Fribourg, le 15 mai 1975,
A tous les prêtres en ministère dans le diocèse,
Cher confrère,
Je tiens à vous commenter la douloureuse nouvelle, dont les journaux ont déjà parlé.
A l’occasion de la réunion ordinaire du Conseil presbytéral, en mars dernier, j’ai exposé aux prêtres les inquiétudes, les difficultés et les graves préoccupations que causaient au Saint-Siège et aux évêques la Fraternité sacerdotale Saint-Pie‑X, son fondateur, Mgr Marcel Lefebvre, et le séminaire d’Ecône, né de la fondation même de la Fraternité.
Aujourd’hui, je tiens d’abord à vous informer en vous expliquant pourquoi je suis arrivé à une telle décision. Je demande aussi votre appui.
Le mardi 6 mai 1975, j’ai envoyé à Mgr Lefebvre une lettre lui communiquant ceci : Après de longs mois de prières et de réflexions, je lui retirais l’appui canonique que la signature de l’évêque de Fribourg donnait à son institution. Cette signature avait été donnée en novembre 1970 par Mgr Charrière. Avec Mgr Charrière j’avais d’abord cru pouvoir faire confiance à Mgr Lefebvre, préoccupé surtout par la formation spirituelle et théologique des futurs prêtres. Plus le temps a passé, plus nous avons dû constater que la « Fraternité » s’écartait de la fidélité et de l’obéissance au Concile et au successeur de Pierre. Mgr Charrière partage cette constatation.
Après avoir été appelé par les préfets des Congrégations pour l’éducation catholique, pour le clergé et pour les religieux, après de nombreuses consultations et réunions, ici et à Rome, avec Mgr Lefebvre aussi, j’ai dû, en conscience et en plein accord avec le Saint-Siège, prendre cette décision à la fois douloureuse et nécessaire.
En annexe à cette lettre vous recevez un texte de Mgr Lefebvre, daté du 21 novembre 1974, texte que je vous demande de lire avec attention ; cette lettre a été pour nous – car je ne suis pas seul – l’élément décisif qui nous a conduits à ne plus pouvoir nous taire.
Je tiens à vous informer aussi que Mgr Lefebvre a reçu du Saint-Siège une lettre qui confirme que le Pape Paul VI lui-même approuve mon jugement et ma manière d’agir.
En termes simples, cela signifie que les œuvres et instituts de Mgr Lefebvre, en particulier le séminaire d’Ecône, n’ont plus d’existence ecclésiale.
Vous devez comprendre combien il peut être difficile à un évêque de retirer non son amitié mais sa confiance et son appui à un frère dans l’épiscopat. Autre chose, en effet, est de dire son désaccord à un théologien, autre chose de se « séparer » d’un évêque, bien que l’activité de théologiens en « rupture » avec l’enseignement du magistère soit aussi un « mal » dans l’Eglise.
Je souhaiterais que vous-même et beaucoup d’autres comprennent le motif fondamental de cette décision. Il ne s’agit pas d’abord de latin, ni de chant grégorien, ni même de rite liturgique. Il s’agit de l’acceptation du IIe Concile du Vatican, de ses decisions et de ses orientations. Il s’agit aussi, et c’est le plus important, de l’attachement et de la fidélité au Pape Paul VI, lui qui a reçu le pouvoir divin confié à Pierre et à ses successeurs par le Christ-Jésus.
En conséquence, j’ai d’abord à vous demander de prier pour vos évêques et pour tous les évêques du monde, « afin que notre foi ne défaille pas ». Ce qui doit toujours nous guider c’est d’abord la charité en tout et partout envers toutes les personnes. C’est ensuite le souci et le désir de maintenir l’unité dans tout ce qui est immuable. Enfin, une haute valeur demeure, « rectifiée » par les exigences de la foi et de la charité : la liberté et le pluralisme dans les recherches et les options théologiques ou pastorales.
C’est dans cet esprit à la fois confiant et rigoureux que nous devons nous interroger, comme nous le faisons nous-mêmes, Mgr Bullet et le Conseil épiscopal, pour savoir d’abord comment nous acceptons et appliquons toutes les directives du Concile, tous les actes et toutes les déclarations du magistère, en particulier ceux de Jean XXIII et de Paul VI, toutes les directives des secrétariats romains.
Nous devons aussi reconnaître un ordre de valeurs différencié dans ces déclarations et directives, mais comme j’ai eu l’occasion de le dire à Berne pendant la session interdiocésaine du Synode en mars dernier, nous ne pouvons pas faire un tri personnel, selon nos convenances, dans les déclarations, appels et demandes du Saint-Siège ou des évêques. Je n’ignore pas, pour citer quelques exemple, que certains ont eu ou ont encore quelque peine à comprendre les exigences contenues dans la lettre du Pape Paul VI au cardinal Roy ou dans l’encyclique Populorum progressio. D’autres paraissent contester aujourd’hui encore les rappels fondamentaux concernant l’amour humain contenus dans l’encyclique Humanae vitae. D’autres ne comprennent pas la déclaration du Concile sur la liberté religieuse. D’autres ne paraissent pas avoir accepté la Déclaration sur l’oecuménisme ou la Constitution sur la liturgie. Je pourrais vous citer encore plusieurs exigences que nous avons plus ou moins bien acceptées parce qu’elles rejoignaient plus ou moins nos recherches personnelles ou parce qu’elles s’en écartaient.
Je partage pleinement votre souci en ce qui regarde la crédibilité de l’Eglise, votre angoisse devant l’éloignement apparent ou réel de beaucoup face au Christ ou à l’Eglise, votre préoccupation de rejoindre les hommes d’aujourd’hui pour les aider à découvrir le vrai visage de Jésus-Christ. Je sais aussi que certaines initiatives que je ne pouvais ou ne puis approuver procèdent d’un souci pastoral. Mais aujourd’hui, en vous encourageant à poursuivre vos recherches, j’insiste pour qu’elles se fassent en pleine communion avec les commissions diocésaines, romandes ou cantonales compétentes, avec vos évêques, avec les vicaires généraux et épiscopaux que j’ai nommés. La charité fraternelle et le souci d’unité nous obligent, que ce soit en liturgie, en oecuménisme, en catéchèse, à ne pas provoquer de graves doutes chez les fidèles et conduire certains à se durcir dans le refus de toute évolution à cause d’initiatives insuffisamment réfléchies ou trop audacieuses. Il arrive souvent que les excès des uns entraînent les excès des autres.
Il nous est demandé une plus grande rigueur, car nous avons pu, par nos négligences ou nos imprudences, amener quelques-uns de nos frères à mettre en doute notre attachement à la foi de l’Eglise et à son magistère voulu par le Seigneur.
A la suite de cette décision au sujet de la Fraternité Saint-Pie‑X, je ne puis pas ne pas penser que certains fidèles ou prêtres auront beaucoup de peine à me comprendre, c’est-à-dire à accepter ce que l’évêque, avec le Saint-Père, a décidé. C’est à vous, cher confrère, que je confie ces hommes, ces femmes et les jeunes qui se sont rendus à Ecône ou qui, dans notre diocèse, n’acceptent que la messe selon le rite de saint Pie V. Je rappelle et je demande à nouveau que dans notre diocèse on ne célèbre la messe que selon le rite de S. S. Paul VI et que seuls les prêtres âgés ou infirmes, avec ma permission, célébrant seuls, peuvent utiliser le rituel de saint Pie V (que l’on ait été ou non rattaché à la Fraternité de Saint-Pie‑X).
En accord avec le Conseil épiscopal et l’évêque auxiliaire, je vous demande finalement ceci : soyez plus attentifs encore désormais à votre manière d’exercer votre ministère, soucieux d’être les témoins fidèles dans la transmission intégrale de l’Evangile, en union avec le magistère, sans lequel il n’y a plus d’Eglise catholique.
Je ne puis pas prévoir toutes les réactions que cette décision va provoquer, mais nous devons manifester notre communion fraternelle, notre obéissance, notre amour de la vérité, notre charité sans mesure, et cela quotidiennement.
Mon désir, avec votre prière et votre appui, est d’être de plus en plus le « serviteur » de tous, dans le diocèse, à l’exemple de la « Servante du Seigneur » et du « Serviteur de lahweh ».
Très fraternellement,
† Pierre MAMIE, évêque.