Un droit à l’union homosexuelle ?

Le Pape François lors d'une audience générale hebdomadaire au Vatican. Crédit photo : Antoine Mekary / Godong

En 2017, le Pape François, avait clai­re­ment désa­voué la pos­si­bi­li­té d’un « mariage » entre per­sonnes homo­sexuelles. En 2020, le Pape reven­dique un « droit » pour l’union civile de ces mêmes per­sonnes. Comment réagir ?

Comment réagir aux récents pro­pos tenus par le Pape François ? 

« Les per­sonnes homo­sexuelles », a‑t-​il décla­ré, « ont le droit d’appartenir à une famille, ce sont des enfants de Dieu. On ne peut évin­cer per­sonne d’une famille, ni lui faire la vie impos­sible à cause de cela. Ce que nous devons faire, c’est une loi d’union civile, elles ont le droit d’être léga­le­ment pro­té­gées. J’ai défen­du cela ». 

En reven­di­quant pour les per­sonnes homo­sexuelles « le droit d’appartenir à une famille », le Pape, c’est évident, ne songe pas seule­ment à la situa­tion d’une per­sonne homo­sexuelle qui, non­obs­tant son homo­sexua­li­té, aurait le droit de demeu­rer membre de la même famille (le fils de ses père et mère, le frère de ses frères et sœurs). Il s’agit de plus que cela : il s’agit de reven­di­quer une « loi d’union civile » des­ti­née à pro­té­ger le droit des per­sonnes homo­sexuelles à vivre en couple, comme deux conjoints, à l’instar de ce qui a lieu dans le cadre d’un mariage unis­sant un homme et une femme.

2. Dans un livre fai­sant état des « ren­contres » du Pape avec Dominique Wolton [1], paru en 2017 [2], François, avait clai­re­ment désa­voué la pos­si­bi­li­té d’un « mariage » entre per­sonnes homosexuelles. 

« Que pen­ser », interrogeait-​il, « du mariage ces per­sonnes de même sexe ? Le mariage est un mot his­to­rique. Depuis tou­jours, dans l’humanité, et non pas seule­ment dans l’Église, c’est un homme et une femme. On ne peut pas chan­ger cela comme ça. […] On ne peut pas chan­ger ça. C’est la nature des choses. Elles sont comme ça. Appelons donc cela les unions civiles. Ne plai­san­tons pas avec les véri­tés. Il est vrai que der­rière cela il y a l’idéologie du genre. […] Disons les choses comme elles sont : le mariage, c’est un homme avec une femme. Ça, c’est le terme pré­cis. Appelons l’union du même sexe union civile » 3.

Pape François, Rencontres avec Dominique Wolton, p. 321–322.

3. Aux yeux du pape, on ne peut pas chan­ger la nature des choses et le mariage est un mot employé pour dési­gner la réa­li­té natu­relle, telle que l’humanité l’a tou­jours recon­nue : réa­li­té qui est celle de l’union d’un homme avec une femme. On ne sau­rait donc uti­li­ser ce mot pour dési­gner l’union de per­sonnes de même sexe, car nous sommes ici, avec les mots, sur le plan de la défi­ni­tion des choses. Voilà pour­quoi, sur ce plan même, la théo­rie (car il s’agit bien d’une « théo­rie ») du genre cor­res­pond à une idéo­lo­gie. Il en va autre­ment si nous nous pla­çons sur le plan de la com­pré­hen­sion pas­to­rale, où il s’agit de qua­li­fier l’attitude de l’Église à l’égard des per­sonnes, dans le contexte de la vie en socié­té. François en revient alors aux don­nées essen­tielles énon­cées par Amoris lae­ti­tia, en son n° 291 : 

« L’Église se tourne avec amour vers ceux qui par­ti­cipent à sa vie de manière incomplète »

Amoris lae­ti­tia n° 291

ain­si qu’au numé­ro suivant : 

« L’Église ne cesse de valo­ri­ser les élé­ments construc­tifs dans ces situa­tions qui ne cor­res­pondent pas encore ou qui ne cor­res­pondent plus à son ensei­gne­ment sur le mariage ». 

Amoris lae­ti­tia, n° 292

Autant dire que le plan de la réa­li­té natu­relle, avec les défi­ni­tions qu’il réclame, et celui de la com­pré­hen­sion pas­to­rale, qui se réfère à l’ordre juri­dique de la vie en socié­té, peuvent ne pas se recou­per et res­ter hétérogènes. 

4. La nou­veau­té, car il y en a une, des récentes décla­ra­tions du Pape, par rap­port au livre de 2017, est que le Pape reven­dique à pré­sent un « droit » pour l’union civile des per­sonnes homo­sexuelles. Il y a nou­veau­té, certes, au sens où le Pape dit en 2020 ce qu’il n’avait pas encore dit en 2017. Mais la nou­veau­té n’est qu’apparente si l’on songe que l’affirmation de 2020 était en germe (ou vir­tuel­le­ment pré­sente) dans les prin­cipes énon­cés en 2017. Le droit à l’union civile des per­sonnes homo­sexuelles était ins­crit d’avance dans les numé­ros pré­ci­tés d’Amoris lae­ti­tia. Et François ne fait qu’expliciter, len­te­ment mais sûre­ment, inexo­ra­ble­ment, la suite logique de son propre discours. 

5. Le pré­sup­po­sé d’une pareille logique mérite d’être mis en lumière. Tout se passe comme si l’ordre juri­dique et social de la loi humaine posi­tive ne se fon­dait plus sur la loi natu­relle et comme si le « droit » que recon­naît la loi civile pou­vait se dis­so­cier du « droit » qui doit nor­ma­le­ment décou­ler de la nature de l’homme, au point même de se mettre en contra­dic­tion avec lui. Le Pape recon­naît en effet que le droit de l’Église, qui ne recon­naît comme union sexuelle légi­time que le seul mariage, défi­ni comme l’union d’un homme et d’une femme, n’est pas exclu­sif d’un autre droit, celui de la socié­té civile, où l’État recon­naît comme légi­time l’union homo­sexuelle. Quelle que soit l’intention du pape, il est clair qu’une pareille concep­tion du droit cor­res­pond de prime abord à une concep­tion maté­ria­liste et même mar­xiste de l’homme [3]. L’homme n’y est plus une réa­li­té stable, à la mesure de son essence, mais le terme tou­jours renou­ve­lé d’une évo­lu­tion inces­sante, où l’esprit s’affranchit tou­jours mieux de la matière. La mora­li­té, et avec elle l’ordre poli­tique, n’a plus d’autre fon­de­ment que le fait de cet affran­chis­se­ment : le fait fonde le droit, car le fait cor­res­pond à la maî­trise actuelle de l’homme sur la matière. Dans cette optique, la liber­té de l’esprit n’est pas autre chose que la prise de conscience de la néces­si­té de l’évolution. La nature au sens où l’entend la phi­lo­so­phie d’Aristote et de saint Thomas n’existe pas. Ou plus exac­te­ment, elle se réduit à la conscience, seul élé­ment stable parce que sujet de l’évolution.

6. Jean-​Paul II, il est vrai, avait en 2003 réprou­vé comme telle la recon­nais­sance juri­dique et légale des unions homo­sexuelles, de la part des auto­ri­tés civiles [4]. L’argument prin­ci­pal avan­cé par le Pape polo­nais était le suivant : 

« Dans les unions homo­sexuelles, sont com­plè­te­ment absents les élé­ments bio­lo­giques et anthro­po­lo­giques du mariage et de la famille qui pour­raient fon­der rai­son­na­ble­ment leur recon­nais­sance juri­dique. Ces unions ne sont pas en mesure d’assurer, de manière adé­quate, la pro­créa­tion et la sur­vi­vance de l’espèce humaine ». 

Congrégation pour la Doctrine de la Foi, « Considérations à pro­pos des pro­jets de recon­nais­sance juri­dique des unions entre per­sonnes homo­sexuelles » du 3 juin 2003 dans Acta Apostolicae Sedis, t. XCVI (2004), n°7.

Moyennant quoi :

« L’Église enseigne que le res­pect envers les per­sonnes homo­sexuelles ne peut en aucune façon conduire à l’approbation du com­por­te­ment homo­sexuel ou à la recon­nais­sance juri­dique des unions homosexuelles ». 

Congrégation pour la Doctrine de la Foi, « Considérations à pro­pos des pro­jets de recon­nais­sance juri­dique des unions entre per­sonnes homo­sexuelles » du 3 juin 2003 dans Acta Apostolicae Sedis, t. XCVI (2004), n°11.

Cependant, il faut bien le dire, le même Jean-​Paul II a cru bon d’affirmer que la liber­té reli­gieuse est « la source et la syn­thèse » [5] de tous les autres droits. Il écrit en effet : 

« Il est néces­saire que les peuples qui sont en train de réfor­mer leurs ins­ti­tu­tions donnent à la démo­cra­tie un fon­de­ment authen­tique et solide grâce à la recon­nais­sance expli­cite de ces droits. Parmi les prin­ci­paux, il faut rap­pe­ler le droit à la vie dont fait par­tie inté­grante le droit de gran­dir dans le sein de sa mère après la concep­tion ; puis le droit de vivre dans une famille unie et dans un cli­mat moral favo­rable au déve­lop­pe­ment de sa per­son­na­li­té ; […] le droit de fon­der libre­ment une famille, d’accueillir et d’élever des enfants, en exer­çant de manière res­pon­sable sa sexua­li­té. En un sens, la source et la syn­thèse de ces droits, c’est la liber­té reli­gieuse, enten­due comme le droit de vivre dans la véri­té de sa foi et confor­mé­ment à la digni­té trans­cen­dante de sa personne ». 

Traduction de la Documentation catho­lique, n° 2029, p. 542

N’était-ce pas intro­duire le poi­son qui devait, avec le temps, et par delà la répro­ba­tion de 2003, abou­tir en 2017 puis en 2020, à la reven­di­ca­tion du droit légal à l’union civile des couples homosexuels ?

7. Car il est indé­niable que, en défen­dant ce prin­cipe de la liber­té reli­gieuse, Rome a de fait pro­mu une socié­té qui, lais­sant place égale à toutes les opi­nions, se devait de res­ter neutre. Elle a renon­cé à l’État confes­sion­nel catho­lique, non seule­ment en pra­tique et à court terme, mais encore sur le prin­cipe. De ce fait le champ est lais­sé libre à une légis­la­tion qui, igno­rant Dieu, ne peut plus trou­ver le moyen de jus­ti­fier la réfé­rence exclu­sive à la loi natu­relle. Il ne faut donc pas s’étonner si les gou­ver­nants des socié­tés civiles, du fait même qu’ils orga­nisent la socié­té sans tenir compte de Dieu, l’organisent aus­si et de ce fait sans tenir compte de la nature. De par la volon­té même du concile Vatican II, la conscience est affran­chie de toute contrainte de la part des pou­voirs publics, sur le plan de la vie en socié­té. Le mariage et l’union civile peuvent y coexis­ter paci­fi­que­ment, dans de justes limites, qui ne sont plus celles de la foi et de la morale. Et de ce fait, la poli­tique n’est plus en conti­nui­té avec la nature. Quoi qu’il en soit des réa­li­tés natu­relles, et des défi­ni­tions néces­saires qu’elles impliquent, la nou­velle doc­trine sociale de l’Église est réso­lu­ment per­son­na­liste : l’attitude envers les per­sonnes ne découle plus des prin­cipes de la nature. On peut bien refu­ser la théo­rie du genre, pré­ci­sé­ment en tant que théo­rie, comme contraire aux réa­li­tés natu­relles ; mais la pra­tique se charge d’accepter ce que la théo­rie réprouve.

Source : Courrier de Rome n°635

Notes de bas de page
  1. Pape François, Rencontres avec Dominique Wolton. Politique et socié­té, Editions de l’Observatoire/Humensis, 2017.[]
  2. Cf. l’article « Propos de table » dans le numé­ro de sep­tembre 2017 du Courrier de Rome, au n° 8–11[]
  3. Ce point est mis en lumière par le livre de Grégor Puppinck, Les droits de l’homme déna­tu­ré, Cerf, 2018[]
  4. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, « Considérations à pro­pos des pro­jets de recon­nais­sance juri­dique des unions entre per­sonnes homo­sexuelles » du 3 juin 2003 dans Acta Apostolicae Sedis, t. XCVI (2004), p. 41.[]
  5. Jean-​Paul II, Centesimus annus, 1er mai 1991, n°47 dans Acta Apostolicae Sedis, t. LXXXIII (1991), p. 851–852.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.