable de par­ler, bref ne dif­fé­rant en rien de tous les autres enfants des hommes. » Cependant S. Ambroise semble appli­quer cela plu­tôt aux membres du diable. En effet, après avoir don­né ce motif : de trom­per le prince de ce monde, il ajoute : « Mais il a plus encore trom­pé les princes de ce monde. Car la nature des démons par­vient à péné­trer même les choses cachées, mais ceux qui sont absor­bés par les vani­tés de ce monde ne peuvent connaître les réa­li­tés divines. »

4. Selon la loi, le châ­ti­ment des adul­tères, c’est-​à-​dire la lapi­da­tion était infli­gée non seule­ment à la femme déjà fian­cée ou mariée, mais encore à la vierge gar­dée dans la mai­son pater­nelle en atten­dant le mariage. Aussi est-​il écrit (Dt 22,20): « Si une jeune fille n’a pas été trou­vé vierge, elle sera lapi­dée par les gens de la cité et elle mour­ra, parce qu’elle a com­mis une infa­mie en Israël, en se pros­ti­tuant dans la mai­son de son père. » Ou bien l’on peut dire que la Bienheureuse Vierge était de la race d’Aaron, d’ou sa paren­té avec Élisabeth notée par Luc (Lc 1,36). Or la vierge de race sacer­do­tale, quand elle se désho­no­rait, était mise à mort selon le Lévitique (Lv 21,9): « Si la fille d’un prêtre est sur­prise à se pros­ti­tuer et désho­nore le nom de son père, elle sera brû­lée. » Certains rat­tachent la parole de S. Jérôme à cette lapi­da­tion pour déshonneur.

Joseph : un maître pour l’oraison – Ste Thérèse d’Avila2

Je pris pour avo­cat et maître le glo­rieux saint Joseph et je me recom­man­dai beau­coup à lui.

De cette détresse comme d’autres plus graves, où l’hon­neur et l’âme étaient en dan­ger, je vis clai­re­ment mon père et Seigneur me tirer avec plus de pro­fit que je ne savais lui en deman­der. Je n’ai pas sou­ve­nir, jus­qu’à ce jour, de l’a­voir jamais sup­plié de m’ac­cor­der quelque chose qu’il m’ait refu­sé. (Sainte Thérèse d’Avila, auto­bio­gra­phie VI, 6.)

Les grandes faveurs que Dieu m’a faites par l’in­ter­mé­diaire de ce bien­heu­reux saint sont chose stu­pé­fiante, ain­si que les périls dont il m’a sau­ve­gar­dée, corps et âme : il sem­ble­rait que le Seigneur a don­né à d’autres saints le pou­voir de nous secou­rir dans cer­tains cas, mais l’ex­pé­rience m’a prou­vé que ce glo­rieux saint nous secourt en toutes cir­cons­tances ; le Seigneur veut ain­si nous faire entendre que de même qu’Il fut sou­mis sur terre à celui qu’on appe­lait son père, qui était son père nour­ri­cier, et qui à ce titre pou­vait lui com­man­der, il fait encore au ciel tout ce qu’il lui demande. D’autres per­sonnes à qui j’ai conseillé de se recom­man­der à lui ont fait, elles aus­si, la même expé­rience ; et encore aujourd’­hui nom­breux sont ceux dont la fer­veur à son égard est renou­ve­lée par l’ex­pé­rience de cette véri­té. (Sainte Thérèse d’Avila, auto­bio­gra­phie VI, 6.)

Joseph : un maître pour pro­gres­ser dans la ver­tu et l’oraison.

Jamais je n’ai connu quel­qu’un qui ait pour lui une sin­cère dévo­tion et le serve tout par­ti­cu­liè­re­ment sans mieux pro­gres­ser dans la vertu […]

Depuis plu­sieurs années, ce me semble, que je lui demande quelque chose le jour de sa fête, il m’a tou­jours exau­cée ; lorsque ma demande n’est pas tout à fait juste, il la redresse, pour mon plus grand bien. […]

Les per­sonnes d’o­rai­son, en par­ti­cu­lier, devraient tou­jours s’at­ta­cher à lui ; car je ne sais com­ment on peut pen­ser à la Reine des Anges au temps qu’elle vécut auprès de l’en­fant Jésus, sans remer­cier saint Joseph de les avoir si effi­ca­ce­ment aidés. Que ceux qui ne trou­ve­raient pas de maître pour leur ensei­gner l’o­rai­son prennent pour maître ce glo­rieux saint, et ils ne s’é­ga­re­ront pas en che­min.3

[1]

Saint Joseph et saint Jean de la Croix

Le couvent de Los Martires est situé près de Alhambra, dont il est sépa­ré par une petite gorge. Jean de la Croix y est nom­mé prieur dans les années 1582–1585.

Une « apparition » de saint Joseph :

Un jour, Jean ne peut pas se rendre confes­ser les déchaus­sées et il envoie le père Pierre et le père Evangéliste. En che­min, « un homme vint à leur ren­contre. Il est de bonne taille, de teint clair et rose et il a les che­veux blancs. Il paraît âgé de 50 ans. Il porte un habit noir et son aspect est véné­rable. Il les séparent et se met­tant au milieu d’eux, il leur demande d’où ils viennent.

- « des reli­gieuses déchaus­sées », répond le père Pierre.

L’homme mys­té­rieux répond :

- « Vos révé­rences ont rai­son de s’occuper d’elles, car dans cet ordre on plait beau­coup à notre Seigneur. Sa Majesté l’estime beau­coup et cela ira en aug­men­tant. » Il leur demande à nou­veau : « Pères, pour quelle rai­son a‑t-​on dans votre ordre une si grande dévo­tion à saint Joseph ? »

- « Notre sainte Mère de Jésus, répond le père Pierre, lui était très dévote, parce qu’elle avait obte­nu du Seigneur bien des choses. Pour cette rai­son, elle a pla­cé les mai­sons qu’elle a fon­dées sous le titre de saint Joseph. »

- « Et il y a une autre faveur, réplique le per­son­nage. Regardez mon visage et ayez une grande dévo­tion pour ce saint ; il n’y aura chose que vous lui deman­diez sans l’obtenir. »

Les déchaus­sés ne le voient plus. Ils racontent au prieur ce qui leur est arri­vé. Frère Jean de la Croix ne montre aucun éton­ne­ment et leur dit :

« Taisez-​vous, vous ne l’avez pas recon­nu. Sachez que c’était saint Joseph. Vous deviez vous age­nouiller devant le saint. Il ne vous est pas appa­ru pour vous mais pour moi. Je ne lui étais pas aus­si dévot que j’aurais dû, mais je le serai dorénavant. »

Paternité de Joseph et pater­ni­té de saint Jean de la Croix : [La pré­sence de saint Joseph se mani­feste à tra­vers les dons pro­vi­den­tiels à la bonne heure quand la table est vide et que l’intendant veut aller men­dier… saint Joseph a cer­tai­ne­ment influen­cé la manière dont saint Jean de la croix exer­çait son rôle de prieur et père spi­ri­tuel, lui sug­gé­rant la misé­ri­corde dans la jus­tice, la confiance dans les autres, la dis­cré­tion et le res­pect, la bon­té et la patience, l’attention aux peines des autres. Ces petits récits en témoignent : ]

Jean de la Croix repre­nait les fautes des frères, et par­fois don­nait une péni­tence, qui consis­tait à cette époque en la dis­ci­pline des verges. Quand le péni­tent se met à genoux devant lui pour bai­ser son sca­pu­laire, et lui deman­der la béné­dic­tion, il lui met les bras autour du cou l’aide à se rele­ver et lui dit d’une voix douce : « Que Dieu vous par­donne ! Pourquoi ne faites-​vous pas attention ? »

Jean de la Croix ne contrôle pas tous les actes de ses sujets, il ne s’immisce pas dans les charges qu’il a confiées à cha­cun et ne va pas espion­ner dans les dépendances.

Il arrive qu’un sujet se rebelle et se mette en colère en répon­dant au prieur qu’il est un igno­rant. Frère Jean de la Croix ôte hum­ble­ment son capu­chon, se pros­terne, met la bouche par terre et reste ain­si jusqu’à ce que le jeune exal­té cesse de par­ler. Puis Jean de la Croix se relève et baise son sca­pu­laire en disant : « que se soit pour l’amour de Dieu. » Alors le reli­gieux est confus et repentant.

Augustin, un frère convers était de mau­vaise san­té, et il avait tel­le­ment peur de ne pas être accep­té dans la com­mu­nau­té. Le prieur Jean de la croix accé­lère les choses : « rece­vons la pro­fes­sion de frère Augustin ! »

[1] Extraits de : Crisogono de Gesù, Jean de la Croix, sa vie, Cerf, Paris 1982, p. 235–245 ; Synthèse F. Breynaert.

Joseph, bienheureux amour virginal ! – Bossuet (1627–1704)

« Vous voyez la digni­té de Marie, en ce que sa vir­gi­ni­té bien­heu­reuse a été choi­sie dès l’é­ter­ni­té pour don­ner Jésus-​Christ au monde ; et vous voyez la digni­té de Joseph, en ce que cette pure­té de Marie, qui a été si utile à notre nature, a été confiée à ses soins et que c’est lui qui conserve au monde une chose si néces­saire. O Joseph […] Votre pure­té est deve­nue en quelque sorte néces­saire au monde, par la charge glo­rieuse qui lui est don­née de gar­der celle de Marie. »

J. – B. Bossuet, Sermons sur saint Joseph, DMM, Bouère, 1997, p. 17

« Toute la fidé­li­té de ce mariage consiste à gar­der la vir­gi­ni­té. Voilà les pro­messes qui les assemblent, voi­là le trai­té qui les lie. »

J. – B. Bossuet, Sermons sur saint Joseph, DMM, Bouère, 1997, p. 19

« Qui pour­rait vous dire quel devait être l’a­mour conju­gal de ces bien­heu­reux mariés ? Car ô sainte vir­gi­ni­té, vos flammes sont d’au­tant plus fortes qu’elles sont plus pures et plus déga­gées ; et le feu de la convoi­tise, qui est allu­mé dans nos corps, ne peut jamais éga­ler l’ar­deur des chastes embras­se­ments des esprits que l’a­mour de la pure­té lie ensemble. »

J. – B. Bossuet, Sermons sur saint Joseph, DMM, Bouère, 1997, p. 19–20

St Joseph, trésor de diplomatie – Bienheureuse Maria Repetto (1807–1890)

La bienheureuse Maria Repetto (1807–1890), religieuse responsable de la porterie dans l’ordre des Brignolines, invoquait saint Joseph.

Il est facile d’ou­vrir une porte, mais dif­fi­cile d’être bonne por­tière dans une mai­son reli­gieuse, car il s’a­git de jouer le rôle d’in­ter­mé­diaire entre la vie du couvent et celle du monde exté­rieur. La por­tière veille à ne rien lais­ser pas­ser d’in­con­ve­nant à l’in­té­rieur. En revanche, elle apporte aux gens du dehors récon­fort et secours spi­ri­tuels. Il lui est donc néces­saire d’u­ser de diplo­ma­tie, et soeur Maria recourt à saint Joseph comme au patron des diplomates. […]

À sa manière, soeur Maria Repetto imite l’exemple de saint Joseph. Elle reçoit les gens avec bonne grâce et affa­bi­li­té, ne lais­sant jamais quel­qu’un par­tir sans une bonne parole, un conseil ou une recom­man­da­tion spi­ri­tuelle. Elle se montre d’une grande sim­pli­ci­té, ave­nante mais réser­vée dans ses paroles. Une sorte d’at­trait émane de son main­tien qui invite à la confiance et au respect.

Tout angé­lique que soit sa patience, elle ne lui est pour­tant pas natu­relle. Elle-​même répète : « Il faut aller à contre-​courant », grâce à la prière et au sacri­fice. En dépit des impo­li­tesses, des orages et des peines, elle s’ap­plique à conser­ver le sou­rire. Tous les jours, ce sont dix ou vingt per­sonnes qui sonnent, mais la der­nière la trouve aus­si aimable que la première.

St Joseph, le plus grand saint – Garrigou Lagrange (1877–1964)

Prééminence de saint Joseph sur tout autre saint. Saint Joseph, plus grand des saints, une doctrine commune :

La doc­trine selon laquelle saint Joseph, après Marie, a été et est tou­jours plus uni à Notre-​Seigneur que tout autre saint tend à deve­nir de plus en plus une doc­trine com­mu­né­ment reçue dans l’Église. Elle ne craint pas de décla­rer l’humble char­pen­tier supé­rieur en grâce et en béa­ti­tude aux Patriarches, à Moïse, le plus grand des pro­phètes, à saint Jean-​Baptiste, et aus­si aux Apôtres, à saint Pierre, à saint Jean, à saint Paul, à plus forte rai­son supé­rieur en sain­te­té aux plus grands mar­tyrs et aux plus grands doc­teurs de l’Église.

Cette doc­trine a été ensei­gnée par Gerson, par saint Bernardin de Sienne. Elle devient de plus en plus cou­rante à par­tir du XVIe siècle : elle est admise par sainte Thérèse, par saint François de Sales, par Suarez, plus tard par saint Alphonse de Liguori et beau­coup d’autres.

L’union conjugale s’accompagne de la communication des biens entre Marie et Joseph :

Enfin S. S. Léon XIII, dans l’encyclique Quanmquam plu­ries, a écrit : « Certes, la digni­té de Mère de Dieu est si haute qu’il ne peut être créé rien au-​dessus. Mais comme Joseph a été uni à la bien­heu­reuse Vierge par le lien conju­gal, il n’est pas dou­teux qu’il ait appro­ché, plus que per­sonne, de cette digni­té sur­émi­nente par laquelle la Mère de Dieu sur­passe de si haut toutes les autres créa­tures. L’union conju­gale est en effet la plus grande de toutes ; à rai­son de sa nature même, elle s’accompagne de la com­mu­ni­ca­tion réci­proque des biens des deux époux. Si donc Dieu a don­né à la Vierge Joseph comme époux, bien cer­tai­ne­ment il ne le lui a pas seule­ment don­né comme sou­tien dans la vie, comme témoin de sa vir­gi­ni­té, gar­dien de son hon­neur, mais il l’a fait aus­si par­ti­ci­per par le lien conju­gal à l’éminente digni­té qu’elle avait reçue. »

Une mission exceptionnelle requiert une sainteté exceptionnelle :

Le prin­cipe géné­ral par lequel la théo­lo­gie, expli­quant la révé­la­tion, montre quelle devait être, dès ici-​bas, la plé­ni­tude de grâce créée en la sainte âme du Sauveur, quelle devait être la sain­te­té de Marie et aus­si la foi des Apôtres, repose sur la mis­sion divine excep­tion­nelle qu’ils avaient reçue, mis­sion qui deman­dait une sain­te­té pro­por­tion­née. Il y a quelque chose de sem­blable pour saint Joseph.

On sai­sit mieux la véri­té et l’importance de ce prin­cipe révé­lé et de soi évident, en consi­dé­rant par contraste ce qui arrive trop sou­vent dans la direc­tion des choses humaines. Il n’est pas rare que des inca­pables et des impré­voyants y occupent de très hautes fonc­tions, au grand détri­ment de ceux qu’ils gou­vernent. Mais enfin le désordre est le désordre, l’insuffisance est l’insuffisance, et il ne sau­rait se trou­ver rien de pareil en ceux qui sont immé­dia­te­ment choi­sis par Dieu lui-​même, et pré­pa­rés direc­te­ment par lui, pour être ses ministres excep­tion­nels dans l’œuvre de la rédemption.

Extraits de : Garrigou- Lagrange, La Vie Spirituelle, t.19, pp. 662–683

Sainte Thérèse de Lisieux et Saint Joseph, Père et protecteur des Vierges

Dans le Manuscrit A, ( Ms A 57v°), sainte Thérèse nous parle de sa dévo­tion à Saint Joseph, toute liée à celle qu’elle porte à la Vierge Marie. Thérèse est en route pour l’Italie. La pre­mière étape de ce voyage est Paris et Notre Dame des Victoires.

« Je sup­pliai encore Notre Dame des Victoires d’éloigner de moi tout ce qui aurait pu ter­nir ma pure­té, je n’ignorai pas qu’en un voyage comme celui d’Italie, il se ren­con­tre­rait bien des choses capables de me trou­bler, sur­tout parce que je ne connais­sais pas le mal je crai­gnais de le décou­vrir, n’ayant pas expé­ri­men­té que tout est pur pour les purs et que l’âme simple et droite ne voit de mal à rien, puisqu’en effet le mal n’existe que dans les cœurs impurs et non dans les objets insensibles…Je priai aus­si Saint Joseph de veiller sur moi ; depuis mon enfance, j’avais pour lui une dévo­tion qui se confon­dait avec mon amour pour la Sainte Vierge. Chaque jour, je réci­tais la prière : « Ô St Joseph père et pro­tec­teur des Vierges », aus­si ce fut sans crainte que j’entrepris mon loin­tain voyage, j’étais si bien pro­té­gée qu’il me sem­blait impos­sible d’avoir peur. »

Sainte Thérèse de Lisieux, Histoire d’une âme, cha­pitre III, Ms A, 56v° ‑57r°
  1. St Thomas d’Aquin, Somme Théologique q 29, a 1 []
  2. Sainte Thérèse d’Avila, Oeuvres com­plètes, Desclée de Brouwer, Paris 1995, p. 39–41 ; Synthèse F. Breynaert. []
  3. Sainte Thérèse d’Avila, auto­bio­gra­phie VI, 7–8. []