Jean-Paul II

264e pape ; de 1978 à 2005

24 mai 1990

Instruction Donum Veritatis

Sur la vocation ecclésiale du théologien

Table des matières

Cardinal Joseph Ratzinger, futur Pape Benoît XVI

Introduction

1. La véri­té qui libère est un don de Jésus-​Christ (cf. Jn 8, 32). La recherche de la véri­té est appe­lée par la nature de l’homme, tan­dis que l’i­gno­rance le main­tient dans la ser­vi­tude. L’homme en effet ne peut être vrai­ment libre que s’il est éclai­ré sur les ques­tions cen­trales de son exis­tence, notam­ment sur celle de savoir d’où il vient et où il va. Il devient libre lorsque Dieu se donne à lui comme un Ami, selon la parole du Seigneur : « Je ne vous appelle plus ser­vi­teurs, car le ser­vi­teur ignore ce que fait son maître. Je vous appelle amis, car tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 15).La déli­vrance de l’a­lié­na­tion du péché et de la mort advient à l’homme lorsque le Christ, qui est la Vérité, devient pour lui le « che­min » (cf. Jn 14, 6).

Dans la foi chré­tienne, connais­sance et vie, véri­té et exis­tence, sont intrin­sè­que­ment liées. Assurément, la véri­té don­née dans la révé­la­tion de Dieu dépasse la propre capa­ci­té de connais­sance de l’homme, mais elle ne s’op­pose pas à la rai­son de l’homme ; elle la pénètre plu­tôt, l’é­lève et fait appel à la res­pon­sa­bi­li­té de cha­cun (cf. 1 P 3, 15).Ainsi, dès le com­men­ce­ment de l’Église, la « règle de doc­trine » (Rm 6, 17) a‑t-​elle été liée, avec le bap­tême, à l’en­trée dans le mys­tère du Christ. Le ser­vice de la doc­trine, com­por­tant la recherche croyante de l’in­tel­li­gence de la foi qu’est la théo­lo­gie, est donc une exi­gence à laquelle l’Église ne peut renoncer.

À toute époque, la théo­lo­gie est impor­tante pour que l’Église puisse répondre au des­sein de Dieu qui veut « que tous les hommes soient sau­vés et par­viennent à la connais­sance de la véri­té » (1 Tm 2, 4). Mais en des temps de bou­le­ver­se­ments spi­ri­tuels et cultu­rels, elle est encore plus impor­tante, même si elle est expo­sée à des risques, car elle doit s’ef­for­cer de « demeu­rer » dans la véri­té (cf. Jn 8, 31) tout en tenant compte des nou­velles ques­tions posées par l’es­prit humain. C’est ain­si qu’en notre siècle, en par­ti­cu­lier lors de la pré­pa­ra­tion du Concile Vatican II et de sa mise en œuvre, la théo­lo­gie a beau­coup contri­bué à une plus pro­fonde « com­pré­hen­sion des réa­li­tés et des paroles trans­mises » [1] , mais a aus­si connu et connaît encore des moments de crise et de tension.

C’est pour­quoi la Congrégation pour la Doctrine de la Foi estime oppor­tun d’a­dres­ser aux évêques de l’Église catho­lique, et par leur inter­mé­diaire aux théo­lo­giens, la pré­sente Instruction qui se pro­pose d’é­clai­rer la mis­sion de la théo­lo­gie dans l’Église. Après avoir consi­dé­ré la véri­té comme don de Dieu à son peuple (I), elle décri­ra la fonc­tion des théo­lo­giens (II), puis s’ar­rê­te­ra au man­dat par­ti­cu­lier des Pasteurs (III), pour pro­po­ser enfin des indi­ca­tions sur le juste rap­port des uns avec les autres (IV). Elle entend ain­si ser­vir le pro­grès dans la connais­sance de la véri­té (cf. Col 1, 10), qui nous intro­duit dans la liber­té en vue de laquelle le Christ est mort et res­sus­ci­té (cf. Ga 5,1).

I. LA VÉRITÉ DON DE DIEU À SON PEUPLE

2. Mû par un amour sans mesure, Dieu a vou­lu s’ap­pro­cher de l’homme en quête de sa propre iden­ti­té et faire route avec lui (cf. Le 24, 15). Il l’a aus­si libé­ré des ruses du « père du men­songe » (cf. Jn 8, 44) et lui a don­né accès à son inti­mi­té pour qu’il y trouve, comme par sur­croît, sa véri­té défi­ni­tive, et sa liber­té véri­table. Ce des­sein d’a­mour conçu par le « Père des lumières » (Jc 1, 17 ; cf. 1 P 2, 9 ; 1 Jn 1, 5), réa­li­sé par le Fils affran­chi de la mort (cf. Jn 8, 36) est per­pé­tué par l’Esprit qui conduit « vers la véri­té tout entière » (Jn 16, 13).

3. La véri­té pos­sède en soi une force uni­fiante : elle délivre les hommes de l’i­so­le­ment et des oppo­si­tions dans les­quelles les enferme l’i­gno­rance de la véri­té et, tan­dis qu’elle ouvre le che­min vers Dieu, elle les unit les uns aux autres. Le Christ a détruit le mur de sépa­ra­tion qui les avait ren­dus étran­gers à la pro­messe de Dieu et à la com­mu­nion de l’Alliance (cf. Ep 2, 12–14). Il envoie dans le cœur des croyants son Esprit, par lequel tous en Lui, nous ne sommes plus qu”« un seul » (cf. Rm 5, 5 ; Ga 3, 28). Ainsi devenons-​nous, grâce à la nou­velle nais­sance et à l’onc­tion du Saint-​Esprit (cf. Jn 3, 5 ; 1 Jn 2,20. 27), le Peuple de Dieu unique et nou­veau qui, par les diverses voca­tions et cha­rismes, a la mis­sion de conser­ver et de trans­mettre le don de la véri­té. En effet, l’Église tout entière doit, comme « sel de la terre » et « lumière du monde » (cf. Mt 5,13s), rendre témoi­gnage à la véri­té du Christ qui libère.

4. À cet appel, le Peuple de Dieu répond « avant tout par une vie de foi et de cha­ri­té et en offrant à Dieu un sacri­fice de louange ». En ce qui a trait plus spé­ci­fi­que­ment à la « vie de foi », le Concile Vatican II pré­cise que « l’en­semble des fidèles qui ont reçu l’onc­tion du Saint (cf. 1 Jn 2, 20. 27) ne peut pas errer dans la foi », et qu’« il mani­feste cette pré­ro­ga­tive au moyen du sens sur­na­tu­rel de la foi com­mun à tout le peuple, lorsque, « depuis les évêques jus­qu’au der­nier des fidèles laïcs », il fait entendre son accord uni­ver­sel dans les domaines de la foi et de la morale » [2] .

5.Afin d’exer­cer sa fonc­tion pro­phé­tique dans le monde, le Peuple de Dieu doit constam­ment réveiller ou « ravi­ver » en lui sa vie de foi (cf. 2 Tm 1, 6), en par­ti­cu­lier par une réflexion tou­jours plus appro­fon­die, gui­dée par l’Esprit Saint, sur le conte­nu de la foi elle-​même, et par un effort pour la jus­ti­fier aux yeux de ceux qui lui en demandent rai­son (cf. 1 P 3, 15). Pour cette mis­sion, l’Esprit de véri­té dis­pense, par­mi les croyants de tout ordre, des grâces spé­ciales don­nées « en vue du bien com­mun » ( 1 Co 12, 7–11).

II. LA VOCATION DU THÉOLOGIEN

6. Parmi les voca­tions ain­si sus­ci­tées par l’Esprit dans l’Église se dis­tingue celle du théo­lo­gien qui, d’une manière par­ti­cu­lière, a pour fonc­tion d’ac­qué­rir, en com­mu­nion avec le Magistère, une intel­li­gence tou­jours plus pro­fonde de la Parole de Dieu conte­nue dans l’Écriture ins­pi­rée et trans­mise par la Tradition vivante de l’Église.

De par sa nature, la foi tend à l’in­tel­li­gence, car elle ouvre à l’homme la véri­té concer­nant sa des­ti­née et la voie pour l’at­teindre. Même si la véri­té révé­lée sur­passe notre dis­cours, et si nos concepts sont impar­faits face à sa gran­deur à la fin du compte inson­dable (cf. Ep 3, 19), elle invite pour­tant notre rai­son – don de Dieu pour per­ce­voir la Vérité – à entrer en sa lumière et à deve­nir ain­si capable de com­prendre dans une cer­taine mesure ce qu’elle croit. La science théo­lo­gique, qui recherche l’in­tel­li­gence de la foi en réponse à la voix de la Vérité qui appelle, aide le Peuple de Dieu, selon le com­man­de­ment apos­to­lique (cf. 1 P 3, 15), à rendre compte de son espé­rance à ceux qui le demandent.
7. Le tra­vail du théo­lo­gien répond ain­si au dyna­misme pré­sent dans la foi elle-​même : de par sa nature, la véri­té veut se com­mu­ni­quer, car l’homme a été créé pour per­ce­voir la Vérité, et désire au plus pro­fond de lui-​même la connaître pour se trou­ver en elle et y trou­ver son salut (cf. 1 Tm 2, 4). C’est pour­quoi le Seigneur a envoyé ses Apôtres pour qu’ils fassent de toutes les nations des « dis­ciples » et les enseignent (cf. Mt 28, 19 s.). La théo­lo­gie, qui recherche la « rai­son de la foi » et offre cette rai­son comme une réponse à ceux qui cherchent, fait inté­gra­le­ment par­tie de l’o­béis­sance à ce com­man­de­ment, car les hommes ne peuvent deve­nir dis­ciples si la Vérité conte­nue dans la parole de foi ne leur est pas pré­sen­tée (cf. Rm 10, 14 s.).

La théo­lo­gie offre donc sa contri­bu­tion pour que la foi devienne com­mu­ni­cable, pour que l’in­tel­li­gence de ceux qui ne connaissent pas encore le Christ puisse recher­cher et trou­ver la foi. Obéissant ain­si à l’im­pul­sion de la Vérité qui tend à se com­mu­ni­quer, la théo­lo­gie naît aus­si de l’a­mour et de son dyna­misme : dans l’acte de foi, l’homme connaît la bon­té de Dieu et com­mence à l’ai­mer, mais l’a­mour désire connaître tou­jours mieux celui qu’il aime [3]. De cette double ori­gine de la théo­lo­gie, qui s’ins­crit dans la vie interne du Peuple de Dieu et dans sa voca­tion mis­sion­naire, découle la manière dont elle doit être éla­bo­rée pour satis­faire aux exi­gences de sa propre nature.

8. Puisque l’ob­jet de la théo­lo­gie est la Vérité, le Dieu vivant et son des­sein de salut révé­lé en Jésus-​Christ, le théo­lo­gien est appe­lé à inten­si­fier sa vie de foi et à unir tou­jours recherche scien­ti­fique et prière [4] . Il sera ain­si plus ouvert au « sens sur­na­tu­rel de la foi » dont il dépend et qui lui appa­raî­tra comme une règle sûre pour gui­der sa réflexion et mesu­rer la jus­tesse de ses conclusions.

9. Au cours des siècles, la théo­lo­gie s’est pro­gres­si­ve­ment consti­tuée en un véri­table savoir scien­ti­fique. Il est donc néces­saire que le théo­lo­gien soit atten­tif aux exi­gences épis­té­mo­lo­giques de sa dis­ci­pline, aux exi­gences de rigueur cri­tique, c’est-​à-​dire au contrôle ration­nel de chaque étape de sa démarche. Mais l’exi­gence cri­tique ne doit pas être iden­ti­fiée avec l’es­prit cri­tique, qui naît plu­tôt de motifs affec­tifs ou de pré­ju­gés. Le théo­lo­gien doit dis­cer­ner en lui-​même l’o­ri­gine et les moti­va­tions de son atti­tude cri­tique et lais­ser puri­fier son regard par la foi. L’exercice de la théo­lo­gie requiert un effort spi­ri­tuel de rec­ti­tude et de sanctification.

10. Bien qu’elle trans­cende la rai­son humaine, la véri­té révé­lée est en pro­fonde har­mo­nie avec elle. Cela sup­pose que la rai­son soit par sa nature ordon­née à la Vérité de sorte que, illu­mi­née par la foi, elle puisse péné­trer la signi­fi­ca­tion de la Révélation. En dépit des affir­ma­tions de plu­sieurs cou­rants phi­lo­so­phiques, mais confor­mé­ment à une saine phi­lo­so­phie confir­mée par l’Écriture, il faut recon­naître la capa­ci­té que pos­sède la rai­son humaine d’at­teindre la véri­té, ain­si que sa capa­ci­té méta­phy­sique de connaître Dieu à par­tir du créé [5] .

C’est pour­quoi la tâche, propre à la théo­lo­gie, de com­prendre le sens de la Révélation exige l’u­ti­li­sa­tion d’ac­qui­si­tions phi­lo­so­phiques qui four­nissent « une connais­sance solide et cor­recte de l’homme, du monde et de Dieu »[6] , dont les affir­ma­tions puissent être assu­mées dans la réflexion sur la doc­trine révé­lée. Les sciences his­to­riques sont éga­le­ment néces­saires aux études du théo­lo­gien, en pre­mier lieu à cause du carac­tère his­to­rique de la Révélation, qui nous a été livrée dans une « his­toire du salut ». On doit enfin avoir aus­si recours aux « sciences humaines », pour mieux sai­sir la véri­té révé­lée sur l’homme et sur les normes morales de son agir, en met­tant en rap­port avec elle les résul­tats valables de ces sciences.

Dans cette pers­pec­tive, il est de la tâche du théo­lo­gien d’emprunter à la culture qui est la sienne des élé­ments lui per­met­tant de mettre mieux en lumière tel ou tel aspect des mys­tères de la foi. Une telle tâche est certes ardue et com­porte des risques, mais elle est en soi légi­time et doit être encouragée.

Il importe à ce pro­pos de sou­li­gner que l’u­ti­li­sa­tion par la théo­lo­gie d’élé­ments et ins­tru­ments concep­tuels pro­ve­nant de la phi­lo­so­phie ou d’autres dis­ci­plines exige un dis­cer­ne­ment qui trouve son prin­cipe nor­ma­tif ultime dans la doc­trine révé­lée. C’est elle qui doit four­nir les cri­tères pour le dis­cer­ne­ment de ces élé­ments et ins­tru­ments concep­tuels, et non l’inverse.

11. N’oubliant jamais qu’il est lui aus­si membre du Peuple de Dieu, le théo­lo­gien doit le res­pec­ter et s’at­ta­cher à lui dis­pen­ser un ensei­gne­ment qui n’al­tère en rien la doc­trine de la foi.

La liber­té propre à la recherche théo­lo­gique s’exerce à l’in­té­rieur de la foi de l’Église. C’est pour­quoi l’au­dace qui s’im­pose sou­vent à la conscience du théo­lo­gien ne peut por­ter de fruits et « édi­fier » que si elle s’ac­com­pagne de la patience du mûris­se­ment. Les pro­po­si­tions nou­velles avan­cées par l’in­tel­li­gence de la foi « ne sont qu’une offre faite à toute l’Église. Il faut beau­coup de cor­rec­tions et d’é­lar­gis­se­ments dans un dia­logue fra­ter­nel jus­qu’à ce que toute l’Église puisse les accep­ter ». En consé­quence, « le ser­vice très dés­in­té­res­sé à la com­mu­nau­té des croyants » qu’est la théo­lo­gie « com­porte essen­tiel­le­ment un débat objec­tif, un dia­logue fra­ter­nel, une ouver­ture et une dis­po­ni­bi­li­té à modi­fier ses propres opi­nions » [7] .

12. La liber­té de recherche, à laquelle la com­mu­nau­té des scien­ti­fiques tient jus­te­ment comme à l’un de ses biens les plus pré­cieux, signi­fie la dis­po­ni­bi­li­té à accueillir la véri­té telle qu’elle se pré­sente au terme d’une recherche dans laquelle n’est inter­ve­nu aucun élé­ment étran­ger aux exi­gences d’une méthode cor­res­pon­dant à l’ob­jet étudié.

En théo­lo­gie, cette liber­té de recherche s’ins­crit à l’in­té­rieur d’un savoir ration­nel dont l’ob­jet est don­né par la Révélation, trans­mise et inter­pré­tée dans l’Église sous l’au­to­ri­té du Magistère, et reçu par la foi. Omettre ces don­nées, qui ont valeur de prin­cipe, serait comme ces­ser de faire de la théo­lo­gie. Afin de bien pré­ci­ser les moda­li­tés de ce rap­port avec le Magistère, il convient de réflé­chir main­te­nant sur le rôle de celui-​ci dans l’Église.

III. LE MAGISTÈRE DES PASTEURS

13. « Avec une grande bien­veillance, Dieu a pris des dis­po­si­tions pour que la Révélation don­née pour le salut de toutes les nations demeu­rât tou­jours en son inté­gri­té et fût trans­mise à toutes les géné­ra­tions » [8] . Il a confé­ré à son Église par le don de l’Esprit Saint une par­ti­ci­pa­tion à sa propre infailli­bi­li­té[9]. Par le « sens sur­na­tu­rel de la foi », le Peuple de Dieu jouit de cette pré­ro­ga­tive, sous la conduite du Magistère vivant de l’Église qui, en ver­tu de l’au­to­ri­té exer­cée au nom du Christ, est le seul inter­prète authen­tique de la Parole de Dieu, écrite ou trans­mise [10].

14. Comme suc­ces­seurs des apôtres, les Pasteurs de l’Église « reçoivent du Seigneur […] la mis­sion d’en­sei­gner toutes les nations et de prê­cher l’Évangile à toute créa­ture, afin que les hommes […] obtiennent le salut » [11]. La tâche leur est donc confiée de conser­ver, d’ex­po­ser et d’an­non­cer la Parole de Dieu, dont ils sont les ser­vi­teurs[12].

La mis­sion du Magistère est d’af­fir­mer, d’une manière cohé­rente avec la nature « escha­to­lo­gique » propre à l’é­vé­ne­ment de Jésus-​Christ, le carac­tère défi­ni­tif de l’Alliance ins­tau­rée par Dieu dans le Christ avec son Peuple ; il doit le pro­té­ger des dévia­tions et des défaillances, et lui garan­tir la pos­si­bi­li­té objec­tive de pro­fes­ser sans erreurs la foi authen­tique, en tout temps et dans les diverses situa­tions. Il en découle que la signi­fi­ca­tion du Magistère et sa valeur ne sont com­pré­hen­sibles que par rap­port à la véri­té de la doc­trine chré­tienne et à la pré­di­ca­tion de la Parole véri­table. La fonc­tion du Magistère n’est donc pas quelque chose d’ex­trin­sèque à la véri­té chré­tienne ni de super­po­sé à la foi ; elle émerge direc­te­ment de l’é­co­no­mie de la foi elle-​même parce que le Magistère est, au ser­vice de la Parole de Dieu, une ins­ti­tu­tion vou­lue posi­ti­ve­ment par le Christ comme élé­ment consti­tu­tif de l’Église. Le ser­vice ren­du à la véri­té chré­tienne par le Magistère s’exerce donc en faveur de tout le Peuple de Dieu, appe­lé à être intro­duit dans la liber­té de la véri­té que Dieu a révé­lée dans le Christ.

15. Afin qu’ils puissent accom­plir plei­ne­ment la tâche qui leur est confiée d’en­sei­gner l’Évangile et d’in­ter­pré­ter authen­ti­que­ment la Révélation, Jésus-​Christ a pro­mis aux Pasteurs de l’Église l’as­sis­tance de l’Esprit Saint. Il les a en par­ti­cu­lier dotés du cha­risme d’in­failli­bi­li­té en matière de foi et de mœurs. L’exercice de ce cha­risme peut revê­tir plu­sieurs moda­li­tés. Il s’exerce en par­ti­cu­lier quand les évêques en union avec leur chef visible, par un acte col­lé­gial, comme dans le cas de conciles œcu­mé­niques, pro­clament une doc­trine, ou quand le Pontife romain, exer­çant sa mis­sion de Pasteur et de Docteur suprême de tous les chré­tiens, pro­clame une doc­trine « ex cathe­dra » [13].

16. Le devoir de conser­ver sain­te­ment et d’ex­po­ser fidè­le­ment le dépôt de la divine Révélation implique, de par sa nature, que le Magistère puisse pro­po­ser « d’une manière défi­ni­tive »[14] des énon­cés qui, même s’ils ne sont pas conte­nus dans les véri­tés de foi, leur sont cepen­dant inti­me­ment connexes, de sorte que le carac­tère défi­ni­tif de telles affir­ma­tions dérive, en der­nier res­sort, de la Révélation elle-​même [15].

Ce qui concerne la morale peut être l’ob­jet du magis­tère authen­tique, car l’Évangile, qui est Parole de vie, ins­pire et dirige tout le domaine de l’a­gir humain. Le Magistère a donc la tâche de dis­cer­ner, par des juge­ments nor­ma­tifs pour la conscience des fidèles, les actes qui sont en eux-​mêmes conformes aux exi­gences de la foi et en pro­meuvent l’ex­pres­sion dans la vie, et ceux qui au contraire, de par leur malice intrin­sèque, sont incom­pa­tibles avec ces exi­gences. En rai­son du lien qui existe entre l’ordre de la créa­tion et l’ordre de la rédemp­tion, et en rai­son de la néces­si­té de connaître et obser­ver toute la loi morale en vue du salut, la com­pé­tence du Magistère s’é­tend aus­si à ce qui regarde la loi natu­relle [16].

D’ailleurs, la Révélation elle-​même contient des ensei­gne­ments moraux qui de soi pour­raient être connus par la rai­son natu­relle, mais aux­quels la condi­tion péche­resse de l’homme rend l’ac­cès dif­fi­cile. C’est une doc­trine de foi que ces règles morales peuvent être infailli­ble­ment ensei­gnées par le Magistère [17].

17. L’assistance divine est encore don­née aux suc­ces­seurs des apôtres, ensei­gnant en com­mu­nion avec le suc­ces­seur de Pierre, et, d’une manière par­ti­cu­lière, au Pontife romain, Pasteur de toute l’Église, lorsque, sans arri­ver à une défi­ni­tion infaillible et sans se pro­non­cer d’une « manière défi­ni­tive », ils pro­posent dans l’exer­cice du magis­tère ordi­naire un ensei­gne­ment qui conduit à une meilleure intel­li­gence de la Révélation en matière de foi et de mœurs, et des direc­tives morales décou­lant de cet enseignement.

On doit donc tenir compte du carac­tère propre de cha­cune des inter­ven­tions du Magistère et de la mesure dans laquelle son auto­ri­té est enga­gée, mais aus­si du fait qu’elles découlent toutes de la même source, c’est-​à-​dire du Christ qui veut que son peuple marche dans la véri­té tout entière. Pour la même rai­son, les déci­sions magis­té­rielles en matière de dis­ci­pline, même si elles ne sont pas garan­ties par le cha­risme de l’in­failli­bi­li­té, ne sont pas dépour­vues de l’as­sis­tance divine, et requièrent l’adhé­sion des fidèles.

18. Le Pontife romain s’ac­quitte de sa mis­sion uni­ver­selle à l’aide des orga­nismes de la Curie romaine et en par­ti­cu­lier, pour ce qui regarde la doc­trine sur la foi et sur la morale, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Il découle de là que les docu­ments de cette Congrégation approu­vés expres­sé­ment par le Pape par­ti­cipent au magis­tère ordi­naire du suc­ces­seur de Pierre [18].

19. Dans les Églises par­ti­cu­lières, il revient à l’é­vêque de gar­der et d’in­ter­pré­ter la Parole de Dieu et de juger avec auto­ri­té de ce qui lui est conforme ou non. L’enseignement de chaque évêque, pris sin­gu­liè­re­ment, s’exerce en com­mu­nion avec celui du Pontife romain, Pasteur de l’Église uni­ver­selle, et avec les autres évêques dis­per­sés à tra­vers le monde ou réunis en Concile œcu­mé­nique. Cette com­mu­nion est condi­tion de son authenticité.

Membre du col­lège épis­co­pal par son ordi­na­tion sacra­men­telle et par la com­mu­nion hié­rar­chique, l’é­vêque repré­sente son Église, comme tous les évêques en union avec le Pape repré­sentent l’Église uni­ver­selle dans le lien de la paix, de l’a­mour, de l’u­ni­té et de la véri­té. Convergeant dans l’u­ni­té avec leur propre patri­moine, les Églises locales mani­festent la catho­li­ci­té de l’Église. Pour leur part, les Conférences épis­co­pales contri­buent à la réa­li­sa­tion concrète du sen­ti­ment (« affec­tus ») col­lé­gial [19].

20. Ordonnée à veiller à ce que le Peuple de Dieu demeure dans la véri­té qui libère, la charge pas­to­rale du Magistère est donc une réa­li­té com­plexe et diver­si­fiée. Dans son enga­ge­ment au ser­vice de la véri­té, le théo­lo­gien aura, pour res­ter fidèle à sa fonc­tion, à tenir compte de la mis­sion propre au Magistère et à col­la­bo­rer avec lui. Comment faut-​il conce­voir cette col­la­bo­ra­tion ? Comment se réalise-​t-​elle concrè­te­ment et quels obs­tacles peut-​elle ren­con­trer ? C’est ce qu’il faut main­te­nant exa­mi­ner de plus près.

IV. MAGISTÈRE ET THÉOLOGIE

A. Les rapports de collaboration

21. Tout en ayant des cha­rismes et des fonc­tions dif­fé­rentes, le Magistère vivant de l’Église et la théo­lo­gie ont en défi­ni­tive un même but : gar­der le Peuple de Dieu dans la véri­té qui libère et en faire ain­si la « lumière des nations ». Ce ser­vice de la com­mu­nau­té ecclé­siale met en rela­tions réci­proques le théo­lo­gien et le Magistère. Ce der­nier enseigne authen­ti­que­ment la doc­trine des apôtres et, tirant pro­fit du tra­vail théo­lo­gique, réfute les objec­tions et les défor­ma­tions de la foi, pro­po­sant en outre, avec l’au­to­ri­té reçue de Jésus-​Christ, des appro­fon­dis­se­ments, des expli­ci­ta­tions et des appli­ca­tions nou­velles de la doc­trine révé­lée. La théo­lo­gie au contraire acquiert, par la réflexion, une intel­li­gence tou­jours plus pro­fonde de la Parole de Dieu conte­nue dans l’Écriture et fidè­le­ment trans­mise par la Tradition vivante de l’Église sous la conduite du Magistère ; elle cherche à éclai­rer l’en­sei­gne­ment de la Révélation face aux ins­tances de la rai­son, et lui donne enfin une forme orga­nique et sys­té­ma­tique [20].

22. La col­la­bo­ra­tion entre le théo­lo­gien et le Magistère se réa­lise d’une manière spé­ciale quand le théo­lo­gien reçoit la mis­sion cano­nique ou le man­dat d’en­sei­gner. Elle devient alors, dans un cer­tain sens, une par­ti­ci­pa­tion à l’œuvre du Magistère auquel la rat­tache un lien juri­dique. Les règles de déon­to­lo­gie qui découlent par elles-​mêmes et avec évi­dence du ser­vice de la Parole de Dieu se trouvent ren­for­cées par l’en­ga­ge­ment que le théo­lo­gien a pris en accep­tant sa tâche ain­si qu’en émet­tant la pro­fes­sion de foi et le ser­ment de fidé­li­té [21]. À par­tir de ce moment, il est inves­ti offi­ciel­le­ment de la charge de pré­sen­ter et d’illus­trer dans toute son exac­ti­tude et son inté­gra­li­té la doc­trine de la foi.

23. Lorsque le Magistère de l’Église se pro­nonce infailli­ble­ment pour décla­rer solen­nel­le­ment qu’une doc­trine est conte­nue dans la Révélation, l’adhé­sion requise est celle de la foi théo­lo­gale. Une telle adhé­sion s’é­tend à l’en­sei­gne­ment du Magistère ordi­naire et uni­ver­sel quand il pro­pose à croire une doc­trine de foi comme divi­ne­ment révélée.

Lorsque celui-​ci pro­pose « d’une manière défi­ni­tive » des véri­tés concer­nant la foi et les mœurs qui, même si elles ne sont pas divi­ne­ment révé­lées, sont tou­te­fois étroi­te­ment et inti­me­ment connexes avec la Révélation, celles-​ci doivent être fer­me­ment accep­tées et tenues [22].

Lorsque le Magistère, même sans l’in­ten­tion de poser un acte « défi­ni­tif », enseigne une doc­trine pour aider à l’in­tel­li­gence plus pro­fonde de la Révélation ou de ce qui en expli­cite le conte­nu, ou encore pour rap­pe­ler la confor­mi­té d’une doc­trine avec les véri­tés de foi, ou enfin pour mettre en garde contre des concep­tions incom­pa­tibles avec ces mêmes véri­tés, un assen­ti­ment reli­gieux de la volon­té et de l’in­tel­li­gence est requis [23]. Celui-​ci ne peut pas être pure­ment exté­rieur et dis­ci­pli­naire, mais doit se situer dans la logique et sous la mou­vance de l’o­béis­sance de la foi.

24. Enfin le Magistère, dans le but de ser­vir le mieux pos­sible le Peuple de Dieu, et en par­ti­cu­lier pour le mettre en garde contre des opi­nions dan­ge­reuses pou­vant conduire à l’erreur, peut inter­ve­nir sur des ques­tions débat­tues dans les­quelles sont impli­qués, à côté de prin­cipes fermes, des élé­ments conjec­tu­raux et contin­gents. Et ce n’est sou­vent qu’a­vec le recul du temps qu’il devient pos­sible de faire le par­tage entre le néces­saire et le contingent.

La volon­té d’ac­quies­ce­ment loyal à cet ensei­gne­ment du Magistère en matière de soi non-​irréformable doit être la règle. Il peut cepen­dant arri­ver que le théo­lo­gien se pose des ques­tions por­tant, selon les cas, sur l’op­por­tu­ni­té, sur la forme ou même le conte­nu d’une inter­ven­tion. Cela le condui­ra avant tout à véri­fier soi­gneu­se­ment quelle est l’au­to­ri­té de cette inter­ven­tion, telle qu’elle résulte de la nature des docu­ments, de l’in­sis­tance à pro­po­ser une doc­trine et de la manière même de s’ex­pri­mer [24].

Dans ce domaine des inter­ven­tions d’ordre pru­den­tiel, il est arri­vé que des docu­ments magis­té­riels ne soient pas exempts de défi­ciences. Les Pasteurs n’ont pas tou­jours per­çu aus­si­tôt tous les aspects ou toute la com­plexi­té d’une ques­tion. Mais il serait contraire à la véri­té de conclure, à par­tir de cer­tains cas déter­mi­nés, que le Magistère de l’Église puisse se trom­per habi­tuel­le­ment dans ses juge­ments pru­den­tiels, ou qu’il ne jouisse pas de l’as­sis­tance divine dans l’exer­cice inté­gral de sa mis­sion. En effet, le théo­lo­gien, qui ne peut bien exer­cer sa dis­ci­pline sans une cer­taine com­pé­tence his­to­rique, est conscient de la décan­ta­tion qui s’o­père avec le temps. Ceci ne doit pas être enten­du dans le sens d’une rela­ti­vi­sa­tion des énon­cés de la foi. Il sait que cer­tains juge­ments du Magistère ont pu être jus­ti­fiés à l’é­poque où ils furent pro­non­cés, parce que les affir­ma­tions visées mêlaient inex­tri­ca­ble­ment des asser­tions vraies et d’autres qui n’é­taient pas sûres. Seul le temps a per­mis d’o­pé­rer le dis­cer­ne­ment et, à la suite d’é­tudes appro­fon­dies, d’a­bou­tir à un vrai pro­grès doctrinal.

25. Même lorsque la col­la­bo­ra­tion se déroule dans les meilleures condi­tions, il n’est pas exclu que naissent des ten­sions entre le théo­lo­gien et le Magistère. La signi­fi­ca­tion qu’on leur confère et l’es­prit avec lequel on les affronte ne sont pas choses indif­fé­rentes : si elles ne pro­cèdent pas d’un sen­ti­ment d’hos­ti­li­té et d’op­po­si­tion, elles peuvent repré­sen­ter un fac­teur de dyna­misme et un sti­mu­lant qui incite le Magistère et les théo­lo­giens à rem­plir leurs fonc­tions res­pec­tives en pra­ti­quant le dialogue.

26. Une double règle s’im­pose dans le dia­logue : là où la com­mu­nion de foi est en cause, vaut le prin­cipe de l”« uni­tas veri­ta­tis » ; là où demeurent des diver­gences qui ne mettent pas en cause cette com­mu­nion, on sau­ve­gar­de­ra l”« uni­tas caritatis ».

27. Même si la doc­trine de foi ne lui appa­raît pas être en cause, le théo­lo­gien ne pré­sen­te­ra pas ses opi­nions ou ses hypo­thèses diver­gentes comme s’il s’a­gis­sait de conclu­sions indis­cu­tables. Cette dis­cré­tion est com­man­dée par le res­pect de la véri­té ain­si que par le res­pect du Peuple de Dieu (cf. Rm 14, 1–15 ; 1 Co 8 ; 10, 23–33). Pour les mêmes rai­sons, il renon­ce­ra à leur expres­sion publique intempestive.

28. Ce qui pré­cède trouve une appli­ca­tion par­ti­cu­lière dans le cas du théo­lo­gien qui aurait de sérieuses dif­fi­cul­tés à accueillir, pour des rai­sons qui lui paraissent fon­dées, un ensei­gne­ment magis­té­riel non-​irréformable.
Un tel désac­cord ne pour­rait être jus­ti­fié s’il se fon­dait seule­ment sur le fait que la vali­di­té de l’en­sei­gne­ment don­né n’est pas évi­dente, ou sur la per­sua­sion que la posi­tion contraire est plus pro­bable. De même, le juge­ment de la conscience sub­jec­tive du théo­lo­gien ne sau­rait suf­fire, car celle-​ci ne consti­tue pas une ins­tance auto­nome et exclu­sive pour juger de la véri­té d’une doctrine.

29. Jamais en tout cas ne pour­ra man­quer une atti­tude fon­da­men­tale de dis­po­ni­bi­li­té à accueillir loya­le­ment l’en­sei­gne­ment du Magistère, comme il convient à tout croyant au nom de l’o­béis­sance de la foi. C’est pour­quoi le théo­lo­gien s’ef­for­ce­ra de com­prendre cet ensei­gne­ment dans son conte­nu, dans ses rai­sons et dans ses motifs. À cela il consa­cre­ra une réflexion appro­fon­die et patiente, prompt à revoir ses propres opi­nions et à exa­mi­ner les objec­tions qui lui seraient faites par ses pairs.

30. Si, en dépit d’ef­forts loyaux, les dif­fi­cul­tés per­sistent, c’est un devoir pour le théo­lo­gien de faire connaître aux auto­ri­tés magis­té­rielles les pro­blèmes que sou­lève un ensei­gne­ment en lui-​même, dans les jus­ti­fi­ca­tions qui en sont pro­po­sées ou encore dans la manière selon laquelle il est pré­sen­té. Il le fera dans un esprit évan­gé­lique, avec le désir pro­fond de résoudre les dif­fi­cul­tés. Ses objec­tions pour­ront alors contri­buer à un réel pro­grès, en sti­mu­lant le Magistère à pro­po­ser l’en­sei­gne­ment de l’Église d’une manière plus appro­fon­die et mieux argumentée.

Dans ces cas, le théo­lo­gien évi­te­ra de recou­rir aux mass-​media plu­tôt que de s’a­dres­ser à l’au­to­ri­té res­pon­sable, car ce n’est pas en exer­çant ain­si une pres­sion sur l’o­pi­nion publique que l’on peut contri­buer à la cla­ri­fi­ca­tion des pro­blèmes doc­tri­naux et ser­vir la véri­té.
31. Il peut aus­si arri­ver qu’au terme d’un exa­men de l’en­sei­gne­ment du Magistère, sérieux et mené dans une volon­té d’é­coute sans réti­cences, la dif­fi­cul­té demeure, car les argu­ments en sens oppo­sé semblent au théo­lo­gien l’emporter. Devant une affir­ma­tion à laquelle il ne pense pas pou­voir don­ner son adhé­sion intel­lec­tuelle, son devoir est de res­ter dis­po­nible pour un exa­men plus appro­fon­di de la ques­tion.
Pour un esprit loyal et ani­mé par l’a­mour de l’Église, une telle situa­tion peut assu­ré­ment repré­sen­ter une épreuve dif­fi­cile. Ce peut être un appel à souf­frir dans le silence et la prière, avec la cer­ti­tude que si la véri­té est vrai­ment en cause, elle fini­ra néces­sai­re­ment par s’imposer.

B. Le problème du dissentiment

32. À plu­sieurs reprises, le Magistère a atti­ré l’at­ten­tion sur les graves incon­vé­nients cau­sés à la com­mu­nion de l’Église par les atti­tudes d’op­po­si­tion sys­té­ma­tique, qui en viennent même à se consti­tuer en groupes orga­ni­sés [25]. Dans l’Exhortation apos­to­lique Paterna cum bene­vo­len­tia, Paul VI a pro­po­sé un diag­nos­tic qui conserve toute sa per­ti­nence. On veut ici par­ler en par­ti­cu­lier de cette atti­tude publique d’op­po­si­tion au magis­tère de l’Église, appe­lé encore « dis­sen­ti­ment », et qu’il convient de bien dis­tin­guer de la situa­tion de dif­fi­cul­té per­son­nelle dont on a par­lé plus haut. Le phé­no­mène du dis­sen­ti­ment peut avoir diverses formes, et ses causes loin­taines ou proches sont multiples.

Parmi les fac­teurs qui peuvent exer­cer leur influence d’une façon loin­taine ou indi­recte, il convient de rap­pe­ler l’i­déo­lo­gie du libé­ra­lisme phi­lo­so­phique qui imprègne aus­si la men­ta­li­té de notre époque. De là pro­vient la ten­dance à consi­dé­rer qu’un juge­ment a d’au­tant plus de valeur qu’il pro­cède de l’in­di­vi­du s’ap­puyant sur ses propres forces. Ainsi on oppose la liber­té de pen­sée à l’au­to­ri­té de la tra­di­tion, consi­dé­rée comme source de ser­vi­tude. Une doc­trine trans­mise et reçue est d’emblée frap­pée de sus­pi­cion et sa valeur de véri­té contes­tée. À la limite, la liber­té de juge­ment ain­si enten­due importe plus que la véri­té elle-​même. Il s’a­git donc de tout autre chose que de l’exi­gence légi­time de la liber­té, au sens d’ab­sence de contrainte, comme condi­tion requise pour la recherche loyale de la véri­té, exi­gence en ver­tu de laquelle l’Église a tou­jours tenu que « per­sonne ne doit être contraint à embras­ser la foi mal­gré lui » [26].

Le poids d’une opi­nion publique inten­tion­nel­le­ment diri­gée et de ses confor­mismes exerce aus­si son influence. Souvent les modèles sociaux répan­dus par les mass-​media tendent à deve­nir une valeur nor­ma­tive, et l’o­pi­nion se répand en par­ti­cu­lier que l’Église ne devrait se pro­non­cer que sur des pro­blèmes que l’o­pi­nion publique tient pour impor­tants et dans le sens qui plaît à celle-​ci. Par exemple, le Magistère pour­rait inter­ve­nir dans les ques­tions éco­no­miques et sociales, mais devrait lais­ser au juge­ment indi­vi­duel celles qui regardent la morale conju­gale et familiale.

Enfin la plu­ra­li­té des cultures et des langues, qui est en soi une richesse, peut indi­rec­te­ment conduire à des mal­en­ten­dus ouvrant la voie à des désaccords.

Dans ce contexte, un dis­cer­ne­ment cri­tique et avi­sé et une réelle maî­trise des pro­blèmes sont requis du théo­lo­gien, s’il veut rem­plir sa mis­sion ecclé­siale et ne pas perdre, en se mode­lant sur le monde pré­sent (cf. Rm 12, 2 ; Ep 4, 23), l’in­dé­pen­dance de juge­ment qui doit être celle des dis­ciples du Christ.

33. Le dis­sen­ti­ment peut revê­tir divers aspects. Sous sa forme la plus radi­cale, il vise à chan­ger l’Église sui­vant un modèle de contes­ta­tion ins­pi­ré par ce qui se fait dans la socié­té poli­tique. Plus fré­quem­ment, on estime que le théo­lo­gien ne serait tenu d’adhé­rer qu’à l’en­sei­gne­ment infaillible du Magistère, tan­dis que, dans la pers­pec­tive d’une sorte de posi­ti­visme théo­lo­gique, les doc­trines pro­po­sées sans qu’in­ter­vienne le cha­risme d’in­failli­bi­li­té n’au­raient nul­le­ment un carac­tère obli­ga­toire, de sorte que l’es­prit serait libre d’y adhé­rer ou non. Ainsi le théo­lo­gien aurait toute liber­té pour mettre en doute ou refu­ser l’en­sei­gne­ment non-​infaillible du Magistère, notam­ment en matière de normes morales par­ti­cu­lières, et par cette oppo­si­tion cri­tique, il pour­rait même contri­buer au pro­grès de la doctrine.

34. La jus­ti­fi­ca­tion du dis­sen­ti­ment s’ap­puie géné­ra­le­ment sur dif­fé­rents argu­ments, dont deux ont un carac­tère plus fon­da­men­tal. Le pre­mier est d’ordre her­mé­neu­tique : les docu­ments du Magistère ne seraient rien d’autre que le reflet d’une théo­lo­gie dis­cu­table. Le second invoque le plu­ra­lisme théo­lo­gique, pous­sé par­fois jus­qu’à un rela­ti­visme qui met en cause l’in­té­gri­té de la foi : les inter­ven­tions magis­té­rielles éma­ne­raient d’une théo­lo­gie par­mi d’autres, alors qu’au­cune théo­lo­gie par­ti­cu­lière ne peut pré­tendre s’im­po­ser uni­ver­sel­le­ment. En oppo­si­tion au magis­tère authen­tique et en concur­rence avec lui prend ain­si nais­sance une sorte de « magis­tère paral­lèle » des théo­lo­giens [27].

C’est assu­ré­ment une des tâches du théo­lo­gien que d’in­ter­pré­ter cor­rec­te­ment les textes du Magistère, et il dis­pose pour cela de règles her­mé­neu­tiques, où figure le prin­cipe selon lequel, grâce à l’as­sis­tance divine, l’en­sei­gne­ment du Magistère vaut par-​delà l’ar­gu­men­ta­tion, par­fois emprun­tée à une théo­lo­gie par­ti­cu­lière, qu’il uti­lise. Quant au plu­ra­lisme théo­lo­gique, il n’est légi­time que dans la mesure où est sau­ve­gar­dée l’u­ni­té de la foi dans sa signi­fi­ca­tion objec­tive [28] Des liens essen­tiels relient en effet entre eux les niveaux dis­tincts que sont l’u­ni­té de la foi, l’unité-​pluralité des expres­sions de la foi, et la plu­ra­li­té des théo­lo­gies. La rai­son d’être de la plu­ra­li­té est l’in­son­dable mys­tère du Christ qui trans­cende toute sys­té­ma­ti­sa­tion objec­tive. Cela ne peut signi­fier que soient accep­tables des conclu­sions qui lui sont contraires, et cela ne met nul­le­ment en cause la véri­té d’as­ser­tions par les­quelles le Magistère s’est pro­non­cé[29]. Quant au « magis­tère paral­lèle », il peut cau­ser de grands maux spi­ri­tuels en s’opposant à celui des Pasteurs. Lorsqu’en effet le dis­sen­ti­ment réus­sit à étendre son influence jus­qu’à ins­pi­rer une opi­nion com­mune, il tend à deve­nir règle d’ac­tion, ce qui ne peut que trou­bler gra­ve­ment le Peuple de Dieu et conduire au mépris de l’au­to­ri­té véri­table[30].

35. Le dis­sen­ti­ment fait par­fois appel aus­si à une argu­men­ta­tion socio­lo­gique, selon laquelle l’o­pi­nion d’un grand nombre de chré­tiens serait une expres­sion directe et adé­quate du « sens sur­na­tu­rel de la foi ».

En réa­li­té, les opi­nions des fidèles ne peuvent pas être pure­ment et sim­ple­ment iden­ti­fiées au « sen­sus fidei » [31]. Celui-​ci est une pro­prié­té de la foi théo­lo­gale qui, parce qu’elle est un don de Dieu fai­sant adhé­rer per­son­nel­le­ment à la Vérité, ne peut se trom­per. Cette foi per­son­nelle est aus­si foi de l’Église, puisque Dieu a confié à l’Église la garde de la Parole et qu’en consé­quence, ce que le fidèle croit, c’est ce que croit l’Église. C’est pour­quoi le « sen­sus fidei » implique, de par sa nature, l’ac­cord pro­fond de l’es­prit et du cœur avec l’Église, le « sen­tire cum Ecclesia ».

Si donc la foi théo­lo­gale en tant que telle ne peut se trom­per, le croyant peut par contre avoir des opi­nions erro­nées, car toutes ses pen­sées ne pro­cèdent pas de la foi [32]. Les idées qui cir­culent dans le Peuple de Dieu ne sont pas toutes en cohé­rence avec la foi, d’au­tant qu’elles peuvent faci­le­ment subir l’in­fluence d’une opi­nion publique véhi­cu­lée par des moyens modernes de com­mu­ni­ca­tion. Ce n’est pas sans rai­son que le Concile Vatican II sou­ligne le rap­port indis­so­luble entre « sen­sus fidei » et conduite du Peuple de Dieu par le magis­tère des Pasteurs : les deux réa­li­tés ne peuvent être sépa­rées l’une de l’autre [33]. Les inter­ven­tions du Magistère servent à garan­tir l’u­ni­té de l’Église dans la véri­té du Seigneur. Elles aident à « demeu­rer dans la véri­té » face au carac­tère arbi­traire des opi­nions chan­geantes, et sont l’ex­pres­sion de l’o­béis­sance à la Parole de Dieu [34] . Même lors­qu’il peut sem­bler qu’elles entravent la liber­té des théo­lo­giens, elles ins­taurent, par la fidé­li­té à la foi trans­mise, une liber­té plus pro­fonde qui ne peut venir que de l’u­ni­té dans la vérité.

36. La liber­té de l’acte de foi ne sau­rait jus­ti­fier le droit au dis­sen­ti­ment. En effet, elle ne signi­fie nul­le­ment la liber­té à l’é­gard de la véri­té, mais la libre déter­mi­na­tion de la per­sonne confor­mé­ment à son obli­ga­tion morale d’ac­cueillir la véri­té. L’acte de foi est un acte volon­taire, puisque l’homme, rache­té par le Christ Rédempteur et appe­lé par lui à l’a­dop­tion filiale (cf. Rm 8, 15 ; Ga 4, 5 ; Ep 1, 5 ; Jn 1, 12), ne peut adhé­rer à Dieu que si, « atti­ré par le Père » (Jn 6, 44), il lui fait l’hom­mage rai­son­nable de sa foi (cf. Rm 12, 1). Comme l’a rap­pe­lé la Déclaration Dignitatis huma­nae [35] ‚aucune auto­ri­té humaine n’a le droit d’in­ter­ve­nir, par contrainte ou pres­sion, dans ce choix qui dépasse les limites de ses com­pé­tences. Le res­pect du droit à la liber­té reli­gieuse est le fon­de­ment du res­pect de l’en­semble des droits de l’homme.

On ne peut pour­tant faire appel à ces droits de l’homme pour s’op­po­ser aux inter­ven­tions du Magistère. Un tel com­por­te­ment mécon­naît la nature et la mis­sion de l’Église, qui a reçu de son Seigneur le man­dat d’an­non­cer à tous les hommes la véri­té du salut, et le réa­lise en mar­chant sur les traces du Christ, sachant que « la véri­té ne s’im­pose que par la force de la véri­té elle-​même, qui pénètre l’es­prit avec autant de dou­ceur que de puis­sance » [36].

37. En ver­tu du man­dat divin qui lui a été don­né dans l’Église, le Magistère a pour mis­sion de pro­po­ser l’en­sei­gne­ment de l’Évangile, de veiller à son inté­gri­té et par là de pro­té­ger la foi du Peuple de Dieu. Ce fai­sant, il peut être par­fois ame­né à prendre des mesures oné­reuses, comme par exemple lors­qu’il retire à un théo­lo­gien qui s’é­carte de la doc­trine de la foi la mis­sion cano­nique ou le man­dat d’en­sei­gner qu’il lui avait confié, ou encore déclare des écrits non-​conformes à cette doc­trine. En agis­sant ain­si, il entend être fidèle à sa mis­sion, car il défend les droits du Peuple de Dieu à rece­voir le mes­sage de l’Église dans sa pure­té et son inté­gra­li­té, et donc à n’être pas trou­blé par une opi­nion par­ti­cu­lière dangereuse.

Le juge­ment por­té en de telles cir­cons­tances par le Magistère, au terme d’un exa­men appro­fon­di fixé par des pro­cé­dures déter­mi­nées et après que l’in­té­res­sé ait pu dis­si­per les pos­sibles mal­en­ten­dus sur sa pen­sée, ne porte pas sur la per­sonne du théo­lo­gien, mais sur ses posi­tions intel­lec­tuelles publi­que­ment expo­sées. Que ces pro­cé­dures puissent être per­fec­tion­nées ne signi­fie pas qu’elles soient contraires à la jus­tice et au droit. Parler en l’oc­cur­rence d’at­teinte aux droits de l’homme est hors de pro­pos, car on mécon­naît alors l’exacte hié­rar­chie de ces droits tout autant que la nature de la com­mu­nau­té ecclé­siale et de son bien com­mun. Du reste, le théo­lo­gien qui n’est pas en accord avec le « sen­tire cum Ecclesia » se met en contra­dic­tion avec l’en­ga­ge­ment qu’il a pris libre­ment et consciem­ment d’en­sei­gner au nom de l’Église[37].

38. Enfin le recours au devoir de suivre la conscience ne peut légi­ti­mer le dis­sen­ti­ment. Tout d’a­bord parce que ce devoir s’exerce lorsque la conscience éclaire le juge­ment pra­tique en vue d’une déci­sion à prendre, alors qu’il s’a­git ici de la véri­té d’un énon­cé doc­tri­nal. Ensuite parce que si le théo­lo­gien doit, comme chaque croyant, suivre sa conscience, il est aus­si tenu de la for­mer. La conscience n’est pas une facul­té indé­pen­dante et infaillible, elle est un acte de juge­ment moral por­té sur un choix res­pon­sable. La conscience droite est une conscience dûment éclai­rée par la foi et la loi morale objec­tive, et sup­pose aus­si la rec­ti­tude de la volon­té dans la pour­suite du vrai bien.
C’est pour­quoi la conscience droite du théo­lo­gien catho­lique sup­pose la foi dans la Parole de Dieu dont il doit péné­trer les richesses, mais aus­si l’a­mour de l’Église dont il tient sa mis­sion et le res­pect du Magistère divi­ne­ment assis­té. Opposer au magis­tère de l’Église un magis­tère suprême de la conscience, c’est admettre le prin­cipe du libre exa­men, incom­pa­tible avec l’é­co­no­mie de la Révélation et de sa trans­mis­sion dans l’Église, comme avec une concep­tion cor­recte de la théo­lo­gie et de la fonc­tion du théo­lo­gien. Car les énon­cés de la foi ne résultent pas d’une recherche pure­ment indi­vi­duelle et d’une libre cri­tique de la Parole de Dieu, mais consti­tuent un héri­tage ecclé­sial. Si on se sépare des Pasteurs qui veillent à main­te­nir vivante la tra­di­tion apos­to­lique, c’est le lien avec le Christ qui se trouve irré­pa­ra­ble­ment com­pro­mis [38].

39. Tirant son ori­gine de l’u­ni­té du Père, du Fils et de l’Esprit Saint[39], l’Église est un mys­tère de com­mu­nion orga­ni­sée, selon la volon­té de son Fondateur, autour d’une hié­rar­chie éta­blie pour le ser­vice de l’Evangile et du Peuple de Dieu qui en vit. À l’i­mage des membres de la pre­mière com­mu­nau­té, tous les bap­ti­sés, avec les cha­rismes qui leur sont propres, doivent tendre d’un cœur sin­cère vers l’u­ni­té har­mo­nieuse de doc­trine, de vie et de culte (cf. Ac 2, 42). C’est là une règle qui découle de l’être même de l’Église. C’est pour­quoi on ne sau­rait appli­quer à celle-​ci pure­ment et sim­ple­ment des cri­tères de conduite qui ont leur rai­son d’être dans la socié­té civile ou dans les règles de fonc­tion­ne­ment d’une démo­cra­tie. Encore moins peut-​on, dans les rap­ports à l’in­té­rieur de l’Église, s’ins­pi­rer de la men­ta­li­té du monde ambiant (cf. Rm 12, 2). Demander à l’o­pi­nion majo­ri­taire ce qu’il convient de pen­ser et de faire, recou­rir contre le Magistère à des pres­sions exer­cées par l’o­pi­nion publique, se pré­va­loir d’un « consen­sus » des théo­lo­giens, pré­tendre que le théo­lo­gien est le porte-​parole pro­phé­tique d’une « base » ou com­mu­nau­té auto­nome qui serait ain­si l’u­nique source de la véri­té, tout cela dénote une grave perte du sens de la véri­té et du sens de l’Église.

40. L’Église est « comme le sacre­ment ou le signe et l’ins­tru­ment de l’in­time union avec Dieu et de l’u­ni­té de tout le genre humain » [40]. En consé­quence, recher­cher la concorde et la com­mu­nion, c’est aug­men­ter la force de son témoi­gnage et sa cré­di­bi­li­té ; céder au contraire à la ten­ta­tion du dis­sen­ti­ment, c’est lais­ser se déve­lop­per des « fer­ments d’in­fi­dé­li­té à l’Esprit Saint » [41].

Si la théo­lo­gie et le magis­tère sont de nature dif­fé­rente et ont des mis­sions diverses qui ne peuvent être confon­dues, il s’a­git pour­tant de deux fonc­tions vitales dans l’Église, qui doivent se com­pé­né­trer et s’en­ri­chir mutuel­le­ment pour le ser­vice du Peuple de Dieu.
En ver­tu d’une auto­ri­té qu’ils tiennent du Christ lui-​même, il revient aux Pasteurs de veiller à cette uni­té et d’empêcher que les ten­sions liées à la vie ne dégé­nèrent en divi­sions. Transcendant les posi­tions par­ti­cu­lières ou les oppo­si­tions, leur auto­ri­té doit les uni­fier toutes dans l’in­té­gri­té de l’Évangile, qui est « la parole de la récon­ci­lia­tion » (cf. 2 Co 5, 18–20).

Quant aux théo­lo­giens, en ver­tu de leur cha­risme propre, il leur revient de par­ti­ci­per eux aus­si à l’é­di­fi­ca­tion du Corps du Christ dans l’u­ni­té et la véri­té, et leur contri­bu­tion est plus que jamais requise par une évan­gé­li­sa­tion à l’é­chelle du monde, qui appelle les efforts du Peuple de Dieu tout entier [42]. S’il leur arrive de se heur­ter à des dif­fi­cul­tés en rai­son du carac­tère de leur recherche, ils doivent en cher­cher la solu­tion grâce au dia­logue confiant avec les Pasteurs, dans l’es­prit de véri­té et de cha­ri­té qui est celui de la com­mu­nion de l’Église.

41. Tous se sou­vien­dront que le Christ est la Parole défi­ni­tive du Père (cf. He 1, 2) en qui, comme le note saint Jean de la Croix, « Dieu nous a tout dit ensemble et en une seule fois » [43], et que, comme tel, il est la Vérité qui libère (cf. Jn 8, 36 ; 14, 6). Les actes d’adhé­sion et d’as­sen­ti­ment à la Parole confiée à l’Église sous la garde du Magistère remontent en défi­ni­tive vers Lui et intro­duisent dans l’es­pace de la vraie liberté.

Conclusion

42. Mère et par­faite Icône de l’Église, la Vierge Marie a été dès le seuil du Nouveau Testament pro­cla­mée bien­heu­reuse, à cause de son adhé­sion de foi immé­diate et sans défaillance à la Parole de Dieu (cf. Lc 1, 38.45), qu’elle conser­vait et médi­tait conti­nuel­le­ment dans son cœur (cf. Lc 2, 19.51). Aussi est-​elle deve­nue pour tout le Peuple de Dieu confié à sa sol­li­ci­tude mater­nelle un modèle et un sou­tien. Elle lui indique la voie de l’ac­cueil et du ser­vice de la Parole, en même temps que le but ultime à ne jamais perdre de vue : l’an­nonce à tous les hommes et la réa­li­sa­tion du salut appor­té au monde par son Fils Jésus-Christ.

En concluant cette Instruction, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi invite ins­tam­ment les Évêques à main­te­nir et déve­lop­per des liens confiants avec les théo­lo­giens, dans le par­tage d’un esprit d’ac­cueil et de ser­vice de la Parole, et dans une com­mu­nion de cha­ri­té où seront plus faci­le­ment sur­mon­tés cer­tains obs­tacles inhé­rents à la condi­tion humaine ici-​bas. Ainsi tous seront tou­jours davan­tage ser­vi­teurs de la Parole et ser­vi­teurs du Peuple de Dieu, pour que celui-​ci, demeu­rant dans la doc­trine de véri­té et de liber­té enten­due dès le début, demeure aus­si dans le Fils et dans le Père, et obtienne la vie éter­nelle, réa­li­sa­tion de la Promesse (cf. 1 Jn 2, 24–25).

Au cours d’une audience accor­dée au Préfet sous­si­gné, Sa Sainteté le Pape Jean-​Paul II a approu­vé la pré­sente Instruction éla­bo­rée en réunion plé­nière de la Congrégation, et en a ordon­né la publication.

À Rome, au siège de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 24 mai 1990, en la solen­ni­té de l’Ascension du Seigneur.

Joseph Card. Ratzinger, Préfet

+ Alberto Bovone, Archevêque tit. de Césarée de Numidie , Secrétaire

Notes de bas de page
  1. Const. dogm. Dei Verbum,n. 8.[]
  2. Const. dogm. Lumen gen­tium, n. 12. []
  3. Cf. Saint Bonaventure, Prooem. in I Sent., q. 2, ad 6 : « Quando fides non assen­tit prop­ter ratio­nem, sed prop­ter amo­rem eius cui assen­tit, desi­de­rat habere rationes ».[]
  4. Cf. Jean-​Paul II, Discours à l’occasion de la remise du prix inter­na­tio­nal Paul VI à Hans Urs von Balthasar, 23 juin 1984 : Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VII, 1 (1984) 1911–1917.[]
  5. Cf. Conc. Vatican I, Const. dogm. De fide catho­li­ca, De reve­la­tione, can. 1 : DS 3026. []
  6. Décret Optatam totius, n. 15.[]
  7. Jean-​Paul II, Discours aux théo­lo­giens à Altöting, 18 novembre 1980 : AAS 73 (1981) 104 ; cf. aus­si Paul VI, Allocution aux membres de la Commission théo­lo­gique inter­na­tio­nale, 11 octobre 1972 : AAS 64 (1972) 682–683 ; Jean-​Paul II, Allocution aux membres de la Commission théo­lo­gique inter­na­tio­nale, 26 octobre 1979 : AAS 71 (1979) 1428–1433.[]
  8. Const. dogm.Dei Verbum,n. 7.[]
  9. Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Décl. Mysterium Ecclesiae, n. 2 : AAS 65 (1973) 398 s. []
  10. Const. dogm. Dei Verbum,n. 10.[]
  11. Const. dogm.Lumen gen­tium, n. 24.[]
  12. Cf. Const. dogm. Dei Verbum, n. 10. []
  13. Cf. Const. dogm. Lumen gen­tium, n. 25 ; Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Décl. Mysterium Ecclesiae, n. 3 : AAS 65 (1973) 400 s. []
  14. Cf. Professio Fidei et Iusiurandum fide­li­ta­tis : AAS 81 (1989) 104s : « omnia et sin­gu­la quae cir­ca doc­tri­nam de fide vel mori­bus ab eadem defi­ni­tive pro­po­nun­tur ». []
  15. Cf. Const. dogm. Lumen gen­tium, n. 25 ; Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Décl. Mysterium Ecclesiae, nn. 3–5 : AAS 65 (1973) 400–404 ; Professio fidei et Iusiurandum fide­li­ta­tis : AAS 81 (1989) 104 s. []
  16. Cf. Paul VI, Encycl. Humanae vitae n. 4 : AAS 60 (1968) 483. []
  17. Cf. Conc. Vatican I, Const. dogm. Dei Filius, chap. 2 : DS 3005.[]
  18. Cf. C.I.C., can. 360–361 ; Paul VI, Const. apost. Regimini Ecclesiae uni­ver­sae, 15 août 1967, nn. 29–40 : AAS 59 (1967) 897–899 ; Jean-​Paul II, Const. apost. Pastor bonus, 28 juin 1988, art. 48–55 : AAS 80 (1988) 873–874.[]
  19. Cf. Const. dogm. Lumen gen­tium, nn. 22–23. Comme on le sait, à la suite de la seconde Assemblée géné­rale extra­or­di­naire du Synode des Évêques, le Saint-​Père a confié à la Congrégation pour les Évêques la tâche d’ap­pro­fon­dir le « Statut théologico-​juridique des Conférences épis­co­pales ». []
  20. Cf. Paul VI, Discours aux par­ti­ci­pants au Congrès inter­na­tio­nal sur la théo­lo­gie du Concile Vatican II, 1 octobre 1966 : AAS 58 (1966) 892 s. []
  21. Cf. C.I.C. ;: AAS 81 (1989) 104 s.[]
  22. Le texte de la nou­velle Profession de foi (cf. n. 15) pré­cise l’adhé­sion à ces ensei­gne­ments en ces termes : « Firmiter etiam amplec­tor et reti­neo ». Professio fidei et Iusiurandum fide­li­ta­tis[]
  23. Cf. Const. dogm. Lumen gen­tium, n. 25 ; C.I.C. can. 752. []
  24. Cf. Const. dogm. Lumen gen­tium, n. 25 § 1. []
  25. Paul VI, Exhort. apost. Paterna cum bene­vo­len­tia,8 décembre 1974 ; AAS 67 (1975) 5–23. Voir aus­si Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclar. Mysterium Ecclesiae : AAS 65 (1973) 396–408.[]
  26. Déclar. Dignitatis huma­nae, n. 10. []
  27. L’idée d’un « magis­tère paral­lèle » des théo­lo­giens en oppo­si­tion et en concur­rence avec le magis­tère des Pasteurs se pré­vaut par­fois de cer­tains textes où saint Thomas d’Aquin dis­tingue entre « magis­te­rium cathe­drae pas­to­ra­lis » et « magis­te­rium cathe­drae magis­te­ria­lis » (Contra impu­gnantes, c. 2 ; Quodlib. III, q. 4, a. 1 (9); In IV Sent. 19, 2, 2, q. 3 sol. 2 ad 4). En réa­li­té, ces textes n’offrent aucun fon­de­ment à cette posi­tion, parce que saint Thomas est abso­lu­ment cer­tain que le droit de juger en matière de doc­trine revient seule­ment à l”« offi­cium prae­la­tio­nis ». []
  28. Cf. Paul VI, Exhort. apost. Paterna cum bene­vo­len­tia, n. 4 : AAS 67 (1975) 14–15.[]
  29. Cf. Paul VI, Allocution aux membres de la Commission théo­lo­gique inter­na­tio­nale, 11 octobre 1973 : AAS 65 (1973) 555–559. []
  30. Cf. Jean-​Paul II, Encycl.Redemptor homi­nis, n. 19 : AAS 71 (1979) 308 ; Allocution aux fidèles à Managua, 4 mars 1983, n. 7 : AAS 75 (1983) 723 ; Allocution aux reli­gieux à Guatemala, 8 mars 1983, n. 3 : AAS 75 (1983) 746 ; Allocution aux évêques à Lima, 2février 1985, n. 5 : AAS 77 (1985) 874 ; Allocution à la Conférence des évêques belges à Malines, 18 mai 1985, n. 5 : Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VIII, 1 (1985) 1481 ; Allocution à des évêques amé­ri­cains en visite ad limi­na, 15 octobre 1988, n. 6 : L’Osservatore Romano, 16 octobre 1988, p. 4. []
  31. f. Jean-​Paul II, Exhort. Apost. Familiaris consor­tio, n. 5 : AAS 74 (1982) 85–86. []
  32. Cf. la for­mule du Concile de Trente, sess. VI, chap. 9 : fides « cui non potest subesse fal­sum » : DS 1534 ; cf. Saint Thomas d’Aquin, Summa theo­lo­giae,II-​II, q. 1, a. 3, ad 3 : « Possibile est enim homi­nem fide­lem ex coniec­tu­ra huma­na fal­sum ali­quid aes­ti­mare. Sed quod ex fide fal­sum aes­ti­met, hoc est impos­si­bile ».[]
  33. Cf. Const. dogm. Lumen gen­tium, n. 12. []
  34. Cf. Const. dogm.Dei Verbum, n. 10. []
  35. Cf. Déclar. Dignitatis huma­nae, nn. 9–10. []
  36. Ibid., n. 1. []
  37. Cf. Jean-​Paul II, Const. apost.Sapientia chris­tia­na, 15 avril 1979, n. 27, 1 : AAS 71 (1979) 483 ; C.I.C. can. 812. []
  38. Cf. Paul VI, Exhort. apost. Paterna cum bene­vo­len­tia, n. 4 : AAS 67 (1975) 15. []
  39. Cf. Const. dogm. Lumen gen­tium, n. 4.[]
  40. Cf..ibid., n. 1. []
  41. Cf. Paul VI, Exhort. apost. Paterna cum bene­vo­len­tia, n. 2–3 : AAS 67 (1975) 10–11. []
  42. Cf. Jean-​Paul II, Exhort. apost. post-​synodale Christifideles lai­ci, n. 32–35 : AAS 81 (1989) 451–459.[]
  43. Saint Jean de la Croix, La mon­tée au Carmel, II, 22, 3.[]
6 août 2000
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