En 2017, le Pape François, avait clairement désavoué la possibilité d’un « mariage » entre personnes homosexuelles. En 2020, le Pape revendique un « droit » pour l’union civile de ces mêmes personnes. Comment réagir ?
Comment réagir aux récents propos tenus par le Pape François ?
« Les personnes homosexuelles », a‑t-il déclaré, « ont le droit d’appartenir à une famille, ce sont des enfants de Dieu. On ne peut évincer personne d’une famille, ni lui faire la vie impossible à cause de cela. Ce que nous devons faire, c’est une loi d’union civile, elles ont le droit d’être légalement protégées. J’ai défendu cela ».
En revendiquant pour les personnes homosexuelles « le droit d’appartenir à une famille », le Pape, c’est évident, ne songe pas seulement à la situation d’une personne homosexuelle qui, nonobstant son homosexualité, aurait le droit de demeurer membre de la même famille (le fils de ses père et mère, le frère de ses frères et sœurs). Il s’agit de plus que cela : il s’agit de revendiquer une « loi d’union civile » destinée à protéger le droit des personnes homosexuelles à vivre en couple, comme deux conjoints, à l’instar de ce qui a lieu dans le cadre d’un mariage unissant un homme et une femme.
2. Dans un livre faisant état des « rencontres » du Pape avec Dominique Wolton [1], paru en 2017 [2], François, avait clairement désavoué la possibilité d’un « mariage » entre personnes homosexuelles.
« Que penser », interrogeait-il, « du mariage ces personnes de même sexe ? Le mariage est un mot historique. Depuis toujours, dans l’humanité, et non pas seulement dans l’Église, c’est un homme et une femme. On ne peut pas changer cela comme ça. […] On ne peut pas changer ça. C’est la nature des choses. Elles sont comme ça. Appelons donc cela les unions civiles. Ne plaisantons pas avec les vérités. Il est vrai que derrière cela il y a l’idéologie du genre. […] Disons les choses comme elles sont : le mariage, c’est un homme avec une femme. Ça, c’est le terme précis. Appelons l’union du même sexe union civile » 3.
Pape François, Rencontres avec Dominique Wolton, p. 321–322.
3. Aux yeux du pape, on ne peut pas changer la nature des choses et le mariage est un mot employé pour désigner la réalité naturelle, telle que l’humanité l’a toujours reconnue : réalité qui est celle de l’union d’un homme avec une femme. On ne saurait donc utiliser ce mot pour désigner l’union de personnes de même sexe, car nous sommes ici, avec les mots, sur le plan de la définition des choses. Voilà pourquoi, sur ce plan même, la théorie (car il s’agit bien d’une « théorie ») du genre correspond à une idéologie. Il en va autrement si nous nous plaçons sur le plan de la compréhension pastorale, où il s’agit de qualifier l’attitude de l’Église à l’égard des personnes, dans le contexte de la vie en société. François en revient alors aux données essentielles énoncées par Amoris laetitia, en son n° 291 :
« L’Église se tourne avec amour vers ceux qui participent à sa vie de manière incomplète »
Amoris laetitia n° 291
ainsi qu’au numéro suivant :
« L’Église ne cesse de valoriser les éléments constructifs dans ces situations qui ne correspondent pas encore ou qui ne correspondent plus à son enseignement sur le mariage ».
Amoris laetitia, n° 292
Autant dire que le plan de la réalité naturelle, avec les définitions qu’il réclame, et celui de la compréhension pastorale, qui se réfère à l’ordre juridique de la vie en société, peuvent ne pas se recouper et rester hétérogènes.
4. La nouveauté, car il y en a une, des récentes déclarations du Pape, par rapport au livre de 2017, est que le Pape revendique à présent un « droit » pour l’union civile des personnes homosexuelles. Il y a nouveauté, certes, au sens où le Pape dit en 2020 ce qu’il n’avait pas encore dit en 2017. Mais la nouveauté n’est qu’apparente si l’on songe que l’affirmation de 2020 était en germe (ou virtuellement présente) dans les principes énoncés en 2017. Le droit à l’union civile des personnes homosexuelles était inscrit d’avance dans les numéros précités d’Amoris laetitia. Et François ne fait qu’expliciter, lentement mais sûrement, inexorablement, la suite logique de son propre discours.
5. Le présupposé d’une pareille logique mérite d’être mis en lumière. Tout se passe comme si l’ordre juridique et social de la loi humaine positive ne se fondait plus sur la loi naturelle et comme si le « droit » que reconnaît la loi civile pouvait se dissocier du « droit » qui doit normalement découler de la nature de l’homme, au point même de se mettre en contradiction avec lui. Le Pape reconnaît en effet que le droit de l’Église, qui ne reconnaît comme union sexuelle légitime que le seul mariage, défini comme l’union d’un homme et d’une femme, n’est pas exclusif d’un autre droit, celui de la société civile, où l’État reconnaît comme légitime l’union homosexuelle. Quelle que soit l’intention du pape, il est clair qu’une pareille conception du droit correspond de prime abord à une conception matérialiste et même marxiste de l’homme [3]. L’homme n’y est plus une réalité stable, à la mesure de son essence, mais le terme toujours renouvelé d’une évolution incessante, où l’esprit s’affranchit toujours mieux de la matière. La moralité, et avec elle l’ordre politique, n’a plus d’autre fondement que le fait de cet affranchissement : le fait fonde le droit, car le fait correspond à la maîtrise actuelle de l’homme sur la matière. Dans cette optique, la liberté de l’esprit n’est pas autre chose que la prise de conscience de la nécessité de l’évolution. La nature au sens où l’entend la philosophie d’Aristote et de saint Thomas n’existe pas. Ou plus exactement, elle se réduit à la conscience, seul élément stable parce que sujet de l’évolution.
6. Jean-Paul II, il est vrai, avait en 2003 réprouvé comme telle la reconnaissance juridique et légale des unions homosexuelles, de la part des autorités civiles [4]. L’argument principal avancé par le Pape polonais était le suivant :
« Dans les unions homosexuelles, sont complètement absents les éléments biologiques et anthropologiques du mariage et de la famille qui pourraient fonder raisonnablement leur reconnaissance juridique. Ces unions ne sont pas en mesure d’assurer, de manière adéquate, la procréation et la survivance de l’espèce humaine ».
Congrégation pour la Doctrine de la Foi, « Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles » du 3 juin 2003 dans Acta Apostolicae Sedis, t. XCVI (2004), n°7.
Moyennant quoi :
« L’Église enseigne que le respect envers les personnes homosexuelles ne peut en aucune façon conduire à l’approbation du comportement homosexuel ou à la reconnaissance juridique des unions homosexuelles ».
Congrégation pour la Doctrine de la Foi, « Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles » du 3 juin 2003 dans Acta Apostolicae Sedis, t. XCVI (2004), n°11.
Cependant, il faut bien le dire, le même Jean-Paul II a cru bon d’affirmer que la liberté religieuse est « la source et la synthèse » [5] de tous les autres droits. Il écrit en effet :
« Il est nécessaire que les peuples qui sont en train de réformer leurs institutions donnent à la démocratie un fondement authentique et solide grâce à la reconnaissance explicite de ces droits. Parmi les principaux, il faut rappeler le droit à la vie dont fait partie intégrante le droit de grandir dans le sein de sa mère après la conception ; puis le droit de vivre dans une famille unie et dans un climat moral favorable au développement de sa personnalité ; […] le droit de fonder librement une famille, d’accueillir et d’élever des enfants, en exerçant de manière responsable sa sexualité. En un sens, la source et la synthèse de ces droits, c’est la liberté religieuse, entendue comme le droit de vivre dans la vérité de sa foi et conformément à la dignité transcendante de sa personne ».
Traduction de la Documentation catholique, n° 2029, p. 542
N’était-ce pas introduire le poison qui devait, avec le temps, et par delà la réprobation de 2003, aboutir en 2017 puis en 2020, à la revendication du droit légal à l’union civile des couples homosexuels ?
7. Car il est indéniable que, en défendant ce principe de la liberté religieuse, Rome a de fait promu une société qui, laissant place égale à toutes les opinions, se devait de rester neutre. Elle a renoncé à l’État confessionnel catholique, non seulement en pratique et à court terme, mais encore sur le principe. De ce fait le champ est laissé libre à une législation qui, ignorant Dieu, ne peut plus trouver le moyen de justifier la référence exclusive à la loi naturelle. Il ne faut donc pas s’étonner si les gouvernants des sociétés civiles, du fait même qu’ils organisent la société sans tenir compte de Dieu, l’organisent aussi et de ce fait sans tenir compte de la nature. De par la volonté même du concile Vatican II, la conscience est affranchie de toute contrainte de la part des pouvoirs publics, sur le plan de la vie en société. Le mariage et l’union civile peuvent y coexister pacifiquement, dans de justes limites, qui ne sont plus celles de la foi et de la morale. Et de ce fait, la politique n’est plus en continuité avec la nature. Quoi qu’il en soit des réalités naturelles, et des définitions nécessaires qu’elles impliquent, la nouvelle doctrine sociale de l’Église est résolument personnaliste : l’attitude envers les personnes ne découle plus des principes de la nature. On peut bien refuser la théorie du genre, précisément en tant que théorie, comme contraire aux réalités naturelles ; mais la pratique se charge d’accepter ce que la théorie réprouve.
Source : Courrier de Rome n°635
- Pape François, Rencontres avec Dominique Wolton. Politique et société, Editions de l’Observatoire/Humensis, 2017.[↩]
- Cf. l’article « Propos de table » dans le numéro de septembre 2017 du Courrier de Rome, au n° 8–11[↩]
- Ce point est mis en lumière par le livre de Grégor Puppinck, Les droits de l’homme dénaturé, Cerf, 2018[↩]
- Congrégation pour la Doctrine de la Foi, « Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles » du 3 juin 2003 dans Acta Apostolicae Sedis, t. XCVI (2004), p. 41.[↩]
- Jean-Paul II, Centesimus annus, 1er mai 1991, n°47 dans Acta Apostolicae Sedis, t. LXXXIII (1991), p. 851–852.[↩]