Les présages favorables dont la grâce divine a miséricordieusement favorisé Notre sollicitude apostolique envers l’Orient chrétien, affermissent et augmentent Notre courage, et Nous engagent à poursuivre avec confiance et application l’œuvre que Nous avons commencée.
Nous avons déjà déclaré et décrété quelques mesures opportunes en plusieurs de Nos actes, surtout dans la constitution Orientalium de l’année 1894. Toutes tendaient par différents moyens à un même but : réveiller dans ces nations leur ancien amour et leur respect pour la religion ; resserrer leur union avec la chaire de Pierre, hâter le retour des dissidents. Nous jugeons cependant qu’il est bon, pour que Nos décrets soient de mieux en mieux appliqués et obtiennent d’abondants résultats, d’y ajouter quelques décisions et exhortations en forme d’appendice à la Constitution déjà promulguée et ayant trait à l’union de pensées et d’action si souverainement nécessaire aux ouvriers de cette grande entreprise.
Les conditions dans lesquelles l’Eglise se trouve en Orient, soit quant aux hommes, soit quant aux différents pays, sont tout à fait spéciales, et cela depuis la plus haute antiquité. Dans un même lieu, en effet, se rencontrent souvent plusieurs rites bien différents, quoique tous légitimes, et, par suite, autant d’évêques ayant chacun ses coopérateurs dans son rite particulier. Il faut y ajouter de nombreux prêtres latins que le Saint-Siège a coutume d’envoyer pour aider [1] et soulager les autres. Il y a, en outre, ceux qui, pour servir d’appui à l’unité catholique, remplissent la charge de Délégués du Saint-Siège, exécutent ses ordres et interprètent sa volonté.
Or, si tous, chacun dans sa propre partie, ne sont pas animés de la même sainte et salutaire pensée, à l’exclusion de tout intérêt particulier ; si la même affection ne les unit pas comme des frères, les résultats utiles ne répondront pas aux efforts et à l’attente de l’Eglise. Au contraire, l’union intime des volontés, la communauté de vues et de pensées, si convenable d’ailleurs à des ministres de Dieu, donne d’ordinaire tant de prestige à l’Eglise catholique dans l’opinion des hommes que, souvent, ce spectacle seul a suffi à ramener, par son suave encouragement, des fils rebelles dans son sein.
Il est juste que l’exemple de cette union soit donné d’abord par Nos délégués et Nos vénérables frères les patriarches, puisqu’ils sont au-dessus des autres par le grade et la puissance. C’est à eux aussi que semble particulièrement s’adresser cet avertissement de l’Apôtre : « Aimez-vous les uns les autres d’un amour fraternel, prévenez-vous mutuellement par des témoignages d’honneur » [2].
Ainsi, ils procureront un grand bien et spécialement celui de mieux sauvegarder leur propre dignité (chose si désirable en notre temps).
Il faut, en effet, pour la bonne issue des choses entreprises, pour l’avancement du catholicisme, que le respect entoure leurs personnes et leur dignité, et que ce respect augmente de jour en jour. Ce sujet Nous est tellement à cœur que Nous avons trouvé bon d’y consacrer en partie Nos réflexions et Nos soins. N’est-il pas évident qu’il convient, qu’il faut à la dignité patriarcale, chez les catholiques, tous les honneurs, tout l’appareil extérieur dont cette dignité est entourée chez les dissidents ?
L’expérience enseigne aussi qu’en Orient on a d’autant plus d’admiration et d’estime pour le Siège Apostolique que ses légats sont entourés de plus d’honneurs. Nous avons donc résolu de faire qu’en cela il fut accordé davantage aux uns et aux autres, patriarches et délégués, et que, par-là, en même temps, soient augmentées pour les Eglises les ressources des bonnes œuvres. Pour cet effet, Nous leur avons fixé et Nous leur attribuons désormais un subside annuel, aidé dans cette action par les pieuses libéralités des catholiques.
Que les patriarches s’appliquent donc, comme Nous l’avons dit, d’une âme confiante et fraternelle, à s’entretenir par lettres, dans une grande communauté de vues, quant aux affaires importantes, avec Nos délégués ; ils y trouveront l’avantage de conduire et de terminer plus rapidement les affaires qu’ils veulent soumettre au Siège Apostolique. Il est un point que Nous jugeons, pour son importance, devoir être l’objet non seulement de Nos exhortations, mais de Nos ordres. C’est que les patriarches aient au moins deux fois par an, à des époques fixées d’un commun accord, des Congrès avec les délégués apostoliques.
On ne saurait dire combien cette pratique, si on l’observe fidèlement, mettra de bienveillance dans les esprits et préparera la voie à une action commune.
Lorsqu’ils seront ainsi réunis dans le Seigneur, ils devront d’abord jeter un coup d’œil d’ensemble sur les provinces à eux confiées, et considérer en quel état et en quel honneur y est la religion, quels progrès ont été réalisés parmi les catholiques, quel zèle anime ces derniers, les prêtres surtout, envers les dissidents, si ceux-ci ont quelque volonté de rentrer dans l’unité et autres choses dont la connaissance est opportune.
On passera ensuite aux affaires propres et particulières ; la prudence et l’expérience des prélats aura à s’y exercer. Il sera permis de juger selon la justice et le bien, après les avoir examinées avec soin, les causes des évêques provinciaux, s’il y en a ; on devra cependant sauvegarder tous les droits de la Sacrée Congrégation de la Propagande.
Ils s’occuperont aussi de la bonne administration des paroisses, de la discipline du clergé, des établissements religieux et autres institutions pieuses, des nécessités des missions, de la splendeur du culte divin et d’autres choses semblables ; qu’on les traite avec application et prudence, qu’on emploie des moyens efficaces, et autant que possible communs, pour conserver à la religion catholique les fruits déjà produits et pour en produire de plus grands.
Il Nous plaît de signaler ici trois moyens parfaitement aptes à cette fin. Nous les rappelons plutôt, car Nous en avons parlé dans une autre circonstance. C’est d’abord qu’il faut mettre le plus grand soin à former et à élever les séminaristes dans la doctrine, la sainteté de la vie et la connaissance des saints offices. Toutes les lumières mises en commun rendront plus facile à chaque patriarche la bonne organisation de ses Séminaires, ainsi que leur développement et leur multiplication. Ainsi le nombre et l’excellence des ouvriers évangéliques suffiront à la moisson grandissante et attireront plus d’estime au nom catholique. Les prêtres indigènes, élevés à Home dans les collèges de leur nation et qu’on renvoie ensuite en Orient doués de science et de vertus, pourront, certes, fort bien aider à obtenir de bons résultats.
Les délégués apostoliques feraient bien aussi d’appeler de parmi les latins ceux qui sont prêts et disposés à prêter leur aide à l’instruction des Séminaires. Ici, Nous ne pouvons pas faire moins que d’accorder de justes louanges à quelques Congrégations religieuses, dont l’ardeur et le zèle en cette matière ont mérité déjà, nous le savons, les hommages des Orientaux.
L’autre moyen, non moins digne d’attention que le premier, a trait à l’entretien et à la multiplication des écoles primaires. Il va de soi qu’il est de la première importance de veiller à ce que le premier âge ne reçoive, avec les premières connaissances littéraires, rien d’opposé à la vérité et à la morale catholiques ; et cela d’autant plus, que les fils des ténèbres, forts de leur science et de leurs richesses, s’efforcent de jour en jour davantage de nous nuire sous ce rapport.
Il est nécessaire que les principes de la saine doctrine et l’amour de la religion soient infusés dans les âmes encore tendres, de manière à les influencer et les préparer à la profession de la foi catholique. Aucun autre rôle ne sera certes plus méritoire ni plus fécond que celui des Congrégations qui se sont consacrées au bien de l’enfance.
Bien plus, par ce fait, que les maîtres chargés d’enseigner la religion et la morale l’enseignent plus encore par leurs exemples que par leurs paroles, il doit naturellement résulter que les meilleurs élèves reçoivent de bonne heure et développent les germes de la vocation sacerdotale ou religieuse : or, il est très utile et très désirable, pour bien des causes, que nombre d’indigènes de l’un et de l’autre sexe s’élèvent jusque-là.
En troisième lieu, il semble pareillement profitable de répandre plus largement les journaux et autres feuilles périodiques rédigées avec science et modération. Avec les temps et les mœurs d’aujourd’hui, de pareils écrits rendent en effet de très utiles services à la religion, tantôt en réfutant les accusations que la calomnie ou l’erreur portent contre elle, tantôt en nourrissant et en excitant dans les esprits le zèle de son service, là surtout où les prêtres sont en nombre insuffisant pour distribuer l’aliment de la doctrine et des exhortations saintes. N’oublions pas non plus que les catholiques apprennent par ces écrits tout ce qui arrive en divers lieux ayant quelque rapport avec les intérêts de la religion : les louables entreprises, les bonnes actions de leurs frères, les dangers dont les menace l’astuce de leurs ennemis, les graves soucis de leurs pasteurs et du Siège Apostolique, les douleurs ou les joies qui surviennent à l’Eglise ; ces fréquentes communications leur sont une aide excellente pour les porter à imiter les bons, à garder la charité, à rester fermes et généreux dans la foi.
Tels sont les trois genres de moyens que Nous avons indiqués particulièrement, dans le ferme espoir où Nous étions de voir arriver par eux surtout la réalisation de Nos vœux ; aussi songeons- Nous à leur prêter Notre appui effectif selon que les moyens Nous le permettront. Cela sera fait en temps et lieu par l’entremise de Nos délégués, à qui d’ailleurs il appartient de communiquer au Siège Apostolique le compte rendu des Congrès qu’on aura tenus.
Viennent ensuite les devoirs qui incombent aux délégués eux- mêmes, envers les supérieurs des Missions dans ces pays. Les uns et les autres s’efforceront, Nous n’en doutons pas, de garder intacte, tant dans leurs sentiments que dans leur action, cette concorde vraie qui est selon Dieu, se rappelant bien au nom et par le pouvoir de qui ils ont été envoyés là-bas, et pour quelle cause très salutaire ils travaillent ensemble. Cependant, pour le meilleur arrangement des choses, il a semblé bon de changer certains points du droit jusqu’ici reçu : Nous avons déjà ordonné à la Sacrée Congrégation de la Propagande de les promulguer dans un décret particulier.
Que les délégués emploient donc toute leur prudence et tous leurs efforts à faire pleinement exécuter tout ce qui a été édicté par le Saint-Siège en ce décret et ce qui sera édicté plus tard. Que les Supérieurs des Missions, à leur tour, concourent au même but par leurs talents et leur obéissance. Qu’ils ne traitent pas les affaires les plus graves de leur charge sans avoir consulté les délégués et obtenu leur approbation, et qu’ils les acceptent volontiers comme confidents d’office, dans toutes les affaires pour lesquelles le recours au Siège Apostolique est nécessaire.
Les délégués se souviendront qu’il est de leur devoir de veiller, de prévoir, d’insister, pour que l’obéissance à la Constitution Orientalium soit complète chez tous ceux qu’elle regarde. Qu’en cela on arrive surtout à ce que rien absolument ne laisse à désirer dans les Congrégations latines qui travaillent beaucoup aux progrès de la foi catholique en beaucoup d’endroits. Il importe en effet souverainement au catholicisme de faire disparaître cette opinion où sont demeurés jusqu’à présent beaucoup d’Orientaux, que les latins voulaient anéantir ou diminuer leurs droits, leurs privilèges et leurs rites.
Que les mêmes délégués veillent particulièrement et avec bienveillance sur les prêtres latins qui remplissent l’office de missionnaires dans leur ressort. Qu’ils les appuient de leurs conseils et de leur autorité au milieu des difficultés qui leur viennent souvent, soit des choses, soit des hommes ; et qu’ils ne cessent de leur conseiller, pour rendre fécond leur ministère apostolique, de montrer la plus grande entente, la plus grande amitié avec le clergé oriental.
Ils se concilieront cette amitié et l’affermiront surtout en s’accoutumant à leur langue et à leurs mœurs, et en témoignant un juste respect aux saintes traditions de leurs ancêtres.
En cela, rien ne saurait valoir les exemples de concorde et de bienveillance que donneront les délégués eux-mêmes et ceux qui, au-dessous d’eux, détiennent l’autorité ; Nous en avons déjà donné plus haut le grave avertissement. Et les occasions ne manqueront pas pour manifester et prouver ces bonnes dispositions. Une des plus belles sera d’assister volontiers et facilement aux offices des Orientaux, les jours solennels ; et d’autre part, de les inviter quelquefois aux solennités latines. Gela conviendra surtout, et Nous le désirons, toutes les fois qu’il y aura quelque cérémonie extraordinaire en l’honneur de l’Eglise ou du Pontife romain.
Il y a là, en effet, un heureux moyen d’augmenter la bienveillance et la charité mutuelles, en resserrant par l’amour de notre Mère commune les liens de la foi et de l’union et en augmentant le respect et l’affection envers le successeur du bienheureux Pierre établi par le Christ Notre-Seigneur comme le centre de la sainte et salutaire unité.
Tout ce que, dans cette lettre, Nous avons indiqué, déclaré et établi, de Notre propre mouvement, Nous voulons et ordonnons, en vertu de Notre autorité, que cela demeure ratifié et confirmé.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 19 mars de l’année 1896, de Notre Pontificat la dix-neuvième.
LÉON XIII, PAPE.
Source : Lettres apostolique de S. S. Léon XIII, tome 4, La Bonne Presse.