Le Concile de Constance (1414–1418) compte parmi les 21 Conciles œcuméniques de l’Eglise, mais l’un de ses décrets, Hæc Sancta, du 6 avril 1415 est considéré comme hérétique, parce qu’il affirme la suprématie du Concile sur le Pontife Romain.
A Constance, Hæc Sancta trouva son application dans le décret Frequens, du 9 octobre 1417, qui fixait un Concile cinq ans après, puis un autre au bout de sept ans et enfin un concile tous les dix ans. Il attribuait ainsi au Concile la fonction d’organe collégial permanent, qui s’adjoignait au pape et lui était de fait supérieur.
Martin V, élu pape à Constance en 1417, reconnut dans la bulle Inter cunctas du 22 février 1418 le caractère œcuménique du Concile de Constance et tout ce qu’il avait décidé, et même avec la formule généralement restrictive : « in favorem fidei et salutem animarum ». Nous ne savons pas si le pape partageait, au moins partiellement, les théories conciliaires ou s’il fut obligé d’adopter cette attitude sous la pression des cardinaux qui l’avaient élu. De fait, il ne rejeta pas Hæc Sancta et appliqua rigoureusement le décret Frequens, fixant la date d’un nouveau Concile général, qui se tint à Pavie-Sienne (1423–1424), et désigna la ville de Bâle comme siège de la prochaine assemblée. Mais il mourut le 21 février 1431 et l’assemblée s’ouvrit sous son successeur, Gabriele Condulmer, élu pape sous le nom d’Eugène IV le 3 mars 1431.
Dès l’ouverture du Concile de Bâle, un conflit éclata entre deux partis : les fidèles de la Papauté et les partisans des théories conciliaristes, qui constituaient la majorité des Pères conciliaires. Le bras de fer connut différents revers : dans une première phase, Eugène IV retira son approbation aux Pères rebelles de Bâle. Puis par la suite, cédant aux pressions politiques et ecclésiastiques, il fit marche arrière et par la bulle Duduum Sacrum du 15 décembre 1433, révoqua la dislocation du Concile qu’il avait déjà décrétée, ratifiant les documents que ce dernier avait émis jusqu’alors, et par là-même également Hæc Sancta que les Pères de Bâle tenaient comme leur magna charta. Mais quand il se rendit compte qu’ils ne s’arrêteraient pas là dans leurs revendications, le pape désavoua à nouveau l’œuvre du Concile, le déplaçant à Ferrara (1438), à Florence (1439) et enfin à Rome (1443). La majorité des Pères Conciliaires n’accepta pas cependant ce transfert et resta à Bâle, poursuivant les travaux.
C’est alors que s’ouvrit ce qui est entré dans l’histoire comme le petit Schisme d’Occident (1439–1449), pour le distinguer du Grand Schisme (1378–1417) qui l’avait précédé. Le Concile de Bâle déposa Eugène IV en tant qu’hérétique et élut un antipape, le duc Amédée VIII de Savoie sous le nom de Félix V. De Florence, où avait été déplacé le Concile, Eugène IV lança l’excommunication sur l’antipape et les Pères schismatiques de Bâle.
La Chrétienté se trouva une nouvelle fois divisée, mais si, à l’époque du Grand Schisme, les théologiens conciliaires avaient prévalu, dans cette phase le pape fut soutenu par un grand théologien : le dominicain espagnol Juan de Torquemada (1388–1468) (à ne pas confondre avec son homonyme Inquisiteur). Torquemada, décoré par Eugène IV du titre de Defensor fidei, est l’auteur d’une Summa de Ecclesia, où il affirme avec vigueur le primat du pape et son infallibilitas. Dans cette œuvre, il dissipe avec une grande précision les équivoques nées au XIVème siècle de l’hypothèse d’un pape hérétique. Selon le théologien espagnol, ce cas de figure est possible concrètement, mais on ne peut chercher la solution du problème en aucun cas dans le conciliarisme, qui nie la suprématie pontificale.
La possibilité d’hérésie du pape ne compromet pas le dogme de l’infaillibilité, notamment parce que s’il voulait définir une hérésie ex cathedra, il serait déchu immédiatement de sa charge [1]. Les thèses de Torquemada furent développées au siècle suivant par un de ses confrères italiens, le cardinal Gaetano.
Le Concile de Florence fut très important car il promulgua, le 6 juillet 1439, le décret Lætentur Coeli et exultet terra, qui mettait fin au schisme d’Orient, mais surtout parce qu’il condamna définitivement le conciliarisme, confirmant la doctrine de l’autorité suprême du pape sur l’Eglise. Le 4 septembre 1439, Eugène IV définit solennellement « que le Saint-Siège apostolique et le Pontife romain ont le primat sur tout l’univers ; que le Pontife romain est le successeur du bienheureux Pierre prince des apôtres, est l’authentique vicaire du Christ, chef de toute l’Eglise, père et docteur de tous les chrétiens ; que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui a transmis dans la personne du bienheureux Pierre, le plein pouvoir de paître, diriger et gouverner l’Eglise universelle, comme il est attesté également dans les actes des conciles œcuméniques et des sacrés canons » [2].
Dans la lettre Etsi dubitemus du 21 avril 1441, Eugène IV condamna les hérétiques de Bâle et les « diabolici fundatores » de la doctrine du conciliarisme : Marsile de Padoue, Jean de Jandun et Guillaume d’Ockham [3], mais il eut pour Hæc Sancta une attitude hésitante, en proposant ce qui, en termes modernes, pourrait être définie comme une « herméneutique de la continuité ». Dans le décret du 4 septembre 1439, Eugène IV affirme que la supériorité des Conciles sur le pape, énoncée par les Pères de Bâle sur la base d’Hæc Sancta, est « selon l’interprétation perverse de ces gens de Bâle, qu’ils montrent par le fait, contraire à la saine intention de la sainte Ecriture, des saints Pères et du concile de Constance lui-même » [4]. Eugène IV ratifia le Concile de Constance, dans son ensemble et dans ses décrets, à l’exception de « tout préjudice aux droits, à la dignité et à la primauté du Siège Apostolique », comme il l’écrit à son légat le 22 juillet 1446.
La thèse de l’herméneutique de la « continuité » entre Hæc Sancta et la Tradition de l’Eglise fut vite abandonnée. Hæc Sancta est certes l’acte authentique d’un Concile œcuménique légitime, ratifié par trois papes, mais cela ne suffit pas à rendre obligatoire sur le plan doctrinal un document du magistère qui se place en contradiction avec l’enseignement pérenne de l’Eglise. Aujourd’hui nous estimons qu’on ne peut accepter parmi les documents du Concile de Constance que ceux qui ne lèsent pas les droits de la papauté et ne s’opposent pas à la Tradition de l’Eglise. Ces documents n’incluent pas Hæc Sancta, qui est un acte conciliaire formellement hérétique.
Les historiens et les théologiens expliquent qu’Haec Sancta peut être rejetée car il ne s’agit pas d’une définition dogmatique, dans la mesure où il manque dans ce texte les formules caractéristiques comme « anathema sit » et les verbes « ordonne, définit, établit, décrète et déclare ». La portée réelle du décret est de caractère disciplinaire et pastoral et n’implique pas l’infaillibilité [5].
Le schisme de Bâle prit fin en 1449 quand l’antipape Félix V arriva à un accord avec le successeur d’Eugène IV, le pape Nicolas V (1447–1455). Félix abdiqua solennellement et le pape le créa cardinal et vicaire pontifical. La condamnation du conciliarisme fut rappelée par le Vème Concile du Latran, par le Concile de Trente, et par le Concile Vatican I. Qui défend aujourd’hui l’institution de la papauté doit, tout en étudiant ces définitions dogmatiques, approfondir également les œuvres des grands théologiens de la Première et de la Seconde scolastique, afin de trouver dans cette mine doctrinale tous les éléments nécessaires pour affronter la crise actuelle de l’Eglise.
Professeur Roberto de Mattei - Septembre 2016
Sources : corrispondenzaromana /Traduction Marie Perrin pour LPL
- Pacifico Massi, Magistero infallibile del Papa nella teologia di Giovanni de Torquemada, Marietti, Turin 1957, p. 117–122[↩]
- Denz‑H, n° 1307[↩]
- Epistolae pontificiae ad Concilium Florentinum spectantes, Pontificio Istituto Orientale, Rome 1946, p. 28, 24–35[↩]
- Décret du 4 septembre 1439, dans Conciliorum Œcumenicorum Decreta, EDB, Bologne 2002, p. 533[↩]
- cf. par exemple l’article Concile de Constance, du cardinal Alfred Baudrillart, dans le Dictionnaire de Théologie Catholique, III, col. 1221 (coll. 1200–1224[↩]