Une vidéo postée le 15 mars sur Internet, nouvel opus d’une série faite pour faire réfléchir chaque jour du Carême, aborde en 5 minutes 50 secondes la difficile question des enfants morts sans baptême.
Après nous avoir expliqué que le péché originel, finalement, n’était pas un péché, cette vidéo présente comme la plus admise aujourd’hui et quasi certaine l’opinion selon laquelle il faut espérer le salut pour les enfants morts sans baptême.
On ne pourrait qu’admirer la vitesse à laquelle certaines idées se diffusent si elles n’étaient pas dangereuses. Fin 2017, Dom Pateau, père abbé de Fontgombault, faisait paraître une étude (Le salut des enfants morts sans baptême) qui admettait en 4e de couverture apporter quelque chose de nouveau face à « l’affirmation traditionnelle des limbes ». Deux ans plus tard, ce nouveau est devenu quasi certain.
Vitesse et précipitation
De sérieux arguments lui furent opposés, par quelqu’un du même bord pourtant : le frère Joseph-Marie Gilliot dans la revue Sedes Sapientiæ. Ont-ils reçu réponse ? Nous n’en savons rien, mais ils sont de valeur et sa conclusion était claire bien qu’exprimée avec retenue : « Les arguments proposés par Dom Pateau ne sont donc pas suffisamment ancrés dans le donné révélé pour emporter l’adhésion ».
Il avait objecté que le livre du père abbé présente sans sourciller des thèses contestables, citant sans mise en garde un théologien très moderne comme le père de Lubac, condamné en son temps (il fut interdit d’enseignement).
Des arguments insuffisants
Il avait souligné l’insuffisance des arguments apportés. Par exemple, sur la citation de saint Paul à Timothée : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés », la seule étymologie invite à réfléchir puisque le verbe grec employé est thelô (dont le sens comporte l’idée d’un désir conditionnel) et non boulomai (qui exprime davantage une décision pure et simple). En conséquence, il faut lire (avec saint Thomas) ce passage de saint Paul non comme une formule absolue, mais « en tenant compte de toute l’économie réelle choisie par Dieu pour communiquer le salut aux hommes ».
Cette économie réelle, l’Église l’a toujours comprise pour les petits enfants comme passant nécessairement par le baptême, comme l’affirmait le concile de Florence : « Au sujet des enfants, en raison du péril de mort qui peut souvent se rencontrer, comme il n’est pas possible de leur porter secours par un autre remède que par le sacrement du baptême, par lequel ils sont arrachés à la domination du diable et sont adoptés comme enfants de Dieu, elle avertit qu’il ne faut pas différer le baptême pendant quarante ou quatre-vingts jours ou une autre durée, comme font certains, mais qu’il doit être conféré le plus tôt qu’il sera commodément possible, mais de telle sorte que, s’il y a péril de mort immédiat, ils soient baptisés sans aucun délai ». ?
D’ailleurs, remarque un autre théologien, l’abbé Michel, s’il fallait appliquer sans discernement à tous le principe de l’universalité de la rédemption, personne ne serait damné. Or, le concile de Trente nous dit : « Bien qu’il [le Christ] soit mort pour tous (2 Co 5, 15), tous néanmoins ne reçoivent pas le mérite de sa mort ».
Pétition de principe
Autre exemple de faiblesse théologique selon le frère dominicain, lorsqu’on s’appuie sur la bonté de Dieu (qui n’est pas contestable, entendons-nous bien) pour appuyer cette thèse du salut des enfants morts sans baptême : Dieu est bon, donc il les accueille au ciel même sans baptême, c’est ce qui convient à sa bonté. Le problème est qu’un argument de convenance intervient a posteriori pour manifester la sagesse du donné révélé (par exemple, l’Incarnation une fois révélée, on peut montrer que cela convient à la bonté de Dieu). Mais il n’est pas matière à un argument théologique pour une thèse non révélée (on ne pourrait déduire l’Incarnation de la bonté divine, si ce mystère ne nous avait pas été révélé). Justement, ce salut des enfants morts sans baptême, loin d’être une thèse révélée, a plutôt contre lui la tradition.
Sur ce point, que peut-on avancer ? que Dieu est bon, donc … rien : « Il convient d’observer un silence d’adoration sur les dispositions que Dieu a tenues cachées. Sans quoi le risque est grand de perdre le sens de la transcendance de Dieu en se forgeant de la miséricorde divine une idée trop conforme à nos désirs humains ».
Risque pastoral
Enfin, le frère Joseph-Marie Gilliot insistait sur le risque pastoral de diffuser de telles idées : dans un temps où en France, seuls 1/3 des enfants sont baptisés à la naissance, toute relativisation de la nécessité du baptême risque d’encourager une désaffection encore plus grande.
La sagesse de l’Église : baptiser sans attendre
Sur cette question d’autant plus difficile à aborder que la disparition d’un enfant est une grande souffrance pour la famille, restons-en à la sagesse du pape Pie XII. S’adressant aux sages-femmes, et leur recommandant de veiller à assurer le baptême aux petits enfants en danger de mort, il leur disait (29 octobre 1951) :
« Dans l’ordre présent, il n’y a pas d’autre moyen [que le baptême] de communiquer cette vie [surnaturelle] à l’enfant qui n’a pas l’usage de la raison. Et cependant, l’état de grâce, au moment de la mort, est absolument nécessaire au salut. Sans cela il est impossible d’arriver à la félicité surnaturelle, à la vision béatifique de Dieu. Un acte d’amour peut suffire à l’adulte pour acquérir la grâce sanctifiante et suppléer à l’absence du baptême. Pour celui qui n’est pas né, ou pour le nouveau-né, cette voie n’est pas ouverte » (Trad. de la Documentation Catholique, 2 déc. 1951, col. 1480).
Que les parents prient pour leur enfant dès sa conception, fassent célébrer des messes pour qu’il puisse recevoir ce sacrement qu’ils ne négligeront pas de lui donner sans délai et sans se laisser endormir et retarder dans leur zèle par de faux prétextes.
Abbé B. Espinasse