Saint Joseph, sans l’ombre d’un doute

Le songe de saint Joseph, par Raphaël Anton Mengs

Durant toute cette année 2021, nous sommes invi­tés à prier spé­cia­le­ment l’époux de la Vierge Marie, le père puta­tif de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Cette année marque en effet les 150 ans de la pro­cla­ma­tion par le pape Pie IX de Saint Joseph comme Patron de l’Église universelle.

La sain­te­té émi­nente de saint Joseph se mani­feste tout de suite lorsque son nom appa­raît dans l’Évangile de saint Mathieu. La situa­tion est déli­cate : Marie est enceinte avant qu’ils n’aient habi­té ensemble. Joseph se résout à la ren­voyer secrè­te­ment pour ne pas la dif­fa­mer. Cette réso­lu­tion semble cepen­dant ne pas le satis­faire puisqu’il conti­nue à s’entretenir de cette pen­sée, comme quelqu’un dont la déci­sion n’est pas encore ferme. C’est un ange qui vient le tirer de sa perplexité :

« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ton Épouse ; car ce qui est né en Elle vient du Saint-​Esprit. Elle enfan­te­ra un fils, et tu Lui don­ne­ras le nom de Jésus ; car Il sau­ve­ra Son peuple de ses péchés ».

Quelle ver­tu faut-​il admi­rer ici dans l’attitude de saint Joseph ? Pour répondre, il faut com­prendre pour­quoi il est sai­si de crainte.

Saint Joseph ignorait-​il l’intervention divine en Marie, et dès lors la soupçonnait-​il de quelque faute ? Ou du moins, sans faute de sa part mais sou­mise à une vio­lence, pensait-​il qu’elle avait per­du sa vir­gi­ni­té ? En ce cas, dans sa déci­sion de ren­voyer en secret la Mère du Sauveur, il fau­drait admi­rer en lui la vic­toire de l’esprit de dou­ceur sur la jalou­sie. Douceur que Jésus com­men­çait à répandre dans le monde contre la jalou­sie qui est « dure comme l’enfer »((Cant. 8, 6)), et qui conduit à des excès sou­vent extrêmes((d’après Bossuet, Elévations à Dieu sur tous les mys­tères, 16e semaine, 1re élévation)).

Une telle inter­pré­ta­tion fait cepen­dant pla­ner une ombre sur la jus­tice de saint Joseph, et laisse des ques­tions sans réponse. Car s’il avait cru Marie cou­pable, il n’au­rait pas alors été un juste obser­va­teur de la Loi de Dieu, en vou­lant la sous­traire au juge­ment pré­vu par le Deutéronome ; s’il l’avait cru vio­len­tée, alors rien dans la Loi ne l’o­bli­geait à la répu­dier et c’eût été à son égard le contraire de la jus­tice, de la bon­té, de la ren­voyer, même en secret.

Mais alors, que craignait-​il ? Saint Bernard nous donne une lumi­neuse explication((2e Sermon sur le Missus est)). Loin d’ignorer l’intervention divine en celle dont il connaît la ver­tu par­faite, il la recon­naît et se juge indigne de conti­nuer à côtoyer celle qui était si sin­gu­liè­re­ment favo­ri­sée de Dieu. Lui, Joseph, vivre auprès de deux êtres si saints ? Non, il res­sent trop sa peti­tesse auprès de ces deux gran­deurs incom­pa­rables. Sa réac­tion est celle de l’humilité pro­fonde et de la crainte révé­ren­cielle devant la gran­deur de Dieu et de ses mys­tères dont on trou­ve­ra par la suite d’autres exemples dans l’Évangile :

« Joseph vou­lut la ren­voyer pour la même rai­son qui fai­sait dire à Pierre : « Éloignez-​vous de moi, Seigneur, car je suis un pécheur » (Lc 5, 8) ; et au cen­tu­rion : « Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit » (Mt 8, 8) ».

Saint Bernard, 2e Sermon sur le Missus est

Pourquoi agir en secret ? Parce qu’il se doute bien qu’ils sont peu nom­breux ceux qui, comme sainte Élisabeth((« Élisabeth ne put sou­te­nir sa sainte pré­sence sans être sai­sie de crainte et de res­pect. « D’où m’est-​il don­né, s’écria-​t-​elle, que la mère de mon Seigneur vienne à moi » (Lc 1, 43) ?.)), sau­ront recon­naître en Marie l’œuvre de Dieu. Plus tard, les mêmes hommes qui auront eu les preuves de son ensei­gne­ment sublime et de ses miracles écla­tants n’hésiteront pas à cru­ci­fier Jésus. Qu’en aurait-​il été alors à ce moment où le Christ muet dans le sein de sa mère ne pou­vait témoi­gner ? Les contem­po­rains de Joseph auraient pro­ba­ble­ment lapi­dé la Vierge sans autre forme de procès.

Quel est alors le mes­sage de l’ange ? Non pas d’apprendre à saint Joseph ce qu’il savait déjà (l’intervention divine en Marie), mais de lui confir­mer la mis­sion que par humi­li­té il ne vou­lait pas déduire lui-​même des liens qui l’unissaient à la Mère de Dieu : c’est lui le chef de la Sainte Famille. Qu’il se sou­mette à cet ordre natu­rel vou­lu par Dieu pour la socié­té fami­liale dont la Sainte Famille doit être le modèle ! Et l’ange de signi­fier à saint Joseph que confor­mé­ment à la Loi, c’est bien lui qui don­ne­ra à l’Enfant-Dieu son nom, rôle rele­vant de l’autorité pater­nelle. Obéissant à la volon­té divine bien qu’elle soit contraire à son pre­mier sen­ti­ment, saint Joseph s’exécute : « Il prit chez lui son épouse ».

Admirons-​là en saint Joseph l’humilité et l’obéissance, la sou­mis­sion à l’ordre juste vou­lu par Dieu pour la socié­té fami­liale, que le pape Pie XII don­ne­ra en exemple aux pères de familles :

Suivez l’exemple de saint Joseph. Il contem­plait devant lui la très sainte Vierge, meilleure, plus sainte et plus éle­vée que lui ; un sou­ve­rain res­pect lui fai­sait véné­rer en elle la Reine des anges et des hommes, la Mère de son Dieu ; et pour­tant il res­tait à son poste de chef de famille et ne négli­geait aucune des obli­ga­tions que lui impo­sait ce titre. 

Pie XII, Discours aux jeunes époux, 10 sep­tembre 1941

En ces temps où la famille est tel­le­ment atta­quée, et où le rôle du père est tout par­ti­cu­liè­re­ment remis en cause, voi­là une bonne rai­son de vous confier à la pro­tec­tion du chef de la Sainte Famille !