La nouvelle messe

De nom­breuses études ont été faites sur le Novus Ordo Missae, pro­mul­gué par le Pape Paul VI en 1969. Ce n’est donc pas en un article que nous pour­rons faire le tour de la ques­tion, mais il semble bon de rap­pe­ler en quelques lignes les rai­sons fon­da­men­tales qui nous poussent à refu­ser cette réforme.

Avant d’aller plus avant dans notre résu­mé, notons que nous ne trai­te­rons pas des abus cau­sés par cette réforme : danses, « messes clowns » etc. Cette omis­sion est volon­taire. Car si ces abus, mul­tiples et variés dès 1970, ont eu comme bon effet de réveiller les consciences et de les pous­ser à la résis­tance, ils ne font pas pour autant par­tie de l’essence même de la réforme litur­gique (même s’ils en découlent), et on pour­ra tou­jours nous objec­ter que ce ne sont là que des faits iso­lés, assu­ré­ment regret­tables, mais qui n’influent en rien sur la bon­té de la réforme. On risque alors de pen­ser qu’il suf­fi­rait d’ôter ces abus, de trou­ver un prêtre sérieux et pieux, qui célé­bre­rait en latin la nou­velle messe, avec de beaux orne­ments, pour que tout soit arran­gé… Mais la crise n’est pas si simple. Et puisque nous par­lons de prêtres sérieux et pieux, notons aus­si que nous ne trai­te­rons pas des inten­tions, si bonnes puissent-​elles être, de celui qui célèbre ce nou­veau rite : nous n’étudierons que les textes offi­ciels. Prenons une com­pa­rai­son : si un enfant met le feu à la mai­son, je ne vais pas m’abstenir de déplo­rer le fait de l’incendie sous pré­texte que cet enfant avait une bonne inten­tion ! Cela étant donc posé, étu­dions les faits en eux-​mêmes, afin de pou­voir conclure sur notre posi­tion vis-​à-​vis de cette réforme.

Le nou­veau rite attaque en bien des points la doc­trine catho­lique sur le Saint Sacrifice de la Messe. Nous rédui­rons ces points à trois prin­ci­paux, reje­tés par les pro­tes­tants dès le XVIe siècle. Nous don­ne­rons quelques exemples tirés du Novus Ordo Missae ou de l’Institutio Generalis Missalis Romani (IGMR), réédi­tée en 2002 et actuel­le­ment en vigueur, qui reprend en sub­stance celle de 1970.

1. Le sacrifice propitiatoire.

C’est la défi­ni­tion même et la fin de la sainte Messe, reje­tée vio­lem­ment par Luther et ses sec­ta­teurs : la Messe est le renou­vel­le­ment non san­glant du Sacrifice du Calvaire (et non un simple mémo­rial), en vue d’obtenir le par­don de nos péchés (rendre Dieu pro­pice) et de nous appli­quer les mérites obte­nus par Notre-​Seigneur sur la Croix. De nom­breux détails vont atté­nuer cette véri­té omni­pré­sente dans le Missel traditionnel.

C’est ain­si que l’Offertoire, par lequel le prêtre offrait la Victime sans tache du sacri­fice, devient une simple prière de pré­sen­ta­tion des offrandes, qui sont « le fruit de la terre et du tra­vail des hommes ». « La messe com­porte comme deux par­ties : la litur­gie de la Parole et la litur­gie eucharis­tique ; mais elles sont si étroi­te­ment liées qu´elles forment un seul acte de culte. En effet, la messe dresse la table aus­si bien de la parole de Dieu que du Corps du Christ, où les fidèles sont ins­truits et res­tau­rés » (IGMR n°28).

Le canon lui-​même est désor­mais appe­lé « prière eucha­ris­tique, prière d´action de grâce et de sanc­ti­fi­ca­tion » (IGMR n°78). Le célé­brant peut d’ailleurs choi­sir entre quatre prières, dont la moins ambigüe, la pre­mière, appe­lée aus­si « canon romain », reste très dif­fé­rente du Canon tradition­nel. C’est dans celle-​ci, réci­tée à haute voix, que les nom­breux signes de croix du prêtre sont rame­nés à un seul, que les paroles de la Consécration ne dif­fèrent pas du ton du récit, etc.

La pierre d’autel et les reliques des mar­tyrs ne sont plus obli­ga­toires comme au­trefois (IGMR n° 301 et 302), et on n’est plus obli­gé d’avoir de croix sur l’autel (IGMR n°118).

2.La Présence Réelle.

La Victime qui S’offre à la Messe n’est autre que Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, pré­sent réel­le­ment sous les appa­rences du pain et du vin, avec son Corps, son Sang, son Âme et sa Divinité. Cette foi en la Présence Réelle, même si elle n’est pas niée expli­ci­te­ment, est dan­ge­reu­se­ment atténuée :

- Les nom­breuses génu­flexions du prêtre sont réduites à trois (IGMR n°274). Et deux d’entre elles, celles de la consé­cra­tion, sont pour le moins équi­voques, puisque ce n’est qu’après avoir mon­tré l’hostie et le calice aux fidèles que le prêtre gé­nuflecte : on ne sait si c’est en ver­tu des paroles du prêtre que le Christ est réelle­ment pré­sent, ou si c’est en ver­tu de la foi des fidèles qu’il est pré­sent de manière pure­ment spi­ri­tuelle (selon la doc­trine de Luther).

- Les vases sacrés n’ont plus besoin d’être recou­verts d’or, le prêtre ne pré­serve plus ses doigts de tout contact pro­fane après la consé­cra­tion, et il ne les puri­fie plus obli­gatoirement après la communion.

- Les fidèles ne sont plus invi­tés à se mettre à genoux, sauf à la Consécration « à moins que leur état de san­té, l´exiguïté des lieux ou le grand nombre des par­ti­ci­pants ou d´autres justes rai­sons ne s´y op­posent. » (IGMR n°43).

- Le silence, si pré­cieux pour se recueillir et ado­rer Notre-​Seigneur, est employé pour la litur­gie de la Parole (après une lec­ture ou l’homélie), mais non pour la consécra­tion (IGMR n° 45): pré­sence réelle ou seule­ment spirituelle ?

- Les pres­crip­tions, au cas où une hos­tie tom­be­rait à terre, sont extrê­me­ment sim­plifiées, et là encore, point n’est besoin de purification.

3. Le prêtre.

C’est par le minis­tère du prêtre que Notre-​Seigneur S’offre à son Père en Sacrifice. Le prêtre agit en la per­sonne du Christ, et non comme délé­gué du peuple de Dieu, qui, tel le pas­teur chez les pro­tes­tants, pré­side l’assemblée (IGMR n°108 et 111). Voilà pour­quoi il célèbre la Messe tour­né vers Dieu. Le nou­veau rite occulte mal­heu­reu­se­ment cette place unique du prêtre : « La célé­bra­tion de la messe, comme action du Christ et du peuple de Dieu orga­ni­sé hié­rar­chi­que­ment, est le centre de toute la vie chré­tienne pour l´Église, aus­si bien uni­ver­selle que locale, et pour cha­cun des fidèles » (IGMR n°16). On com­prend alors qu’ « il convient, par­tout où c’est pos­sible, que l’autel soit éri­gé à une dis­tance du mur qui per­mette d´en faire aisé­ment le tour et d´y célé­brer face au peuple » (IGMR n° 299). On ne sait plus vrai­ment qui offre le Saint Sacrifice : « Dans la célé­bra­tion de la messe, les fidèles consti­tuent le peuple saint, le peuple ac­quis par Dieu et le sacer­doce royal, pour rendre grâce à Dieu et pour offrir la vic­time sans tache : l´offrir non seule­ment par les mains du prêtre, mais l´offrir avec lui et apprendre à s´offrir eux-​mêmes » (IGMR n°95). Est-​ce tou­jours envers Dieu qu’est célé­bré le culte ? Regardons ce que nous pou­vons lire à pro­pos des ser­vants de la messe : « Les fidèles ne refu­se­ront pas de se mettre avec joie au ser­vice du peuple de Dieu, chaque fois qu´on leur demande d´exercer un minis­tère ou une fonc­tion par­ticulière dans la célé­bra­tion. » (IGMR n°97).

On pour­rait conti­nuer indé­fi­ni­ment la liste de tous ces détails, qui changent tout l’esprit dans lequel doit être célé­brée la sainte Liturgie. Car si la Messe est un culte ren­du à Dieu, celui-​ci doit l’être sans équi­voque et sans dan­ger pour la foi des fidèles. Or, pour ce nou­veau culte, force est de consta­ter qu’il « s’éloigne de façon impres­sion­nante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théo­lo­gie catho­lique de la sainte messe » (Lettre à Paul VI des Car­dinaux Ottaviani et Bacci). On ne peut mo­difier pro­fon­dé­ment la règle de la prière (« lex oran­di ») sans modi­fier la règle de la foi (« lex cre­den­di »). Les bar­rières qui pré­mu­nis­saient les fidèles contre l’hé­résie pro­tes­tante sont tom­bées, et c’est en assis­tant à ces messes nou­velles que l’on perd la foi : les faits parlent d’eux-mêmes… Et si cela ne suf­fi­sait pas, nous pour­rions lais­ser la parole aux pro­tes­tants (en nous sou­ve­nant que six « obser­va­teurs » pro­tes­tants ont assis­té à l’élaboration de la nou­velle messe) : « Avec la nou­velle litur­gie, des com­mu­nau­tés non-​catho­liques pour­ront célé­brer la sainte cène avec les mêmes prières que l’Église catho­lique. Théologiquement, c’est pos­sible » (Max Thurian, de la Communauté luthé­rienne de Taizé, dans La Croix du 30 mai 1969). Ou encore : « La litur­gie romaine révi­sée res­semble main­te­nant très étroi­te­ment à la litur­gie angli­cane » (Pawley, Rome et Can­torbery durant quatre siècles). Et la liste pour­rait s’allonger…

C’est donc pour une rai­son de foi que nous devons nous oppo­ser à cette réforme qui n’a pas force de loi (puisque la loi est faite pour le bien com­mun, qui ne peut exis­ter dans l’Église sans la pré­ser­va­tion de la foi). Le fidèle a un devoir grave de ne pas cau­tion­ner cette réforme qui, « étant issue du libé­ra­lisme, du moder­nisme, est tout entière empoi­son­née ; elle sort de l’hérésie et abou­tit à l’hérésie, même si tous ses actes ne sont pas for­mel­le­ment héré­tiques …» (Mgr Lefebvre, Déclaration du 21 novembre 1974). Nous ne disons pas non plus que cette nou­velle messe est tou­jours inva­lide : le prêtre qui a l’intention de faire ce que fait l’Église la célè­bre­rait vali­de­ment. Encore faut-​il qu’il ait une for­ma­tion un tant soit peu tra­di­tion­nelle sur ce qu’est la Messe, car le nou­veau rite ne garan­tit plus son inten­tion comme le fai­sait l’ancien. Mais, même valide, la nou­velle messe est-​elle bonne ? Monseigneur Lefebvre répond : « Même si la [nou­velle] messe est valide, même si elle n’est pas sacri­lège, et même si elle est dite en latin, elle a été réfor­mée selon des prin­cipes oecu­méniques et pro­tes­tants. Elle pro­tes­tan­tise peu à peu… Elle est donc dan­ge­reuse… Elle ame­nuise et cor­rompt la foi len­te­ment… » (Circulaire du 20 jan­vier 1978).

Ce n’est donc pas pour des rai­sons de pré­fé­rence sen­ti­men­tale que nous devons résis­ter : « la nou­velle Messe est scan­da­leuse, non pas au sens tout simple du scan­dale qui étonne… Le scan­dale, c’est ce qui conduit au péché. Eh bien ! la nou­velle messe conduit au péché contre la foi, et c’est un des péchés les plus graves, les plus dan­ge­reux, parce que la perte de la foi, c’est vrai­ment l’éloignement de la Révélation, l’éloignement de Notre-​Seigneur, l’éloignement de l’Église » (la Messe de tou­jours, p. 396.)

L’attitude pré­co­ni­sée en cas d’obligation (civi­li­tés…) est l’assistance pas­sive à ce rite, sans aucune par­ti­ci­pa­tion. Et si, pour un dimanche, nous étions dans l’impossibilité d’assister à la Messe tra­di­tion­nelle, il n’y aurait aucune obli­ga­tion de se rendre à la nou­velle messe : il s’agit en effet d’honorer le bon Dieu, et on voit mal com­ment on le ferait en met­tant sa foi en danger…

Que l’on pense à nos ancêtres dans la Foi, en Allemagne et en Angleterre avec le pro­tes­tan­tisme et l’anglicanisme, ou encore en France où, sous la Révolution, l’on pré­fé­rait mettre sa vie en dan­ger en assis­tant aux Messes des prêtres réfrac­taires plu­tôt que de par­ti­ci­per, ne serait-​ce qu’une fois, aux Messes (pour­tant tra­di­tion­nelles) des prêtres jureurs.

Que la lon­gueur et la dif­fi­cul­té de cette crise ne nous effraient pas : nous mar­chons dans les traces de ces héros de la Foi qui nous ont pré­cé­dés, eux à qui saint Athanase disait déjà (cité dans La per­fi­die du moder­nisme, Abbé Coache, p 126) :

« Que Dieu vous console !… Ce qui vous attriste aus­si, c’est que les autres ont occu­pé les églises par vio­lence, tan­dis que vous, pen­dant ce temps, vous êtes hors des lieux ; eux, en effet, ont les locaux, mais vous, vous avez la foi apos­to­lique. Eux, tout en venant dans les lieux, sont hors de la vraie foi ; mais vous, vous res­tez en dehors des lieux et la foi demeure en vous. Réfléchissons : qu’est-ce qui est le plus im­portant, le lieu ou la foi ? Il est par­fai­te­ment clair que c’est la vraie foi ».

Abbé Raphaël d’Abbadie

Source : Le Petit Eudiste – Juin 2013