Ce discours, prononcé à la cérémonie de l’ouverture de la sixième année de l’Académie pontificale des sciences présidée par le R. P. Gemelli, recteur de l’Université catholique de Milan, est l’un des plus importants que le Saint-Père ait prononcés. Il définit les rapports de l’homme avec Dieu, la grandeur de l’homme et la valeur de ses conquêtes.
C’est pour Notre âme un nouveau sujet de joie que de revenir dans cet amphithéâtre de l’Académie pontificale des sciences, parmi cette couronne de Messieurs les cardinaux, d’illustres diplomates, de nobles personnages et d’éminents maîtres de la science, de revenir, disons-Nous, auprès de vous, académiciens pontificaux, valeureux scrutateurs de la nature, de ses manifestations multiples et de son histoire, qui êtes appelés à constituer ce haut Institut scientifique fondé par Notre prédécesseur Pie XI, sagace admirateur du progrès des sciences physiques et des abîmes qu’elles prospectent, encore plus profonds que les formidables précipices qu’il contemplait des sommets des Alpes. Mais Nous aurions le sentiment que Nous faisons moins de cas que lui-même de vos mérites scientifiques et, en même temps, de son œuvre, devenue par un secret dessein de Dieu Notre héritage, si Nous ne lui rendions pas honneur et reconnaissance en vous rendant un honneur accru à vous-mêmes, gloire de tant de nations, comme ce fut Notre intention en vous accordant le titre d’« excellence », titre qui n’est pas autre chose que la reconnaissance de la véritable excellence scientifique que vous possédez et qui vous exalte aux yeux du monde.
L’honneur que Nous vous rendons et le salut que Nous vous adressons à vous et, en premier lieu, à votre bien méritant et infatigable président[1], s’envole de Notre âme et va aussi par-delà votre assemblée jusqu’aux autres académiciens auxquels les dures vicissitudes de l’heure présente n’ont pas permis de quitter leurs pays respectifs.
Au milieu d’une si docte et si agréable assemblée, la joie que Nous éprouvons est comme une douce goutte de réconfort parmi les amertumes que Nous apporte le cruel conflit des nations, toutes chères à Notre cœur. Ce réconfort, Nous le devons également à Dieu auquel Nous adressons chaque jour Nos plus confiantes prières, afin qu’éclairant, guérissant et pardonnant, dans sa Providence et dans sa bonté, il dirige et conduise tout vers le but où sa miséricorde doit triompher encore plus que sa justice.
Le Seigneur, Dieu omniscient, créateur de l’univers et de l’homme.
C’est vers lui que s’élèvent Notre pensée et Notre cœur en ce temple des sciences, car ce Dieu qui régit l’univers, le cours des temps et les événements joyeux et tristes des peuples, est aussi le Seigneur Dieu omniscient : Deus scientiarum, Dominus (I Rois, ii, 3). Sa sagesse infinie en fait le maître du ciel et de la terre, des anges et des hommes : en lui, créateur de l’univers, sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science (cf. Col., ii, 3). En lui se trouve l’ineffable science de soi-même et de l’infinie imitabilité de sa vie et de sa beauté ; en lui la science de la naissance et de la renaissance, de la grâce et du salut ; en lui les prototypes des admirables évolutions des planètes qui tournent autour du soleil, des soleils dans les constellations, des constellations dans le labyrinthe du firmament, jusqu’aux extrêmes rivages de l’océan de l’univers. Du centre de l’inaccessible lumière de son trône éternel, il en vint à créer le ciel et la terre ; près de lui il y avait comme architecte sa sagesse qui faisait à tout moment ses délices de sa présence (Prov., viii, 30) ; il parla au néant du seuil de son éternité avec sa voix puissante et le néant fut vaincu par l’apparition du ciel et de la terre au grondement de cette voix toute-puissante. Ex nihilo nihil fit, c’est vrai, quand il s’agit de l’intervention de l’homme et de toute créature, mais non de la voix de Dieu : Ipse dixit, et facta sunt (Ps., xxxii, 9).
Ainsi furent faits le ciel et la terre ; or, la terre était informe et vide et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux (Gen., i, 1–2) ; ainsi l’homme fut formé de la poussière du sol, et Dieu souffla dans ses narines un souffle de vie, et l’homme devint un être vivant (Gen., ii, 7). Voilà donc le macrocosme, qui est l’univers des mondes, en face du microcosme, qui est l’homme [2] ; l’homme, être petit, minuscule monde de l’esprit, qui entoure et couvre, tel un arc lumineux, l’empyrée, l’empyrée immense par sa masse matérielle mais plus petit que l’homme, car il est dénué d’esprit.
Dieu, maître de l’homme.
Le jour où Dieu forma l’homme et couronna son front du diadème de son image et de sa ressemblance, en le constituant roi de tous les animaux vivant dans la mer, dans le ciel et sur la terre (Gen., i, 26), ce jour-là, le Seigneur, Dieu omniscient, se fit maître. Il lui enseigna l’agriculture, l’art de cultiver et d’entretenir le délicieux jardin dans lequel il l’avait placé (Gen., ii, 15) ; il lui amena tous les animaux de la campagne et tous les oiseaux de l’air pour voir comment il les appellerait, et l’homme donna à chacun le nom qui lui convenait (Gen., ii, 19–20) ; cependant, au milieu de cette multitude d’êtres qui lui étaient soumis, il se sentait tristement seul et il cherchait en vain un visage qui lui ressemblât et qui possédât un rayon de l’image divine qui donne son éclat au regard de tout fils d’Adam. De l’homme seulement pouvait venir un autre homme qui l’appelât père et procréateur ; l’aide donnée par Dieu au premier homme provient également de l’homme lui-même, c’est la chair de sa chair, elle forme sa compagne, qui tire son nom de l’homme parce qu’elle a été tirée de sa substance (Gen., ii, 23). Au sommet de l’échelle des vivants, l’homme, doué d’une âme spirituelle, fut placé par Dieu comme prince et souverain du règne animal. Les multiples recherches, aussi bien de la paléontologie que de la biologie et de la morphologie, sur les autres problèmes qui concernent les origines de l’homme, n’ont apporté jusqu’à présent rien de positivement clair et certain. Il ne reste donc qu’à laisser à l’avenir la réponse à la question ; un jour, peut-être la science, éclairée et guidée par la Révélation, pourra présenter des résultats sûrs et définitifs sur un sujet si important.
Grandeur de l’homme.
Ne vous étonnez pas si devant vous qui, avec tant de réflexion, avez étudié, fouillé, analysé, comparé les cerveaux des hommes et des animaux privés de raison, Nous exaltons l’homme qui dresse son front illuminé par l’intelligence, héritage exclusif de l’espèce humaine. La vraie science n’abaisse ni n’humilie l’homme quant à son origine ; elle l’élève et l’exalte plutôt, car elle voit, constate et admire dans tout membre de la grande famille humaine, l’empreinte plus ou moins profonde en lui de l’image et de la ressemblance divines.
L’homme est grand. Le progrès qu’il réalise et développe dans les sciences physiques, naturelles, mathématiques, industrielles, avide de progrès toujours meilleurs, plus amples et plus assurés, qu’est-il donc cependant sinon l’effet de cette domination qu’il exerce – encore que de façon limitée et de conquête laborieuse – sur le monde inférieur ? Et quand plus qu’aujourd’hui, le génie humain a‑t-il fouillé, cherché, étudié, scruté, pénétré la nature pour en connaître les forces et les aspects, pour les dominer, les employer dans ses instruments et s’en servir à volonté ?
L’homme est grand et il fut plus grand dans son origine. S’il est déchu de sa grandeur première par sa révolte contre le Créateur, et s’il fut chassé du paradis terrestre, et errant, baignant de la sueur de son front le pain que la terre lui donnait au milieu des ronces et des épines (Gen., iii, 18–19) ; si le ciel et le soleil, si le froid et la chaleur, si les abris et les forêts, si tant d’autres emplois et travaux, incommodités des lieux et conditions de vie humilièrent son visage et sa figure ; si ce qui lui reste, ce qui lui demeure de l’empire qu’il avait reçu sur les animaux n’est qu’un faible souvenir de sa puissance et un léger fragment de son trône, il se dresse grand, même au milieu des ruines, à cause de cette image et ressemblance divines qu’il porte dans son âme. C’est à cause de cela que Dieu éprouve pour l’homme, la dernière œuvre de sa main créatrice, une telle bienveillance qu’il ne s’en désaffectionna pas et ne l’abandonna pas après la chute ; mais pour le relever, lui-même « se fait semblable à l’homme et reconnu comme homme par sa condition, il a compati à nos infirmités voulant les éprouver toutes, hormis le péché » (Philip., ii, 7 ; Hébr., iv, 15).
L’homme scrutant l’univers. – Ses conquêtes.
Il y a deux dons qui élèvent bien haut l’homme dans le monde des esprits célestes et dans celui des corps, qui le font grand même après la chute : l’intelligence, dont le regard se promène à travers l’univers créé, qui franchit les cieux, désireux de contempler Dieu, puis la volonté douée du libre arbitre, servante et maîtresse de l’intelligence, qui nous fait, à des degrés divers, maîtres de notre pensée et de notre œuvre devant nous-mêmes, devant les autres et devant Dieu. Ne sont-ce pas là les deux grandes ailes qui vous élèvent jusqu’au firmament, scrutateur de la voûte des cieux, et qui, au milieu des ténèbres de la nuit, vous éveillent de votre sommeil pour vous faire compter les soleils et les étoiles, pour mesurer leurs mouvements, pour interroger leurs couleurs, pour découvrir leur éloignement, leurs conjonctions et leurs chocs ? Vraiment, là, vous vous élevez d’une façon gigantesque. Grâce à la vision étendue de vos télescopes, vous comptez les astres, vous en analysez les spectres, vous poursuivez les tourbillons et les lueurs des nébuleuses, et leur donnez un nom ; mais vous devez vous incliner devant la science de Dieu qui, mieux que vous, « compte le nombre des étoiles et les appelle toutes par leur nom » (Ps., cxlvi, 4). Les cieux de cristal ont disparu. Les génies de Képler et de Newton ont retrouvé dans les cieux la mécanique terrestre ; vous, dans les flammes et dans la lumière de ces mondes en rotation, vous découvrez des éléments du même genre que notre globe et, unissant en mariage le ciel et la terre, vous étendez l’empire de la physique, déjà riche dans ses voies expérimentales, théoriques, appliquées et mathématiques de tant d’autres sciences, autant que le génie, la recherche, l’habileté et l’union des hardiesses humaines ont développé et fait avancer jusqu’aux victoires de la physique atomique et nucléaire.
De l’infiniment grand à l’infiniment petit.
Dans les profondeurs du firmament, vous sondez dans « les nuits astronomiques » ces « supergalaxies » ou bien ces « groupes ou amas nébulaires » qui, comme l’a remarqué l’un de vous, illustres académiciens, « constituent le phénomène le plus merveilleux que nous révèlent les observations célestes, et dont l’immense grandeur dépasse réellement toute intelligence et toute imagination » [3] ; colossales familles dont chacune est formée de milliers de « galaxies » et forme un immense système astral qui possède un diamètre de plusieurs milliers d’années-lumière et contient en lui de nombreux millions de soleils. Dans ce domaine vous attendez beaucoup de l’inauguration, que vous espérez prochaine, du grand télescope de cinq mètres de diamètre, sur le mont Palomar, en Californie, grâce auquel le champ d’exploration de l’univers pourra peut-être s’élargir jusqu’à mille millions d’années-lumière.
Mais vous descendez de cet infiniment grand pour explorer l’infiniment petit. Qui aurait pu imaginer, il y a environ cent ans, quelles énigmes se trouvaient enfermées dans cette parcelle si petite qu’est un atome chimique, dans un espace d’un dixième de millionième de millimètre. Alors, on considérait l’atome comme un très petit globule homogène. La physique d’aujourd’hui voit en lui un microcosme dans le vrai sens du mot ; il s’y cache de si profonds mystères que, malgré les expériences les plus parfaites et l’emploi des instruments mathématiques les plus modernes, la recherche est encore aujourd’hui au début de ses conquêtes dans la connaissance de la structure de l’atome et des lois élémentaires qui en règlent les énergies et les mouvements. Ainsi actuellement apparaissent plus que jamais manifestes les continuels changements et transformations de toutes les choses matérielles, y compris l’atome chimique, regardé pendant longtemps comme immuable et impérissable. Dieu seul est l’Immuable et l’Eternel. « Les cieux périront, mais vous, vous subsistez ; et tous ils s’useront comme un vêtement : comme un habit vous les changerez, et ils seront changés ; mais vous, vous restez le même, et vos années n’ont point de fin » (Ps., ci, 27–28).
De cette façon, vous allez dans les champs immenses de l’expérimentation à la recherche des lois de la matière et des phénomènes qui font l’unité, la variété et la beauté de l’univers.
L’ordre dans l’univers révèle la main de Dieu.
L’univers est-il muet devant vous ? N’a‑t-il rien à vous dire pour satisfaire la tendance profonde de votre intelligence pour une grandiose synthèse des sciences ? Pour une synthèse qui réponde à l’ordre de la création ? Ce qui est le plus digne de considération dans l’univers, c’est l’agencement de l’ordre qui, tout ensemble, le spécifie et l’unit, l’entrelace et le coordonne dans ses parties multiples et dans ses entités diverses qui se haïssent et s’aiment, se repoussent et s’embrassent, se fuient et se recherchent, s’assemblent et se séparent, disparaissent l’une dans l’autre et se recomposent, conspirent pour ravir au ciel l’éclair, la foudre, le coup de tonnerre, les nuages qui, nous le voyons de nos jours, troublent si affreusement la terre, le ciel et les mers. Vous savez comment chacune de ces natures, chacun de ces éléments agit d’après l’instinct bien varié de sa propre tendance et dépend d’un principe sans le connaître et tend à une fin sans la vouloir, dans les préparations de la chimie inorganique et organique, servante de l’industrie et de la médecine. De telle sorte que le monde des corps, sans avoir une âme qui l’informe et le vivifie, sans avoir une intelligence qui le gouverne et le guide, se meut pourtant selon la raison comme s’il vivait, et agit de propos délibéré comme s’il comprenait. Ceci n’est-il pas la preuve la plus évidente que le monde est dirigé par la main de ce Maître, invisible en lui-même, mais visible dans son œuvre, qui est le Dieu omniscient, ordonnateur de l’univers avec un art suprême ? [4]. Vous cherchez les lois qui régissent la synthèse de la nature et de la création ; vous cherchez le pourquoi de ces lois, étonnés et muets en présence des mouvements de la nature qui, en vos mains et dans vos chaînes, se meut et s’agite, parfois menaçante, avec une force indomptée qui ne vient pas de vous.
Le génie, la volonté et l’action de l’homme, avec ses machines et son outillage, ne peuvent troubler l’ordre de la nature ; ils peuvent le faire connaître, ainsi que vous, médecins et chirurgiens, faites apparaître avec le bistouri le cœur et le cerveau, les muscles et les veines, les plus intimes secrets, pour découvrir dans le corps humain les chemins de la vie et de la mort, afin d’aider la vie et d’éloigner la mort. Elevons, illustres académiciens, notre pensée vers le Maître des sciences, Maître qui enseigne non une sagesse apprise des autres, mais qui lui est propre, Créateur de la matière elle-même, qu’il offre à la contemplation et à l’étude de l’esprit humain. Y a‑t-il opposition entre la recherche qui porte sur la nature physique et l’intelligence humaine ? Entre les sciences et la philosophie ? Certainement, il y a conflit entre les sciences qui ne voient pas la main de Dieu dans l’ordre qui existe dans l’univers, et la philosophie qui dans les lois de la nature reconnaît l’ordre ou l’arrangement de la raison divine, qui prend soin de l’univers et le gouverne. La philosophie peut-elle être un rêve de l’esprit qui confond Dieu avec la nature, qui contemple avec complaisance des visions et des illusions d’idoles fantaisistes ? La philosophie ne consiste-t-elle pas, au contraire, à prendre solidement pied dans la réalité des choses que nous voyons et touchons, et à chercher les causes les plus profondes et les plus élevées de la nature et de l’univers ? Toute notre connaissance ne commence-t-elle pas par les sens ? D’où viennent les lois ? Considérez la vie sociale. Tous les serviteurs d’un même père de famille ne sont-ils pas les uns par rapport aux autres dans un certain ordre, puisqu’ils lui sont soumis ? Le père de famille et tous les autres citoyens ne gardent-ils pas un ordre mutuel par rapport au chef de la cité ; ce dernier à son tour, ne se trouve-t-il pas, ainsi que tous les autres citoyens, dans un certain ordre, par rapport au roi ou au chef de l’Etat ? L’univers, proclamait déjà sentencieusement après Homère [5] le grand philosophe de Stagire, ne veut pas être mal gouverné ; le commandement de beaucoup de chefs n’est pas bon ; que le commandement soit unique : οὐχ ἀγαθὸν πολυχοιρανίη εῒς χοίρανος ἒστω, εῒς βασιλευς [6].
Dieu unique gouverneur et législateur de l’univers.
L’ordre dans la multiplicité et dans la diversité des choses créées.
Dieu est le chef unique et le législateur de l’univers. C’est un soleil qui, dans l’infinie splendeur de sa lumière, répand et multiplie ses rayons, semblables à lui, dans toutes les parties de la création ; cependant aucune image ne peut l’égaler. Il en va également ainsi de l’homme ; quand il ne trouve pas un mot qui à lui seul exprimerait adéquatement un concept de son esprit, il multiplie les paroles. Voici dans la multiplicité des créatures, la diversité de leurs natures et la diversité de la trace divine, suivant que les créatures s’approchent plus ou moins de Dieu dans la ressemblance de l’être qu’elles possèdent. Vous qui étudiez intimement la nature des choses, n’avez-vous pas constaté que leur diversité se réalise par degrés ? Des couches géologiques, des minéraux, des corps inanimés vous vous élevez jusqu’aux plantes, des plantes jusqu’aux animaux privés de raison, de ces derniers jusqu’à l’homme. La diversité des êtres n’exige-t-elle pas que tous ne soient pas égaux, mais qu’il y brille un ordre gradué ? Dans cet ordre et dans ces degrés, nous voyons établies ou campées des natures et des formes diverses quant à la perfection et à la force, à l’action et à la fin, à la réaction et à l’accord, quant à la substance et aux qualités, d’où jaillissent propriétés, opérations et agents ou facteurs divers, avec des influences réciproques et des effets différents qui ont leur cause dans la diversité gravée par le Créateur dans les natures des êtres, déterminées pour une fin et une activité particulière et orientées vers elles [7]. C’est dans cette nécessité naturelle inhérente aux êtres et qui n’est autre qu’une empreinte produite par Dieu qui dirige tout au but poursuivi, comme un archer dirige le trait vers la cible qu’il vise, que consiste la loi naturelle des corps, loi qui s’identifie à leur nature elle-même [8]. Comme l’homme imprime par son ordre un principe interne d’activité à un autre homme qui lui est soumis, ainsi Dieu imprime à toute la nature les principes des actions qui lui sont propres [9] ; et de cette façon, le Créateur suprême de l’univers, Dieu et maître des sciences, a posé à l’ensemble des êtres une loi qu’on ne transgressera pas (Ps., cxlviii, 6).
C’est pourquoi, enseigne magistralement le grand docteur saint Thomas d’Aquin, quand on demande le pourquoi d’un phénomène naturel, nous pouvons en rendre raison en invoquant telle ou telle cause prochaine qui est la propriété naturelle des êtres, pourvu que nous rapportions tout à la volonté de Dieu, comme à la cause première, qui a sagement établi toutes choses. Ainsi, si quelqu’un, à qui on demande pourquoi le feu réchauffe, répond parce que Dieu le veut ainsi, celui-là répondrait justement s’il a entendu ramener la question à la cause première ; au contraire, sa réponse ne serait pas bonne, s’il se propose d’exclure toutes les autres causes [10].
A l’école de Dieu tous les hommes sont frères.
La cause première a également imprimé en nous, qui avons été créés par Dieu, une loi qui est un sublime instinct, particulier à l’homme, qui le pousse vers la connaissance immédiate du Créateur ; désir « qui est une tendance de l’esprit et n’a point de repos qu’elle (l’âme) n’ait joui de l’objet aimé » [11].
Si notre corps vient du limon de la terre et doit retourner en poussière, notre âme, qui vient de Dieu, est immortelle et désire ardemment s’élever vers Dieu par l’échelle de la science de ce monde, science qui ne parvient pas à satisfaire pleinement l’immense avidité de la vérité qui nous agite. Le monde est l’école de Dieu, maître de toute science ; la figure de ce monde passe, nous restons seuls en face du Maître. Inclinons-nous devant sa sagesse inaccessible dans ses mystères et dans le dessein qu’il a eu de donner à l’humanité la terre pour habitation, terre si pleine de merveilles et enveloppée de millions de merveilles encore plus éclatantes et immenses, merveilles telles que le Créateur, les contemplant le jour où il les eut réalisées, vit que toutes étaient très bonnes (Gen., i, 31). Vous-mêmes n’en doutez pas ; vous qui, dans la mesure, en comprenez la quantité, le mode et le degré de perfection ; dans le nombre, la diversité et la beauté de leurs divers degrés ; dans le poids, les diverses inclinations aux fins et opérations particulières aux êtres ; vous qui aimez et développez magistralement la science : votre science n’est- elle pas aussi un reflet éclatant de la science divine, cachée, parlant et regardant avec complaisance du sein des êtres ? Cependant, la science dans les mains des hommes peut se changer en une arme à deux tranchants, qui guérit et qui tue. Jetez un regard sur les terres et sur les mers ensanglantées, et ensuite dites si c’était pour cela que Dieu, dans sa bonté et son omniscience, a fait l’homme semblable à lui, a payé la dette pour la faute de l’homme, l’a réformé par des dons célestes et lui a donné une intelligence si profonde et un cœur si ardent pour reconnaître un ennemi dans son frère. A l’école de Dieu, nous sommes tous frères, frères dans la contemplation, dans l’étude et dans l’usage de la nature, frères dans la vie et dans la mort. De grâce, que devant le berceau d’un Dieu enfant qui, silencieux, aime, regarde et juge l’humanité qui se déchire, tous les hommes redeviennent frères également dans l’amour et dans la concorde dans la victoire du bien sur le mal, dans la justice et dans la paix !
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint Augustin, Saint Maurice. – D’après le texte italien des A. A. S., XXXIII, 1941, p. 504 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. III, p. 215. Les sous-titres sont ceux donnés dans le texte original.
- Son Exc. le R. P. Agostino Gemelli, O. F. Μ.[↩]
- Summa Theol., la, q. 91, art. 1 in c.[↩]
- Armellini, Trattato di astronomía siderale, Bologna, 1936, vol. III, p. 318.[↩]
- Cf. Bartoli, Delle grandezze di Cristo, c. 2.[↩]
- Iliade, II, 204.[↩]
- Aristotel., Metaphysicorum, l. XI, cap. X in fine.[↩]
- Cf. Contra Gent., l. III, cap. 97.[↩]
- Summa Theol., Ia, q. 103, a. 1 ad 3.[↩]
- Summa Theol., Ia IIæ, q. 93, a. 5.[↩]
- Contra Gent., l. III, cap. 97 in fine.[↩]
- Dante, Purgatoire, XVIII, 32–33.[↩]