Saint Albert le Grand

Dominicain, évêque de Ratisbonne et Docteur de l’Eglise (vers 1206–1280).

Fête le 15 novembre.

Vie résumée

Saint Albert le Grand naquit aux envi­rons d’Augsbourg, de parents riches des biens de la for­tune. Dès son enfance, il mon­tra dans ses études une rare pers­pi­ca­ci­té ; le goût des sciences lui fit aban­don­ner les tra­di­tions che­va­le­resques de sa famille et le condui­sit à l’u­ni­ver­si­té de Padoue, alors très célèbre, où il sut tem­pé­rer son ardeur pour l’é­tude par une vive pié­té. À l’âge de trente ans, encore incer­tain de son ave­nir, mais ins­pi­ré par la grâce, il alla se jeter aux pieds de la très Sainte Vierge, et crut entendre la céleste Mère lui dire : « Quitte le monde et entre dans l’Ordre de Saint-​Dominique. » Dès lors, Albert n’hé­si­ta plus, et mal­gré les résis­tances de sa famille, il entra au novi­ciat des Dominicains. Tels furent bien­tôt ses pro­grès dans la science et la sain­te­té, qu’il dépas­sa ses maîtres eux-mêmes.

Muni du titre de doc­teur en théo­lo­gie, il fut envoyé à Cologne, où sa répu­ta­tion lui atti­ra pen­dant long­temps de nom­breux et illustres dis­ciples. Mais un seul suf­fi­rait à sa gloire, c’est saint Thomas d’Aquin. Ce jeune reli­gieux, déjà tout plon­gé dans les plus hautes études théo­lo­giques, était silen­cieux par­mi les autres au point d’être appe­lé par ses condis­ciples : « le Boeuf muet de Sicile ». Mais Albert les fit taire en disant : « Les mugis­se­ments de ce boeuf reten­ti­ront dans le monde entier. » De Cologne, Albert fut appe­lé à l’Université de Paris avec son cher dis­ciple. C’est là que son génie parut dans tout son éclat et qu’il com­po­sa un grand nombre de ses ouvrages.

Plus tard l’o­béis­sance le ramène en Allemagne comme pro­vin­cial de son Ordre ; il dit adieu, sans mur­mu­rer, à sa cel­lule, à ses livres, à ses nom­breux dis­ciples, et voyage sans argent, tou­jours à pied, à tra­vers un immense ter­ri­toire pour visi­ter les nom­breux monas­tères sou­mis à sa juri­dic­tion. Il était âgé de soixante-​sept ans quand il dut se sou­mettre à l’ordre for­mel du Pape et accep­ter, en des cir­cons­tances dif­fi­ciles, le siège épis­co­pal de Ratisbonne ; là, son zèle infa­ti­gable ne fut récom­pen­sé que par de dures épreuves où se per­fec­tion­na sa ver­tu. Rendu à la paix dans un couvent de son Ordre, il lui fal­lut bien­tôt, à l’âge de soixante-​dix ans, reprendre ses courses apos­to­liques. Enfin il put ren­trer défi­ni­ti­ve­ment dans la retraite pour se pré­pa­rer à la mort.

On s’é­tonne que, par­mi tant de tra­vaux, de voyages et d’oeuvres de zèle, Albert ait pu trou­ver le temps d’é­crire sur les sciences, la phi­lo­so­phie et la théo­lo­gie des ouvrages qui ne forment pas moins de vingt et un volumes in-​folio, et on peut se deman­der ce qui a le plus excel­lé en lui du savant, du saint ou de l’apôtre.

Il mou­rut âgé de quatre-​vingt-​sept ans, le 15 novembre 1280 ; son corps fut enter­ré à Cologne dans l’é­glise des Dominicains. Il lui a fal­lu attendre jus­qu’au 16 décembre 1931 les hon­neurs de la cano­ni­sa­tion et l’ex­ten­sion de son culte à l’Église uni­ver­selle. En pro­cla­mant sa sain­te­té, le pape Pie XI y ajou­ta le titre si glo­rieux et si bien méri­té de doc­teur de l’Église. Sa fête a été fixée au 15 novembre, jour de sa mort. De temps immé­mo­rial, il était connu sous le nom d’Albert le Grand.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version Longue

Grand, Albert de Bollstaedt ou de Lauingen l’est en véri­té par son intel­li­gence, l’une des plus culti­vées de son temps et de tous les temps, par l’éminente sain­te­té de sa vie et sa prodi­gieuse acti­vi­té apos­to­lique, par l’originalité et la vigueur de ses con­ceptions phi­lo­so­phiques, par son influence pro­fonde sur la pen­sée et le mou­ve­ment intel­lec­tuel de son siècle. Véritable Aristote chré­tien, il domine ses contem­po­rains les plus illustres par l’étendue de son savoir, le rayon­ne­ment de son apos­to­lat scien­ti­fique, la dis­tinc­tion et l’accord qu’il éta­blit entre la phi­lo­so­phie et la théo­lo­gie, l’in­troduction de l’aristotélisme chris­tia­ni­sé dans l’enseignement de la science sacrée.

De bonne heure, la légende s’empara de sa vie. On lui attri­bua les inven­tions les plus extra­or­di­naires, la construc­tion des édi­fices les plus artis­tiques, les faits de sor­cel­le­rie les plus invrai­sem­blables. Après avoir mul­ti­plié à plai­sir dans son exis­tence les inter­ven­tions mira­cu­leuses, on fit volon­tiers de lui une sorte d’alchimiste, de magi­cien : ce n’était qu’une façon mal­adroite de recon­naître son goût pour les obser­va­tions et expé­riences du labo­ra­toire et sa science de la nature. En réa­li­té, l’histoire de la vie d’Albert le Grand reste, en beau­coup de points, incom­plète ou obs­cure faute de docu­ments ou de ren­sei­gne­ments précis.

Etudiant à l’Université de Padoue, puis religieux dominicain.

Albert de Bollstaedt, plus connu dans l’histoire sous le nom d’Albert le Grand, naquit en 1206 (ou peut-​être en 1193, selon quelques his­to­riens), à Lauingen, petite ville souabe, située sur le Danube, au nord-​ouest d’Augsbourg. Il était l’aîné des enfants du comte de Bollstaedt, riche et puis­sant che­va­lier, tout dévoué à l’empereur Frédéric II. Sa pre­mière édu­ca­tion fut celle que rece­vaient au moyen âge les enfants de famille noble. Assez vite cepen­dant, il fut envoyé, à la célèbre Université de Padoue, étu­dier, sous la sur­veillance d’un oncle, les lettres, les sciences, la méde­cine : à ce moment son père guer­royait en Lombardie pour le compte de son suze­rain. On trouve dans cer­tains ouvrages com­posés plus tard par Albert des sou­ve­nirs et des allu­sions rela­tifs à ce pre­mier séjour en Italie. L’étudiant s’y montre obser­vateur atten­tif des phé­no­mènes de la nature, pas­sion­né pour l’étude des sciences phy­siques, curieux d’en connaître et d’en véri­fier les lois. Cette ardeur pour la pos­ses­sion du savoir humain ne cau­sa d’ailleurs aucun pré­ju­dice à sa pié­té et, dans un milieu assez dan­ge­reux pour les bonnes moeurs, avec la pro­tec­tion spé­ciale de la Sainte Vierge, il conser­va intact le tré­sor de la pureté.

L’appel divin ne tar­da pas à se faire entendre : il fal­lait quit­ter la famille et le monde pour la vie plus par­faite du cloître. Après avoir prié long­temps Marie, consul­té les reli­gieux qui s’occupaient de son âme, Albert n’hésita pas : il se don­ne­rait à Dieu dans l’Ordre domi­ni­cain. Cette voca­tion ren­con­tra les plus grandes dif­ficultés ; oncle et parents s’y oppo­sèrent. Mais dans les pre­miers mois de 1223, la sain­te­té, le pres­tige irré­sis­tible, l’éloquence du bien­heu­reux Jourdain de Saxe, suc­ces­seur de saint Dominique, triom­phèrent des obs­tacles. Albert revê­tit l’habit des Frères Prê­cheurs. Celui qui l’avait conquis, avec tant d’autres étu­diants, à la règle domi­ni­caine, avait éga­le­ment devi­né les brillantes qua­lités de sa nou­velle recrue. Sans aucun doute, Jourdain de Saxe s’occupa d’une façon spé­ciale des études d’Albert de Lauingen. On ne sait au juste dans quel couvent, après Padoue, l’héritier des Bollstaedt étu­dia la phi­lo­so­phie et la théo­lo­gie, peut-​être à Bologne ; en tout cas, il y fit des pro­grès merveilleux.

Maître Albert professeur à l’Université de Paris. Une encyclopédie scientifique.

De dis­ciple il devint, vers 1231 ou 1232, pro­fes­seur. Il ensei­gna la science sacrée dans les cou­vents de Hildesheim, de Fribourg-​en-​Brisgau, de Ratisbonne (pen­dant deux ans), de Strasbourg. En 1245, le Maître géné­ral des Prêcheurs l’envoie à Paris, au col­lège ou Faculté théo­lo­gique de Saint-​Jacques, le plus impor­tant de l’Ordre et qui était incor­po­ré à l’Université depuis 1229. Albert devait y ensei­gner comme bache­lier sous un maître en théo­lo­gie et y conqué­rir lui-​même la maî­trise. Ses leçons eurent très vite le plus grand suc­cès. Religieux, clercs, laïques, pro­fes­seurs même, se pres­saient en foule autour de sa chaire, avides de l’entendre. Chaque dimanche, Albert fai­sait une confé­rence aux étu­diants. A cer­tains jours, si l’on en croit une tra­di­tion, les salles du couvent étaient insuf­fi­santes : alors il devait par­ler en plein air, sur la place. La célé­bri­té de Maître Albert date de son séjour et de son ensei­gne­ment à l’Université pari­sienne. On le consi­dé­ra comme l’un des plus grands savants de son siècle, et le titre de doc­teur uni­ver­sel qui lui fut don­né indique bien l’étonnante admi­ra­tion qu’il sus­ci­ta chez ses contem­po­rains, ses audi­teurs et ses disciples.

Le plus célèbre de ceux-​ci, celui dont la gloire devait même dépas­ser celle du maître, fut saint Thomas d’Aquin. On a écrit avec rai­son que ces deux génies ne font qu’un pour ain­si dire. Comment sépa­rer Albert de Thomas ? Sans le pre­mier, le second n’eût pas été pos­sible ; sans le second, le pre­mier fût res­té incom­plet. Jamais un maître et un dis­ciple ne se com­prirent si bien et ne s’aimèrent autant. Tout en com­men­tant avec un suc­cès sans pareil le Livre des Sentences de Pierre Lombard, Albert conçut et com­men­ça de réa­li­ser, pen­dant son séjour à Paris, le pro­jet d’une vaste ency­clopédie qui contien­drait tout l’acquis de la science humaine, antique et récente, domi­née et cou­ron­née par la science sacrée. Ce tra­vail vrai­ment gigan­tesque, auda­cieux pour un seul homme, était déjà ache­vé en grande par­tie en 1256 ; Albert le com­plé­te­ra jusque vers la fin de sa vie, par­cou­rant et fai­sant pro­gres­ser tous les tra­vaux et connais­sances scien­ti­fiques de ses devan­ciers, d’Aris­tote, d’Avicenne, d’Averrhoès, mon­trant par là aus­si l’harmonieux accord de la science et de la foi dans les diverses branches du savoir humain.

Saint Albert le Grand et son dis­ciple saint Thomas d’Aquin quittent l’Italie pour venir à l’Université de Paris

Au couvent de Cologne. – Pacificateur de la cité. Prieur provincial.

Lorsque, à la fin de l’année 1248, Maître Albert fut appe­lé à orga­ni­ser et à diri­ger la nou­velle « Etude géné­rale » qui venait d’être éta­blie à Cologne pour la for­ma­tion intel­lec­tuelle supé­rieure des reli­gieux domi­ni­cains, il emme­na avec lui saint Thomas d’Aquin. Ce der­nier était tou­jours modeste, appli­qué, silen­cieux ; quelques condis­ciples le sur­nom­maient le bœuf muet de Sicile. « Vous dites que Fr. Thomas est un bœuf muet, leur décla­ra un jour le maître ; mais le monde tres­sailli­ra un jour du mugis­sement de sa doc­trine. » Combien cette pro­phé­tie devait se réa­li­ser, l’histoire de l’Eglise l’atteste depuis sept siècles.

Cologne sera doré­na­vant la rési­dence ordi­naire d’Albert. Tout en consa­crant sa pro­di­gieuse acti­vi­té à l’enseignement, à la pré­di­ca­tion, à la com­po­si­tion d’ouvrages de théo­lo­gie, de phi­lo­so­phie, de sciences natu­relles, il s’occupe aus­si de la direc­tion des âmes, de la paci­fi­ca­tion des esprits, de la solu­tion de graves conflits. L’archevêque de Cologne, Conrad de Hochstaden, a sou­vent recours à ses conseils dans l’accomplissement de la charge épis­co­pale. En 1251, les pré­ten­tions exces­sives du pré­lat indis­po­sant for­te­ment la bour­geoi­sie de la ville contre lui, l’arbitrage d’Albert don­na cinq années de paix à Cologne. De nou­veau, en 1258, le moine inter­vient pour récon­ci­lier les adver­saires ; l’année sui­vante, il est un des signa­taires de l’accord com­mer­cial conclu entre Cologne et Utrecht. Quatre ans après, à la suite d’une émeute qui jette en pri­son l’archevêque de la ville, l’in­ter­dit pon­ti­fi­cal frappe la mal­heu­reuse cité. Albert est encore choi­si comme l’un des arbitres char­gés d’apaiser le conflit : il agit auprès du Pape pour faire lever la cen­sure. En d’autres loca­li­tés, en d’autres cir­cons­tances, mais sur­tout en Rhénanie et jusqu’à sa mort, il sera, par amour des âmes, par dévoue­ment à l’Eglise, le paci­fi­ca­teur des cités, l’apôtre de la jus­tice et de la cha­ri­té dans les contrats et les rela­tions entre citoyens.

Le Chapitre pro­vin­cial de l’Ordre domi­ni­cain tenu à Worms en 1254 lui confia les des­ti­nées de la Province d’Allemagne, qui com­prenait alors la Germanie, la Hollande, la Flandre, l’Autriche. Pendant la durée de son man­dat de trois ans, Albert s’occupa de sa charge avec acti­vi­té et avec un grand dévoue­ment. Voya­geant à pied, sans argent, men­diant sa nour­ri­ture, il par­cou­rut le ter­ri­toire et visi­ta les cou­vents sou­mis à sa juri­dic­tion. Il exi­geait des reli­gieux la stricte obser­vance de la règle, la pra­tique fidèle des ver­tus, spé­cia­le­ment de la pau­vre­té, l’application sou­tenue aux études. Non content d’entretenir la dis­ci­pline et la pié­té dans les cou­vents déjà fon­dés, il en éta­blit de nou­veaux, notam­ment celui du Paradis dans le dio­cèse de Cologne, pour les filles de la noblesse. En 1256, à la demande du Pape Alexandre IV, Albert se ren­dit à Anagni : devant la cour pon­ti­fi­cale, il réfu­ta les allé­ga­tions calom­nieuses de Guillaume de Saint-​Amour contre les Ordres men­diants : l’ouvrage de ce pam­phlé­taire fut condam­né par Alexandre IV. Pendant son séjour à Anagni, il com­men­ta l’Evangile de saint Jean et les épîtres catho­liques, écri­vit une réfu­tation de la doc­trine d’Averrhoès concer­nant l’intelligence. Ce voyage en Italie four­nit à l’infatigable savant l’occasion de recherches scien­ti­fiques : il décou­vrit un trai­té d’Aristote sur les ani­maux, qu’on croyait per­du, et il en publia un com­men­taire. Rentré à Cologne après une année d’absence, il reprit son ensei­gnement et ses tra­vaux ordi­naires. Avec saint Thomas d’Aquin et Pierre de Tarentaise (le futur Pape Innocent V) il éla­bo­ra au Chapitre géné­ral de Valenciennes, en 1259, un règle­ment pour les études dominicaines.

Evêque de Ratisbonne. – Prédicateur de la Croisade. L’apôtre de la vérité.

Au début de l’année sui­vante, mal­gré sa vive répu­gnance et tes efforts du Maître géné­ral Humbert de Romans pour empê­cher cette nomi­na­tion, Albert fut dési­gné par Alexandre IV pour l’évêché de Ratisbonne. Par suite de la conduite de l’évêque pré cèdent, Albert de Pietengau, ce dio­cèse se trou­vait fort divi­sé par des dis­sen­sions poli­tiques et dans une situa­tion reli­gieuse assez triste. Albert se don­na avec zèle aux devoirs de sa nou­velle charge. Son grand moyen d’apostolat et de per­sua­sion était par­tout l’exemple de la ver­tu, de la sain­te­té. Il ne chan­gea pas son genre de vie pauvre et simple ; sa modes­tie dans les habits, sa manière de voya­ger, contras­taient avec le luxe, les manières plus ou moins mon­daines qu’on trou­vait chez plu­sieurs pré­lats alle­mands. Albert par­cou­rut son dio­cèse, prê­chant la parole de Dieu, fai­sant obser­ver les règles dis­ci­pli­naires, réfor­mant les com­mu­nau­tés relâ­chées, apai­sant les dis­cordes civiles. Les devoirs de sa charge pas­to­rale, son zèle apos­to­lique ne le détour­nèrent pas du tra­vail intel­lec­tuel : son infa­ti­gable acti­vi­té, son vaste génie, son expé­rience, lui per­met­taient de se livrer à toutes sortes d’occupations. Cependant en 1262, plus amou­reux d’études que du tra­cas des affaires tempo­relles où un évêque de ce temps avait sans cesse à inter­ve­nir, en butte d’ailleurs à des attaques vio­lentes et hai­neuses, il rési­gna son évê­ché et retour­na avec joie dans un couvent de son Ordre, pro­ba­ble­ment celui de Cologne. Pendant deux ans il avait fait l’œuvre du bon pas­teur, paci­fiant ses ouailles, réfor­mant son cler­gé, étei­gnant les dettes de son pré­dé­ces­seur, don­nant à tous l’exemple d’une vie consa­crée à la prière, au tra­vail, à l’apostolat, à la gloire de Dieu.

Albert ne jouit pas long­temps du silence et du calme de la cel­lule mona­cale. Le Pape Urbain IV le char­gea, en 1263, de prê­cher en Allemagne, en Bohême et autres régions de langue teu­to­nique, la der­nière Croisade, celle au cours de laquelle mou­rut saint Louis. Pendant deux ans, il par­cou­rut ces pays en tous sens, jusqu’aux fron­tières de la Pologne, entraî­nant, par sa sain­te­té plus encore que par sa parole, les sei­gneurs et les hommes d’armes à se croi­ser pour la déli­vrance des Lieux Saints. Cette mis­sion accom­plie, le pré­lat se retire à Würzbourg, en Franconie ; il y reprend ses chers tra­vaux scien­ti­fiques, s’emploie à paci­fier les esprits, à arbi­trer des pro­cès, à prê­cher. Sur sa demande, Jean de Verceil, le Maître géné­ral de l’Ordre domi­ni­cain, lui per­met, vers 1267, de reprendre au couvent de Cologne sa chaire de lec­teur en théo­logie. Mais son zèle ne se borne pas à don­ner à ses élèves la science sacrée. Pendant les dix années qui suivent Albert se déplace fré­quem­ment allant du Brenner à Anvers, de Cologne à Lyon. Ici et là, sui­vant les dési­rs des évêques ou de ses frères, il prêche, consacre des autels, des églises, accom­plit les céré­mo­nies d’ordi­nation, sème les béné­dic­tions, les indul­gences, le par­fum de ses ver­tus. Il assiste en 1274 au Concile œcu­mé­nique de Lyon, con­tribue effi­ca­ce­ment à faire recon­naître Rodolphe de Habsbourg comme empe­reur du Saint-​Empire et à faire défi­nir cer­taines ques­tions dog­ma­tiques et morales sou­le­vées par les Grecs. L’amour de la véri­té brûle son âme et guide son apos­to­lat. A Paris, Thomas d’Aquin lutte contre Siger de Brabant et l’averrhoïsme ; de Cologne, Albert envoie à Gilles de Lessines une réfu­ta­tion de cette erreur et vient ain­si en aide à son dis­ciple bien-​aimé. Plus tard, en 1277, des intrigues savam­ment our­dies par des maîtres sécu­liers de l’Université de Paris conduisent l’évêque de cette ville, Etienne Tempier, à condam­ner cer­taines pro­po­si­tions de Fr. Thomas qui n’est plus là pour défendre son hon­neur scien­ti­fique. Ni l’âge, ni la fai­blesse, ni la dis­tance n’arrêtent le vieillard, ce « pro­dige de la science », comme on l’appelait. Il double les étapes pour cou­rir plus vite à la défense des idées de son plus cher disciple.

Un grand savant et un saint à l’âme apostolique.

De son vivant Albert jouit d’une égale renom­mée de ver­tu et de science : on le consi­dé­rait comme un grand ser­vi­teur de Dieu ; sa conduite dans les diverses charges ou digni­tés qu’il eut, four­nit la meilleure preuve de sa sain­te­té. Ce géant du savoir, ce méta­phy­si­cien qui chris­tia­nise l’aristotélisme, cet écri­vain que l’on cite dans les écoles au même titre qu’Aristote, Avicenne, et dont l’autorité doc­tri­nale est unique en ce xiiie siècle à la vie intellec­tuelle si intense, ce pro­fes­seur qui enthou­siasme la jeu­nesse uni­versitaire et qui peut légi­ti­me­ment pré­tendre aux hon­neurs et à la gloire les plus éle­vés, est simple, humble, pauvre, édi­fiant, pieux, aus­tère, obéis­sant, comme le pres­crit la Règle de l’état de vie qu’il a embrassé.

Religieux, pro­vin­cial, évêque, il n’oublie jamais qu’il appar­tient à un Ordre men­diant : la pau­vre­té, il l’aime, la pra­tique, la recom­mande à ses frères. Son humi­li­té est remar­quable : si ce grand savant a reçu de Dieu les dons les plus riches pour l’étude, il les fait fruc­ti­fier par un tra­vail achar­né, mais pour la gloire de Dieu, le bien du pro­chain ; sa science tou­jours plus vaste ne l’enfle pas : elle le rend au contraire de plus en plus défiant de sa rai­son, humble dans la totale sou­mis­sion de son intel­ligence à la foi. Que dire encore de son amour du tra­vail, de son zèle dans le pro­fes­so­rat, de son obéis­sance aux supé­rieurs, au Pape, aux évêques ; de son apos­to­lat par la pré­di­ca­tion, de sa pié­té simple, carac­té­ri­sée par une dévo­tion spé­ciale à l’Eucharistie, à la Passion du Christ, à la messe, à la Vierge Marie ! La forme spé­ci­fique de sa voca­tion spé­ciale est l’étude, l’enseignement de la véri­té : Albert étu­die, écrit, parle, prêche pour apprendre aux hommes à mieux connaître et à mieux aimer le Créateur : la science doit conduire à la foi et à l’amour.

Mort de saint Albert le Grand. – Son culte. – Docteur de l’Eglise.

De Paris, Albert retour­na à Cologne. L’âge et le tra­vail achar­né, un demi-​siècle durant, ame­nèrent un sérieux affai­blis­se­ment des forces et des facul­tés : ce fut pour le grand savant un avertisse­ment de se pré­pa­rer à la mort. Ses trois der­nières années y furent exclu­si­ve­ment employées. Il mou­rut à Cologne, le 15 novembre 1280. Après de magni­fiques funé­railles, son corps fut inhu­mé, comme il l’avait deman­dé par son tes­ta­ment, dans le chœur de l’église des Frères Prêcheurs de cette ville. Plus tard, ses restes, ren­fer­més dans un sar­co­phage en bois, furent dépo­sés dans un tom­beau en pierre : une ins­crip­tion sur marbre rap­pe­lait la per­sonnalité du défunt. La ville de Ratisbonne obtint en 1619 l’os du bras gauche ; cette relique insigne fut expo­sée dans l’église cathé­drale. Celle de Lauingen ne put avoir le même bon­heur ; elle fit exé­cu­ter un por­trait d’Albert qui fut pla­cé dans l’église de la paroisse. De bonne heure, un culte spé­cial entoure à Cologne, à Lauingen, à Ratisbonne, la mémoire et les reliques du célèbre Dominicain : des cha­pelles sont bâties en son hon­neur, des miracles sont deman­dés et obte­nus par son intercession.

Aussi, en 1484, les Dominicains de Cologne et de Ratisbonne sont-​ils auto­ri­sés à célé­brer la fête d’Albert le Grand. Le 27 no­vembre 1622, le Pape Grégoire XV accor­da ver­ba­le­ment la même faveur au dio­cèse de Ratisbonne. Urbain VIII concé­da à son tour la fête litur­gique à Lauingen en 1631, puis, en 1635, à tous les Dominicains d’Allemagne ; Alexandre VII fît de même en 1664 pour ceux de Vénétie ; Clément X pour tout l’Ordre domi­nicain en 1670 ; enfin Pie IX, pour le dio­cèse de Cologne, en faveur de qui il élève la fête au rite semi-​double, puis, en 1870, au rite double. Dans la suite, plu­sieurs dio­cèses alle­mands, et en France celui de Paris, obtinrent un pri­vi­lège sem­blable. Le culte du Docteur rhé­nan se répand de plus en plus.

Dès la fin du xve siècle, après la solen­nelle trans­la­tion de ses restes en 1482, les hon­neurs de la cano­ni­sa­tion et l’auréole des doc­teurs furent deman­dés pour lui au Pape. Mêmes démarches pres­santes en 1601, puis en 1870, lors du Concile du Vatican. Sous le pon­ti­fi­cat de Pie XI de nou­velles sol­li­ci­ta­tions furent pré­sen­tées à Rome par l’Ordre domi­ni­cain, les évêques alle­mands, les fidèles de cer­taines régions ; l’examen de cette sup­plique fut confié à la Congrégation des Rites qui don­na un avis favo­rable. Pie XI recou­rut à un mode par­ti­cu­lier de cano­ni­sa­tion, rare dans les temps pré­sents, mais usi­té dans le pas­sé : la cano­ni­sa­tion par équi­pol­lence, dans laquelle le Souverain Pontife, en ver­tu de sa suprême auto­ri­té, sup­plée aux for­ma­li­tés juri­diques ; par les Lettres décré­tales du 16 décembre 1931, il ins­cri­vait Albert le Grand au nombre des Saints et, en outre, lui confé­rait le titre de Docteur de l’Eglise ; le Pape impo­sait la fête de l’illustre Dominicain à l’u­ni­vers catho­lique, sous le rite double mineur et à la date du 15 novembre, la fête de sainte Gertrude, vierge, étant, en con­séquence, repor­tée au lendemain.

Note de LPL : Il a été par la suite été éta­blit « patron céleste de ceux qui s’oc­cupent des sciences » par Pie XII le 16 décembre 1941, soit 10 ans jour pour jour après la canonisation.

Ses écrits.

Les écrits phi­lo­so­phiques, théo­lo­giques, même mys­tiques de saint Albert le Grand, aux­quels se mélan­gèrent, tant sa gloire ten­tait les faus­saires, des apo­cryphes peu recom­man­dables des xvie et xviie siècles, ont été publiés en 1651 par le P. Pierre Jammy, Dominicain, et, à par­tir de 1890, par l’abbé Borgnet. Mais ces deux col­lec­tions, dont la seconde com­prend près de qua­rante volumes, sont peu cri­tiques et incom­plètes. Elles disent suffisam­ment que l’activité lit­té­raire du saint Docteur fut la plus gigan­tesque du moyen âge ; elle s’étendit à presque toutes les sciences pro­fanes et sacrées.

F. Carret.

Sources consul­tées. – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, t. XIII (Paris, 1897). – Dr Joachim Sighart, Albert le Grand, sa vie et sa science, tra­duc­tion de l’allemand (Paris, 1862). – P. Mandonnet, dans le Dictionnaire de théo­lo­gie catho­lique, t. I (Paris, 1900). – A. Delorme, Albert le Grand, sa vie, ses œuvres, son influence (Juvisy, 1931). – (V. S. B. P., n° 353.)