Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

19 août 1864

Bref Auctor nostræ fidei

Béatification de la Vénérable Marguerite-Marie Alacoque

Pour per­pé­tuelle mémoire

L’auteur et le consom­ma­teur de notre foi, Jésus, qui, mû par une cha­ri­té exces­sive, après avoir pris l’infirmité de notre nature mor­telle, s’est offert imma­cu­lé à Dieu sur l’au­tel de la Croix pour nous déli­vrer de l’affreuse ser­vi­tude du péché, n’a rien eu plus en vue que d’ex­ci­ter en toutes manières dans les âmes des hommes les flammes dont son Cœur brû­lait, ain­si que nous le voyons dans l’Evangile en don­ner l’as­su­rance à ses dis­ciples : « Je suis venu jeter le feu sur la terre, et quelle est ma volon­té sinon qu’il s’allume ? »

Or comme moyen d’ex­ci­ter davan­tage ce l’eu de la cha­rité, il a vou­lu qu’on éta­blît dans son Eglise la véné­ra­tion et le culte de son très sacré Cœur, et qu’on le propageât.

Et qui serait, en effet, assez dur et de fer pour ne point se sen­tir por­té à répondre à l’amour de ce Cœur plein de sua­vi­té, trans­per­cé et bles­sé par la lance, afin que notre âme y pût trou­ver une sorte de retraite et de refuge où elle se reti­rât et se mit à cou­vert contre les incur­sions et les pièges de l’ennemi ?

Qui ne serait ani­mé à employer avec zèle toutes les pra­tiques qui peuvent l’a­me­ner à ce très sacré Cœur, dont la bles­sure a répan­du l’eau et le sang, c’est-à-dire la source de notre vie et de notre salut ?

Quand donc notre Sauveur a vou­lu ins­ti­tuer et répandre au loin par­mi les hommes ce culte de pié­té si salu­taire et si bien dû, il a dai­gné choi­sir sa véné­rable Servante Mar­guerite-​Marie Alacoque, reli­gieuse de l’ordre de la Visita­tion de la Bienheureuse Vierge Marie, qui, par l’innocence de sa vie et par l’exercice assi­du de toutes les ver­tus, s’est mon­trée digne, avec l’aide de la grâce divine, de cet office et de cette mission.

Née d’une famille hon­nête, dans le vil­lage de Lauthecourt, au dio­cèse d’Autun, en France, elle brilla dès sa pre­mière enfance par la doci­li­té de son esprit, la pure­té de ses mœurs réglées d’une manière bien supé­rieure à son âge ; de telle sorte qu’elle fai­sait augu­rer à ses parents, par des indices cer­tains, ce qu’elle devrait être un jour.

Encore petite fille, et ne sen­tant que de l’éloignement pour les réjouis­sances qui ont cou­tume de séduire cet âge si tendre, elle cher­chait les endroits les plus secrets de la mai­son pour y recueillir son âme en prière et en ado­ra­tion devant Dieu.

Jeune per­sonne, elle fuyait la com­pa­gnie des hommes, n’ayant point de plus grand bon­heur que d’être assi­dû­ment à l’église, et de pro­lon­ger ses prières pen­dant plu­sieurs heures.

Dès ses pre­mières années elle se consa­cra à Dieu par le vœu de vir­gi­ni­té, et com­men­ça à assu­jet­tir son corps aux jeûnes, aux dis­ci­plines et à d’autres macé­ra­tions, vou­lant par-​là, comme par un buis­son d’épines, mettre à l’abri la fleur de sa virginité.

Elle fut aus­si un illustre modèle de dou­ceur et d’humilité ; car, ayant per­du son père, et sa mère suc­com­bant sous le poids soit des années, soit de la mala­die, elle fut trai­tée avec tant de rigueur et de dure­té par ceux qui avaient la ges­tion des affaires de la mai­son, qu’elle man­quait habi­tuellement du néces­saire dans la nour­ri­ture et le vête­ment. Cet état de choses aus­si pénible qu’injuste fut généreuse­ment accep­té par elle, à l’exemple de Jésus-​Christ, qu’elle avait tou­jours devant les yeux.

Elle n’a­vait que neuf ans quand elle fut admise pour la pre­mière fois à rece­voir le saint sacre­ment de l’Eucharis­tie ; et ce céleste ali­ment lui ins­pi­ra une si grande ardeur de cha­ri­té, que ce feu divin écla­tait sur ses lèvres et dans ses yeux.

Enflammée pareille­ment de cha­ri­té pour le pro­chain, elle déplo­rait amè­re­ment la misère d’une mul­ti­tude d’enfants presque délais­sés de leurs parents, gran­dis­sant dans le vice et igno­rant les choses les plus essen­tielles au salut. Elle leur appre­nait les mys­tères de la foi, les for­mait à la ver­tu, et elle s’était fait une habi­tude de se pri­ver d’une bonne part de sa nour­ri­ture quo­ti­dienne pour les nourrir.

Ayant fixé son choix sur l’Epoux céleste, elle refu­sa constam­ment un époux riche et de condi­tion que sa mère vou­lait lui don­ner. Et pour gar­der avec plus de sécu­ri­té sa foi à cet Epoux céleste, elle son­gea à entrer en Religion dans un cloître. C’est pour­quoi, après avoir long­temps et sérieu­se­ment déli­bé­ré en elle-​même, après avoir par d’abon­dantes larmes consul­té la volon­té divine, elle fut reçue, dans la ville de Paray-​le-​Monial, au dio­cèse d’Autun, par­mi les reli­gieuses de l’ordre de la Visitation de la Bienheu­reuse Vierge Marie.

Dans son novi­ciat, s’étant mon­trée telle que l’avaient fait espé­rer et son ardeur géné­reuse pour la ver­tu et 1 inno­cence de sa vie pas­sée, elle méri­ta d’être admise à pro­non­cer les vœux solen­nels. Mais après sa pro­fes­sion on la vit mar­cher à pas accé­lé­rés dans les voies de la per­fec­tion reli­gieuse, tant elle offrait à ses com­pagnes consa­crées à Dieu un écla­tant modèle de toutes les vertus.

On voyait luire en elle une mer­veilleuse humi­li­té et une extra­or­di­naire promp­ti­tude à obéir, comme à sup­por­ter avec patience tout ce qui pou­vait lui faire de la peine, une par­faite obser­vance des points les plus minimes de la règle, une aus­té­ri­té sans relâche dans les macé­ra­tions cor­po­relles, un amour tou­jours fervent de la prière, à laquelle elle s’appli­quait jour et nuit ; et sou­vent sou âme, déga­gée des sens, était inon­dée de l’a­bon­dance des dons célestes.

Dans la médi­ta­tion des dou­leurs de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, elle était si sen­si­ble­ment affec­tée, et la flamme de son amour était si ardente, que la plu­part du temps elle y parais­sait lan­guis­sante et sans vie.

L’éminence de ses ver­tus ayant fixé sur elle l’admiration de toutes ses com­pagnes, elle fut char­gée d’exercer et de for­mer à la vie reli­gieuse les jeunes demoi­selles qui étaient au novi­ciat. On n’eût pu trou­ver une per­sonne plus capable de cette charge que la véné­rable Marguerite-​Marie, qui par son exemple entraî­nait celles qui entraient dans la voie de la per­fec­tion, et sou­te­nait celles qui y cou­raient déjà.

Un jour qu’elle priait avec plus de fer­veur devant le très auguste sacre­ment de l’Eucharistie, Notre-​Seigneur Jésus-​Christ lui fît connaître qu’il lui serait très agréable de voir éta­blir le culte de son très sacré Cœur, embra­sé d’amour pour le genre humain, et qu’il vou­lait lui confier à elle-​même cette mis­sion. La Vénérable Servante de Dieu, qui était si humble, fut atter­rée, s’estimant indigne d’un pareil office. Mais enfin, pour obéir à l’ordre sou­ve­rain, et confor­mément au désir qu’elle avait d’exciter le divin amour dans le cœur des hommes, elle fit tous ses efforts, soit auprès des reli­gieuses de son monas­tère, soit auprès de tous ceux sur les­quels elle pou­vait exer­cer quelque action, pour que ce très sacré Cœur, siège de la divine cha­ri­té, reçût d’eux toute sorte d’honneurs et d’adorations. La Vénérable Servante de Dieu eut à souf­frir à ce sujet de grandes peines ; elle ren­con­tra de nom­breuses dif­fi­cul­tés. Cependant elle ne per­dit jamais cou­rage ; mais s’ap­puyant sur l’es­poir du se­cours d’en haut, elle tra­vailla avec tant de constance à éta­blir cette dévo­tion, que, avec l’aide de la grâce divine et au grand pro­fit des âmes, elle prit un très grand accrois­se­ment dans l’Eglise.

Enfin, dési­reuse de mou­rir pour voler aux célestes noces de l’Agneau qu’elle convoi­tait si ardem­ment, consu­mée moins par la mala­die que par les flammes de la cha­ri­té, elle arri­va au terme de sa vie le 16 des calendes de novembre, l’an 1690.

L’opinion que l’on avait eue de la sain­te­té de la véné­rable Marguerite-​Marie s’accrut davan­tage après son décès, sur­tout sur le bruit des miracles que l’on attri­buait à l’in­ter­ces­sion de la Vénérable Servante de Dieu. C’est pour­quoi, en 1715, l’Evêque d’Autun s’occupa de faire recueillir, selon les formes ordi­naires, des infor­ma­tions sur sa vie et ses mœurs. Mais les révo­lu­tions, qui à la fin du XVIIIe siècle ont bou­le­ver­sé presque l’Europe entière, ont empê­ché que cette cause pût être défé­rée au juge­ment du Saint-​Siège. Toute­fois, quand le plus gros de l’orage fut pas­sé, on sol­li­ci­ta le juge­ment du Siège apos­to­lique, et on por­ta devant l’assem­blée des Cardinaux de la sainte Eglise romaine pré­po­sés aux sacrés Rites la cause des ver­tus dont la pra­tique avait illus­tré la Vénérable Marguerite.

Toutes choses lon­gue­ment et atten­ti­ve­ment pesées, Nous avons enfin pro­non­cé que ses ver­tus avaient atteint le degré héroïque, dans un décret publié le 10 des Calendes de sep­tembre de l’an 1846.

Plus tard, dans la même assem­blée de Cardinaux, fut mise à l’ordre du jour la dis­cus­sion sur les miracles qui devaient four­nir la preuve divine de sain­te­té de la Vénérable Marguerite ; et après qu’à la suite d’un sévère exa­men les consul­teurs et les Cardinaux eurent don­né un avis favo­rable, Nous, les lumières d’en haut invo­quées, avons ren­du publique notre sen­tence affir­ma­tive sur la véri­té de ces miracles, le 8 des Calendes de mai de l’an­née cou­rante 1864.

Il ne res­tait plus qu’à deman­der aux mêmes Cardinaux s’ils étaient d’avis qu’on put pro­cé­der avec sécu­ri­té à décer­ner à la véné­rable Marguerite les hon­neurs des Bienheu­reux. Hennis en Notre pré­sence le 18 des Calendes de juil­let de la pré­sente année ; ils répon­dirent d’une voix una­nime « qu’on pou­vait pro­cé­der avec sécurité ».

Nous donc, après avoir implo­ré le secours céleste, ain­si que le deman­dait l’importance de la chose, le 8 des Calendes de juillet de la même année, Nous avons décré­té que l’on pou­vait avec sécu­ri­té, le jour que nous dési­gne­rions, rendre à la Vénérable Servante de Dieu les hon­neurs de la Béati­fication avec tout ce qui s’en­suit, jus­qu’à ce que sa solen­nelle Canonisation soit célébrée.

C’est pour­quoi, tou­ché des prières de presque tous les Evêques de France, et aus­si des reli­gieuses de l’ordre de la Visitation de la Bienheureuse Vierge Marie, sur l’avis et avec l’as­sen­ti­ment de nos véné­rables frères les Cardinaux de la sainte Eglise romaine pré­po­sés à tout ce qui concerne les Dites sacrés, en ver­tu de Notre auto­ri­té apos­to­lique, Nous per­met­tons que la Vénérable Servante de Dieu Mar­guerite-​Marie Alacoque soit désor­mais appe­lée du nom de Bienheureuse, et que son corps et ses reliques, qui ne pour­ront être por­tés dans les pro­ces­sions solen­nelles soient expo­sés à la véné­ra­tion publique des fidèles.

De plus, en ver­tu de la même auto­ri­té, Nous per­met­tons qu’on dise en son hon­neur l’Office et la Messe du Commun des Vierges, avec les Oraisons propres approu­vées par Nous, confor­mé­ment aux rubriques du Missel et du Bré­viaire romain.

Mais nous per­met­tons de célé­brer cette Messe et de dire cet Office seule­ment dans le dio­cèse d’Autun, et dans toutes les églises des Maisons, quelque part qu’elles existent, dans les­quelles se trouve éta­bli l’ordre des reli­gieuses de la Visi­tation de la Bienheureuse Vierge Marie, le 17 octobre, à tous les fidèles ser­vi­teurs de Jésus-​Christ, tant sécu­liers que régu­liers, qui sont tenus à la réci­ta­tion des Heures cano­niales, et, pour ce qui est de la Messe, à tous les prêtres qui se rendent à l’église où la fête est célébrée.

Enfin, Nous per­met­tons que, dans l’année qui com­mence à la date de cette lettre, la solen­ni­té de la Béatification de la Vénérable Servante de Dieu Marguerite-​Marie Alacoque soit célé­brée dans le dio­cèse et dans les églises susmention­nés, avec. Office et Messe du rite Double-​Majeur ; mais Nous vou­lons que ce soit le jour qui sera dési­gné par l’Evêque dio­cé­sain, et après que cette solen­ni­té aura été célé­brée dans la basi­lique vaticane.

Tout ce, non­obs­tant les Constitutions et ordon­nances apos­to­liques, ou autres choses contraires.

Or Nous vou­lons que tous les exem­plaires de cette lettre, même impri­més, pour­vu qu’ils soient revê­tus de la signa­ture du Secrétaire de la sus­dite Congrégation des sacrés Rites, et munis du sceau du Préfet, obtiennent la même confiance, comme étant l’expression de Notre volon­té, que Ton aurait sur l’exhibition de l’original même.

Donné à Castel-​Gandolpho, sous l’Anneau du Pêcheur, le 19 du mois d août de l’an 1864, le 19e de Notre Pontificat.

N., Card. Paracciani Clarelli.

Source : Vie et Œuvres de la Bienheureuse Marguerite-​Marie Alacoque, t. 3, Mgr Gauthey, pp. 148–159.

11 avril 1909
Béatification des trente-quatre martyrs de Chine, d’Annam et du Tonkin, François de Capillas, E.-Th. Cuénot, J.-P. Néel, P.-Fr. Néron, J.-Th. Vénard et leurs compagnons.
  • Saint Pie X