La déplorable loi de séparation de l’Église et de l’État ayant été votée en France et adoptée le 9 décembre 1905, le Pape avait fait entendre sa vive protestation par l’encyclique Vehementer nos. Par le fait même, l’Etat français n’intervenait plus dans la nominations des évêques. Le Saint-Siège profita de ce malheur pour nommer des évêques fermes que le Pape encouragea par ces mots :
Votre vue apporte aujourd’hui à Notre cœur de Pasteur, affligé depuis longtemps d’un cruel chagrin, une consolation tout à fait opportune, et comme une joie ; il convient en effet de vous saluer de ces paroles très aimantes de l’apôtre Paul : Fratres mei carissimi et desideratissimi, gaudium meum et corona mea [1]. Gaudium, parce que, appelés à accomplir en union avec Nous les travaux du ministère apostolique, vous Nous prêterez, Dieu aidant, une aide active et zélée. Corona également, car vous apportez à l’Église de Dieu un splendide ornement par le renom de la doctrine, la piété et les autres vertus dans lesquelles brille chacun de vous.
Tenez-vous donc dans le Seigneur, mes très chers, et réjouissez-vous. Car c’est le propre de la divine Providence que ceux qu’elle institue pasteurs des âmes apparaissent par une faveur divine fortifiés et comme revêtus d’une haute et incroyable vertu, qui ne peut jamais être brisée ni affaiblie par les efforts des hommes ou par la vicissitude des choses. – Il est vrai que la charge épiscopale, formidable même aux épaules des anges, est en tout temps soumise à des labeurs, à des soucis, à des anxiétés innombrables ; mais, dans le présent, les circonstances augmentent la lourdeur du poids de ce ministère. La condition douloureuse de l’Eglise et de la religion est mise en pleine lumière et sous les yeux de tous, clairement reconnue de tous.
Certes, c’est une grande cause de tristesse qu’il y en ait tant que la perversité des erreurs et l’insolence envers Dieu entraînent et précipitent dans l’abîme ; tant qui, à quelque forme de religion qu’ils appartiennent, semblent maintenant s’affranchir de la foi divine ; et qu’il y en ait si peu, même parmi les catholiques ayant conservé de la religion encore le nom, qui gardent la chose et accomplissent ses devoirs ; Beaucoup plus graves sont l’angoisse et la souffrance de Notre cœur, pour les maux désastreux et funestes provenant surtout de ce que l’Église, non seulement ne compte nulle part dans l’administration des États, mais encore voit combattre, de propos délibéré, son influence si salutaire de toutes façons. En cela apparaît le grand et juste châtiment du Dieu vengeur, qui permet que les nations qui s’écartent de lui i s’engourdissent dans le misérable aveuglement des esprits.
C’est pourquoi, si, au milieu de tant de maux si pressants, Nous sommes contraint de vous imposer le poids du ministère apostolique, par ces paroles de Jésus-Christ : « Voici que je vous envoie, comme des brebis au milieu des loups [2] », Nous vous exhortons vivement à vous souvenir des enseignements qu’au même endroit le Christ donne à ses apôtres. Vous êtes des brebis ; et, puisque la douceur est le propre des brebis, voyez de quelles armes vous devez constamment vous servir contre les contempteurs de la religion et de votre dignité, à savoir la bonté, la charité, la patience. « Soyez, ajoute-t-il, simples comme des colombes. » Mais une simplicité de cette sorte exclut entièrement, cela est évident, toutes fourberies, simulations et fraudes familières aux ennemis de l’Église, et singulièrement nuisibles. Et le Maître très bon n’a pas omis ceci : « Soyez prudents comme des serpents », c’est-à-dire sans cesse vigilants en toutes choses ; redoutant avec circonspection les artifices ingénieux des adversaires ; pourvoyant soigneusement à ce qu’aucune chose ou apparence dans vos actes puisse donner prise à la calomnie ou à l’outrage ; enfin, défendant avec magnanimité la justice, la foi et la probité, non seulement en faisant le sacrifice des biens matériels, mais avec le mépris de la vie même.
Il faut surtout que les pasteurs de l’Église s’étudient avec sollicitude, et de tout leur pouvoir, à garder entre eux cet accord de sentiments, par la force duquel nul ne puisse vouloir en particulier ce que ne voudrait pas l’ensemble des autres unis entre eux par un heureux accord. Il n’échappe à personne, en effet, qu’un tel accord des cœurs et des volontés fait vraiment notre soutien et notre force, et qu’en découlent abondamment ces secours qui sont très nécessaires à l’accomplissement de notre ministère.
Le Christ a ainsi constitué son Église qu’elle tire sa force partout et toujours de cette unité qui relie ses membres entre eux ; aussi l’Église, dans les Saintes Écritures, est-elle comparée à une armée prête au combat, et lui est-il recommandé d’être redoutable comme une troupe rangée en bataille ; tandis qu’au contraire, au témoignage d’Augustin, la discorde des chrétiens est le triomphe des démons ; ce qui ressort clairement de celte sentence du Christ : « Tout royaume divisé en son sein sera détruit » [3]. Et, en réalité, comme c’est à ce but que tendent de tout leur esprit les plus acharnés ennemis de l’Église et de la foi, à savoir que cette merveilleuse unité soit détruite, ils n’ont de cesse qu’ils n’aient séparé les brebis de leurs pasteurs, et ils atteignent à ce degré de malice qu’ils cherchent à soulever des dissensions entre les pasteurs eux-mêmes.
C’est pourquoi ayez avant tout à cœur cette unité, génératrice de biens si excellents. Tenons-nous ensemble, sous les auspices du souverain Prince des pasteurs, et vainquons les ennemis de la Croix, tous les jours plus forts, dans un combat plus heureux par la concorde, et entourons de toutes parts le dépôt sacré de la foi, comme un bataillon carré. Et nous ne doutons pas que l’illustre nation française, émue à la pensée de l’Etat chancelant misérablement, s’unissant de cœur aux pasteurs de l’Église et leur obéissant, comme il est juste, ne fasse en sorte, dans la mesure de ses forces, de se montrer tout à fait digne de ses pères et de ses aînés, fils généreux de l’Eglise catholique.
Que si, dans les circonstances troublées et fatales an nom chrétien, il faut demander à Dieu tout-puissant le seul refuge contre les épreuves et les tourments, afin qu’il vienne en aide à son Eglise souffrante et qu’il lui communique la force de combattre et le pouvoir de triompher, il faut maintenant que tous à l’envi nous implorions le secours de Dieu lui-même et que nous prenions comme intercesseurs auprès de lui la très glorieuse Vierge Marie et les célestes patrons de la France. Que, dans sa bonté, il accède à nos vœux communs ; qu’il console l’Église par le don si désiré d’une liberté tranquille : qu’il rende à tous les catholiques de France, que Nous entourons d’un amour paternel, une paix solide et une prospérité véritable par la foi.
Source : Actes de S. S. Pie X, La Bonne Presse