De même que Jésus-Christ, selon les paroles de saint Paul, est éternel et immuable, hier, aujourd’hui et dans tous les siècles (He 13, 8), l’Eglise fondée par lui ne succombera pas davantage aux assauts ennemis. Les générations passent et se succèdent avec le temps. Mais si les institutions humaines disparaissent devant la marée mouvante des siècles, si les sciences humaines illuminées d’une gloire éphémère se transforment successivement, la croix du Christ, elle, émerge immuable au-dessus de tous les flots et, sans jamais défaillir, éclaire les peuples de la splendeur bienfaisante des vérités éternelles.
De temps à autre serpentent de nouvelles hérésies qui, revêtant les apparences de la vérité, ne tardent pas à se répandre et à se propager. Mais personne ne pourra jamais déchirer la robe sans couture de Jésus-Christ. Les négateurs et les ennemis de la foi catholique, poussés par une audace aussi présomptueuse qu’obstinée, reprennent à chaque instant leur lutte acharnée contre le nom chrétien ; mais ceux qu’ils arrachent par la mort aux bras de l’Eglise militante, ils les élèvent jusqu’aux cieux en en faisant des martyrs. Et, comme le dit éloquemment saint Grégoire le Grand, « la religion du Christ, fondée sur le système de la croix, ne peut être détruite par aucun genre de cruauté ; les persécutions n’affaiblissent pas l’Eglise, mais l’accroissent au contraire, et le champ du Seigneur se couvre toujours de nouvelles moissons, tandis que les semences emportées par la tempête renaissent en se multipliant » (St Léon le Grand, sermon 82, 6).
Ces pensées, pleines d’espoir et de réconfort, nous viennent à l’esprit tandis qu’après avoir élevé ces deux bienheureux martyrs aux honneurs de la sainteté, Nous Nous apprêtons, dans la majesté de la basilique Vaticane, à en retracer brièvement les mérites. Illustres champions et gloires de leur pays au début d’une terrible persécution contre l’Eglise, ils furent donnés au peuple chrétien, selon les paroles du prophète Jérémie, « comme une citadelle fortifiée, une colonne de fer, une muraille de bronze » (Jr 1, 18 ; 15, 20). Rien ne les ébranla, ni les faussetés des hérétiques ni les menaces des puissants. Ils furent comme les chefs et les maîtres de la glorieuse phalange de ces nombreux croyants issus de toutes les classes de la société qui, dans toute la Grande- Bretagne, s’opposèrent avec une constance invincible aux nouvelles erreurs et qui, en versant leur sang, témoignèrent de leur indéfectible dévotion envers le Saint-Siège.
Jean Fisher, remarquable par la douceur de sa nature et sa très vaste érudition dans les sciences sacrées et profanes, se distingua si bien au milieu de ses concitoyens par sa sagesse et sa vertu que, sous les auspices du roi d’Angleterre lui-même, il fut nommé évêque de Rochester. Dans l’accomplissement de cette haute fonction, il témoigna d’une telle piété envers Dieu et d’une telle charité envers le prochain, et s’appliqua si activement à défendre l’intégrité de la doctrine catholique, que son palais épiscopal ressemblait davantage à une église et à une Université qu’à une habitation privée. Il avait coutume de châtier son faible corps par des jeûnes, des flagellations et des cilices. Rien ne lui causait plus de joie que de pouvoir visiter les indigents, adoucir leurs misères, subvenir à leurs besoins. Et, quand il rencontrait des âmes troublées, à la pensée des fautes commises ou angoissées par la crainte des châtiments futurs, il les réconfortait en leur enseignant la confiance dans la Miséricorde divine. Souvent, pendant qu’il célébrait le Sacrifice eucharistique, on lui vit verser des larmes abondantes qui exprimaient bien la charité qui l’enflammait, et quand il prêchait à la foule des fidèles se pressant autour de lui, il ne semblait pas être un homme ou un messager des hommes, mais un ange de Dieu revêtu d’un corps de chair.
Mars, bien qu’il fût doux et affable envers tous les pauvres et les malheureux, lorsqu’il s’agissait de défendre l’intégrité de la foi et la pureté des mœurs, il ne craignait pas, comme un autre précurseur du Seigneur dont il portait le nom avec fierté, de proclamer la vérité devant tous sans exception et de sauvegarder par tous les moyens les divins enseignements de l’Eglise. Vous connaissez bien certainement. Vénérables Frères et très chers Fils, la raison pour laquelle il fut soumis au jugement et dut subir l’épreuve suprême du martyre. Ce fut pour avoir voulu courageusement démontrer, revendiquer et défendre la sainteté du mariage chrétien — indissoluble pour tous, même pour ceux qui sont couronnés du diadème royal — et la primauté hiérarchique dont les Pontifes romains sont investis par mandat divin. C’est pour ce motif qu’il fut jeté en prison et finalement conduit au supplice de la mort.
Pendant qu’il se dirigeait vers l’échafaud, il entonna avec sérénité l’hymne ambrosien pour remercier le Seigneur de lui avoir permis de couronner sa vie mortelle par la gloire du martyre. Il éleva enfin vers Dieu une ardente prière, pour lui-même, pour son peuple et pour le roi ; ce qui démontre clairement, une fois de plus, que la religion catholique ne diminue pas, mais qu’elle augmente au contraire l’amour de la patrie. Et quand il monta sur l’échafaud, cependant qu’un rayon de soleil faisait comme une auréole à ses cheveux blancs, on l’entendit s’exclamer le sourire aux lèvres : Accedite ad eum, et illuminamini, et facies vestræ non confundentur [1]. Oh ! oui, le cortège des anges et des saints dut accourir joyeusement au-devant de son âme toute sainte, délivrée à jamais des liens du corps et volant vers les joies célestes.
Le second astre de sainteté, qui illumina de son sillage resplendissant cette sombre période de l’histoire, fut Thomas More, grand chancelier du roi d’Angleterre. Doué d’une intelligence extraordinairement pénétrante et de la plus grande érudition en toutes sortes de connaissances, il jouissait à tel point de l’estime et de l’affection de ses concitoyens qu’il put occuper bien vite les plus hautes charges de la magistrature. Le souci de la perfection chrétienne ne lui faisait certes pas défaut, non plus que le zèle et la charité à vouloir procurer aux âmes le salut éternel. La ferveur de ses prières — ne récitait-il pas, quand ses occupations le lui permettaient, jusqu’aux heures canoniales ? — le cilice dont il se revêtait, les mortifications par lesquelles il domptait son corps, ses innombrables œuvres de miséricorde, ses prédications enfin et les écrits de haute valeur avec lesquels il défendait la foi catholique et l’intégrité des mœurs en sont l’éloquent témoignage. De caractère aussi fortement trempé et aussi courageux que Jean Fisher, il sut, lorsqu’il vit la pureté de la doctrine chrétienne exposée à de graves dangers, mépriser avec énergie les flatteries du respect humain, résister au chef suprême de l’Etat, comme le lui prescrivait son devoir quand il fallait obéir à Dieu et à l’Eglise, et enfin renoncer avec dignité à la haute charge qu’il remplissait. C’est pour cela qu’il fut emprisonné, lui aussi ; mais ni les larmes de son épouse ni celles de ses fils ne parvinrent à le détourner du droit sentier de la vérité et de la vertu : levant les yeux vers le ciel, il nous apparaît dans ces tristes circonstances comme un exemple de fermeté chrétienne. C’est ainsi que celui qui, peu d’années auparavant, avait écrit un ouvrage sur le devoir des catholiques de ne pas fuir la mort quand on est appelé à défendre la foi, marcha heureux et confiant de la prison au supplice, et du supplice vola vers les joies de la béatitude éternelle.
Ici, Nous pouvons à bon droit répéter, Vénérables Frères et chers Fils, la célèbre sentence de saint Cyprien, martyr : « Bienheureuse prison qui envoie les hommes au ciel !… Fortunés êtes-vous, pieds enchaînés, dont les pas conduisent tout droit au paradis !… »
Il était donc éminemment juste que ces saints martyrs, qui donnèrent leur sang pour l’intégrité de la foi chrétienne et pour la défense des droits sacrés du Pontife romain, reçussent de Nos mains, précisément ici, au centre du monde catholique et auprès du glorieux tombeau du Prince des apôtres dont Nous sommes héritier et successeur, l’auréole de la sainteté et les honneurs dus à leur glorification. Il ne Nous reste plus qu’à vous exhorter paternellement, vous tous qui Nous entourez ici de votre vénération — et avec vous tous ceux qui, partout, sont Nos fils dans le Christ, — à vouloir imiter avec zèle les grandes vertus de ces martyrs et à implorer pour vous-mêmes et pour toute l’Eglise militante leur efficace protection. Si nous ne sommes pas tous appelés à verser notre sang pour la défense des lois divines, nous devons tous, cependant, par l’exercice de l’abnégation évangélique, la mortification chrétienne des- sens et la poursuite laborieuse de la vertu, « être des martyrs par le désir, pour pouvoir participer avec eux à la récompense céleste », selon la parole expressive de saint Basile [2].
Nous désirons, en outre, que par vos ardentes prières, faisant valoir devant Dieu la protection de ces nouveaux saints, vous demandiez surtout au Seigneur ce qui Nous tient tant à cœur, c’est-à-dire que l’Angleterre, « méditant, selon les paroles de saint Paul, l’heureuse fin par laquelle les deux martyrs couronnèrent leur vie, imite leur foi » (Cf. He 13, 7) et qu’elle fasse finalement retour à la maison du Père, « dans l’unité de la foi et de la connaissance- dû Christ, Fils de Dieu » (Ep 4, 13).
Que ceux qui sont encore séparés de Nous considèrent attentivement les anciennes gloires de leur Eglise qui reproduisent et accroissent les gloires mêmes de l’Eglise Romaine ; qu’ils considèrent également et qu’ils se souviennent que ce Siège apostolique les attend impatiemment depuis si longtemps, non pas comme ceux qui entrent dans une demeure étrangère, mais bien comme ceux qui reviennent finalement à leur propre maison paternelle !
Et terminons maintenant en répétant la divine prière de Jésus- Christ : « Père Saint, gardez dans votre nom ceux que vous m’avez confiés ; afin qu’ils ne fassent qu’un comme nous… » (Jn 17, 11)
Ainsi soit-il.
Source : Actes de S. S. Pie XI, t. XIII, p. 88, La Bonne Presse – A. A. S., vol. XXVII, 1935, p. 204. – Traduction parue dans la Croix (23 mai 1935).