Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

19 mai 1935

Homélie Quemadmodum Christus

Prononcée à la Messe pontificale solennelle, après l'Evan­gile, le jour de la Canonisation des bienheureux mar­tyrs Jean Fisher et Thomas More

De même que Jésus-​Christ, selon les paroles de saint Paul, est éter­nel et immuable, hier, aujourd’hui et dans tous les siècles (He 13, 8), l’Eglise fon­dée par lui ne suc­com­be­ra pas davan­tage aux assauts enne­mis. Les géné­ra­tions passent et se suc­cèdent avec le temps. Mais si les ins­ti­tu­tions humaines dis­pa­raissent devant la marée mou­vante des siècles, si les sciences humaines illu­mi­nées d’une gloire éphé­mère se trans­forment suc­ces­si­ve­ment, la croix du Christ, elle, émerge immuable au-​dessus de tous les flots et, sans jamais défaillir, éclaire les peuples de la splen­deur bien­fai­sante des véri­tés éternelles.

De temps à autre ser­pentent de nou­velles héré­sies qui, revê­tant les appa­rences de la véri­té, ne tardent pas à se répandre et à se pro­pa­ger. Mais per­sonne ne pour­ra jamais déchi­rer la robe sans cou­ture de Jésus-​Christ. Les néga­teurs et les enne­mis de la foi catho­lique, pous­sés par une audace aus­si pré­somp­tueuse qu’obs­tinée, reprennent à chaque ins­tant leur lutte achar­née contre le nom chré­tien ; mais ceux qu’ils arrachent par la mort aux bras de l’Eglise mili­tante, ils les élèvent jusqu’aux cieux en en fai­sant des mar­tyrs. Et, comme le dit élo­quem­ment saint Grégoire le Grand, « la reli­gion du Christ, fon­dée sur le sys­tème de la croix, ne peut être détruite par aucun genre de cruau­té ; les per­sé­cu­tions n’affaiblissent pas l’Eglise, mais l’accroissent au contraire, et le champ du Seigneur se couvre tou­jours de nou­velles mois­sons, tan­dis que les semences empor­tées par la tem­pête renaissent en se mul­ti­pliant » (St Léon le Grand, ser­mon 82, 6).

Ces pen­sées, pleines d’espoir et de récon­fort, nous viennent à l’esprit tan­dis qu’après avoir éle­vé ces deux bien­heu­reux mar­tyrs aux hon­neurs de la sain­te­té, Nous Nous apprê­tons, dans la majes­té de la basi­lique Vaticane, à en retra­cer briè­ve­ment les mérites. Illustres cham­pions et gloires de leur pays au début d’une ter­rible per­sé­cu­tion contre l’Eglise, ils furent don­nés au peuple chré­tien, selon les paroles du pro­phète Jérémie, « comme une cita­delle for­ti­fiée, une colonne de fer, une muraille de bronze » (Jr 1, 18 ; 15, 20). Rien ne les ébran­la, ni les faus­se­tés des héré­tiques ni les menaces des puis­sants. Ils furent comme les chefs et les maîtres de la glo­rieuse pha­lange de ces nom­breux croyants issus de toutes les classes de la socié­té qui, dans toute la Grande- Bretagne, s’opposèrent avec une constance invin­cible aux nou­velles erreurs et qui, en ver­sant leur sang, témoi­gnèrent de leur indéfec­tible dévo­tion envers le Saint-Siège.

Jean Fisher, remar­quable par la dou­ceur de sa nature et sa très vaste éru­di­tion dans les sciences sacrées et pro­fanes, se dis­tin­gua si bien au milieu de ses conci­toyens par sa sagesse et sa ver­tu que, sous les aus­pices du roi d’Angleterre lui-​même, il fut nom­mé évêque de Rochester. Dans l’accomplissement de cette haute fonc­tion, il témoi­gna d’une telle pié­té envers Dieu et d’une telle cha­rité envers le pro­chain, et s’appliqua si acti­ve­ment à défendre l’intégrité de la doc­trine catho­lique, que son palais épis­co­pal res­sem­blait davan­tage à une église et à une Université qu’à une habi­ta­tion pri­vée. Il avait cou­tume de châ­tier son faible corps par des jeûnes, des fla­gel­la­tions et des cilices. Rien ne lui cau­sait plus de joie que de pou­voir visi­ter les indi­gents, adou­cir leurs misères, sub­ve­nir à leurs besoins. Et, quand il ren­con­trait des âmes trou­blées, à la pen­sée des fautes com­mises ou angois­sées par la crainte des châ­ti­ments futurs, il les récon­for­tait en leur ensei­gnant la confiance dans la Miséricorde divine. Souvent, pen­dant qu’il célé­brait le Sacrifice eucha­ris­tique, on lui vit ver­ser des larmes abon­dantes qui expri­maient bien la cha­ri­té qui l’enflammait, et quand il prê­chait à la foule des fidèles se pres­sant autour de lui, il ne sem­blait pas être un homme ou un mes­sa­ger des hommes, mais un ange de Dieu revê­tu d’un corps de chair.

Mars, bien qu’il fût doux et affable envers tous les pauvres et les mal­heu­reux, lorsqu’il s’agissait de défendre l’intégrité de la foi et la pure­té des mœurs, il ne crai­gnait pas, comme un autre pré­cur­seur du Seigneur dont il por­tait le nom avec fier­té, de pro­clamer la véri­té devant tous sans excep­tion et de sau­ve­gar­der par tous les moyens les divins ensei­gne­ments de l’Eglise. Vous connais­sez bien cer­tai­ne­ment. Vénérables Frères et très chers Fils, la rai­son pour laquelle il fut sou­mis au juge­ment et dut subir l’épreuve suprême du mar­tyre. Ce fut pour avoir vou­lu courageu­sement démon­trer, reven­di­quer et défendre la sain­te­té du mariage chré­tien — indis­so­luble pour tous, même pour ceux qui sont cou­ron­nés du dia­dème royal — et la pri­mau­té hié­rar­chique dont les Pontifes romains sont inves­tis par man­dat divin. C’est pour ce motif qu’il fut jeté en pri­son et fina­le­ment conduit au sup­plice de la mort.

Pendant qu’il se diri­geait vers l’échafaud, il enton­na avec séré­nité l’hymne ambro­sien pour remer­cier le Seigneur de lui avoir per­mis de cou­ron­ner sa vie mor­telle par la gloire du mar­tyre. Il éle­va enfin vers Dieu une ardente prière, pour lui-​même, pour son peuple et pour le roi ; ce qui démontre clai­re­ment, une fois de plus, que la reli­gion catho­lique ne dimi­nue pas, mais qu’elle aug­mente au contraire l’amour de la patrie. Et quand il mon­ta sur l’échafaud, cepen­dant qu’un rayon de soleil fai­sait comme une auréole à ses che­veux blancs, on l’entendit s’exclamer le sou­rire aux lèvres : Accedite ad eum, et illu­mi­na­mi­ni, et facies ves­træ non confun­den­tur [1]. Oh ! oui, le cor­tège des anges et des saints dut accou­rir joyeu­se­ment au-​devant de son âme toute sainte, déli­vrée à jamais des liens du corps et volant vers les joies célestes.

Le second astre de sain­te­té, qui illu­mi­na de son sillage resplen­dissant cette sombre période de l’histoire, fut Thomas More, grand chan­ce­lier du roi d’Angleterre. Doué d’une intel­li­gence extraordi­nairement péné­trante et de la plus grande éru­di­tion en toutes sortes de connais­sances, il jouis­sait à tel point de l’estime et de l’affection de ses conci­toyens qu’il put occu­per bien vite les plus hautes charges de la magis­tra­ture. Le sou­ci de la per­fec­tion chré­tienne ne lui fai­sait certes pas défaut, non plus que le zèle et la cha­ri­té à vou­loir pro­cu­rer aux âmes le salut éter­nel. La fer­veur de ses prières — ne récitait-​il pas, quand ses occu­pa­tions le lui per­met­taient, jusqu’aux heures cano­niales ? — le cilice dont il se revê­tait, les mor­ti­fi­ca­tions par les­quelles il domp­tait son corps, ses innom­brables œuvres de misé­ri­corde, ses pré­di­ca­tions enfin et les écrits de haute valeur avec les­quels il défen­dait la foi catho­lique et l’intégrité des mœurs en sont l’éloquent témoi­gnage. De carac­tère aus­si for­te­ment trem­pé et aus­si cou­ra­geux que Jean Fisher, il sut, lorsqu’il vit la pure­té de la doc­trine chré­tienne expo­sée à de graves dan­gers, mépri­ser avec éner­gie les flat­teries du res­pect humain, résis­ter au chef suprême de l’Etat, comme le lui pres­cri­vait son devoir quand il fal­lait obéir à Dieu et à l’Eglise, et enfin renon­cer avec digni­té à la haute charge qu’il rem­plis­sait. C’est pour cela qu’il fut empri­son­né, lui aus­si ; mais ni les larmes de son épouse ni celles de ses fils ne par­vinrent à le détour­ner du droit sen­tier de la véri­té et de la ver­tu : levant les yeux vers le ciel, il nous appa­raît dans ces tristes circons­tances comme un exemple de fer­me­té chré­tienne. C’est ain­si que celui qui, peu d’années aupa­ra­vant, avait écrit un ouvrage sur le devoir des catho­liques de ne pas fuir la mort quand on est appe­lé à défendre la foi, mar­cha heu­reux et confiant de la pri­son au sup­plice, et du sup­plice vola vers les joies de la béa­ti­tude éternelle.

Ici, Nous pou­vons à bon droit répé­ter, Vénérables Frères et chers Fils, la célèbre sen­tence de saint Cyprien, mar­tyr : « Bienheureuse pri­son qui envoie les hommes au ciel !… Fortunés êtes-​vous, pieds enchaî­nés, dont les pas conduisent tout droit au paradis !… »

Il était donc émi­nem­ment juste que ces saints mar­tyrs, qui don­nèrent leur sang pour l’intégrité de la foi chré­tienne et pour la défense des droits sacrés du Pontife romain, reçussent de Nos mains, pré­ci­sé­ment ici, au centre du monde catho­lique et auprès du glo­rieux tom­beau du Prince des apôtres dont Nous sommes héri­tier et suc­ces­seur, l’auréole de la sain­te­té et les hon­neurs dus à leur glo­ri­fi­ca­tion. Il ne Nous reste plus qu’à vous exhor­ter pater­nellement, vous tous qui Nous entou­rez ici de votre véné­ra­tion — et avec vous tous ceux qui, par­tout, sont Nos fils dans le Christ, — à vou­loir imi­ter avec zèle les grandes ver­tus de ces mar­tyrs et à implo­rer pour vous-​mêmes et pour toute l’Eglise mili­tante leur effi­cace pro­tec­tion. Si nous ne sommes pas tous appe­lés à ver­ser notre sang pour la défense des lois divines, nous devons tous, cepen­dant, par l’exercice de l’abnégation évan­gé­lique, la mor­ti­fi­ca­tion chré­tienne des- sens et la pour­suite labo­rieuse de la ver­tu, « être des mar­tyrs par le désir, pour pou­voir par­ti­ci­per avec eux à la récom­pense céleste », selon la parole expres­sive de saint Basile [2].

Nous dési­rons, en outre, que par vos ardentes prières, fai­sant valoir devant Dieu la pro­tec­tion de ces nou­veaux saints, vous deman­diez sur­tout au Seigneur ce qui Nous tient tant à cœur, c’est-à-dire que l’Angleterre, « médi­tant, selon les paroles de saint Paul, l’heureuse fin par laquelle les deux mar­tyrs couron­nèrent leur vie, imite leur foi » (Cf. He 13, 7) et qu’elle fasse fina­le­ment retour à la mai­son du Père, « dans l’unité de la foi et de la connaissance- dû Christ, Fils de Dieu » (Ep 4, 13).

Que ceux qui sont encore sépa­rés de Nous consi­dèrent atten­ti­ve­ment les anciennes gloires de leur Eglise qui repro­duisent et accroissent les gloires mêmes de l’Eglise Romaine ; qu’ils consi­dèrent éga­le­ment et qu’ils se sou­viennent que ce Siège aposto­lique les attend impa­tiem­ment depuis si long­temps, non pas comme ceux qui entrent dans une demeure étran­gère, mais bien comme ceux qui reviennent fina­le­ment à leur propre mai­son paternelle !

Et ter­mi­nons main­te­nant en répé­tant la divine prière de Jésus- Christ : « Père Saint, gar­dez dans votre nom ceux que vous m’avez confiés ; afin qu’ils ne fassent qu’un comme nous… » (Jn 17, 11)

Ainsi soit-​il.

Source : Actes de S. S. Pie XI, t. XIII, p. 88, La Bonne Presse – A. A. S., vol. XXVII, 1935, p. 204. – Traduction parue dans la Croix (23 mai 1935).

Notes de bas de page
  1. Approchez-​vous de Lui, et vous serez éclai­rés ; et vos visages ne seront pas cou­verts de confu­sion. [Ps 33, 6][]
  2. Migne, P. G., vol. 31, col. 508[]
31 mai 1925
Prononcée à la canonisation solennelle des Bienheureux Confesseurs Jean-Baptiste M. Vianney et Jean Eudes
  • Pie XI
24 mai 1925
Prononcée à la canonisation solennelle des Bienheureuses Vierges Marie Madeleine Postel et Madeleine Sophie Barat
  • Pie XI
19 mai 1935
Décernant aux bienheureux Jean Fisher, évêque de Rochester, et Thomas More, martyrs, les honneurs réservés aux Saints.
  • Pie XI