Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

18 mars 1861

Allocution consistoriale Iamdudum cernimus

Sur la souveraineté temporelle du Saint-Siège dans les Etats Pontificaux

La sou­ve­rai­ne­té tem­po­relle du Saint-​Siège dans les Etats Pontificaux était de plus en plus contes­tée par les enne­mis de l’Eglise. Pie IX, comme il le dit, fit quelques pru­dentes conces­sions en concé­dant une part d’au­to­ri­té à des laïcs, mais sans par­ve­nir à stop­per la conta­gion des esprits qui devait abou­tir à l’in­va­sion de Rome en 1870. Ce dis­cours est cité comme source des pro­po­si­tions condam­nées n° 37, 61 et 76 du Syllabus de 1864 :

37. On peut ins­ti­tuer des Églises natio­nales sous­traites à l’autorité du Pontife Romain et plei­ne­ment sépa­rées de lui.

61. Une injus­tice de fait cou­ron­née de suc­cès ne pré­ju­di­cie nul­le­ment à la sain­te­té du droit.

76. L’abrogation de la sou­ve­rai­ne­té civile dont le Saint-​Siège est en pos­ses­sion ser­vi­rait, même beau­coup, à la liber­té et au bon­heur de l’Église.

Proposition condam­nées du Syllabus.

Dans le consis­toire secret du 18 mars 1861.

Vénérables Frères,

Depuis long­temps déjà Nous sommes témoins des agi­ta­tions dans les­quelles est jetée la socié­té civile, sur­tout à notre mal­heu­reuse époque, par la lutte vio­lente que se livrent des prin­cipes oppo­sés, la véri­té et l’erreur, la ver­tu et le vice, la lumière et les ténèbres. Car cer­tains hommes, d’une part, favo­risent ce qu’ils appellent la civi­li­sa­tion moderne ; d’autres, au contraire, défendent les droits de la jus­tice et de notre sainte reli­gion. Les pre­miers demandent que le Pontife romain se récon­ci­lie et se mette d’accord avec le Progrès, avec le Libéralisme (ce sont leurs expres­sions), en un mot avec la civi­li­sa­tion mo­derne. Mais les autres réclament, avec rai­son, que les prin­cipes immo­biles et inébran­lables de l’é­ter­nelle jus­tice soient conser­vés sans alté­ra­tion ; ils récla­ment que l’on garde intacte la force salu­taire de notre divine reli­gion, qui peut seule étendre la gloire de Dieu, appor­ter des remèdes salu­taires aux maux qui affligent l’humanité, et qui est l’unique et véri­table règle par laquelle les enfants des hommes puissent, dans cette vie mor­telle, acqué­rir toute ver­tu et se diri­ger vers le port de l’éternité bien­heu­reuse. Mais les défen­seurs de la civi­li­sa­tion moderne ne com­prennent pas cette oppo­si­tion, bien qu’ils se disent les vrais et sin­cères amis de la reli­gion. Nous vou­drions ajou­ter foi à leurs paroles, si les tristes évé­ne­ments qui s’accomplissent chaque jour aux yeux de tous ne Nous prou­vaient évi­dem­ment le contraire. En effet, il n’y a sur la terre qu’une seule vraie et sainte reli­gion, fon­dée et éta­blie par N.-S. J.-C. lui-​même ; cette reli­gion, qui est la mère féconde et la nour­rice de toutes les ver­tus, l’ennemie des vices, la libé­ra­trice des âmes et la maî­tresse de la véri­table féli­ci­té, s’appelle Catholique, Apostolique et Romaine. Ce qu’il faut pen­ser de ceux qui vivent hors de cette arche du salut, Nous l’avons déjà dé­claré dans notre allo­cu­tion consis­to­riale du 9 Décembre 1854, et Nous con­firmons ici cette même doc­trine. Or, à ceux qui pour le bien de la reli­gion Nous invitent à tendre la main à la civi­li­sa­tion actuelle, Nous deman­de­rons si les faits sont tels que le vicaire du Christ, éta­bli divi­ne­ment par lui pour main­tenir la pure­té de sa céleste doc­trine, et pour paître et confir­mer les agneaux et les bre­bis dans cette même doc­trine, puisse, sans un très grave dan­ger de conscience et un très grand scan­dale pour tous, s’associer avec la civi­li­sa­tion contem­po­raine, par le moyen de laquelle se pro­duisent tant de maux, qu’on ne sau­rait jamais assez déplo­rer, et se pro­clament tant de funestes opi­nions, tant d’erreurs et de prin­cipes qui sont extrê­me­ment oppo­sés à la reli­gion catho­lique et à sa doc­trine. Personne n’ignore, entre autres choses, com­ment les concor­dats solen­nels, régu­liè­re­ment conclus entre le Siège apos­to­lique et les sou­ve­rains, sont com­plè­te­ment abo­lis, comme il est arri­vé der­niè­re­ment à Naples. C’est de quoi Nous Nous plai­gnons de nou­veau dans cette auguste assem­blée, Vénérables Frères, et Nous récla­mons hau­te­ment, de la même ma­nière que, d’autres fois déjà, Nous avons pro­tes­té contre de sem­blables et auda­cieuses violations.

Tandis que cette civi­li­sa­tion moderne favo­rise tous les cultes non catho­liques, tan­dis qu’elle ouvre l’accès des charges publiques aux infi­dèles eux-​mêmes, et les écoles catho­liques à leurs enfants, elle s’irrite contre les con­grégations reli­gieuses, contre les ins­ti­tuts fon­dés pour diri­ger les écoles catholiques

Tandis que cette civi­li­sa­tion moderne favo­rise tous les cultes non catho­liques, tan­dis qu’elle ouvre l’accès des charges publiques aux infi­dèles eux-​mêmes, et les écoles catho­liques à leurs enfants, elle s’irrite contre les con­grégations reli­gieuses, contre les ins­ti­tuts fon­dés pour diri­ger les écoles catho­liques, contre un grand nombre de per­sonnes ecclé­sias­tiques de tout rang, même revê­tues des plus hautes digni­tés, et dont plu­sieurs traînent misé­ra­ble­ment leur vie dans l’exil ou dans les pri­sons, et même contre des laïcs dis­tin­gués qui, dévoués à Nous et à ce Saint-​Siège, ont défen­du coura­geusement la cause de la reli­gion et de la jus­tice. Pendant qu’elle accorde des sub­sides aux ins­ti­tu­tions et aux per­sonnes non catho­liques, cette civi­li­sa­tion dépouille l’Eglise catho­lique de ses pos­ses­sions les plus légi­times, et emploie tous ses efforts à amoin­drir l’autorité salu­taire de cette Eglise. Enfin, tan­dis qu’elle donne liber­té entière à tous les dis­cours et à tous les écrits qui atta­quent l’Eglise et tous ceux qui lui sont dévoués de cœur, tan­dis qu’elle excite, nour­rit et favo­rise la licence, en même temps elle se montre réser­vée et peu empres­sée à répri­mer les attaques, vio­lentes par­fois, dont on use en­vers ceux qui publient d’ex­cel­lents ouvrages, et elle punit, même avec la der­nière sévé­ri­té, les auteurs de ces ouvrages, lorsqu’ils paraissent dépas­ser le moins du monde les bornes de la modération.

Le Souverain Pontife pourrait-​il donc tendre une main amie à une pareille civi­li­sa­tion, et faire sin­cè­re­ment pacte et alliance avec elle ? […] non, jamais le Saint-​Siège et le Pontife romain ne pour­ront s’al­lier avec une telle civilisation.

Le Souverain Pontife pourrait-​il donc tendre une main amie à une pareille civi­li­sa­tion, et faire sin­cè­re­ment pacte et alliance avec elle ? Qu’on rende aux choses leur véri­table nom, et le Saint-​Siège paraî­tra tou­jours constant avec lui-​même. En effet, il fut per­pé­tuel­le­ment le pro­tec­teur et l’initiateur de la vraie civi­li­sa­tion ; les monu­ments de l’histoire l’attestent élo­quem­ment à tous les siècles, c’est le Saint-​Siège qui a fait péné­trer dans les contrées les plus loin­taines et les plus bar­bares de l’univers la vraie huma­ni­té, la vraie disci­pline, la vraie sagesse. Mais si, sous le nom de civi­li­sa­tion, il faut entendre un sys­tème inven­té pré­ci­sé­ment pour affai­blir et peut-​être même pour ren­verser l’Eglise ; non, jamais le Saint-​Siège et le Pontife romain ne pour­ront s’al­lier avec une telle civi­li­sa­tion. « Quelle par­ti­ci­pa­tion, dit très sage­ment « l’Apôtre, quelle par­ti­ci­pa­tion peut avoir la jus­tice avec l’iniquité ? quelle « socié­té la lumière avec les ténèbres ? Quelle conven­tion peut exis­ter entre « Jésus-​Christ et Bélial ? » [1]

On ne peut pas objec­ter que le Siège apos­to­lique, en ce qui concerne l’administration civile, ait fer­mé les oreilles aux requêtes de ceux qui ont mani­fes­té le désir d’un gou­ver­ne­ment plus libé­ral. […] Nous avons fait les conces­sions oppor­tunes, les confor­mant cepen­dant aux règles de la pru­dence, dans la crainte que le bien­fait que notre cœur pater­nel nous avait dic­té ne vînt, grâce aux intrigues des hommes per­vers, à res­sen­tir quelque atteinte du poi­son. Et que s’en est-​il sui­vi ? Une licence sans frein s’est empa­rée de nos conces­sions inoffensives

Avec quelle pro­bi­té les per­tur­ba­teurs et les fau­teurs de la sédi­tion élèvent-​ils la voix pour exa­gé­rer les efforts qu’ils ont vai­ne­ment ten­tés pour se mettre d’accord avec le Pontife romain ? Lui, en effet, qui tire toute sa force des prin­cipes de la jus­tice éter­nelle, com­ment les pourrait-​il jamais aban­don­ner, de manière à mettre notre sainte foi en péril, et l’Italie en dan­ger immi­nent de perdre ce brillant éclat, cette gloire qui depuis dix-​neuf siècles la fait res­plendir comme le centre et le siège prin­ci­pal de la véri­té catho­lique. On ne peut pas objec­ter que le Siège apos­to­lique, en ce qui concerne l’administration civile, ait fer­mé les oreilles aux requêtes de ceux qui ont mani­fes­té le désir d’un gou­ver­ne­ment plus libé­ral. Et sans avoir besoin de rap­pe­ler les exemples du pas­sé, par­lons de notre âge mal­heu­reux. A peine l’Italie eut-​elle obte­nu de ses princes légi­times des consti­tu­tions plus libé­rales, qu’animé nous-​même de sen­ti­ments pater­nels, nous avons sou­hai­té de voir ceux de nos fils sou­mis à notre domi­na­tion pon­ti­fi­cale par­ta­ger avec Nous l’administration civile. Nous avons fait les conces­sions oppor­tunes, les confor­mant cepen­dant aux règles de la pru­dence, dans la crainte que le bien­fait que notre cœur pater­nel nous avait dic­té ne vînt, grâce aux intrigues des hommes per­vers, à res­sen­tir quelque atteinte du poi­son. Et que s’en est-​il sui­vi ? Une licence sans frein s’est empa­rée de nos conces­sions inof­fen­sives ; le palais, dans lequel les mi­nistres et les dépu­tés du peuple s’étaient ras­sem­blés, a été souillé de sang, et les mains impies des sacri­lèges se sont tour­nées contre celui-​là même qui leur avait accor­dé ces bien­faits. Que si, dans ces der­niers temps, des conseils au sujet de l’ad­mi­nis­tra­tion civile nous ont été pré­sen­tés, vous n’ignorez pas, véné­rables Frères, que nous les avons admis à l’exception d’un seul, que nous avons reje­té parce qu’il ne regar­dait pas l’administration civile, et qu’au con­traire il ne ten­dait rien moins qu’à nous faire consen­tir à la spo­lia­tion déjà accom­plie. Mais il n’y a pas de rai­son pour que nous par­lions de conseils reçus favo­ra­ble­ment par nous, et de pro­messes sin­cères que nous avons faites d’y faire droit, tan­dis que les fau­teurs des usur­pa­tions pro­clament à haute voix que ce ne sont pas des réformes, mais une rébel­lion abso­lue, une scis­sion com­plète avec le Souverain Pontife qu’ils veulent en der­nier lieu. C’étaient les plus achar­nés pro­mo­teurs du mal, les porte-​drapeaux de la révolte, qui rem­plis­saient tout de leurs cla­meurs, et non le peuple. Oui, on pour­rait vrai­ment bien leur appli­quer ces paroles du véné­rable Bède, au sujet des Phari­siens et des Scribes, enne­mis du Christ : « Ces calom­nies ne par­taient d’aucun homme de la foule, mais des Pharisiens et des Scribes, ain­si que l’attestent les évangélistes. »

on ne tend à rien moins qu’à affai­blir, et, si cela pou­vait jamais arri­ver, à détruire la puis­sance salu­taire de la reli­gion catholique

Mais l’on n’attaque pas seule­ment le pon­ti­fi­cat romain dans l’intention de pri­ver entiè­re­ment le Saint-​Siège et le Pontife romain de son pou­voir légi­time sur les choses civiles, on ne tend à rien moins qu’à affai­blir, et, si cela pou­vait jamais arri­ver, à détruire la puis­sance salu­taire de la reli­gion catho­lique. Dans ce but, on attaque l’œuvre même de Dieu, le fruit de la rédemp­tion et cette loi sainte, le plus pré­cieux héri­tage qui nous soit par­ve­nu de l’ineffable sacri­fice consom­mé sur le Calvaire. Oui, voi­là où l’on tend ; les faits déjà rap­pe­lés et ceux que nous voyons arri­ver chaque jour, suf­fisent et au-​delà à le démontrer.

Combien d’apostats, il faut l’avouer avec dou­leur, qui, par­lant non pas au nom de Dieu, mais au nom de Satan, sûrs de l’impunité que leur a accor­dée un fatal sys­tème, bou­le­versent les consciences

Combien, en effet, de dio­cèses en Italie se sont vus, par suite de dif­fé­rents obs­tacles, pri­vés de leurs évêques, aux applau­dis­se­ments des défen­seurs de la civi­li­sa­tion moderne qui laissent tant de peuples chré­tiens sans pas­teurs, qui s’emparent de leurs biens pour les employer même à de cou­pables usages ! Combien de pré­lats sont envoyés en exil ! Combien d’apostats, il faut l’avouer avec dou­leur, qui, par­lant non pas au nom de Dieu, mais au nom de Satan, sûrs de l’impunité que leur a accor­dée un fatal sys­tème, bou­le­versent les consciences, entraînent les hommes faibles dans la pré­va­ri­ca­tion, confirment dans leur erreur ceux qui ont misé­ra­ble­ment failli au souille des doc­trines les plus per­fides, et s’efforcent de déchi­rer la robe du Christ ! Cependant ils ne craignent nul­le­ment de mettre en avant et de recom­man­der les Eglises natio­nales, comme ils les appellent, et autres impié­tés de même genre. Et après avoir ain­si insul­té à la reli­gion qu’ils invitent hypo­cri­te­ment à se mettre d’accord avec la civi­li­sa­tion d’aujourd’hui, ils ne craignent pas de Nous pres­ser, avec la même hypo­cri­sie, de Nous récon­ci­lier avec l’Italie, c’est-à-dire que, pri­vés de presque toute notre prin­ci­pau­té civile, ne sou­te­nant le lourd far­deau du Pontificat et de la royau­té qu’à l’aide des pieuses lar­gesses que les enfants de l’Eglise Nous envoient tous les jours avec la plus grande ten­dresse ; tan­dis que Nous Nous voyons gra­tui­te­ment en butte à l’envie et à la haine , par le fait même de ceux qui nous demandent une récon­ci­lia­tion, Nous devrions encore décla­rer, à la face de tous, que Nous cédons aux spo­lia­teurs la libre pos­ses­sion des pro­vinces spo­liées ! Par quelle audace inouïe jusqu’à ce jour demanderaient-​ils que ce Siège Apostolique, qui a tou­jours été le rem­part de la véri­té et de la jus­tice, sanc­tion­nât l’enlèvement injuste et violent d’un bien, en don­nant à celui qui l’a pris le pou­voir de le pos­sé­der tran­quille­ment et hon­nê­te­ment ; et que l’on posât un prin­cipe aus­si faux que de dire qu’un fait injuste, cou­ron­né par le suc­cès, n’apporte aucun détri­ment à la sain­te­té du droit ? Cette demande est entiè­re­ment oppo­sée aux solen­nelles paroles pro­non­cées, il n’y a pas long­temps, dans un sénat puis­sant et illustre, où l’on décla­ra que le Pontife romain est le repré­sen­tant de la prin­ci­pale force morale dans la socié­té humaine. D’où il suit qu’il ne peut en aucune façon consen­tir à cette spo­lia­tion bar­bare, sans vio­ler les fonde­ments de cette loi morale, dont il est lui-​même recon­nu comme la plus belle expres­sion et comme la plus par­faite image.

Quant à ceux qui, séduits par l’erreur ou entraî­nés par la crainte, vou­draient don­ner des conseils favo­rables aux dési­rs des injustes per­tur­ba­teurs de la socié­té civile, il est néces­saire, sur­tout aujourd’hui, qu’ils soient per­suadés que ces per­tur­ba­teurs ne seront jamais satis­faits, tant qu’ils n’auront pas vu ren­ver­ser tout prin­cipe d’autorité, tout frein de reli­gion, toute règle de droit et de jus­tice. Déjà, pour le mal­heur de la socié­té civile, ces hommes per­vers ont réus­si, par leurs dis­cours et leurs écrits, à per­ver­tir les intelli­gences, à affai­blir le sens moral, et à ôter l’horreur de l’injustice. Leurs efforts tendent à per­sua­der à tous que le droit invo­qué par les nations hon­nêtes n’est autre chose qu’une volon­té injuste qu’il faut entiè­re­ment mépri­ser. Hélas ! c’est main­te­nant vrai­ment « que la terre ébran­lée a pleu­ré et ver­sé des larmes ; l’univers a gémi, secoué jusqu’en ses pro­fon­deurs. La terre a été souillée par ses habi­tants ; parce qu’ils ont trans­gres­sé les lois, alté­ré la jus­tice et détruit le pacte éter­nel. » [2]

Toutefois, au milieu de ces ténèbres dont Dieu, dans ses juge­ments impé­né­trables, a per­mis que les nations soient obs­cur­cies, Nous pla­çons notre espoir et notre confiance dans la clé­mence du Père des misé­ri­cordes et du Dieu de toute conso­la­tion qui nous console dans toutes nos tribulations.

Car c’est lui, Vénérables Frères, qui a répan­du par­mi vous l’esprit d’union et de concorde, et qui le répan­dra chaque jour davan­tage, afin que Nous étant étroi­te­ment, jus­te­ment et insé­pa­ra­ble­ment atta­chés, vous soyez prêts à subir avec Nous le sort que les des­seins secrets de la Providence divine réservent à cha­cun de nous. C’est lui qui, par le lien de la cha­ri­té, unit entre eux, et avec ce centre de la véri­té et de l’union catho­lique les Evêques de l’univers chré­tien, qui ins­truisent de la doc­trine évan­gé­lique les fidèles confiés à leurs soins, et au milieu de si grandes ténèbres, par leur pru­dence et leurs saints ensei­gne­ments, montrent aux peuples Je che­min sur à suivre. C’est lui qui répand sur toutes les nations catho­liques l’esprit de prière et ins­pire à celles qui ne le sont pas un ins­tinct d’équité qui leur fait por­ter un juste juge­ment sur les évé­ne­ments actuels. Cet accord admi­rable de prières dans tout l’uni­vers catho­lique, ces témoi­gnages una­nimes d’amour à notre égard, expri­més de tant de manières dif­fé­rentes (ce qu’on ne pour­rait trou­ver faci­le­ment dans les siècles pas­sés), montrent mani­fes­te­ment com­bien les hommes bien inten­tionnés sentent le besoin de tendre vers cette Chaire du bien­heu­reux Prince des apôtres, la lumière de l’univers, la maî­tresse de la véri­té et la mes­sa­gère du salut, qui a tou­jours ensei­gné et, jusqu’à la consom­ma­tion des siècles, ne ces­se­ra jamais d’en­sei­gner les lois immuables de l’éternelle justice.

Les peuples d’Italie, eux-​mêmes, n’ont pas fait défaut dans ce concert d’amour et de res­pect filial envers le Siège apos­to­lique ; bien au contraire, nous avons reçu d’eux plu­sieurs cen­taines de mil­liers de lettres affec­tueuses qu’ils Nous ont écrites non pas pour sol­li­ci­ter cette récon­ci­lia­tion récla­mée par des hommes astu­cieux, mais pour gémir sur nos sou­cis, nos peines, nos angoisses, pour Nous assu­rer de leur amour et pour condam­ner la cri­mi­nelle et sacri­lège spo­lia­tion de notre domaine et des Etats du Saint-Siège.

Nous sen­tons bien que Nous devons par­don­ner à ceux qui Nous haïssent, que Nous devons prier pour eux afin qu’ils se repentent par la grâce de Dieu, et qu’ainsi ils méritent la béné­dic­tion de celui qui est sur la terre le vicaire du Christ

Les choses étant ain­si, avant de mettre fin à ce dis­cours, Nous décla­rons clai­re­ment et ouver­te­ment devant Dieu et devant les hommes que Nous n’avons aucun motif de Nous récon­ci­lier avec qui que ce soit. Toutefois, puisque, bien qu’indigne, nous tenons ici-​bas la place de celui qui a prié pour ses bour­reaux et a implo­ré leur par­don, Nous sen­tons bien que Nous devons par­don­ner à ceux qui Nous haïssent, que Nous devons prier pour eux afin qu’ils se repentent par la grâce de Dieu, et qu’ainsi ils méritent la béné­dic­tion de celui qui est sur la terre le vicaire du Christ. Nous prions donc pour eux de bon cœur, et Nous sommes prêts, aus­si­tôt qu’ils vien­dront à rési­pis­cence, à leur par­don­ner et à les bénir. Mais en atten­dant, Nous ne pou­vons pas de­meurer impas­sibles, comme ceux qui ne prennent aucun sou­ci des cala­mi­tés humaines ; Nous ne pou­vons nous empê­cher d’être dans un grand trouble et une grande angoisse, et ne pas regar­der comme Nous tou­chant de près les dom­mages et les maux injus­te­ment appor­tés à ceux qui souffrent per­sé­cu­tion pour la justice.

C’est pour­quoi, en même temps que Nous sommes péné­tré d’une pro­fonde dou­leur, Nous prions Dieu, et Nous rem­plis­sons le plus impor­tant devoir de notre apos­to­lat suprême, en éle­vant la voix pour ensei­gner et pour condam­ner ce que Dieu et son Eglise enseignent et condamnent, afin d’accomplir ain­si notre course et le minis­tère de la parole que Nous avons reçu du Sei­gneur Jésus.

Si donc, on Nous demande des conces­sions injustes, Nous ne pou­vons y con­sentir ; mais si c’est le par­don, Nous sommes prêt, ain­si que Nous venons de le décla­rer, à l’accorder de grand cœur. Mais, afin de pro­fé­rer cette parole de par­don de la manière qui convient à la sain­te­té de notre digni­té pontifi­cale, Nous flé­chis­sons les genoux devant Dieu, et embras­sant le signe glo­rieux de notre rédemp­tion, Nous prions hum­ble­ment le Seigneur Jésus de nous rem­plir de la même cha­ri­té avec laquelle il a par­don­né à ses enne­mis avant de rendre sa sainte âme entre les mains de son Père éternel.

Ce que Nous lui deman­dons avec ins­tances, c’est que, de même qu’après avoir par­don­né, il a, au milieu des épaisses ténèbres dont toute la terre était envi­ron­née, éclai­ré l’esprit de ses enne­mis, qui, se repen­tant de leur hor­rible for­fait, reve­naient en se frap­pant la poi­trine, ain­si il veuille encore, par­mi les ténèbres de nos jours, répandre des tré­sors inépui­sables de son infi­nie misé­ricorde les dons de sa grâce céleste et triom­phante, et rame­ner toutes les bre­bis errantes à un seul bercail.

Oui, quel que soit l’avenir que Nous réservent les des­seins de la divine Providence, nous sup­plions Jésus-​Christ au nom de son Eglise, de juger lui-​même la cause de son vicaire, qui est celle de son Eglise, de la défendre contre les efforts de ses enne­mis, de l’embellir et de la rele­ver par une écla­tante vic­toire. Nous le prions aus­si de réta­blir l’ordre et la tran­quilli­té dans la socié­té agi­tée, de nous accor­der cette paix que nous appe­lons de nos vœux les plus ardents pour le triomphe de la jus­tice, et que nous n’attendons que de lui seul. En effet, au milieu de ces effroyables troubles qui agitent l’Eu­rope et tout l’u­ni­vers et qui menacent ceux qui s’acquittent de la pénible tâche de gou­ver­ner les peuples, il n’y a que Dieu seul qui puisse com­battre avec nous et pour nous : « Jugez-​nous, Seigneur, et sépa­rez notre cause de celle d’un peuple impie. » [3] Envoyez-​vous la paix dans nos jours, car nous « n’avons point d’autre défen­seur que vous, ô notre Dieu. » [4]

Source : Recueil des allo­cu­tions consis­to­riales, ency­cliques et autres lettres apos­to­liques citées dans l’encyclique et le Syllabus, Librairie Adrien Le Clere, Paris, 1865.

Notes de bas de page
  1. 2 Co 6, 14–15.[]
  2. Is 24, 4–5[]
  3. Ps 42, 1[]
  4. Est 14, 14[]