Jésus connaît le cœur de ses amis

Le Christ et ses disciples saint Pierre, saint Jacques et saint Jean. Crédit : Julian Kumar / Godong

Pendant qu’Il était à Jérusalem durant les fêtes de la Pâque, plu­sieurs crurent en Lui à la vue des miracles qu’Il accomplissait. 

Notre-​Seigneur avait com­men­cé son divin minis­tère au Temple par un acte de sou­ve­raine auto­ri­té. L’attention avait été atti­rée sur Lui. Les dis­ciples affluèrent aus­si­tôt. Ce qu’Il avait refu­sé aux grands prêtres du Temple, Il l’avait mul­ti­plié dans la Ville, Il avait confir­mer par des signes sa parole. Il avait donc satis­fait à l’exigence des Juifs et avaient indi­rec­te­ment remis à leur place les auto­ri­tés qui cer­tai­ne­ment furent infor­mées des miracles du Seigneur. 

Parmi ces nou­veaux dis­ciples, beau­coup étaient à vrai dire de ces curieux que toute nou­veau­té attire, mais sur les­quels on ne peut guère comp­ter. Ils étaient frap­pés des miracles accom­plis par Jésus ; ils enten­daient ses paroles, en étaient tou­chés et se mêlaient volon­tiers à la foule qui l’entourait. Mais le fond de leur cœur était loi encore des pro­fondes trans­for­ma­tions que la foi pro­pre­ment dite exige des vrais dis­ciples du Maître. 

C’est pour­quoi saint Jean, qui les connais­saient et qui avaient noté peut-​être dans leur rang de nom­breuses défec­tions, écrit à leur sujet : 

« beau­coup crurent en son nom, voyant les miracles qu’il fai­sait. Mais, Lui, Jésus, ne se fiait pas à eux parce qu’Il les connais­sait tous ; Lui n’avait pas besoin que quelqu’un se fît le témoin de ces hommes ni d’aucun homme ; car Il savait par Lui-​même ce qu’il y a dans l’homme ! »

Il y a dans ces paroles une pro­fonde tris­tesse. Qu’est ce que le cœur de l’homme ? Quelle confiance peut-​on avoir dans les grandes démons­tra­tions d’amitié d’un être humain ? Quelle force ont ses pro­messes et ses ser­ments de fidé­li­té ?
L’explication est en fait ter­rible. Elle revêt la sim­pli­ci­té du récit de saint Jean… comme une fata­li­té qui pour­tant n’existe pas, sinon dans l’entêtement d’une âme qui ne veut se don­ner. Le fait est là devant les yeux de saint Jean : Dieu reprend son royaume. C’est un mou­ve­ment inté­rieur, pro­fond, c’est là l’œuvre du Saint-​Esprit dans chaque âme. Dieu se donne selon un plan pro­gres­sif qui est est un plan de vie. Il débute par un germe. Les apôtres et les vrais dis­ciples ne sont pas seule­ment de pauvres gens, ils doivent apprendre la doci­li­té et la patience. Pour l’instant, ils ne voient que la réa­li­sa­tion d’une parole de la Bible. Le Saint Esprit va éclai­rer cette parole, va les mener dans les eaux pro­fondes du mys­tère de Dieu. Dans la genèse du Royaume de la Grâce, c’est le Saint Esprit qui est à l’œuvre… aucune convic­tion humaine ne peut éga­ler la foi qu’il fait naître dans une âme qui se donne. Le rap­pro­che­ment que le Maître vient de faire entre le Temple et son corps, ils ne le com­pren­dront qu’à la fin… et encore, il leur fau­dra toute leur vie pour le com­prendre. Pour l’instant, il n’y a que la Foi que sus­cite en eux l’action de la Grâce : les moyens extra­or­di­naires ne doivent être réduits qu’au strict néces­saire. Comme l’écrit Dom Guillerand, « Jésus les forme comme il déve­loppe une plante ; ou comme il fait lever une aurore, par des voies nor­males, aus­si nor­males que possibles. » 

Car, pour­suit encore Dom Guillerand, « la Foi ne s’impose pas pas ; elle se montre, elle se jus­ti­fie ; elle se fait « hom­mage qu’il est rai­son­nable de rendre » ». Pourquoi cer­tains vont croire et d’autre non ? pour la seule rai­son que la Foi se jus­ti­fie par elle-​même : c’est une œuvre de Dieu ; parce qu’aussi l’Esprit de Dieu se révèle immé­dia­te­ment, c’est-à-dire sans inter­mé­diaire : il se donne et il cherche des êtres qui consentent à le rece­voir.
C’est peut-​être pour cela que Notre-​Seigneur se fera plus acces­sible aux pauvres de la ville, à ceux qui n’ont rien. Les autres prennent posi­tion pour défendre ce qu’ils ont. En voyant les pro­diges de Jésus, les uns se taisent, adorent et se livrent ; les autres se taisent aus­si, croient peut-​être, mais ne se donnent pas. Et puis, il y a le reste, ceux qui sont res­tés au Temple avec les grands prêtres : ils parlent, ils résistent, il se refusent. « Les pre­miers à l’exemple des futurs apôtres sortent d’eux-mêmes, immolent leurs vues à des vues qu’ils estiment plus hautes que les leurs sans les com­prendre », dit Dom Guillerand.
Un jour, Notre-​Seigneur dira de ce petit groupe qui croit vrai­ment, « Vous êtes mes amis… parce que vous étiez avec moi dès le com­men­ce­ment » : non pas seule­ment le com­men­ce­ment tumul­tueux de cet apos­to­lat divin, mais le com­men­ce­ment de toutes choses où nous plonge l’acte de Foi. « Les seconds ont peur d’accorder leurs actes à cet acte de foi que pour­tant ils viennent de poser : ils ont peur des efforts à faire, et pro­ba­ble­ment de prendre posi­tion entre Jésus et ceux qui le contre­disent. » C’est pour­quoi le Maître ne se livre pas à eux.
Le Seigneur connait le cœur de l’homme, Il ne se donne que quand Il voit des cœurs prêts à répondre au don divin. Jean se tait inten­tion­nel­le­ment sur les pro­diges que réa­li­sa Notre-​Seigneur dans la ville et il met en relief la dif­fi­cul­té for­mi­dable à l’âme humaine de se livrer à l’acte de Foi : pour nos esprits habi­tués à réflé­chir, il nous faut nous dépas­ser et accep­ter de mar­cher sans autre lumière que cette lumière que pour l’instant on ne fait que devi­ner dans les paroles du Seigneur avant que le Saint Esprit ne nous le fasse connaître plus.

Sommes-​nous aban­don­nés à la fata­li­té et à l’impossibilité de réus­sir cet acte de Foi ? « Il les connais­sait tous… » dit Saint Jean. C’est une nou­velle pers­pec­tive, elle est immense et elle dépasse divi­ne­ment nos impos­si­bi­li­tés humaines. Le Maître lit l’âme de cha­cun de nous comme un livre ouvert : Il sai­sit l’être de l’homme en son entier, ses échecs mais aus­si ses com­bats, ses fai­blesses mais aus­si cha­cun de ses fré­mis­se­ments pour être meilleur, ses imper­fec­tions mais aus­si les réus­sites de la grâce dans une âme… Lui seul connaît véri­ta­ble­ment le cœur de l’homme. « Il les connais­sait tous ». N’est ce pas dans ces quelques mots le secret qui attache déjà Saint Jean à son Maître ? 

Le Bon Pasteur connaît ses bre­bis et ses bre­bis le connaissent.