Il convient de rappeler qu’avant cette procédure et depuis la fondation de la Fraternité et de son séminaire et surtout son succès auprès des jeunes et sa réputation mondiale, des campagnes de presse étaient déclenchées, contenant des calomnies odieuses comme celle de « Séminaire sauvage », retenue par l’Episcopat français suivi de l’Episcopat suisse, alors que l’évêque de Fribourg savait parfaitement qu’il n’en était rien.
Il était évident que des démarches étaient faites alors auprès de Rome pour notre suppression. Or, le 9 novembre, une lettre de la nonciature de Berne nous annonçait qu’une Commission désignée par le Pape et composée des trois cardinaux préfets des congrégations intéressées : Religieux, Education catholique, Clergé, nous envoyait deux visiteurs apostoliques : S. Exc. Mgr Descamps et Mgr Onclin.
Le lundi 11 novembre à 9 heures du matin les deux visiteurs se présentèrent. Durant trois jours ils interrogèrent dix professeurs, vingt élèves sur les 104 et moi-même. Ils sont partis le 13 novembre à 18 heures sans qu’aucun protocole de visite n’ait été signé. Nous n’avons jamais eu la moindre connaissance de la relation qu’ils ont faite.
Persuadé que cette visite était le premier pas accompli en vue de notre suppression, désirée depuis longtemps par tous les progressistes, et constatant que les visiteurs venaient avec le désir de nous aligner sur les changements opérés dans l’Eglise depuis le Concile je décidai de préciser ma pensée devant le Séminaire.
Je ne pouvais adhérer à cette Rome que représentaient des visiteurs apostoliques qui se permettaient de trouver normale et fatale l’ordination de gens mariés, qui n’admettent pas une vérité immuable, qui émettent des doutes sur la manière traditionnelle de concevoir la Résurrection de Notre-Seigneur.
C’est là l’origine de ma déclaration, il est vrai, rédigée dans un sentiment d’indignation, sans doute excessive.
Deux mois et demi ont passé sans aucune nouvelle. Le 30 janvier 1975, j’étais invité par lettre signée par les membres de la Commission à venir à Rome « m’entretenir » avec eux « des points qui laissent quelque perplexité ».
Répondant à cette invitation, je me suis rendu le 13 février 1975 à la congrégation de l’Education catholique. Leurs Eminences les cardinaux Garrone, Wright et Tabera accompagnés d’un secrétaire m’ont invité à prendre place avec eux autour d’une table de conférence, S. Em. le cardinal Garrone m’a demandé si je ne voyais pas d’inconvénient à ce que la conversation soit enregistrée et le secrétaire a installé le magnétophone.
Après m’avoir dit la bonne impression recueillie par les visiteurs apostoliques, il n’a plus été question ni le 13 février, ni le 3 mars de la Fraternité et du séminaire. Il n’a été question que de ma déclaration du 21 novembre 1974 faite à la suite de la visite apostolique.
Avec véhémence, le cardinal Garrone m’a reproché cette déclaration, allant jusqu’à me traiter de « fou », me disant que « je me faisais Athanase » et cela pendant vingt-cinq minutes. Le cardinal Tabera renchérit, me disant que « ce que vous faites est pire que ce que font tous les progressistes », que « j’avais rompu la communion avec l’Eglise », etc.
Me trouvais-je devant des interlocuteurs ? ou plutôt des juges ? Quelle était la compétence de cette Commission ? On m’affirmait seulement qu’elle était mandatée par le Saint-Père et que c’est lui qui jugerait. Il était clair que tout était jugé.
J’ai essayé en vain de formuler des arguments, des explications qui indiquaient le sens exact de ma déclaration. J’affirmais que je respectais et respecterai toujours le Pape et les évêques, mais qu’il ne me paraissait pas évident que critiquer certains textes du Concile et les réformes qui s’en sont suivies équivalait à une rupture avec l’Eglise, que je m’efforçais de déterminer les causes profondes de la crise que subit l’Eglise et que toute mon action prouvait mon désir de construire l’Eglise et non de la détruire. Mais aucun argument n’était pris en considération. Le cardinal Garrone m’affirmait que la cause de la crise se situait dans les moyens de communication sociale.
A la fin de la séance du 13 février, comme à la fin de celle du 3 mars, j’ai eu l’impression d’avoir été trompé : on m’invitait pour un entretien et en fait j’avais à faire à un tribunal décidé à me condamner. Rien n’a été fait pour m’aider à un compromis ou à une solution amiable. Aucun écrit ne m’a été donné pour préciser les accusations, aucune monition écrite. Seul l’argument d’autorité accompagné de menaces et d’invectives m’a été présenté pendant cinq heures d’entretien.
A la suite de la deuxième séance, j’ai demandé la copie de l’enregistrement. Le cardinal Garrone m’a répondu qu’il était bien juste que j’aie une copie, que c’était mon droit et en fit part à son secrétaire. J’envoyais le soir même une personne munie des appareils nécessaires. Mais le secrétaire affirme qu’il ne s’agissait que d’une transcription. J’allais moi-même le lendemain demander cette copie. Le secrétaire se rendit alors chez le cardinal et revint me dire que c’était bien d’une transcription qu’il s’agissait. Elle m’était promise pour le lendemain soir. Pour m’assurer qu’elle était prête, je téléphonai le lendemain matin. Le secrétaire me dit alors qu’il n’était pas question de donner une transcription mais que je pouvais venir la voir de 17 h à 20 h. Devant de tels procédés, je me suis abstenu.
Ainsi donc, après ce simulacre de procès fait d’une visite soi-disant favorable avec de légères réserves et de deux entretiens qui n’ont porté que sur ma déclaration pour la condamner totalement sans réserve, sans nuances, sans examen concret et sans qu’il me soit remis le moindre écrit, je recevais coup sur coup une lettre de S. Exc. Mgr Mamie supprimant la Fraternité et le séminaire avec l’approbation de la Commission cardinalice, puis une lettre de la Commission confirmant la lettre de Mgr Mamie sans que soit formulée une accusation formelle et précise sur des propositions données. Et la décision, dit Mgr Mamie, est « immédiatement exécutive ».
Je devais donc immédiatement renvoyer du séminaire 104 séminaristes, 13 professeurs et le personnel, et cela deux mois avant la fin de l’année scolaire ! Il suffit d’écrire ces choses pour deviner ce que peuvent penser les personnes qui ont encore un peu de sens commun et d’honnêteté. Nous étions au 8 mai de l’année de la réconciliation !
Le Saint-Père a‑t-il vraiment eu connaissance de ces choses ? Nous avons peine à le croire.
† Mgr Marcel Lefebvre