Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

9 décembre 1854

Allocution consistoriale Singulari quadam

Condamnation des erreurs modernes : laïcisme, rationalisme et indifférentisme

Cet impor­tant dis­cours de Pie IX dénonce les erreurs les modernes alors en plein essor dans les esprits. Ce dis­cours est cité comme source des pro­po­si­tions condam­nées n° 8, 17 et 19 du Syllabus. Ces trois pro­po­si­tions recouvrent les trois thèmes prin­ci­paux du dis­cours : ratio­na­lisme, indif­fé­ren­tisme et laïcisme :

8. Comme la rai­son humaine est égale à la reli­gion elle-​même, les sciences théo­lo­giques doivent être trai­tées comme les sciences philosophiques.

17. Tout au moins doit-​on avoir bonne confiance dans le salut éter­nel de tous ceux qui ne vivent pas dans le sein de la véri­table Église du Christ.

19. L’Église n’est pas une vraie et par­faite socié­té plei­ne­ment libre ; elle ne jouit pas de ses droits propres et constants que lui a confé­rés par son divin Fondateur, mais il appar­tient au pou­voir civil de défi­nir quels sont les droits de l’Église et les limites dans les­quelles elle peut les exercer.

Propositions condam­nées du Syllabus de 1864.

Dans le consis­toire secret du 9 décembre 1854.

Vénérables Frères,

Nous tres­saillons dans le Seigneur d’une joie pro­fonde. Vénérables Frères, en vous voyant aujourd’hui réunis en si grand nombre à Nos côtés, vous que Nous pou­vons à bon droit appe­ler Notre joie et Notre cou­ronne. Vous êtes, en effet, une por­tion de ceux qui par­tagent les tra­vaux et les soins que Nous met­tons à paître le trou­peau tout entier du Seigneur, confié à Notre fai­blesse, à défendre les droits de la reli­gion catho­lique, a lui conqué­rir de nou­veaux dis­ciples qui servent et honorent avec une foi sin­cère le Dieu de jus­tice et de véri­té. Cette parole que le Christ Notre-​Seigneur adres­sa autre­fois au Prince des Apôtres : « Lorsque vous serez conver­ti, ayez soin d’affermir vos frères, »1 semble donc, dans la cir­cons­tance pré­sente, Nous invi­ter, Nous qui par la bon­té divine avons été appe­lé, sans le méri­ter, à tenir sa place, à vous adres­ser la parole, Vénérables Frères, non pour vous rap­pe­ler votre de­voir ou vous deman­der plus d’ardeur ; – Nous savons que vous êtes enflam­més du zèle d’étendre la gloire du divin Nom ; – mais afin que, rani­més et for­ti­fiés par la voix même du Bienheureux Pierre qui vit et vivra dans ses suc­ces­seurs, vous y trou­viez, en quelque sorte, une puis­sance nou­velle pour pro­cu­rer le salut des ouailles qui vous sont confiées, et défendre avec cou­rage et fer­me­té la cause de l’Église, au milieu de toutes les dif­fi­cul­tés du temps présent.

Il n’y a pas eu, du reste, à déli­bé­rer sur le choix du patro­nage que Nous devions employer de pré­fé­rence auprès du Père céleste des lumières, afin que sa grâce Nous aidât à vous par­ler avec fruit. Puisque, en effet, la cause de votre concours auprès de Nous a été d’unir, dans l’unanimité de nos esprits, notre zèle et nos soins pour étendre la gloire de l’auguste Marie, Mère de Dieu, Nous avons sup­plié par des prières réité­rées la très sainte Vierge, Celle que l’Église appelle le Siège de la Sagesse, de vou­loir bien Nous ob­tenir un rayon de la sagesse céleste qui nous éclai­rât et Nous ins­pi­rât les paroles les plus utiles au salut et à la pros­pé­ri­té de l’Église de Dieu. Or, consi­dé­rant du haut de ce Siège, qui est comme la cita­delle de la Religion, les erreurs mons­trueuses qui, en ces temps si dif­fi­ciles, se répandent dans le monde catho­lique, rien ne Nous a paru plus oppor­tun que de vous les indi­quer, afin que vous employiez toutes vos forces à les vaincre, Vénérables Frères, vous qui êtes consti­tués les gar­diens et les sen­ti­nelles de la mai­son d’Israël.

Nous avons tou­jours à gémir sur l’existence d’une race impie d’incrédules, qui vou­draient, s’il était pos­sible, exter­mi­ner tout culte reli­gieux ; et on doit mettre prin­ci­pa­le­ment dans cette classe les affi­liés des socié­tés secrètes, qui, unis entre eux par un pacte détes­table, ne négligent aucun moyen pour bou­le­ver­ser, détruire, par la vio­la­tion de tous les droits, la Religion et l’État ; hommes sur qui tombent, sans aucun doute, ces paroles du divin Réparateur : « Vous êtes les enfants du démon, et vous vou­lez faire les œuvres de votre père. »2 A part ces hommes, il faut avouer que la per­ver­si­té des incré­dules ins­pire géné­ra­le­ment de l’horreur, et qu’il y a dans les esprits une cer­taine dis­po­si­tion à se rap­pro­cher de la Religion et de la Foi.

Soit en effet qu’on en doive rap­por­ter la cause à l’atrocité des for­faits com­mis prin­ci­pa­le­ment dans le siècle pré­cé­dent, for­faits qu’il faut attri­buer à l’incrédulité et qu’on ne peut se rap­pe­ler sans fré­mir, soit la crainte des trou­bles et des révo­lu­tions qui ébranlent si mal­heu­reu­se­ment et déso­lent les Etats et les nations, soit enfin l’ac­tion de cet Esprit divin qui souffle où il veut, il est évident que le nombre de ces mal­heu­reux qui se vantent et se glo­ri­fient de leur incré­du­li­té est aujourd’­hui dimi­nué ; tan­dis qu’au contraire Nous enten­dons de temps en temps faire l’éloge de l’honnêteté de la vie et des mœurs, et Nous voyons un sen­ti­ment d’admiration s’élever dans les âmes pour la Religion catho­lique dont l’éclat brille du reste à tous les yeux comme la lumière du soleil.

C’est là un bien consi­dé­rable, Vénérables Frères, et comme une sorte de pro­grès vers la véri­té ; mais il reste encore bien des obs­tacles qui détournent les hommes de s’attacher tout à fait à la véri­té ou qui du moins les retardent.

ils s’efforcent de ren­fer­mer l’Église dans les limites de l’État, de la domi­ner, elle qui cepen­dant est indé­pen­dante, qui, selon l’ordre divin, ne peut être conte­nue dans les bornes d’aucun empire, mais doit s’étendre jus­qu’aux extré­mi­tés de la terre

En effet, par­mi ceux qui sont char­gés de la direc­tion des affaires publiques, il en est beau­coup qui pré­tendent favo­ri­ser et pro­fes­ser la Religion, qui lui pro­diguent leurs éloges, qui la pro­clament utile et par­fai­te­ment appro­priée à la socié­té humaine ; mais qui n’en veulent pas moins régler sa dis­ci­pline, gou­ver­ner ses ministres, s’ingérer dans l’administration des choses saintes ; en un mot, ils s’efforcent de ren­fer­mer l’Église dans les limites de l’État, de la domi­ner, elle qui cepen­dant est indé­pen­dante, qui, selon l’ordre divin, ne peut être conte­nue dans les bornes d’aucun empire, mais doit s’étendre jus­qu’aux extré­mi­tés de la terre et embras­ser dans son sein tous les peuples et toutes les nations pour leur mon­trer le che­min de l’éternelle félicité.

Et, chose dou­lou­reuse ! au moment où Nous par­lons, Vénérables Frères, une loi est pro­po­sée dans les États Sardes, qui a pour objet de détruire les ins­ti­tuts régu­liers et ecclé­sias­tiques, qui foule entiè­re­ment aux pieds et efface, autant qu’il est pos­sible, les droits de l’Église. Mais Nous Nous réser­vons de trai­ter ici même, une autre fois, ce sujet si grave. Puissent ceux qui combat­tent la liber­té de la Religion catho­lique recon­naître enfin com­bien cette Reli­gion est utile à la chose publique, elle qui, au nom de la doc­trine qu’elle a reçue du Ciel, pro­pose et inculque à chaque citoyen les devoirs qu’il a à rem­plir ; puissent-​ils enfin se per­sua­der ce qu’écrivait jadis à l’empereur Zenon Notre Prédécesseur saint Félix, « qu’il n’est rien de plus utile aux princes que de per­mettre à l’Église de suivre ses lois, car cela leur est salu­taire en ce que, dans les choses de Dieu, ils s’efforcent de subor­don­ner leur volon­té royale aux Prêtres du Christ et non de la mettre au-​dessus d’eux. »

Il faut leur démon­trer com­bien c’est un trait d’arrogance que de cher­cher la rai­son der­nière des mys­tères que, dans l’excès de sa clé­mence, Dieu a dai­gné nous révé­ler, et d’oser se les ap­proprier et les embras­ser par l’impuissante et étroite rai­son de l’homme, puis­qu’ils dépassent de très loin les forces de notre intelligence

En outre, Vénérables Frères, il est des hommes dis­tin­gués par leur érudi­tion qui, tout en avouant que la Religion est le don le plus excellent que Dieu ait accor­dé aux hommes, font néan­moins un si grand cas de la rai­son hu­maine et l’exaltent à un degré tel, que, par la plus grande des folies, ils se figurent qu’elle doit être éga­lée à la Religion elle-​même. Par suite de cette vaine opi­nion de leur part, les sciences théo­lo­giques leur semblent devoir être trai­tées de la même manière que les sciences phi­lo­so­phiques ; tan­dis que les pre­mières reposent pour­tant sur les dogmes de la foi, les­quels l’emportent sur tout en fer­me­té et en soli­di­té, et que, d’autre part, les der­nières sont dé­veloppées et mises en lumière par la rai­son, qui est ce qu’il y a de plus incer­tain, vu qu’elle change sui­vant la diver­si­té des esprits et qu’elle est sujette à des décep­tions et à des illu­sions sans nombre. Ainsi, l’autorité de l’Eglise se trou­vant reje­tée, le plus vaste champ s’est ouvert à toutes les ques­tions les plus dif­fi­ciles et abs­traites, et la rai­son de l’homme, confiante dans ses faibles forces, se don­nant plus libre­ment car­rière, est tom­bée dans les plus hon­teuses erreurs, que Nous n’avons ni le temps ni la volon­té de retra­cer ici, puisque vous les connais­sez et les avez consta­tées par­fai­te­ment, et qui ont aus­si pro­duit, pour la Religion et dans l’ordre civil, les plus per­ni­cieux effets. C’est pour­quoi il faut faire voir à ces hommes qui élèvent plus qu’il ne convient les forces de la rai­son humaine, que cela est contraire à cette maxime très vraie du Docteur des nations : « Si quelqu’un pense qu’il est quelque chose, alors qu’il n’est rien, il se trompe lui-​même. »3 Il faut leur démon­trer com­bien c’est un trait d’arrogance que de cher­cher la rai­son der­nière des mys­tères que, dans l’excès de sa clé­mence, Dieu a dai­gné nous révé­ler, et d’oser se les ap­proprier et les embras­ser par l’impuissante et étroite rai­son de l’homme, puis­qu’ils dépassent de très loin les forces de notre intel­li­gence, laquelle, sui­vant la parole du même Apôtre, doit être cap­ti­vée sous l’obéissance de la foi.

L’on ne peut dou­ter encore que cette classe de par­ti­sans ou plu­tôt d’ado­rateurs de la rai­son humaine, qui s’en font comme une maî­tresse sûre et, sous sa conduite, se pro­mettent toute espèce de bon­heur, a oublié de quelle grave et cruelle bles­sure la faute du pre­mier père a frap­pé la nature humaine, puisque tout à la fois l’esprit a été rem­pli de ténèbres et la volon­té incli­née vers le mal. C’est pour cela que les plus célèbres phi­lo­sophes de l’époque la plus recu­lée, quoiqu’ils aient excel­lem­ment écrit un grand nombre de choses, ont cepen­dant souillé leurs doc­trines de très graves erreurs ; de là encore ce com­bat conti­nuel que nous éprou­vons en nous, et dont parle l’Apôtre : « Je sens dans mes membres une loi qui répugne à la loi de mon esprit. » Maintenant qu’il est constant que la tache ori­gi­nelle pro­pa­gée à tous les des­cen­dants d’Adam a affai­bli la lumière de la rai­son, et que le genre humain a fait une chute très- mal­heu­reuse de l’état pri­mi­tif de jus­tice et d’innocence, qui trou­ve­ra la rai­son suf­fi­sante pour arri­ver à la véri­té ? qui nie­ra qu’au milieu de si pres­sants dan­gers, et de l’infirmité si grande qui a atteint ses forces, afin de ne point tom­ber et de n’être point ren­ver­sé, il ait besoin, pour son salut, des secours de la reli­gion divine et de la grâce céleste ? Or, ces secours, Dieu les donne dans sa très grande bon­té à ceux qui les demandent par une humble prière, selon qu’il est écrit : « Dieu résiste aux superbes, mais il donne sa grâce aux hum­bles. »4 C’est pour­quoi le Christ notre Seigneur, s’adressant un jour à son Père, décla­ra que les mys­tères les plus pro­fonds des véri­tés n’avaient point été mani­fes­tés aux pru­dents et aux sages de ce siècle, qui s’enorgueillissent de leur génie et de leur science et n’admettent point que l’obéissance de la foi soit plus excel­lente, mais au contraire aux hommes humbles et simples qui s’ap­puient et se reposent sur l’oracle de la foi divine. Il importe que vous incul­quiez ce salu­taire ensei­gne­ment aux esprits de ceux qui exa­gèrent la puis­sance de la rai­son humaine au point qu’ils osent, par son secours, scru­ter et ex­pliquer les mys­tères eux-​mêmes, entre­prise la plus inepte et la plus insen­sée de toutes ; efforcez-​vous de les détour­ner d’une si grande per­ver­si­té d’esprit, en leur fai­sant voir que la Providence n’a rien don­né de plus excellent aux hommes que l’autorité de la foi divine, que c’est en elle qu’ils trou­ve­ront comme un flam­beau dans les ténèbres, un guide à suivre pour arri­ver à la vie ; qu’elle est d’une abso­lue néces­si­té pour le salut, puisque « sans la foi il est im­possible de plaire à Dieu »5, et que « celui qui n’aura point cru sera condam­né. »6

Il faut en effet admettre de foi que, hors de l’Eglise Apostolique Romaine per­sonne ne peut être sau­vé, qu’elle est l’unique arche du salut, que celui qui n’y serait point entré péri­ra par le déluge : cepen­dant il faut aus­si recon­naître d’autre part avec cer­ti­tude que ceux qui sont à l’égard de la vraie Religion dans une igno­rance invin­cible n’en portent point la faute aux yeux du Seigneur.

Nous avons appris avec dou­leur qu’une autre erreur non moins funeste s’était répan­due dans quelques par­ties du monde catho­lique, et qu’elle s’était empa­rée des esprits d’un grand nombre de Catholiques qui s’imaginent qu’on peut espé­rer le salut éter­nel de ceux qui ne font point par­tie de la vraie Eglise du Christ. De là vient qu’ils posent fré­quem­ment la ques­tion de savoir quels seront, après la mort, le sort et la condi­tion de ceux qui n’ont été nul­le­ment atta­chés à la foi catho­lique, et, après avoir pro­duit les rai­sons les plus vaines, ils attendent une réponse qui favo­rise cette opi­nion erro­née. Loin de Nous, Vénérables Frères, que Nous osions mettre des limites à la miséri­corde divine, qui est infi­nie ; loin de Nous que Nous vou­lions appro­fon­dir les conseils et les juge­ments cachés de Dieu, abîme immense où la pen­sée de l’homme ne peut péné­trer. Mais, selon le devoir de Notre charge Apostolique, Nous vou­lons exci­ter votre sol­li­ci­tude et votre vigi­lance épis­co­pale, afin que, dans toute l’étendue de vos forces, vous chas­siez de l’esprit des hommes cette opi­nion impie et funeste que le che­min du salut éter­nel peut se trou­ver dans toutes les reli­gions. Démontrez, avec cette habi­le­té et cette science par les­quelles vous excel­lez, aux peuples qui sont confiés à vos soins, que les dogmes de la foi catho­lique ne sont nul­le­ment contraires à la misé­ri­corde et à la jus­tice de Dieu. Il faut en effet admettre de foi que, hors de l’Eglise Apostolique Romaine per­sonne ne peut être sau­vé, qu’elle est l’unique arche du salut, que celui qui n’y serait point entré péri­ra par le déluge : cepen­dant il faut aus­si recon­naître d’autre part avec cer­ti­tude que ceux qui sont à l’égard de la vraie Religion dans une igno­rance invin­cible n’en portent point la faute aux yeux du Seigneur. Maintenant, à la véri­té, qui ira, dans sa pré­somp­tion, jusqu’à mar­quer les limites de cette igno­rance, sui­vant le carac­tère et la diver­si­té des peuples, des pays, des esprits et de tant d’autres choses ? Oui sans doute, lorsque, affran­chis de ces entraves cor­po­relles, nous ver­rons Dieu tel qu’il est, nous com­pren­drons quel lien étroit et beau unit en Dieu la misé­ri­corde et la jus­tice ; mais tant que nous sommes dans ce séjour ter­restre, affais­sés sous ce far­deau mor­tel qui écrase l’âme, croyons fer­me­ment, d’après la doc­trine catho­lique, qu’il est un Dieu, une foi, un bap­tême ; aller plus loin dans ses recherches n’est plus licite. Au reste, sui­vant que la cha­ri­té le demande, fai­sons des prières fré­quentes pour que toutes les nations, quelles que soient les régions qu’elles habitent, se conver­tissent au Christ, et dévouons-​nous de toutes nos forces au salut com­mun des hommes, car le bras du Seigneur n’est point rac­cour­ci, et les dons de la grâce céleste ne sau­raient nul­le­ment faire défaut à ceux qui dési­rent et demandent sin­cè­re­ment à être réjouis de cette lumière.

Ces sortes de véri­tés doivent être gra­vées très pro­fon­dé­ment dans les esprits des fidèles, afin qu’ils ne puissent être cor­rom­pus par de fausses doc­trines qui vont à entre­te­nir l’indifférence, que nous voyons se répandre de plus en plus et se for­ti­fier au détri­ment mor­tel des âmes.

Pour com­battre les erreurs que Nous avons expo­sées jusqu’à pré­sent, erreurs les plus impor­tantes, qui sur­tout attaquent aujourd’hui l’Eglise, oppo­sez, Vénérables Frères, et votre ver­tu et votre constance, et pour les rui­ner et les effa­cer entiè­re­ment, il est néces­saire que vous vous entou­riez d’Ecclésias­tiques, les com­pa­gnons et les auxi­liaires de vos tra­vaux. C’est pour Nous un sujet d’immortelle joie que le Clergé catho­lique ne néglige rien, ne recule devant aucune fatigue pour satis­faire ample­ment à son devoir et à sa charge ; et bien plus, que ni la dif­fi­cul­té et la lon­gueur du che­min, ni la crainte de quelque incon­vé­nient que ce soit, ne l’arrêtent pour l’empêcher de gagner les conti­nents et les îles les plus sépa­rés entre eux, et par ses leçons salu­taires d’y civi­li­ser et éta­blir, dans la dis­ci­pline de la loi chré­tienne, les nations bar­bares. Nous Nous réjouis­sons aus­si que ce même Clergé, au milieu de la cala­mité d’une épi­dé­mie très cruelle qui a rem­pli de deuil tant de cités, un si grand nombre des villes les plus popu­leuses, ait rem­pli avec tant d’empresse­ment tous les devoirs de la cha­ri­té, qu’il ait consi­dé­ré comme glo­rieux et beau pour lui de don­ner sa vie pour le salut du pro­chain. Non, sans doute, il n’est point d’ar­gu­ment plus fort pour prou­ver que dans l’Eglise catho­lique, qui est la seule vraie, brûle sans pou­voir s’éteindre le feu si beau de la cha­ri­té que le Christ est venu répandre sur la terre pour l’en embraser.

Nous avons vu, en effet que les femmes consa­crées à Dieu ont riva­li­sé avec le Clergé dans le soin des malades, et que l’aspect de la mort que la plu­part ont endu­rée avec la plus grande constance, ne leur a point ins­pi­ré de crainte : exemple de cou­rage extra­or­di­naire que ceux-​là mêmes qui n’appar­tiennent point à la foi catho­lique n’ont pu voir sans une stu­pé­fac­tion mêlée d’admiration.

Il faut les exhor­ter à expli­quer fré­quem­ment aux fidèles com­bien l’Hostie divine a de force pour détour­ner les châ­ti­ments dus aux crimes des hommes, et com­bien il importe, par consé­quent, d’assister au saint sacri­fice de la Messe avec reli­gion et de ma­nière à en recueillir les fruits abon­dants qu’il produit.

C’est là un juste motif de nous réjouir, Vénérables Frères : mais ce qui rend les sou­cis de Notre cœur durs et pénibles, c’est qu’en cer­tains lieux il y a dans le Clergé des hommes qui ne se montrent pas en tout les ministres du Christ et les dis­pen­sa­teurs des mys­tères de Dieu. Il en résulte que le Pain de la Parole divine manque au peuple chré­tien, qui n’en reçoit point la nour­riture néces­saire à la vie, qu’il aban­donne le fré­quent usage des Sacre­ments, où se puise une si grande force pour obte­nir ou conser­ver la grâce de Dieu. Ces prêtres doivent être aver­tis, Vénérables Frères, et ardem­ment exci­tés à rem­plir avec soin, régu­la­ri­té et fidé­li­té, les fonc­tions du saint minis­tère ; il faut leur repré­sen­ter toute la gra­vi­té de la faute dont ils se rendent cou­pables, en refu­sant, dans un temps où la mois­son est si abon­dante, de tra­vailler dans le champ du Seigneur. Il faut les exhor­ter à expli­quer fré­quem­ment aux fidèles com­bien l’Hostie divine a de force pour détour­ner les châ­ti­ments dus aux crimes des hommes, et com­bien il importe, par consé­quent, d’assister au saint sacri­fice de la Messe avec reli­gion et de ma­nière à en recueillir les fruits abon­dants qu’il pro­duit. Sans aucun doute, les fidèles seraient en cer­tains lieux plus empres­sés à pro­duire les actes de pié­té, s’ils rece­vaient du Clergé une direc­tion plus vive et de plus grands secours. Vous voyez par-​là, Vénérables Frères, com­bien les Séminaires, dont le gou­vernement et la direc­tion appar­tient aux Evêques seuls, et non pas au pou­voir civil, sont aujourd’hui impor­tants et néces­saires pour pré­pa­rer de dignes ministres du Christ. Avez soin de for­mer à la pié­té et à la doc­trine les jeunes gens, espoir de la Religion, qui croissent dans ces asiles, afin que, munis de ce double glaive, ils deviennent un jour de bons sol­dats pour com­battre les com­bats du Seigneur. Soit pour les sciences théo­lo­giques, soit même pour les sciences phi­lo­so­phiques, ne leur met­tez entre les mains que des au­teurs d’une foi éprou­vée, afin qu’ils ne soient en aucune façon imbus d’opi­nions moins conformes à la doc­trine catholique.

De la sorte vous pour­voi­rez, Vénérables Frères, au bien et à l’accroissement de l’Eglise. Mais pour que nos efforts en faveur de l’Église aient d’excellents résul­tats, la concorde la plus par­faite, l’union des esprits est indis­pen­sable : il faut éloi­gner toute espèce de dis­sen­sions, elles brisent le lien de la cha­ri­té, et le per­fide enne­mi du genre humain ne manque pas de les fomen­ter, sachant bien de quel secours elles lui sont pour faire le mal. Rappelons-​nous les défen­seurs de la foi catho­lique dans les temps anciens ; ils triom­phèrent des héré­sies les plus opi­niâtres parce qu’ils des­cen­daient dans l’a­rène inti­me­ment unis entre eux et avec le Siège Apostolique, comme les sol­dats avec leur chef.

La gran­deur de ce pri­vi­lège [de l’Immaculée Conception] ser­vi­ra puissam­ment à réfu­ter ceux qui pré­tendent que la nature humaine n’a pas été dété­rio­rée par suite de la pre­mière faute

Telles sont les choses que Nous avons jugé devoir vous faire entendre, Vé­nérables Frères, dans Notre soin et Notre sol­li­ci­tude à rem­plir le minis­tère Apostolique que la clé­mence et la bon­té de Dieu ont impo­sé à Notre fai­blesse. Mais Nous Nous sen­tons rele­vé et for­ti­fié, d’abord par l’espérance du secours céleste ; ensuite le zèle ardent dont vous avez don­né tant de preuves pour la Religion et la pié­té est un secours sur lequel Nous comp­tons avec confiance dans de si grandes dif­fi­cul­tés. Dieu pro­té­ge­ra son Eglise, il favo­ri­se­ra nos vœux com­muns, sur­tout si nous obte­nons l’intercession et les prières de la très sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, que Nous avons, à Notre grande joie, en Notre pré­sence et au milieu de vos applau­dis­se­ments, pro­cla­mée exemple de la tâche du péché ori­gi­nel. C’est un glo­rieux pri­vi­lège assu­ré­ment, et qui con­venait plei­ne­ment à la Mère de Dieu, d’avoir échap­pé saine et sauve au dé­sastre uni­ver­sel de notre race. La gran­deur de ce pri­vi­lège ser­vi­ra puissam­ment à réfu­ter ceux qui pré­tendent que la nature humaine n’a pas été dété­rio­rée par suite de la pre­mière faute, et qui exa­gèrent les forces de la rai­son pour nier ou dimi­nuer le bien­fait de la reli­gion révé­lée. Fasse enfin la bien­heu­reuse Vierge, qui a vain­cu et détruit toutes les héré­sies, que soit aus­si entiè­re­ment déra­ci­née et effa­cée cette per­ni­cieuse erreur du Rationalisme, qui, à notre mal­heu­reuse époque, ne tour­mente pas seule­ment la socié­té civile, mais qui afflige encore si pro­fon­dé­ment l’Église !

Maintenant il Nous reste, Vénérables Frères, à vous dire qu’autant Nous avons éprou­vé de conso­la­tion à vous voir arri­ver avec le plus grand empres­sement des contrées les plus loin­taines vers cette Chaire apos­to­lique, bou­le­vard de la foi, maî­tresse de la véri­té, sou­tien de l’unité catho­lique, autant Nous met­tons d’ardeur à vous sou­hai­ter, avant que vous retour­niez vers vos sièges, toutes sortes de féli­ci­tés, de biens et de joies. Que Dieu, arbitre de toutes choses et auteur de tout bien, vous donne l’esprit de sagesse et d’intelligence, afin que vous détour­niez de vos ouailles les pièges ten­dus pour leur perte, et que ce Dieu bon et pro­pice favo­rise et confirme par sa puis­sance ce que vous avez entre­pris déjà ou entre­pren­drez à l’avenir pour l’avantage de vos Eglises ; qu’il donne aux fidèles confiés à vos soins un tel esprit qu’ils ne cherchent ja­mais à s’éloigner des côtés du pas­teur ; mais qu’ils écoutent sa voix, et courent par­tout où les appelle sa volon­té. Que la Vierge très sainte, imma­cu­lée dans sa Conception, vous assiste ; qu’elle vous serve, dans vos doutes, de fidèle con­seil, dans vos angoisses de sou­tien, dans les adver­si­tés de secours. Enfin, levant au ciel Nos mains, Nous vous bénis­sons, vous et votre trou­peau, du fond du cœur. Que cette béné­dic­tion Apostolique soit comme un gage assu­ré de Notre cha­ri­té envers vous, qu’elle soit comme un pré­sage infaillible de la vie éter­nelle et bien­heu­reuse que Nous sou­hai­tons à vous et à votre trou­peau, et que Nous deman­dons du Souverain Pasteur des âmes, Jésus-​Christ, à qui soit, ain­si qu’au Père et au Saint-​Esprit, hon­neur, louange et action de grâces pen­dant toute l’éternité.

Source : Recueil des allo­cu­tions consis­to­riales, ency­cliques et autres lettres apos­to­liques citées dans l’encyclique et le Syllabus, Librairie Adrien Le Clere, Paris, 1865.

  1. Lc 22, 32. []
  2. Jn VIII, 44 []
  3. Ga 6, 3. []
  4. Jc 4, 6. []
  5. He 11, 6 []
  6. Mc 16, 16. []