Un concordat favorable est signé à Madrid le 16 mars 1851, entre le Saint-Siège et le royaume d’Espagne, sous le pontificat de Pie IX et le règne d’Isabelle II. Dans ce discours prononcé en consistoire secret, le Pape se félicite de voir que ce concordat permet d’appliquer la doctrine catholique dans toute sa vigueur : la religion catholique est reconnue comme la seule religion de l’état, les cultes des fausses religions sont interdits, les évêques d’Espagne jouissent du plein exercice de leur juridiction sans être entravés, ils jouissent du droit de censure sur les livres religieux, l’enseignement public ou privé doit être entirèrement conforme à la doctrine catholique.
Vénérables frères,
Toute la terre connaît et vous connaissez mieux que personne les troubles et les calamités, suite funeste de révolutions déplorables, qui ont agité, il y a plusieurs années, l’illustre nation espagnole, si dévouée à l’Eglise catholique et à ce Saint-Siège. Vous savez aussi quels maux graves et qu’on ne saurait assez déplorer en ont été la conséquence pour les Eglises, les Evêchés, les chapitres et les monastères, pour tout le clergé et pour tout le peuple fidèle de ce vaste royaume ; quelle persécution a sévi contre la religion catholique, contre les sacrés Pasteurs et les autres ecclésiastiques, et de quelles violences ont été l’objet les droits les plus sacrés, les biens, les libertés de l’Eglise, la dignité et l’autorité de ce Siège Apostolique. Vous n’ignorez pas non plus, Vénérables Frères, avec quelle sollicitude, avec quel zèle, notre prédécesseur Grégoire XVI, de sainte mémoire, s’efforça, par ses réclamations, ses plaintes, ses prières, et par tous les moyens en son pouvoir, de porter secours à la religion dans ce pays et d’y réparer ses ruines. Elevé, malgré notre indignité, et par un secret jugement de Dieu, à la charge qu’occupait notre Prédécesseur, les premières pensées de notre âme et nos premiers soins furent donnés à cette nation si chère, afin d’y rétablir les affaires ecclésiastiques, autant que cela se pouvait, d’une manière conforme à la règle des sacrés canons, et de guérir les blessures faites à cette Eglise. C’est pourquoi, après Nous être assuré que certaines conditions et garanties importantes et principales, d’abord proposées par Nous, avaient été adoptées avec promesse de les observer, condescendant avec joie aux instances de Notre bien-aimée Fille en Jésus-Christ, Marie-Isabelle, Nous envoyâmes, comme vous savez, muni des pouvoirs et des instructions nécessaires, Notre Vénérable Frère Jean, Archevêque de Thessalonique, pour remplir auprès de Sa Majesté Catholique les fonctions, d’abord de Délégat apostolique, et plus tard celle de Nonce de ce Saint-Siège, afin de traiter avec le plus grand soin et de faire aboutir les affaires ecclésiastiques de ce royaume. Vous vous rappelez, Vénérables Frères, que Nous avions surtout à cœur de pourvoir de pasteurs légitimes les Eglises de ce royaume, si misérablement veuves, depuis tant d’années, d’Evêques dignes de les régir, et que, par une protection particulière de Dieu et par les soins de Notre bien-aimée Fille en Jésus-Christ, Nous eûmes la joie d’atteindre ce but désiré.
Aujourd’hui Nous pouvons vous apprendre que nos efforts pour régler les autres affaires sacrées et ecclésiastiques de ce royaume n’ont pas été stériles, et que Nous le devons principalement à la bonne volonté de Notre bien-aimée Fille en Jésus-Christ et au désir qu’elle a de procurer le bien de la religion. Après de longues négociations entre Nous et la Reine Catholique, une convention a été souscrite par les plénipotentiaires des deux parties : en Notre nom, par Notre Vénérable Frère l’Archevêque de Thessalonique ; au nom de la reine, par son ministre des affaires étrangères, notre cher Fils le noble Em. Bertran de Lys. Cette convention, ratifiée par la reine, l’a été par Nous, après que Nous avons eu pris l’avis de Nos Vénérables Frères les Cardinaux de la Congrégation pour les affaires ecclésiastiques extraordinaires, et Nous ordonnons qu’elle vous soit communiquée avec la Lettre apostolique par laquelle Nous la confirmons, afin que vous ayez ample et claire connaissance de toute l’affaire.
Le grand objet de Nos préoccupations est d’assurer l’intégrité de notre religion très-sainte et de pourvoir aux besoins spirituels de l’Eglise. Or, vous verrez que dans la convention susdite on a pris pour base ce principe que la religion, avec tous les droits dont elle jouit en vertu de sa divine institution et des règles établies par les sacrés canons, doit, comme autrefois, être exclusivement dominante dans ce royaume, de telle sorte que tout autre culte en sera banni et y sera interdit. Il est par conséquent établi que la manière d’élever et d’enseigner la jeunesse dans toute université, collège ou séminaire, dans toute école publique ou privée, sera pleinement conforme à la doctrine de la religion catholique. Les Evêques et les chefs des diocèses qui, en vertu de leur charge, sont tenus de protéger la pureté de l’enseignement catholique, de le propager, de veiller à ce que la jeunesse reçoive une éducation chrétienne, ne trouveront aucun obstacle à l’accomplissement de ces devoirs ; ils pourront, sans rencontrer le moindre empêchement, exercer la surveillance la plus attentive sur les écoles même publiques, et remplir librement, dans toute sa plénitude, leur charge de pasteurs.
Nous avons, avec la même sollicitude, travaillé à assurer la dignité et la liberté du pouvoir ecclésiastique. Il a été adopté non-seulement que les sacrés pasteurs jouiraient de la plénitude de leur puissance dans l’exercice de la juridiction épiscopale, afin de protéger efficacement la foi catholique et la discipline ecclésiastique, de conserver dans le peuple chrétien l’honnêteté des mœurs, de procurer aux jeunes gens, à ceux principalement qui sont appelés à être le partage du Seigneur, une bonne éducation, de remplir, en un mot, tous les devoirs de leur ministère ; mais, de plus, il a été convenu que les autorités civiles devront, en toute occasion, s’attacher à faire rendre à l’autorité ecclésiastique l’honneur, l’obéissance et le respect qui lui sont dus. Ajoutons que l’illustre reine et son gouvernement promettent de soutenir de leur puissance et de défendre les Evêques, lorsque leur devoir les obligera de réprimer la méchanceté et de s’opposer à l’audace de ces hommes qui cherchent à pervertir les esprits des fidèles ou à corrompre leurs mœurs, ou lorsqu’ils devront prendre des mesures pour éloigner de leurs troupeaux et en extirper la peste mortelle des mauvais livres.
Une nouvelle circonscription diocésaine du royaume d’Espagne était regardée comme pouvant être la source d’un plus grand bien spirituel pour les fidèles ; c’est pourquoi, de Notre autorité et du consentement de la reine, Nous entreprîmes de la tracer, et Nous publierons à ce sujet des Lettres apostoliques, lorsque tout ce qui regarde l’accomplissement de ce travail sera discuté et conclu.
Quant aux communautés religieuses, si utiles à l’Eglise et à l’Etat lorsqu’elles sont maintenues dans la discipline du devoir et régulièrement gouvernées, Nous n’avons pas manqué, autant qu’il a été en Nous, de mettre les ordres réguliers en situation d’être conservés, rétablis et multipliés. Et en vérité, la piété traditionnelle de la reine, Notre chère fille dans le Christ, et l’amour envers la religion, qui est le trait distinctif de la nation espagnole, Nous donnent la consolation d’espérer que les ordres religieux recouvreront chez ce peuple toute la considération dont ils jouissaient autrefois, et y reprendront leur ancienne splendeur. Afin donc que rien ne pût nuire au bien de la religion, non-seulement il a été arrêté que toute loi, ordonnance ou décret contraire à la présente convention serait retiré et abrogé, mais encore il a été stipulé qu’en ce qui concerne les affaires et les personnes ecclésiastiques, dont il n’est pas fait mention dans cette convention, ou devra se conformer entièrement à la teneur des sacrés canons et de la discipline aujourd’hui en vigueur dans l’Eglise.
Nous n’avons pas négligé les intérêts temporels de l’Eglise, et Nous avons mis toute notre sollicitude à maintenir énergiquement son droit, soit à acquérir, soit à posséder des biens et des revenus de toute nature ; droits qu’attestent, proclament et démontrent les actes innombrables des Conciles, les enseignements et les actions des saints Pères et les constitutions de Nos prédécesseurs. Et plût à Dieu que partout et toujours les biens consacrés à Dieu et à son Eglise fussent demeurés inviolables, et que les hommes eussent conservé pour eux le respect qui leur est dû ! Nous n’aurions pas à déplorer tant de maux et de calamités de tout genre que personne n’ignore, et qu’ont attirés sur la société civile elle-même ces iniques et sacrilèges spoliations des choses et des biens ecclésiastiques qui ont ouvert la voie aux funestes erreurs du socialisme et du communisme.
Vous trouverez donc établi et confirmé dans la nouvelle convention le droit de l’Eglise à acquérir de nouvelles possessions ; il est de plus stipulé qu’à l’égard des biens dont elle jouit, ou qu’elle pourra acquérir dans la suite, l’Eglise en conservera à toujours la propriété entière et inviolable, et quant aux biens qui n’ont pas encore été vendus, qu’ils lui seront restitués sans retard. Cependant, ayant appris par des témoignages graves et dignes de foi que quelques-uns des biens non encore aliénés sont tombés dans un état si misérable et d’une si onéreuse administration, qu’il y aurait avantage pour l’Eglise à les voir aliénés et à en échanger la valeur contre des rentes sur l’Etat, Nous avons cru devoir consentir à cet échange, mais à cette condition que les rentes données en retour ne pourront jamais être détournées à aucun autre usage, et ce consentement, Nous ne l’avons donné que pour les biens dont la restitution à l’Eglise a été effectuée.
Nous avons de plus tout mis en œuvre pour que les Evêques, les chapitres, les paroisses et les séminaires jouissent de revenus convenables et assurés. Ces revenus assignés à l’Eglise à titre perpétuel seront laissés à sa libre administration. Tout cela, assurément, ne peut pas se comparer à l’antique richesse du clergé espagnol, et, par suite de la difficulté des temps, ils sont de beaucoup inferieurs à ce que Nous aurions désiré Mais Nous savons quelle est la religion et la piété du clergé de l’Espagne ; c’est pourquoi Nous ne doutons pas le moins du monde que, se résignant à la volonté de Dieu et travaillant de plus en plus à s’enrichir de toutes les vertus, il n’applique toutes ses forces à cultiver avec une industrie et une ardeur plus vive, laborieusement et en conscience, la vigne du Seigneur, d’autant plus qu’en vertu de la liberté garantie à l’Eglise par la nouvelle convention, il est heureusement délivré de tous les obstacles qui entravaient auparavant le ministère sacré, et qu’il lui est par conséquent plus facile de s’attirer et de se concilier l’obéissance, l’amour et la vénération des peuples. Au reste, le droit plein et entier d’acquérir étant stipulé et garanti, les Eglises espagnoles ont une voie ouverte pour arriver à la possession de revenus plus considérables et qui leur fournissent le moyen de pourvoir plus décemment à la splendeur du culte divin et d’assurer aux membres du clergé un traitement plus convenable. Nous comptons aussi, pour des temps meilleurs, sur la munificence royale de notre bien-aimée Fille en Jésus-Christ, sur les soins de son gouvernement, et sur l’amour et le dévouement que porte à la religion la nation espagnole. Par tout ce que Nous vous indiquons sommairement et à la hâte, vous comprenez, Vénérables Frères, avec quel soin Nous Nous sommes appliqué à rétablir les affaires ecclésiastiques de l’Espagne, et quelle est notre espérance de voir dans ce beau royaume, avec l’aide de Dieu, l’Eglise catholique et sa doctrine salutaire grandir, croître et fleurir de plus en plus chaque jour par un merveilleux progrès.
Nous voulons maintenant vous faire connaître que notre bien-aimé Fils en Jésus-Christ, Léopold II, grand-duc de Toscane et duc de Lucques, s’est trouvé porté, par la piété qui le distingue, à vouloir que les lois en vigueur dans la Toscane fussent mises en harmonie avec les lois ecclésiastiques. Il Nous a donc demandé avec instance de Nous occuper de cet objet. Ce prince si religieux ayant résolu de conclure pour l’avenir avec le Saint-Siège apostolique une convention étendue, destinée à régler dans les Etats qui lui sont soumis le gouvernement et l’administration des choses ecclésiastiques, Nous avons la confiance que Notre bien-aimé Fils en Jésus-Christ s’empressera, en effet, selon nos désirs, de conclure une convention semblable. C’est pourquoi, de l’avis de nos Vénérables Frères les Cardinaux de la Sacrée Congrégation pour les affaires ecclésiastiques extraordinaires, quelques articles furent dressés et adoptés par les Cardinaux de cette Congrégation, et ensuite ratifiés par Nous et par le grand-duc. Dans lesdits articles il est stipulé, entre autres choses, que les Evêques, en ce qui touche à l’exercice de leur ministère, jouiront d’une pleine et entière liberté ; qu’ils auront le droit de censure sur les écrits et sur les livres qui traitent de la religion ; qu’ils exerceront librement leur propre juridiction épiscopale pour éloigner des fidèles toute lecture dangereuse, soit pour la foi soit pour les mœurs ; que chacun pourra librement communiquer avec cette Chaire, centre de la vérité catholique et de l’unité, et que toutes les causes spirituelles et ecclésiastiques seront uniquement et exclusivement soumises, comme le veulent les saints canons, au jugement de la puissance sacrée.
Nous avons aussi éprouvé une grande consolation en recevant de Notre bien-aimé Fils en Jésus-Christ la promesse et l’assurance qu’il donnera tous ses soins, et qu’il emploiera tout son pouvoir à défendre notre religion très-sainte, à protéger le culte divin, à promouvoir l’honnêteté des mœurs et à garantir par son puissant appui aux sacrés pasteurs la liberté la plus entière dans l’exercice de leur autorité épiscopale. Nous avons la confiance que, par le secours divin, les choses que Nous avons obtenues seront utiles à l’Eglise, surtout en considérant que celles qui, jusqu’à présent, entravaient sa liberté, ont été complètement enlevées.
Nous finirons en vous apprenant que Nous Nous sommes appliqué a rétablir les affaires de la religion catholique dans un pays lointain, et que Nous avons une grande espérance de conclure, là aussi, une convention qui sera, selon Nos désirs et les vôtres, propre à garantir les prérogatives et à assurer la prospérité de l’Eglise. Nous souhaiterions ardemment qu’un tel exemple fût imité dans toutes les contrées éloignées, dont Nous aimons tendrement dans le Seigneur les populations, afin de porter remède aux maux si graves et si multipliés qui, dans quelques-uns de ces pays surtout, affligent et oppriment l’Epouse immaculée du Christ. L’affliction que Nous en ressentons est grande, mais Nous ne pouvons Nous refuser la consolation de féliciter et de louer nos Vénérables Frères qui, placés dans une situation si déplorable, n’en défendent pas moins avec toute l’ardeur et toute la fermeté du zèle pastoral la cause de l’Eglise, soutenant ses droits intrépidement et veillant avec sollicitude au salut de leur troupeau.
Telles sont les paroles que Nous avons cru devoir vous adresser en ce jour, Vénérables Frères. Cependant ne cessons jamais, ni le jour ni la nuit, d’un cœur humble, avec une foi sincère, une espérance assurée et une charité ardente, de présenter à la clémence du Père des miséricordes de continuelles prières, afin que, de sa main toute-puissante, qui commande aux vents et à la mer, il arrache sa sainte Eglise du sein des orages et que de l’orient à l’occident il fasse luire sur elle le jour d’un nouveau triomphe.
Source : Recueil des allocutions consistoriales, encycliques et autres lettres apostoliques citées dans l’encyclique et le Syllabus, Librairie Adrien Le Clere, Paris, 1865.