Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

16 décembre 1941

Lettre apostolique établissant saint Albert le Grand patron céleste de ceux qui s’occupent des sciences

Cette lettre rap­pelle l’œuvre et l’influence de saint Albert le Grand (1206–1280):

L’œuvre de saint Albert le Grand.

Saint Albert le Grand, évêque, confes­seur et doc­teur de l’Eglise, s’efforça de mon­ter jusqu’à Dieu par la connais­sance des choses de la nature, « glo­ri­fier le Dieu tout-​puissant, qui est la source de la sagesse, le créa­teur et le légis­la­teur de la nature, et Celui qui la gou­verne » [1]. Dans ce but, il étu­dia et s’efforça de connaître toutes les sciences de son temps, aus­si bien sacrées que pro­fanes. Il en acquit une maî­trise si remar­quable qu’il méri­ta d’être sur­nom­mé stu­por mun­di (l’étonnement du monde), doc­tor uni­ver­sa­lis (le doc­teur uni­ver­sel) par les écri­vains de son époque, stu­pé­faits d’une telle science. En effet, le saint doc­teur, en plus de la théo­lo­gie, de la phi­losophie, de l’exégèse scrip­tu­raire à l’étude des­quelles il s’adonna avec une telle ardeur et un tel talent que très peu d’hommes éga­laient son savoir en ces matières, entre­prit dès son jeune âge et jusqu’à son extrême vieillesse des recherches sagaces et fort atten­tives sur les choses de la nature, puisque « depuis la créa­tion du monde, les attri­buts invi­sibles de Dieu se laissent com­prendre et contem­pler dans les créa­tures, spé­cia­le­ment son éter­nelle puis­sance et sa divi­ni­té » (Rom., x, 20). Il vou­lait faire dis­pa­raître le désac­cord entre la foi et la rai­son qu’en ce temps-​là déjà cer­tains phi­lo­sophes intro­dui­saient dans les uni­ver­si­tés par le moyen de leur axiome trom­peur d’une double véri­té. Il trans­mit à la pos­té­ri­té les résul­tats de ses recher­ches, de ses décou­vertes, en les consi­gnant dans de nom­breux écrits soi­gneu­se­ment tra­vaillés. En effet, il s’y applique avec soin à cher­cher l’histoire de presque toute la nature alors connue en toutes ses par­ties, par la méthode expé­ri­men­tale ou, comme on dit, par induc­tion. Sans doute, les condi­tions de cette époque et le manque d’ins­truments n’ont pas per­mis à l’exemple et à l’œuvre d’un tel maître de don­ner tous les résul­tats qu’on aurait pu espé­rer déjà à ce moment.

Les professeurs de sciences désirent qu’il soit proclamé leur patron.

En effet, si les règles ou direc­tives que le grand évêque de Ratisbonne avait éta­blies à pro­pos de la néces­si­té de l’expérimentation, de l’observation péné­trante et de l’importance de l’induction pour arri­ver à la véri­té dans l’étude des choses de la nature, avaient été, déjà en ce temps, bien com­prises et appli­quées, les admi­rables pro­grès scien­ti­fiques dont se glo­ri­fient les époques plus récentes et aus­si la nôtre, auraient pu être des siècles aupa­ra­vant décou­verts et réa­li­sés pour le plus grand pro­fit de l’humanité. Rien d’étonnant, par con­séquent, si les uni­ver­si­tés et les prin­ci­paux col­lèges catho­liques, non seule­ment d’Italie, mais aus­si d’Allemagne, de France, de Hongrie, de Belgique, de Hollande et aus­si d’Espagne, d’Amérique et même des îles Philippines, et beau­coup de pro­fes­seurs de sciences phy­siques et natu­relles, regardent Albert le Grand comme une lumière dans un monde téné­breux. Afin que le secours du Dieu tout-​puissant ne leur manque pas dans leurs soi­gneuses recherches scien­ti­fiques, ils sou­haitent avoir comme guide et pour céleste patron celui qui, déjà dans un siècle où beau­coup de ses contem­po­rains, enflés par une vaine science, détour­naient leurs yeux des choses spi­ri­tuelles, a ensei­gné au contraire par son exemple à mon­ter degré par degré des choses ter­restres aux réa­li­tés célestes.

Aussi, c’est bien volon­tiers que Nous accueillons de Notre plein gré les vœux expri­més soit par les aca­dé­mi­ciens catho­liques récem­ment réunis à Trêves, soit par les uni­ver­si­tés et par d’autres grou­pements scien­ti­fiques inter­na­tio­naux. Ces vœux, le Maître géné­ral de l’Ordre des Frères prê­cheurs Nous les a fait connaître, y ajou­tant aus­si sa sup­plique ins­tante et celle de l’Ordre qu’il dirige pour que Nous dai­gnions pro­cla­mer saint Albert le Grand patron céleste de ceux qui s’occupent des sciences natu­relles. Au Xe anni­ver­saire de l’an­née où Notre pré­dé­ces­seur immé­diat, le pape Pie XI, par lettres décré­tales du 16 décembre 1931, éten­dit à l’Eglise uni­ver­selle le culte de saint Albert le Grand en ajou­tant à son titre de confes­seur pon­tife celui de doc­teur de l’Eglise, il Nous paraît tout à fait conve­nable, ain­si que l’exige Notre charge suprême des âmes, de favo­ri­ser ce pro­jet très oppor­tun. Cette déci­sion Nous paraît aus­si conve­nable en rai­son de la si triste situa­tion actuelle ; en effet, au lieu d’être employés pour la gloire de Dieu et le bien de l’humanité, les pro­grès scien­ti­fiques modernes sont mal­heu­reu­se­ment uti­li­sés pour infli­ger aux régions, aux popu­la­tions, aux villes les cala­mi­tés de la guerre. Que saint Albert, qui en des temps très dif­fi­ciles a mon­tré par ses remar­quables tra­vaux que la science et la foi pou­vaient pros­pé­rer chez les hommes en par­fait accord, daigne par sa puis­sante inter­cession auprès de Dieu pous­ser les esprits et les cœurs des savants à faire un usage paci­fique et hon­nête des choses de la nature, dont ils scrutent et recherchent les lois que Dieu lui-​même a établies.

Ayant donc déli­bé­ré sur cette affaire avec Notre Vénérable Frère l’évêque de Palestrina, pré­fet de la Sacrée Congrégation des Rites, et après avoir mûre­ment tout exa­mi­né, par la teneur des pré­sentes lettres et en ver­tu de la plé­ni­tude de Notre pou­voir apos­to­lique, Nous décla­rons et éta­blis­sons pour tou­jours saint Albert le Grand, évêque, con­fesseur et doc­teur de l’Eglise, patron céleste de ceux qui étu­dient les sciences natu­relles, avec les pri­vi­lèges et les hon­neurs qui sont parti­culiers à cette sorte de patro­nage céleste.

Nonobstant toutes choses contraires… Nous déci­dons que les pré­sentes lettres soient et demeurent tou­jours fermes, valables et effi­caces ; qu’elles sortent et obtiennent leurs effets pleins et entiers ; qu’elles pro­fitent plei­ne­ment, main­te­nant et plus tard, à ceux qu’elles concernent ou pour­ront concer­ner. Ainsi doit-​il en être jugé et déci­dé, décla­rant nul et sans effet dès main­te­nant tout ce qui pour­rait être atten­té à ce sujet, contrai­re­ment à ces lettres, sciem­ment ou par igno­rance, en ver­tu de n’importe quelle autorité.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte latin des A. A. S., XXXIV, 1942, p. 89 ; cf. la tra­duc­tion fran­çaise des Actes de S.S. Pie XII. t, III, p. 223.

Notes de bas de page
  1. Physica, l. I, tr. 1, c. 1.[]