Quel était le péché des Sodomites ?

Jusqu’ici, tout le monde pen­sait que les villes de Sodome et Gomorrhe avaient été détruites par Dieu en puni­tion de leur pra­tique homo­sexuelle. C’est pour­quoi dans la langue fran­çaise les termes sodo­mite et homo­sexuel sont qua­si­ment syno­nymes. Or, la Commission biblique pon­ti­fi­cale a récem­ment sou­te­nu une nou­velle exé­gèse : c’est pour n’avoir pas accueilli l’étranger que ces villes ont été punies par Dieu si sévè­re­ment. Que pen­ser d’une telle interprétation ?

1. La Commission biblique pontificale

Rappelons que cet orga­nisme a été fon­dé par le pape Léon XIII en 1902. Le Saint-​Père lui assi­gna une triple fonc­tion : pro­mou­voir les études bibliques chez les catho­liques, réfu­ter les opi­nions erro­nées concer­nant les Saintes Ecritures et étu­dier les ques­tions débat­tues dans le domaine biblique. En 1971, Paul VI fit de cette Commission un organe consul­ta­tif au ser­vice du Magistère et lié à la Congrégation pour la doc­trine de la foi dont le pré­fet est aus­si le pré­sident de la Commission. Se pen­cher sur l’interprétation de la Genèse, expli­quer le péché des Sodomites tel qu’il est racon­té par l’écrivain sacré, relèvent donc par­fai­te­ment du rôle de cette institution.

2. Le récit de la Genèse

Au cha­pitre 19, le texte sacré raconte que deux anges ayant une appa­rence humaine entrèrent à Sodome le soir. Lot, les voyant, les pres­sa de venir loger chez lui. Ils finirent par accep­ter, sou­pèrent chez Lot puis s’apprêtèrent à prendre leur repos. La Sainte Ecriture pour­suit : « Ils n’étaient pas encore cou­chés que des hommes de la ville entou­rèrent la mai­son, jeunes et vieux, tout le peuple. Ils appe­lèrent Lot et lui dirent : “Où sont les hommes qui sont entrés chez toi cette nuit ? Fais-​les sor­tir vers nous, afin que nous les connais­sions” ». Ici le verbe connaître ne désigne pas un acte intel­lec­tuel. Comme l’expliquent les exé­gètes, l’utilisation de ce terme est un euphé­misme sou­vent employé par la Bible pour expri­mer les rap­ports char­nels. Il est écrit par exemple : « Adam connut Eve sa femme, et elle conçut et enfan­ta Caïn »[1]. Le désir des Sodomites est donc ici par­fai­te­ment clair et par suite révol­tant. La suite de l’histoire le confirme.

La Sainte Ecriture pour­suit : « Lot sor­tit de sa mai­son et, ayant fer­mé la porte der­rière lui, il leur dit : “Ne son­gez point, je vous prie, mes frères, ne son­gez point à com­mettre un si grand mal. J’ai deux filles qui sont encore vierges. Je vous les amè­ne­rai : usez-​en comme il vous plai­ra, pour­vu que vous ne fas­siez point de mal à ces hommes-​là, parce qu’ils sont entrés à l’ombre de mon toit”. Mais ils lui répon­dirent : “Retirez-​vous” ». Finalement, devant la vio­lence de ces hommes, Dieu lui-​même inter­vint en les frap­pant de céci­té et les empê­cha ain­si d’arriver à leurs fins.

3. L’interprétation donnée par Rome

Voici ce qu’écrit la Commission biblique pon­ti­fi­cale le 30 sep­tembre 2019 : « Le récit n’en­tend pas pré­sen­ter l’i­mage d’une ville entière domi­née par des convoi­tises incon­trô­lables de nature homo­sexuelle ; il dénonce plu­tôt le com­por­te­ment d’une enti­té sociale et poli­tique qui ne veut pas accueillir l’é­tran­ger avec res­pect, et pré­tend donc l’hu­mi­lier, le for­çant à subir un infâme trai­te­ment de sou­mis­sion. Lot est éga­le­ment mena­cé de la même pra­tique dégra­dante, parce qu’il a pris sous sa res­pon­sa­bi­li­té l’é­tran­ger « qui est venu à l’ombre de son toit » ; et cela révèle la nature du mal moral de la ville de Sodome, qui non seule­ment refuse l’hos­pi­ta­li­té, mais ne sup­porte pas qu’en son sein, quelqu’un ait au contraire ouvert sa mai­son à l’é­tran­ger. En fait, Lot avait fait les mêmes gestes tra­di­tion­nels d’hos­pi­ta­li­té envers les deux « anges » qu’Abraham avait faits avec les trois « hommes » qui étaient pas­sés devant sa tente. Or un tel accueil per­met d’ob­te­nir le salut pour Lot et la béné­dic­tion de la pater­ni­té pour Abraham. En revanche, qui­conque s’op­pose à l’é­tran­ger et l’of­fense gra­ve­ment subi­ra la malé­dic­tion, comme le Seigneur l’a pré­dit au patriarche : « Je béni­rai ceux qui te bénissent, et je mau­di­rai ceux qui te mau­dissent » (Gen. XII,3). Cette façon de lire l’his­toire de Sodome est confir­mée par le livre de la Sagesse (XIX, 13–17), où le châ­ti­ment exem­plaire des pécheurs (d’a­bord Sodome et ensuite l’Égypte) est moti­vé par le fait qu’ils « avaient mon­tré une pro­fonde haine envers l’é­tran­ger ». En conclu­sion, nous devons donc dire que l’his­toire de la ville de Sodome illustre un péché qui consiste dans le manque d’hos­pi­ta­li­té, à quoi s’ajoutent l’hos­ti­li­té et la vio­lence envers l’é­tran­ger. Un com­por­te­ment qui est jugé très grave et mérite donc la puni­tion la plus sévère, parce que le rejet de la dif­fé­rence, de l’é­tran­ger néces­si­teux et sans défense, est un fac­teur de dés­in­té­gra­tion sociale, por­tant en soi une vio­lence mor­ti­fère qui mérite une puni­tion adé­quate. Nous ne trou­vons pas dans les tra­di­tions nar­ra­tives de la Bible d’in­di­ca­tions concer­nant les pra­tiques homo­sexuelles, ni comme des com­por­te­ments à blâ­mer, ni comme des atti­tudes tolé­rées ou favo­ri­sées (…) »[2].

4. Le devoir de l’hospitalité

Il est vrai que le devoir de l’hospitalité, en Orient, était sacré et l’est encore aujourd’hui. L’hôte est invio­lable. Le pro­té­ger et le défendre envers et contre tout est le plus sacré des devoirs pour celui qui l’a accueilli. C’est ce qui explique la conduite étrange de Lot prêt à sacri­fier l’honneur de ses filles pour ne pas man­quer à son devoir d’hospitalité. Il est vrai aus­si que la haine de l’étranger est un sen­ti­ment que Dieu a tou­jours réprou­vé. Notre-​Seigneur lui-​même tient des pro­pos sévères contre ceux qui refusent d’accueillir ceux qui frappent à la porte[3]. Mais là ne se trouve pas le motif prin­ci­pal du châ­ti­ment des Sodomites. 

5. Le péché contre-nature

Tous les inter­prètes catho­liques ont tou­jours com­pris que la faute de Sodome était l’homosexualité, d’après le texte même de l’Ecriture. En d’autres termes, si les villes de Sodome et Gomorrhe ont été détruites par Dieu, c’est à cause du péché d’impureté contre-​nature consis­tant dans l’union char­nelle entre per­sonnes de même sexe. Telle est l’interprétation una­nime des écri­vains catho­liques depuis les pre­miers temps de l’Eglise jusqu’à la fin du 20e siècle. Certes, la haine de l’étranger et le manque d’hospitalité sont des péchés, mais dans le récit de la Genèse, ils sont secon­daires et ne font qu’aggraver la faute des Sodomites. C’est d’abord et prin­ci­pa­le­ment pour leur homo­sexua­li­té que les habi­tants de Sodome ont été punis par Dieu. Dans le Nouveau Testament, saint Pierre écrit que les Sodomites étaient « effré­nés dans la débauche »[4]. Une telle expres­sion peut-​elle dési­gner le simple refus de l’hospitalité ? Quant à l’a­pôtre saint Jude, il est encore plus expli­cite dans son épître : « Sodome et Gomorrhe, qui se livrèrent à l’impureté et à des vices contre-​nature, sont devant nous comme un exemple, subis­sant la peine du feu éter­nel »[5].

6. L’interprétation des Pères de l’Eglise

Saint Augustin affirme : « Les tur­pi­tudes contre-​nature doivent être par­tout et tou­jours détes­tées et punies, celles par exemple des habi­tants de Sodome. Quand même tous les peuples imi­te­raient Sodome, ils tom­be­raient tous sous le coup de la même culpa­bi­li­té, en ver­tu de la loi divine qui n’a pas fait les hommes pour user ain­si d’eux-mêmes »[6].Saint Jean Chrysostome s’écrie en chaire : « Toutes les pas­sions portent un carac­tère de honte, mais rien de plus igno­mi­nieux que le délire pour gens de même sexe, et l’âme est plus dégra­dée, plus cou­verte d’opprobres par le péché, que le corps ne l’est par les mala­dies phy­siques. Les hommes, dit saint Paul, ont chan­gé les plai­sirs légi­times de l’union conju­gale, contre des plai­sirs abo­mi­nables, reje­tant l’alliance des sexes conforme à la nature. Songez à cette pluie qui embra­sa Sodome. C’est une image en ce monde du feu réel qui brûle l’impudique en enfer. Qu’il doit être énorme le péché qui appelle l’enfer sur la terre ! O homme ! Peux-​tu bien dégra­der à ce point ta noblesse ! »[7] Saint Grégoire le Grand com­mente : « C’est pour s’être embra­sés des dési­rs per­vers venus d’une chair fétide que les Sodomites ont méri­té de périr à la fois par le feu et par le soufre, afin qu’un juste châ­ti­ment leur apprît ce qu’ils avaient fait dans un injuste désir »[8]. Saint Thomas d’Aquin, confor­mé­ment à l’unanimité des Pères de l’Eglise, enseigne[9] que les habi­tants de Sodome ont été punis pour avoir com­mis le péché contre-​nature entre per­sonnes de même sexe.

7. La luxure, un péché capital

On appelle capi­tal un péché qui donne nais­sance à d’autres péchés. Or la luxure, ou impu­re­té, est un péché capi­tal. On com­prend donc pour­quoi les Sodomites, adon­nés à la luxure, sont tom­bés dans de mul­tiples autres péchés. « Les habi­tants de Sodome étaient devant le Seigneur des hommes per­dus de vices ; et leur cor­rup­tion était mon­tée à son comble »[10] dit l’Ecriture. Saint Grégoire le Grand nomme les filles, ou consé­quences, de la luxure : l’aveuglement de l’esprit, l’irréflexion, l’inconstance, la pré­ci­pi­ta­tion, l’amour de soi, la haine de Dieu, l’horreur ou le déses­poir de la vie future[11]. Voilà pour­quoi, d’après le pro­phète Ezéchiel[12], les Sodomites pra­ti­quaient une mul­ti­tude de péchés : orgueil, gourmandise,oisiveté, égoïsme, etc., par­mi les­quels il faut sans doute comp­ter le manque de cha­ri­té à l’égard des voya­geurs et des étrangers.

8. La morale catholique en danger

Il est dif­fi­cile, même avec la meilleure volon­té du monde, de ne voir dans ce docu­ment de la Commission biblique qu’une inno­cente erreur d’exégèse. Les Sodomites sont sévè­re­ment punis par Dieu pour leur pra­tique homo­sexuelle, et les spé­cia­listes romains n’y voient qu’une faute contre le devoir de l’hospitalité. Dans le même temps, le pape François pro­meut l’union civile entre les per­sonnes de même sexe[13] et prêche à temps et à contre-​temps pour l’accueil des étran­gers et l’ouverture des fron­tières aux migrants. Pure coïn­ci­dence ? Les exé­gètes romains ont-​ils la mis­sion de com­prendre et d’interpréter la parole de Dieu, ou bien de détour­ner le sens de l’Ecriture au pro­fit de la poli­tique dou­teuse du pape François ? Par ailleurs, il faut être aveugle pour ne pas consta­ter que, en cette pre­mière moi­tié du 21esiècle, l’homosexualité se répand, favo­ri­sée par la pres­sion média­tique, les puis­sants lob­bies LGBT et les légis­la­tions civiles. Nos grandes villes vont bien­tôt res­sem­bler à Sodome. Cette erreur d’exégèse ne cache-​t-​elle pas la volon­té, de la part d’un bon nombre d’ecclésiastiques haut pla­cés, de modi­fier la morale catho­lique en matière de sexualité ?

9.Un simple péché véniel ?

On pour­rait s’étonner de la rigueur du châ­ti­ment divin à l’égard de Sodome. N’est-il pas dis­pro­por­tion­né ? Pourtant, la loi divine de l’Ancien Testament don­née à Moïse quelques siècles plus tard ne sera pas moins sévère à l’égard des homo­sexuels : « Vous ne com­met­trez point cette abo­mi­na­tion où l’on se sert d’un homme comme si c’était une femme « [14]. « Si quelqu’un abuse d’un homme comme si c’était une femme, qu’ils soient tous deux punis de mort, comme ayant com­mis un crime exé­crable ; leur sang retom­be­ra sur eux »[15]. Certes, il faut repla­cer cette peine dans le contexte de la loi ancienne, loi de crainte et de ser­vi­tude. Néanmoins, la répro­ba­tion divine à l’égard de cer­taines pra­tiques sexuelles a le mérite d’être claire. Saint Thomas d’Aquin pré­cise : « Si les péchés de la chair sont répré­hen­sibles, parce que par eux l’homme est abais­sé à ce qui est bes­tial dans l’homme, les péchés contre-​nature le sont bien davan­tage, parce que par eux l’homme tombe en-​dessous des bêtes. (…) Parmi tous les péchés d’impureté, les péchés contre-​nature sont les plus graves »[16]. À un objec­tant qui juge­rait ce péché léger, du fait qu’il ne porte pré­ju­dice ni à Dieu ni au pro­chain, le Docteur angé­lique répond : « Le péché contre-​nature viole l’ordre de la nature, qui vient de Dieu. Par ce péché, il est donc fait injure à Dieu lui-​même, l’ordonnateur de la nature »[17].

10. Conclusion

Il est triste et inquié­tant de consta­ter que cette inter­pré­ta­tion fausse de la Genèse n’a pas pour auteur un enne­mi décla­ré de la sainte Eglise, ni un lob­by LGBT, mais la Commission biblique pon­ti­fi­cale, cet orga­nisme romain dont la mis­sion est d’éclairer les catho­liques pré­ci­sé­ment sur le sens de l’Ecriture. Le scan­dale est d’autant plus grand que l’ouvrage en ques­tion est pré­fa­cé par le car­di­nal Ladaria, pré­fet de la Sacrée congré­ga­tion pour la doc­trine de la foi. Où sont les gar­diens de l’orthodoxie ?

Abbé Bernard de Lacoste

Source : Courrier de Rome n°638

Notes de bas de page
  1. Gen. IV, 1[]
  2. Qu’est-ce que l’homme ? Un iti­né­raire d’anthropologie biblique[]
  3. Mat. X, 14[]
  4. II Pi II, 7. Traduction par Pirot de l’expression de la Vulgate nefan­do­rum iniu­ria ac luxu­rio­sa conver­sa­tione.[]
  5. Jud. 7, tra­duc­tion de Fillion[]
  6. Les confes­sions, livre 3, ch. 8[]
  7. Quatrième homé­lie sur l’épître de saint Paul aux Romains[]
  8. Moralia in Job, livre 14, n°23[]
  9. Commentaire du ch. 1 de l’épître aux Romains[]
  10. Gen. XIII, 13[]
  11. Cité par saint Thomas, IIa IIae q. 153 art. 5[]
  12. Ez. XVI, 49[]
  13. Voir le Courrier de Rome d’octobre 2020[]
  14. Lév. XVIII, 22[]
  15. Lév. XX, 13[]
  16. Commentaire de l’épître aux Romains, ch. 1, lec. 8[]
  17. IIa IIae q. 154 art. 12 ad 1[]

FSSPX

M. l’ab­bé Bernard de Lacoste est direc­teur du Séminaire International Saint Pie X d’Écône (Suisse). Il est éga­le­ment le direc­teur du Courrier de Rome.