Ce message radiophonique a été adressé au peuple portugais à l’occasion de la clôture de l’année jubilaire 1942 durant laquelle le Portugal a célébré ensemble le XXVe anniversaire des apparitions de Fatima et le XXVe anniversaire de la consécration épiscopale du pape :
Bénissez le Dieu du ciel et glorifiez-le en présence de tous les vivants, parce qu’il a exercé envers vous sa miséricorde.
Tb., xii, 6
Plus d’une fois, en cette année de grâce, vous êtes montés pieusement en pèlerinage sur la montagne sainte de Fatima, portant avec vous les cœurs de tout le Portugal croyant, pour y déposer aux pieds de la Vierge, votre patronne, dans cette oasis embaumée de foi et de piété, le tribut filial de votre plus pur amour, l’hommage de votre gratitude pour les immenses bienfaits que vous avez récemment reçus, la supplication confiante pour qu’elle daigne continuer son patronage sur votre patrie d’en deçà et au-delà des mers, et l’étendre à la grande tribulation qui tourmente le monde.
Nous qui, comme père commun des fidèles, faisons Nôtres toutes les tristesses comme les joies de Nos fils, avec toute l’affection de Notre âme, Nous Nous unissons à vous pour louer et magnifier le Seigneur, dispensateur de tout bien ; pour bénir et rendre grâces à Celle par les mains de qui la munificence divine nous communique des torrents de grâces.
Et Nous le faisons avec d’autant plus de plaisir qu’avec une délicatesse filiale vous avez voulu associer dans les mêmes solennités d’actions de grâces et de supplication, le Jubilé de Notre-Dame de Fatima et le XXVe anniversaire de Notre consécration épiscopale. La Sainte Vierge Marie et le Vicaire du Christ sur la terre, deux dévotions profondément portugaises et toujours unies dans le cœur du Portugal très fidèle depuis les premiers moments de sa vie nationale, depuis le jour où les premières terres reconquises, noyau de la future nation, furent consacrées à la Mère de Dieu, comme terre de Sainte Marie et où le royaume, à peine constitué, fut placé sous l’égide de saint Pierre.
Gratitude.
« Le premier et le plus grand devoir de l’homme est celui de la gratitude. »[1] « Il n’y a rien de plus agréable à Dieu que l’âme reconnaissante qui rend grâces pour les bienfaits reçus. » [2]
Et vous avez une grande dette envers la Vierge, souveraine et patronne de votre patrie.
En une heure tragique de ténèbres et de discordes, quand le vaisseau de l’Etat portugais, ayant perdu la direction de ses plus glorieuses traditions, égaré par la tourmente antichrétienne et antinationale, paraissait courir sûrement au naufrage, inconscient des périls présents et plus inconscient de ceux à venir – dont, du reste, aucune prudence humaine, pour si clairvoyante qu’elle fût, ne pouvait alors prévoir la gravité – le ciel, qui voyait les uns et prévoyait les autres intervint, compatissant, et des ténèbres jaillit la lumière, du chaos surgit l’ordre, la tempête se calma en bonace et le Portugal put retrouver et rattacher le fil perdu de ses plus belles traditions de nation très fidèle, pour poursuivre – comme dans les jours où « dans la petite maison portugaise ne manquaient pas de chrétiennes audaces » pour « dilater la loi de la vie éternelle »[3] – sa route glorieuse de peuple croisé et missionnaire.
Honneur aux vaillants qui furent l’instrument de la Providence pour une si grande entreprise !
Mais d’abord, gloire, bénédiction, action de grâces à la Vierge Notre-Dame, Reine et Mère de sa terre de Sainte Marie, qu’elle a sauvée mille fois, qu’elle a toujours secourue dans les heures tragiques, et qui en cette heure peut-être la plus tragique, l’a fait si manifestement que déjà en 1934, Notre prédécesseur Pie XI, d’immortelle mémoire, dans la lettre apostolique Ex officiosis litteris, attestait « les extraordinaires bienfaits par lesquels la Vierge, Mère de Dieu, avait daigné, récemment encore, combler votre patrie » [4]. Et à cette date, on ne pensait pas encore au vœu de mai 1936 contre le péril rouge, si redoutablement proche et si inespérément conjuré.
La merveilleuse paix dont malgré tout le Portugal continue de jouir, n’était pas encore un fait ; cette paix qui, malgré les sacrifices qu’elle exige, est toujours beaucoup moins ruineuse que la guerre d’extermination qui ravage le monde [5].
Aujourd’hui, à tant de bienfaits s’en sont ajoutés de nouveaux ; aujourd’hui, une atmosphère de miracle baigne le Portugal, multiplie les prodiges physiques et de plus grands et de plus nombreux prodiges de grâce et de conversions, et fleurit dans ce printemps éclatant de vie catholique, prometteuse des meilleurs fruits ; aujourd’hui, avec bien plus de raison, Nous devons avouer que la Mère de Dieu vous a comblés de bienfaits réellement extraordinaires ; et il vous incombe le devoir sacré de lui rendre des actions de grâces infinies.
Vous l’avez remerciée durant toute cette année, Nous le savons bien. Les hommages officiels doivent avoir été agréables au ciel ; mais les sacrifices des petits enfants, la prière et la pénitence sincère des humbles ne doivent-ils pas l’avoir ému davantage encore ?
A votre actif sont consignés dans les livres de Dieu :
l’apothéose de la Vierge, Notre-Dame, dans son pèlerinage du sanctuaire de Fatima à la capitale de l’empire, durant les mémorables journées des 8 et 12 avril dernier, qui fut peut-être la plus grande démonstration de foi de l’histoire huit fois séculaire de votre patrie ;
le pèlerinage national du 13 mai, « journée héroïque de sacrifices » qui, malgré le froid, la pluie et les énormes distances parcourues à pied, réunit à Fatima pour prier, pour remercier, pour réparer, des centaines de milliers de pèlerins, parmi lesquels se détachait, scintillant de beauté rénovatrice, l’exemple de la vaillante jeunesse catholique ;
les réunions enfantines de la Croisade eucharistique, dans lesquelles les enfants, si chéris de Jésus, avec la confiance filiale de l’innocence, pouvaient affirmer à la Mère de Dieu « qu’ils avaient fait tout ce qu’elle avait demandé : prières, communions, sacrifices… par milliers », et pour cela, suppliaient : « Notre-Dame de Fatima, maintenant c’est à vous ; dites à votre divin Fils une seule parole et le monde sera sauvé, et le Portugal sera entièrement préservé du fléau de la guerre » ;
la précieuse couronne faite d’or et de pierreries, et, plus encore, de très pur amour et de généreux sacrifices, que, le 13 courant, dans le sanctuaire de Fatima, vous avez offerte à votre auguste patronne comme symbole et monument perpétuel d’éternelle reconnaissance.
Ces très belles démonstrations de piété et d’autres qui, sous l’activité zélée de l’épiscopat, ont été si fécondes dans tous les diocèses et toutes les paroisses durant cette année jubilaire montrent bien comment le fidèle peuple portugais prouve sa reconnaissance et veut satisfaire son immense dette envers sa céleste Reine et Mère [6].
Confiance.
La gratitude pour le passé est gage de confiance pour l’avenir. « Dieu exige de nous que nous lui rendions grâce pour les bienfaits reçus », non pas parce qu’il a besoin de nos remerciements, mais « parce que ceux-ci le disposent à nous accorder des bienfaits encore plus grands » [7].
Pour cela, il est juste de compter aussi sur la Mère de Dieu, qui, acceptant votre action de grâces, ne laissera pas son œuvre incomplète et vous continuera l’indéfectible patronage qu’elle vous a accordé jusqu’à aujourd’hui en vous préservant des plus graves calamités.
Mais pour que la confiance ne soit jamais présomptueuse, il est nécessaire que tous, conscients de leurs propres responsabilités, s’efforcent de ne pas démériter la singulière faveur de la Vierge Mère, et même, comme de bons fils, reconnaissants et aimants, se concilient toujours davantage sa maternelle tendresse, et surtout qu’écoutant le conseil maternel qu’elle donnait aux noces de Cana, nous fassions tout ce que Jésus nous dit (cf. Jean, ii, 5) ; et il dit à tous de faire pénitence : poenitentiam agite (Matth., iv, 17) ; qu’ils réforment leur vie et fuient le péché, principale cause des grands châtiments par lesquels la justice éternelle punit le monde ; il nous dit d’être, au milieu de ce monde matérialisé et paganisant, dans lequel « toute chair a corrompu sa voie » (Gen., vi, 12), le sel qui conserve et la lumière qui éclaire ; de cultiver avec soin la pureté ; de refléter dans leurs mœurs la sainte austérité de l’Evangile, et hardiment et à tout prix, comme le proclamait la jeunesse catholique à Fatima, « de vivre en catholiques sincères et convaincus à cent pour cent ».
Mais encore : il faut que, remplis du Christ, les chrétiens répandent autour d’eux, tout près comme au loin, le parfum du Christ, et que, par la prière assidue, particulièrement par le chapelet quotidien et par le sacrifice que le zèle généreux inspire, ils obtiennent aux âmes pécheresses la vie de la grâce et la vie éternelle.
Alors, vous invoquerez avec confiance le Seigneur et il vous écoutera ; vous appellerez la Mère de Dieu et elle vous répondra : Me voici ! (cf. Isaïe, lviii, 9). Alors ne veillera pas en vain celui qui garde la cité, parce que le Seigneur veillera avec lui et la défendra ; et elle sera plus solide la maison reconstruite sur les bases d’un ordre nouveau, parce que le Seigneur la cimentera (cf. Ps., cxxvi, 1–2). Heureux le peuple dont le Seigneur est Dieu, dont la Reine est la Mère de Dieu. Elle intercédera et Dieu bénira son peuple en lui accordant la paix, résumé de tous les biens : Dominus benedicet populo suo in pace. (Ps., xxviii, 11).
Supplique.
Mais vous ne vous désintéresserez pas (qui peut s’en désintéresser ?) de l’immense tragédie qui afflige le monde. Au contraire, plus éclatantes sont les grâces dont vous remerciez aujourd’hui Notre-Dame de Fatima, plus assurée aussi est la confiance que vous placez en elle relativement à l’avenir ; plus vous la sentez près de vous, vous protégeant de son manteau de lumière, plus tragique aussi apparaît, par contraste, le sort de tant de nations déchirées par la plus grande calamité de l’histoire. Redoutable manifestation de la justice divine ! Adorons-la en tremblant, mais ne doutons pas de la divine miséricorde, parce que le Père qui est dans les cieux ne l’oublie pas, même aux jours de sa colère : Cum iratus fueris, misericordiae recordaberis (Hab., iii, 2).
Aujourd’hui, au début de la quatrième année de guerre, devenue plus triste encore dans le sinistre élargissement du conflit, aujourd’hui plus que jamais, il nous reste seulement la confiance en Dieu et, comme Médiatrice devant le trône divin, Celle qu’un de Nos prédécesseurs, dans le premier conflit mondial, prescrivit d’invoquer comme Reine de la paix ! [8]
Invoquons-la une fois de plus ; elle seule peut nous secourir ! Elle dont le cœur maternel s’est ému devant les ruines qui s’amoncelaient dans votre patrie et qui l’a si merveilleusement secourue. Elle qui, compatissante dans la prévision de l’immense malheur actuel par lequel la justice de Dieu punit le monde, avait déjà auparavant indiqué dans la prière et la pénitence le chemin du salut, elle ne nous refusera pas sa tendresse maternelle et l’efficacité de son patronage.
Consécration de l’Eglise et du genre humain au Cœur immaculé de Marie.
Reine du Très Saint Rosaire, secours des chrétiens, refuge du genre humain, victorieuse dans tous les grands combats de Dieu, nous voici suppliants et prosternés devant votre trône, assurés d’obtenir miséricorde, de recevoir grâces et aide opportune dans les calamités présentes, non en raison de nos mérites, dont nous ne saurions nous prévaloir, mais uniquement grâce à l’immense bonté de votre Cœur maternel.
C’est à vous, c’est à votre Cœur immaculé, qu’en tant que Père commun de la grande famille chrétienne et Vicaire de Celui à qui fut donné tout pouvoir dans le ciel et sur la terre (Matth., xxviii, 18), et de qui Nous recevons le soin de toutes les âmes rachetées par son sang et qui peuplent l’univers ; c’est à vous, c’est à votre Cœur immaculé qu’en cette heure tragique de l’histoire humaine, Nous confions, donnons, consacrons non seulement la sainte Eglise, Corps mystique de votre Jésus, qui souffre et verse son sang, persécutée en tant de lieux et de tant de manières, mais aussi le monde entier déchiré par de mortelles discordes, embrasé d’incendies de haine, victime de ses propres iniquités.
Laissez-vous émouvoir par tant de ruines matérielles et morales ; par tant de douleurs, tant d’agonies souffertes par des pères, des mères, des épouses, des frères, d’innocentes créatures ; par tant de vies brisées dans leur fleur, par tant de corps broyés dans d’horribles massacres, par tant d’âmes torturées et agonisantes, tant d’autres en péril de se perdre éternellement.
O Mère de miséricorde, obtenez-nous de Dieu la paix ! Et, avant tout, les grâces qui puissent en un moment convertir les cœurs humains, les grâces qui préparent, concilient, assurent la paix. Reine de la paix, priez pour nous et donnez au monde en guerre cette paix après laquelle les peuples soupirent, la paix dans la vérité, dans la justice, dans la charité du Christ. Donnez-nous la paix des armes et des âmes, afin que dans la tranquillité de l’ordre se dilate le règne de Dieu.
Etendez votre protection sur les infidèles et sur tous ceux qui sont encore dans les ténèbres de la mort ; donnez-leur la paix et faites que brille sur eux le Soleil de la vérité et qu’ils puissent avec nous, devant l’unique Sauveur du monde, répéter : « Gloire à Dieu dans les cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » (Luc, ii, 14).
Aux peuples séparés par l’erreur et la discorde, spécialement à ceux qui vous ont voué une particulière dévotion, tellement qu’il n’était chez eux aucune maison où ne brillât votre vénérable icône (maintenant parfois cachée et réservée pour des jours meilleurs), donnez la paix et reconduisez-les à l’unique troupeau du Christ, sous l’unique et vrai Pasteur.
Obtenez la paix et la liberté complète à la sainte Eglise de Dieu ; contenez le déluge matérialiste du néo-paganisme ; développez dans les fidèles l’amour de la pureté, la pratique de la vie chrétienne, le zèle apostolique, pour que le peuple des serviteurs de Dieu augmente en mérite et en nombre.
Enfin, de même qu’au Cœur de votre Jésus furent consacrés l’Eglise et le genre humain tout entier, afin que toutes leurs espérances étant placées en lui il devint signe et gage de victoire et de salut[9], qu’ainsi également ils vous soient désormais et à jamais consacrés, à vous et à votre Cœur immaculé, ô notre Mère et Reine du monde, pour que votre amour et votre protection hâtent le triomphe du règne de Dieu et que toutes les générations humaines, pacifiées entre elles et avec Dieu, vous proclament bienheureuse et, avec vous, entonnent d’un pôle du monde à l’autre l’éternel Magnificat de gloire, d’amour, de reconnaissance au Cœur de Jésus, en qui seul nous pouvons trouver la Vérité, la Vie et la Paix ! Dans l’espérance que Notre supplique et Nos vœux seront favorablement accueillis par la bonté divine, à vous, cher cardinal patriarche, à Nos Vénérables Frères et à votre clergé, pour que la grâce d’en haut féconde de plus en plus votre zèle ; à l’Excellentissime président de la République, à l’illustre chef et aux membres du gouvernement, ainsi qu’aux autres autorités civiles, pour que le ciel, dans cette heure particulièrement grave et difficile, continue à les assister ‑dans leur action en faveur du bien commun et de la paix ; à tous Nos bien-aimés fils du Portugal continental, insulaire et d’outre-mer, pour que la Vierge Notre-Dame confirme le bien qu’elle a daigné opérer chez vous ; à tous les Portugais et à chacun d’eux, comme gage des grâces célestes, Nous donnons avec tout Notre amour et Notre affection paternelle la Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte portugais des A. A. S., XXXIV, 1942, p. 313 ; cf. la traduction française des Actes de S. S. Pie XII, t. IV, p. 248. Les sous-titres sont ceux donnés dans le texte original.
- S. Ambroise, De excessu fratris sui Sat., 1. I, n. 44 ; Migne, P. L., t. XVI, col. 1361.[↩]
- Cf. S. Jean Chrysostome, Hom. LII in Gen. ; Migne, P. G., t. LIV, col. 460.[↩]
- Camoëns, Lusiadas, canto VII, oitavas 3 et 14.[↩]
- La lettre apostolique Ex officiosis est du 10 novembre 1934. Le pape recommande l’Action catholique à l’épiscopat portugais ; il souligne que la Vierge Mère, récemment encore, a favorisé le Portugal de bienfaits extraordinaires. A. A. S., XXVI, 1934, p. 628.[↩]
- Allusion à la guerre de 1939–1945.[↩]
- Le pape rappelle ci-dessus les principaux événements religieux de l’année jubilaire de Fatima.[↩]
- Cf. S. Jean Chrysostome, Hom. LII in Gen. ; Migne, P. G., t. LIV, col. 460.[↩]
- Cf. le décret de la Congrégation des Affaires ecclésiastiques extraordinaires du 16 novembre 1915, autorisant les évêques à ajouter temporairement l’invocation Regina pacis, ora pro nobis aux litanies de la Sainte Vierge. Actes de Benoît XV, t. 1er p. 149.[↩]
- Cf. lettre encycl. Annum Sacrum ; Acta Leonis XIII, vol. XIX, p. 79.[↩]