Cette lettre rappelle l’œuvre et l’influence de saint Albert le Grand (1206–1280):
L’œuvre de saint Albert le Grand.
Saint Albert le Grand, évêque, confesseur et docteur de l’Eglise, s’efforça de monter jusqu’à Dieu par la connaissance des choses de la nature, « glorifier le Dieu tout-puissant, qui est la source de la sagesse, le créateur et le législateur de la nature, et Celui qui la gouverne » [1]. Dans ce but, il étudia et s’efforça de connaître toutes les sciences de son temps, aussi bien sacrées que profanes. Il en acquit une maîtrise si remarquable qu’il mérita d’être surnommé stupor mundi (l’étonnement du monde), doctor universalis (le docteur universel) par les écrivains de son époque, stupéfaits d’une telle science. En effet, le saint docteur, en plus de la théologie, de la philosophie, de l’exégèse scripturaire à l’étude desquelles il s’adonna avec une telle ardeur et un tel talent que très peu d’hommes égalaient son savoir en ces matières, entreprit dès son jeune âge et jusqu’à son extrême vieillesse des recherches sagaces et fort attentives sur les choses de la nature, puisque « depuis la création du monde, les attributs invisibles de Dieu se laissent comprendre et contempler dans les créatures, spécialement son éternelle puissance et sa divinité » (Rom., x, 20). Il voulait faire disparaître le désaccord entre la foi et la raison qu’en ce temps-là déjà certains philosophes introduisaient dans les universités par le moyen de leur axiome trompeur d’une double vérité. Il transmit à la postérité les résultats de ses recherches, de ses découvertes, en les consignant dans de nombreux écrits soigneusement travaillés. En effet, il s’y applique avec soin à chercher l’histoire de presque toute la nature alors connue en toutes ses parties, par la méthode expérimentale ou, comme on dit, par induction. Sans doute, les conditions de cette époque et le manque d’instruments n’ont pas permis à l’exemple et à l’œuvre d’un tel maître de donner tous les résultats qu’on aurait pu espérer déjà à ce moment.
Les professeurs de sciences désirent qu’il soit proclamé leur patron.
En effet, si les règles ou directives que le grand évêque de Ratisbonne avait établies à propos de la nécessité de l’expérimentation, de l’observation pénétrante et de l’importance de l’induction pour arriver à la vérité dans l’étude des choses de la nature, avaient été, déjà en ce temps, bien comprises et appliquées, les admirables progrès scientifiques dont se glorifient les époques plus récentes et aussi la nôtre, auraient pu être des siècles auparavant découverts et réalisés pour le plus grand profit de l’humanité. Rien d’étonnant, par conséquent, si les universités et les principaux collèges catholiques, non seulement d’Italie, mais aussi d’Allemagne, de France, de Hongrie, de Belgique, de Hollande et aussi d’Espagne, d’Amérique et même des îles Philippines, et beaucoup de professeurs de sciences physiques et naturelles, regardent Albert le Grand comme une lumière dans un monde ténébreux. Afin que le secours du Dieu tout-puissant ne leur manque pas dans leurs soigneuses recherches scientifiques, ils souhaitent avoir comme guide et pour céleste patron celui qui, déjà dans un siècle où beaucoup de ses contemporains, enflés par une vaine science, détournaient leurs yeux des choses spirituelles, a enseigné au contraire par son exemple à monter degré par degré des choses terrestres aux réalités célestes.
Aussi, c’est bien volontiers que Nous accueillons de Notre plein gré les vœux exprimés soit par les académiciens catholiques récemment réunis à Trêves, soit par les universités et par d’autres groupements scientifiques internationaux. Ces vœux, le Maître général de l’Ordre des Frères prêcheurs Nous les a fait connaître, y ajoutant aussi sa supplique instante et celle de l’Ordre qu’il dirige pour que Nous daignions proclamer saint Albert le Grand patron céleste de ceux qui s’occupent des sciences naturelles. Au Xe anniversaire de l’année où Notre prédécesseur immédiat, le pape Pie XI, par lettres décrétales du 16 décembre 1931, étendit à l’Eglise universelle le culte de saint Albert le Grand en ajoutant à son titre de confesseur pontife celui de docteur de l’Eglise, il Nous paraît tout à fait convenable, ainsi que l’exige Notre charge suprême des âmes, de favoriser ce projet très opportun. Cette décision Nous paraît aussi convenable en raison de la si triste situation actuelle ; en effet, au lieu d’être employés pour la gloire de Dieu et le bien de l’humanité, les progrès scientifiques modernes sont malheureusement utilisés pour infliger aux régions, aux populations, aux villes les calamités de la guerre. Que saint Albert, qui en des temps très difficiles a montré par ses remarquables travaux que la science et la foi pouvaient prospérer chez les hommes en parfait accord, daigne par sa puissante intercession auprès de Dieu pousser les esprits et les cœurs des savants à faire un usage pacifique et honnête des choses de la nature, dont ils scrutent et recherchent les lois que Dieu lui-même a établies.
Ayant donc délibéré sur cette affaire avec Notre Vénérable Frère l’évêque de Palestrina, préfet de la Sacrée Congrégation des Rites, et après avoir mûrement tout examiné, par la teneur des présentes lettres et en vertu de la plénitude de Notre pouvoir apostolique, Nous déclarons et établissons pour toujours saint Albert le Grand, évêque, confesseur et docteur de l’Eglise, patron céleste de ceux qui étudient les sciences naturelles, avec les privilèges et les honneurs qui sont particuliers à cette sorte de patronage céleste.
Nonobstant toutes choses contraires… Nous décidons que les présentes lettres soient et demeurent toujours fermes, valables et efficaces ; qu’elles sortent et obtiennent leurs effets pleins et entiers ; qu’elles profitent pleinement, maintenant et plus tard, à ceux qu’elles concernent ou pourront concerner. Ainsi doit-il en être jugé et décidé, déclarant nul et sans effet dès maintenant tout ce qui pourrait être attenté à ce sujet, contrairement à ces lettres, sciemment ou par ignorance, en vertu de n’importe quelle autorité.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte latin des A. A. S., XXXIV, 1942, p. 89 ; cf. la traduction française des Actes de S.S. Pie XII. t, III, p. 223.
- Physica, l. I, tr. 1, c. 1.[↩]