Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

19 mars 1895

Motu proprio Auspicia rerum

Sur la méthode à suivre et la concorde à garder dans l'avancement du catholicisme en orient

Les pré­sages favo­rables dont la grâce divine a misé­ri­cor­dieu­se­ment favo­ri­sé Notre sol­li­ci­tude apos­to­lique envers l’Orient chré­tien, affer­missent et aug­mentent Notre cou­rage, et Nous engagent à pour­suivre avec confiance et appli­ca­tion l’œuvre que Nous avons commencée.

Nous avons déjà décla­ré et décré­té quelques mesures oppor­tunes en plu­sieurs de Nos actes, sur­tout dans la consti­tu­tion Orientalium de l’année 1894. Toutes ten­daient par dif­fé­rents moyens à un même but : réveiller dans ces nations leur ancien amour et leur res­pect pour la reli­gion ; res­ser­rer leur union avec la chaire de Pierre, hâter le retour des dis­si­dents. Nous jugeons cepen­dant qu’il est bon, pour que Nos décrets soient de mieux en mieux appli­qués et obtiennent d’abondants résul­tats, d’y ajou­ter quelques déci­sions et exhor­ta­tions en forme d’appendice à la Constitution déjà pro­mul­guée et ayant trait à l’union de pen­sées et d’action si sou­ve­rai­ne­ment néces­saire aux ouvriers de cette grande entreprise.

Les condi­tions dans les­quelles l’Eglise se trouve en Orient, soit quant aux hommes, soit quant aux dif­fé­rents pays, sont tout à fait spé­ciales, et cela depuis la plus haute anti­qui­té. Dans un même lieu, en effet, se ren­contrent sou­vent plu­sieurs rites bien dif­fé­rents, quoique tous légi­times, et, par suite, autant d’évêques ayant cha­cun ses coopé­ra­teurs dans son rite par­ti­cu­lier. Il faut y ajou­ter de nom­breux prêtres latins que le Saint-​Siège a cou­tume d’envoyer pour aider [1] et sou­la­ger les autres. Il y a, en outre, ceux qui, pour ser­vir d’appui à l’unité catho­lique, rem­plissent la charge de Délégués du Saint-​Siège, exé­cutent ses ordres et inter­prètent sa volonté.

Or, si tous, cha­cun dans sa propre par­tie, ne sont pas ani­més de la même sainte et salu­taire pen­sée, à l’exclusion de tout inté­rêt par­ti­cu­lier ; si la même affec­tion ne les unit pas comme des frères, les résul­tats utiles ne répon­dront pas aux efforts et à l’attente de l’Eglise. Au contraire, l’union intime des volon­tés, la com­mu­nau­té de vues et de pen­sées, si conve­nable d’ailleurs à des ministres de Dieu, donne d’ordinaire tant de pres­tige à l’Eglise catho­lique dans l’opinion des hommes que, sou­vent, ce spec­tacle seul a suf­fi à rame­ner, par son suave encou­ra­ge­ment, des fils rebelles dans son sein.

Il est juste que l’exemple de cette union soit don­né d’a­bord par Nos délé­gués et Nos véné­rables frères les patriarches, puisqu’ils sont au-​dessus des autres par le grade et la puis­sance. C’est à eux aus­si que semble par­ti­cu­liè­re­ment s’adresser cet aver­tis­se­ment de l’Apôtre : « Aimez-​vous les uns les autres d’un amour fra­ter­nel, prévenez-​vous mutuel­le­ment par des témoi­gnages d’honneur » [2].

Ainsi, ils pro­cu­re­ront un grand bien et spé­cia­le­ment celui de mieux sau­ve­gar­der leur propre digni­té (chose si dési­rable en notre temps).

Il faut, en effet, pour la bonne issue des choses entre­prises, pour l’a­van­ce­ment du catho­li­cisme, que le res­pect entoure leurs per­sonnes et leur digni­té, et que ce res­pect aug­mente de jour en jour. Ce sujet Nous est tel­le­ment à cœur que Nous avons trou­vé bon d’y consa­crer en par­tie Nos réflexions et Nos soins. N’est-il pas évident qu’il convient, qu’il faut à la digni­té patriar­cale, chez les catho­liques, tous les hon­neurs, tout l’appareil exté­rieur dont cette digni­té est entou­rée chez les dissidents ?

L’expérience enseigne aus­si qu’en Orient on a d’au­tant plus d’admiration et d’estime pour le Siège Apostolique que ses légats sont entou­rés de plus d’hon­neurs. Nous avons donc réso­lu de faire qu’en cela il fut accor­dé davan­tage aux uns et aux autres, patriarches et délé­gués, et que, par-​là, en même temps, soient aug­men­tées pour les Eglises les res­sources des bonnes œuvres. Pour cet effet, Nous leur avons fixé et Nous leur attri­buons désor­mais un sub­side annuel, aidé dans cette action par les pieuses libé­ra­li­tés des catholiques.

Que les patriarches s’appliquent donc, comme Nous l’a­vons dit, d’une âme confiante et fra­ter­nelle, à s’en­tre­te­nir par lettres, dans une grande com­mu­nau­té de vues, quant aux affaires impor­tantes, avec Nos délé­gués ; ils y trou­ve­ront l’avantage de conduire et de ter­mi­ner plus rapi­de­ment les affaires qu’ils veulent sou­mettre au Siège Apostolique. Il est un point que Nous jugeons, pour son impor­tance, devoir être l’objet non seule­ment de Nos exhor­ta­tions, mais de Nos ordres. C’est que les patriarches aient au moins deux fois par an, à des époques fixées d’un com­mun accord, des Congrès avec les délé­gués apostoliques.

On ne sau­rait dire com­bien cette pra­tique, si on l’observe fidèle­ment, met­tra de bien­veillance dans les esprits et pré­pa­re­ra la voie à une action commune.

Lorsqu’ils seront ain­si réunis dans le Seigneur, ils devront d’a­bord jeter un coup d’œil d’ensemble sur les pro­vinces à eux confiées, et consi­dé­rer en quel état et en quel hon­neur y est la reli­gion, quels pro­grès ont été réa­li­sés par­mi les catho­liques, quel zèle anime ces der­niers, les prêtres sur­tout, envers les dis­si­dents, si ceux-​ci ont quelque volon­té de ren­trer dans l’unité et autres choses dont la connais­sance est opportune.

On pas­se­ra ensuite aux affaires propres et par­ti­cu­lières ; la pru­dence et l’ex­pé­rience des pré­lats aura à s’y exer­cer. Il sera per­mis de juger selon la jus­tice et le bien, après les avoir exa­mi­nées avec soin, les causes des évêques pro­vin­ciaux, s’il y en a ; on devra cepen­dant sau­ve­gar­der tous les droits de la Sacrée Congrégation de la Propagande.

Ils s’occuperont aus­si de la bonne admi­nis­tra­tion des paroisses, de la dis­ci­pline du cler­gé, des éta­blis­se­ments reli­gieux et autres ins­ti­tu­tions pieuses, des néces­si­tés des mis­sions, de la splen­deur du culte divin et d’autres choses sem­blables ; qu’on les traite avec appli­ca­tion et pru­dence, qu’on emploie des moyens effi­caces, et autant que pos­sible com­muns, pour conser­ver à la reli­gion catho­lique les fruits déjà pro­duits et pour en pro­duire de plus grands.

Il Nous plaît de signa­ler ici trois moyens par­fai­te­ment aptes à cette fin. Nous les rap­pe­lons plu­tôt, car Nous en avons par­lé dans une autre cir­cons­tance. C’est d’abord qu’il faut mettre le plus grand soin à for­mer et à éle­ver les sémi­na­ristes dans la doc­trine, la sain­teté de la vie et la connais­sance des saints offices. Toutes les lumières mises en com­mun ren­dront plus facile à chaque patriarche la bonne orga­ni­sa­tion de ses Séminaires, ain­si que leur développe­ment et leur mul­ti­pli­ca­tion. Ainsi le nombre et l’excellence des ouvriers évan­gé­liques suf­fi­ront à la mois­son gran­dis­sante et atti­re­ront plus d’estime au nom catho­lique. Les prêtres indi­gènes, éle­vés à Home dans les col­lèges de leur nation et qu’on ren­voie ensuite en Orient doués de science et de ver­tus, pour­ront, certes, fort bien aider à obte­nir de bons résultats.

Les délé­gués apos­to­liques feraient bien aus­si d’appeler de par­mi les latins ceux qui sont prêts et dis­po­sés à prê­ter leur aide à l’ins­truction des Séminaires. Ici, Nous ne pou­vons pas faire moins que d’accorder de justes louanges à quelques Congrégations reli­gieuses, dont l’ardeur et le zèle en cette matière ont méri­té déjà, nous le savons, les hom­mages des Orientaux.

L’autre moyen, non moins digne d’attention que le pre­mier, a trait à l’entretien et à la mul­ti­pli­ca­tion des écoles pri­maires. Il va de soi qu’il est de la pre­mière impor­tance de veiller à ce que le pre­mier âge ne reçoive, avec les pre­mières connais­sances lit­té­raires, rien d’opposé à la véri­té et à la morale catho­liques ; et cela d’autant plus, que les fils des ténèbres, forts de leur science et de leurs richesses, s’ef­forcent de jour en jour davan­tage de nous nuire sous ce rapport.

Il est néces­saire que les prin­cipes de la saine doc­trine et l’amour de la reli­gion soient infu­sés dans les âmes encore tendres, de manière à les influen­cer et les pré­pa­rer à la pro­fes­sion de la foi catho­lique. Aucun autre rôle ne sera certes plus méri­toire ni plus fécond que celui des Congrégations qui se sont consa­crées au bien de l’enfance.

Bien plus, par ce fait, que les maîtres char­gés d’enseigner la reli­gion et la morale l’enseignent plus encore par leurs exemples que par leurs paroles, il doit natu­rel­le­ment résul­ter que les meilleurs élèves reçoivent de bonne heure et déve­loppent les germes de la voca­tion sacer­do­tale ou reli­gieuse : or, il est très utile et très dési­rable, pour bien des causes, que nombre d’indigènes de l’un et de l’autre sexe s’élèvent jusque-là.

En troi­sième lieu, il semble pareille­ment pro­fi­table de répandre plus lar­ge­ment les jour­naux et autres feuilles pério­diques rédi­gées avec science et modé­ra­tion. Avec les temps et les mœurs d’aujour­d’hui, de pareils écrits rendent en effet de très utiles ser­vices à la reli­gion, tan­tôt en réfu­tant les accu­sa­tions que la calom­nie ou l’erreur portent contre elle, tan­tôt en nour­ris­sant et en exci­tant dans les esprits le zèle de son ser­vice, là sur­tout où les prêtres sont en nombre insuf­fi­sant pour dis­tri­buer l’aliment de la doc­trine et des exhor­ta­tions saintes. N’oublions pas non plus que les catho­liques apprennent par ces écrits tout ce qui arrive en divers lieux ayant quelque rap­port avec les inté­rêts de la reli­gion : les louables entre­prises, les bonnes actions de leurs frères, les dan­gers dont les menace l’astuce de leurs enne­mis, les graves sou­cis de leurs pas­teurs et du Siège Apostolique, les dou­leurs ou les joies qui survien­nent à l’Eglise ; ces fré­quentes com­mu­ni­ca­tions leur sont une aide excel­lente pour les por­ter à imi­ter les bons, à gar­der la cha­ri­té, à res­ter fermes et géné­reux dans la foi.

Tels sont les trois genres de moyens que Nous avons indi­qués par­ti­cu­liè­re­ment, dans le ferme espoir où Nous étions de voir arri­ver par eux sur­tout la réa­li­sa­tion de Nos vœux ; aus­si songeons- Nous à leur prê­ter Notre appui effec­tif selon que les moyens Nous le per­met­tront. Cela sera fait en temps et lieu par l’entremise de Nos délé­gués, à qui d’ailleurs il appar­tient de com­mu­ni­quer au Siège Apostolique le compte ren­du des Congrès qu’on aura tenus.

Viennent ensuite les devoirs qui incombent aux délé­gués eux- mêmes, envers les supé­rieurs des Missions dans ces pays. Les uns et les autres s’efforceront, Nous n’en dou­tons pas, de gar­der intacte, tant dans leurs sen­ti­ments que dans leur action, cette concorde vraie qui est selon Dieu, se rap­pe­lant bien au nom et par le pou­voir de qui ils ont été envoyés là-​bas, et pour quelle cause très salu­taire ils tra­vaillent ensemble. Cependant, pour le meilleur arrange­ment des choses, il a sem­blé bon de chan­ger cer­tains points du droit jus­qu’i­ci reçu : Nous avons déjà ordon­né à la Sacrée Congrégation de la Propagande de les pro­mul­guer dans un décret particulier.

Que les délé­gués emploient donc toute leur pru­dence et tous leurs efforts à faire plei­ne­ment exé­cu­ter tout ce qui a été édic­té par le Saint-​Siège en ce décret et ce qui sera édic­té plus tard. Que les Supérieurs des Missions, à leur tour, concourent au même but par leurs talents et leur obéis­sance. Qu’ils ne traitent pas les affaires les plus graves de leur charge sans avoir consul­té les délé­gués et obte­nu leur appro­ba­tion, et qu’ils les acceptent volon­tiers comme confi­dents d’of­fice, dans toutes les affaires pour les­quelles le recours au Siège Apostolique est nécessaire.

Les délé­gués se sou­vien­dront qu’il est de leur devoir de veiller, de pré­voir, d’in­sis­ter, pour que l’obéissance à la Constitution Orientalium soit com­plète chez tous ceux qu’elle regarde. Qu’en cela on arrive sur­tout à ce que rien abso­lu­ment ne laisse à dési­rer dans les Congrégations latines qui tra­vaillent beau­coup aux pro­grès de la foi catho­lique en beau­coup d’endroits. Il importe en effet souve­rainement au catho­li­cisme de faire dis­pa­raître cette opi­nion où sont demeu­rés jus­qu’à pré­sent beau­coup d’Orientaux, que les latins vou­laient anéan­tir ou dimi­nuer leurs droits, leurs pri­vi­lèges et leurs rites.

Que les mêmes délé­gués veillent par­ti­cu­liè­re­ment et avec bien­veillance sur les prêtres latins qui rem­plissent l’office de mission­naires dans leur res­sort. Qu’ils les appuient de leurs conseils et de leur auto­ri­té au milieu des dif­fi­cul­tés qui leur viennent sou­vent, soit des choses, soit des hommes ; et qu’ils ne cessent de leur con­seiller, pour rendre fécond leur minis­tère apos­to­lique, de mon­trer la plus grande entente, la plus grande ami­tié avec le cler­gé oriental.

Ils se conci­lie­ront cette ami­tié et l’affermiront sur­tout en s’ac­coutumant à leur langue et à leurs mœurs, et en témoi­gnant un juste res­pect aux saintes tra­di­tions de leurs ancêtres.

En cela, rien ne sau­rait valoir les exemples de concorde et de bien­veillance que don­ne­ront les délé­gués eux-​mêmes et ceux qui, au-​dessous d’eux, détiennent l’autorité ; Nous en avons déjà don­né plus haut le grave aver­tis­se­ment. Et les occa­sions ne man­que­ront pas pour mani­fes­ter et prou­ver ces bonnes dis­po­si­tions. Une des plus belles sera d’assister volon­tiers et faci­le­ment aux offices des Orientaux, les jours solen­nels ; et d’autre part, de les invi­ter quel­quefois aux solen­ni­tés latines. Gela convien­dra sur­tout, et Nous le dési­rons, toutes les fois qu’il y aura quelque céré­mo­nie extraordi­naire en l’honneur de l’Eglise ou du Pontife romain.

Il y a là, en effet, un heu­reux moyen d’augmenter la bienveil­lance et la cha­ri­té mutuelles, en res­ser­rant par l’a­mour de notre Mère com­mune les liens de la foi et de l’union et en aug­men­tant le res­pect et l’af­fec­tion envers le suc­ces­seur du bien­heu­reux Pierre éta­bli par le Christ Notre-​Seigneur comme le centre de la sainte et salu­taire unité.

Tout ce que, dans cette lettre, Nous avons indi­qué, décla­ré et éta­bli, de Notre propre mou­ve­ment, Nous vou­lons et ordon­nons, en ver­tu de Notre auto­ri­té, que cela demeure rati­fié et confirmé.

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 19 mars de l’an­née 1896, de Notre Pontificat la dix-neuvième.

LÉON XIII, PAPE.

Source : Lettres apos­to­lique de S. S. Léon XIII, tome 4, La Bonne Presse.

Notes de bas de page
  1. Constitution de Benoît XIV Demandatam.[]
  2. Epitre aux Romains, xii, 10.[]